8 juillet 2021 par Milan Rivié , César Chantraine
Nous accueillons Milan Rivié, membre du CADTM travaillant sur la dette des pays d’Afrique subsaharienne. Dans le contexte actuel, nous souhaitions lui poser une série de questions concernant la dette des pays de la région et leur financement.
Interview disponible aux formats écrit et audio.
Question 1
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Nous portons un regard très critique sur l’ISSD. Bien entendu, l’ISSD est bienvenue dans la mesure où les pays du Sud sont grandement impactés financièrement, économiquement, socialement et sanitairement par la pandémie. Il est donc nécessaire d’agir. Mais cette initiative, de l’aveu même du FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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, de la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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et du G20
G20
Le G20 est une structure informelle créée par le G7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni) à la fin des années 1990 et réactivée par lui en 2008 en pleine crise financière dans le Nord. Les membres du G20 sont : Afrique du Sud, Allemagne, Arabie saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chine, Corée du Sud, États-Unis, France, Inde, Indonésie, Italie, Japon, Mexique, Royaume-Uni, Russie, Turquie, Union européenne (représentée par le pays assurant la présidence de l’UE et la Banque Centrale européenne ; la Commission européenne assiste également aux réunions). L’Espagne est devenue invitée permanente. Des institutions internationales sont également invitées aux réunions : le Fonds monétaire international, la Banque mondiale. Le Conseil de stabilité financière, la BRI et l’OCDE assistent aussi aux réunions.
, est extrêmement insuffisante.
De l’aveu même du FMI, de la Banque mondiale et du G20, l’ISSD est extrêmement insuffisante
Selon moi, on peut lister au moins cinq problèmes.
Premièrement, trop peu de pays sont concernés. En effet, seuls les pays financés par l’AID (Association internationale de développement) de la Banque mondiale, soit 77 pays, sont concernés. Et finalement cette liste a été réduite à 73 pays car 4 pays ont des arriérés de paiement envers la Banque mondiale et le FMI. Parmi ces pays on retrouve le Zimbabwe, mais aussi le Soudan, pays sous le feu des projecteurs il y a quelques semaines dans le cadre du Sommet sur le financement des économies africaines organisé à Paris en France. Mais je reviendrai plus tard sur cette opération de communication présentée comme une annulation totale de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
soudanaise, ce qui est mensonger.
Au final, concernant l’ISSD, quasiment la moitié des pays en développement, dont certains sont en grande difficulté voire en défaut de paiement, comme le Liban, l’Argentine ou encore le Zimbabwe, s’en retrouvent purement et simplement exclus.
Deuxièmement, trop peu de créanciers sont concernés. L’ISSD ne s’applique qu’aux créanciers bilatéraux c’est-à-dire des États, qui sont aujourd’hui bien souvent minoritaires dans l’endettement des PED (Pays en développement). En effet, par ses caractéristiques, l’ISSD s’applique avant tout aux créanciers bilatéraux membres du Club de Paris
Club de Paris
Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.
Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.
Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
, et également d’autres créanciers bilatéraux non-membres du Club sur une base volontaire. Mais dans les faits, la Chine, qui n’est pas membre du Club, première créancière du continent africain, et dans le top 3 au niveau mondial, n’est pas véritablement concernée.
De leur côté, la Banque mondiale et le FMI n’ont cessé de mener un double discours, en appelant les pays du G20 à annuler leurs créances
Créances
Créances : Somme d’argent qu’une personne (le créancier) a le droit d’exiger d’une autre personne (le débiteur).
, tout en refusant de s’appliquer la même discipline. La première s’est rangée derrière l’argument fallacieux de protéger sa note sur les marchés financiers
Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
, alors même qu’elle est une banque de développement et qu’elle dispose d’une garantie de 189 États membres. La seconde a avancé l’argument d’une disposition contraire à ses statuts, argument tout aussi fallacieux puisque le FMI a déjà procédé à des annulations dans le cadre de l’IADM (Initiative d’annulation de la dette multilatérale) en 2006.
Les intérêts des différentes catégories de créanciers - bilatéraux, multilatéraux et privés - ne sont pas nécessairement distincts. Quand un pays fait un geste sur ses créances bilatérales, mais qu’il ne fait rien pour engager les créanciers privés, c’est aussi une manière pour lui de protéger ses propres intérêts
Enfin, les créanciers privés, créanciers très largement majoritaires ne sont aucunement contraints d’annuler leurs créances, ils sont simplement invités à le faire. Mais plus d’un an après son lancement, aucun créancier privé n’a concédé quelconque restructuration, encore moins une annulation.
Il me semble par ailleurs important de s’arrêter quelques instants sur cette distinction des créanciers par catégorie, à savoir bilatéraux, multilatéraux et privés. Certes les conditions d’emprunts diffèrent selon ces 3 catégories, mais leurs intérêts – politique, économique, commerciaux, stratégiques – n’en sont pas pour autant complétement distincts. Comme leur nom l’indique, les créanciers multilatéraux, c’est-à-dire des banques de développement et le FMI, sont composés d’États membres. Quant aux créanciers privés on y retrouve banques et autres fonds d’investissements. Il ne faut pas se leurrer, quand un pays fait un geste sur ses créances bilatérales, mais qu’il ne fait rien pour engager les créanciers privés, c’est aussi une manière pour lui de protéger ses propres intérêts. On voit bien que la frontière entre la sphère politique et la sphère financière est extrêmement poreuse. Dans ce cadre, je vous laisse tirer vos propres conclusions quant aux raisons pour lesquelles on n’impose pas à la BNP Paribas, à la Deutsche Bank, etc. de participer à des restructurations de dette. C’est bien là toute la logique du « système-dette », un système de domination financier et politique.
Troisième problème, les conditionnalités Conditionnalités Ensemble des mesures néolibérales imposées par le FMI et la Banque mondiale aux pays qui signent un accord, notamment pour obtenir un aménagement du remboursement de leur dette. Ces mesures sont censées favoriser l’« attractivité » du pays pour les investisseurs internationaux mais pénalisent durement les populations. Par extension, ce terme désigne toute condition imposée en vue de l’octroi d’une aide ou d’un prêt. et le chantage qui ont accompagné l’ISSD. Il faut savoir que toute demande d’ISSD est soumise à la signature préalable d’un accord avec le FMI, et comme vous le savez, le FMI ne prête jamais gratuitement. En contrepartie de l’ISSD, vous devez vous engagez à appliquer une série de réformes structurelles, les fameux plans d’ajustement structurel. Quoi qu’en dise le FMI, il est clair qu’ils sont toujours d’application.
A cela il faut ajouter le chantage exercé par les agences de notation Agences de notation Les agences de notation (Standard and Poor’s, Moody’s et Fitch en tête) sont des agences privées qui évaluent la solvabilité et la crédibilité d’un émetteur d’obligations (État, entreprise). Jusqu’aux années 1970 elle étaient payées par les acheteurs potentiels d’obligations, depuis la libéralisation financière la situation s’est inversée : ce sont les émetteurs d’obligations qui rémunèrent les agences pour qu’elles les évaluent... Reconnaissons leur qualité de travail : c’est ainsi que Lehman Brothers se voyait attribuer la meilleure note juste avant de faire faillite. , qui ont menacé, et appliqué dans certains cas, de dégrader la note souveraine des pays qui ont fait ou feront une demande d’ISSD, ce qui a pour conséquence directe de renchérir le coût de l’emprunt.
Quatrième problème, trop peu de volume de dette est concerné. L’ISSD concerne un maximum de 1,6 % de la dette des PED, c’est-à-dire 51 milliards $US sur une dette extérieure publique de 3200 milliards $US…
Enfin, le fardeau de la dette est simplement reporté. Comme son nom l’indique l’ISSD ne fait que différer le remboursement des dettes concernées à compter de l’année 2026. Ce report s’ajoutera au service de la dette
Service de la dette
Remboursements des intérêts et du capital emprunté.
de 2026 et des années suivantes, alors même que le fardeau de la dette est déjà insupportable pour nombre de ces pays et qu’il est fort improbable que les conséquences économiques, financières et sociales de la pandémie se soient complétement dissipées en 2026. A titre d’exemple, 10 ans après le début de la crise financière avec la crise des subprimes
Subprimes
Crédits hypothécaires spéciaux développés à partir du milieu des années 2000, principalement aux États-Unis. Spéciaux car, à l’inverse des crédits « primes », ils sont destinés à des ménages à faibles revenus déjà fortement endettés et étaient donc plus risqués ; ils étaient ainsi également potentiellement plus (« sub ») rentables, avec des taux d’intérêts variables augmentant avec le temps ; la seule garantie reposant généralement sur l’hypothèque, le prêteur se remboursant alors par la vente de la maison en cas de non-remboursement. Ces crédits ont été titrisés - leurs risques ont été « dispersés » dans des produits financiers - et achetés en masse par les grandes banques, qui se sont retrouvées avec une quantité énorme de titres qui ne valaient plus rien lorsque la bulle spéculative immobilière a éclaté fin 2007.
Voir l’outil pédagogique « Le puzzle des subprimes »
en 2007, nous ressentions toujours ces effets sur la dette, sur les emplois, sur les services publics, etc.
Question 2
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Je ne pense pas que l’on puisse l’analyser de cette manière, et je vais tenter d’expliquer pourquoi.
D’abord, malgré les incessants appel du pied du Club de Paris, la Chine se refuse à le rejoindre, elle préfère faire cavalier seul et ne pas avoir à appliquer les règles de ce Club de créanciers bilatéraux qui n’a par ailleurs aucune forme de légitimité et qui devrait être purement et simplement dissout.
Il est très clair que la Chine ne représente pas une alternative de financement viable pour les pays du Sud. Elle agit, en bien des manières, comme les créanciers occidentaux l’ont toujours fait
Ensuite, avec l’ISSD et le Common Debt Framework, la Chine mène clairement un double discours. Comme je l’expliquais, l’ISSD ne s’applique qu’aux créances bilatérales. Le problème est que la Chine, premier créancier du continent Africain et d’une série de PED, considère qu’une grande partie de ses prêts ne sont pas bilatéraux mais privés, notamment ceux réalisés via sa banque de développement Exfim-bank. En agissant ainsi, une majorité de ses créances se retrouvent tout simplement exemptées de l’ISSD.
Enfin, la Chine jouit d’un tel poids économique aujourd’hui, et pour le moment à moindre échelle à un niveau politique et militaire, qu’elle est en mesure d’appliquer ses propres règles. Bien que cela résulte d’une pression exercée par le FMI et le G7 G7 Groupe informel réunissant : Allemagne, Canada, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie, Japon. Leurs chefs d’État se réunissent chaque année généralement fin juin, début juillet. Le G7 s’est réuni la première fois en 1975 à l’initiative du président français, Valéry Giscard d’Estaing. , la Chine a rédigé et adopté unilatéralement son propre cadre sur la restructuration et la transparence de ses prêts en 2019. Elle a aussi créé sa propre banque de développement pour s’opposer à la Banque asiatique de développement (BAsD), qui est largement dominée par les intérêts occidentaux. C’est aussi elle qui a dicté les règles de fonctionnement lors de la création de la banque des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), la New Development bank.
En résumé, je dirais qu’il faut lire la politique de la Chine sur ce plan à deux niveaux. Un niveau public, où sous la pression du G7 et des grands médias qui ne cessent de critiquer, à raison, la politique de prêts de la Chine, sans pour autant balayer devant leurs propres portes. La Chine porte alors un discours public, de communication, visant à préserver son image ou tout du moins à édulcorer la réalité. Et un second niveau, je dirais dans les coulisses, où elle garde le contrôle total sur ses créances et les négociations envers ses débiteurs. Il est très clair que la Chine ne représente pas une alternative de financement viable pour les pays du Sud. Elle agit, en bien des manières, comme les créanciers occidentaux l’ont toujours fait.
Question 3
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Pour paraphraser Emmanuel Macron, toutes ses annonces sur la dette et le financement des économies africaines ne sont que de « la poudre de perlimpinpin »
Je dirais que c’est beaucoup de bruit pour pas grand-chose, et en soi de ce point de vue c’est un véritable succès pour Macron qui ne cesse de vouloir redonner à l’État français son rôle d’antan en Afrique. L’État français est toujours plus critiqué en Afrique et ne cesse de perdre de son influence face à la concurrence de la Chine, des pays du Golfe, des BRICS, sans oublier ses « concurrents » historiques avec les États-Unis, le Canada, la Grande-Bretagne, soit directement soit via leur multinationales. Depuis avril 2020, Macron s’est lancé dans une véritable opération de communication, d’abord en annonçant faussement une annulation massive des créances françaises sur les pays africains, ensuite avec le Consensus de Paris en novembre 2020, le sommet Afrique-France initialement prévu en juin 2020 à Bordeaux et finalement reporté en octobre 2021 à Montpellier et enfin début mai en annonçant en amont du Sommet sur le financement des économies africaines le lancement d’un New Deal
New Deal
Nom donné aux mesures prises aux États-Unis par Roosevelt à partir de son élection en 1933 à la présidence pour faire face à la crise économique déclenchée en 1929.
Rappelons que dans le cadre du New Deal aux États-Unis et des politiques keynésiennes qui ont été étendues à l’Europe occidentale après la Seconde Guerre mondiale sous la pression d’importantes mobilisations populaires, les droits sociaux ont été nettement améliorés, une protection sociale importante a été mise en place, les banques d’affaires ont été séparées des banques de dépôts, le taux d’imposition des revenus les plus élevés a atteint 80 % aux États-Unis. On pourrait ajouter que les inégalités dans la répartition des revenus et du patrimoine ont été réduites. À cette époque, le Grand Capital avait été contraint de faire des concessions aux classes populaires qui s’étaient fortement mobilisées. Le gouvernement du président Roosevelt, qui voulait réformer le capitalisme pour le sauver et le consolider, avait dû affronter la Cour suprême qui avait essayé de faire abroger plusieurs de ses décisions. Roosevelt, pressé par la radicalisation à gauche des classes populaires, avait réussi à contrecarrer les décisions de la Cour suprême et avait imposé des mesures fortes, y compris en permettant aux syndicats de se renforcer dans les usines et aux travailleurs de recourir aux grèves pour obtenir des concessions des patrons.
pour l’Afrique. Mais pour le paraphraser, tout cela ce n’est que de la « poudre de perlimpinpin ».
D’abord quelle légitimité ont Macron et l’État français à se positionner en tant que leader sur la question des dettes africaines et du financement de ces pays ? Tout bonnement aucune.
Ensuite, aucune annonce crédible n’a été faite durant ce sommet. Comme l’ont brillamment décrit les économistes Daniela Gabor et Ndongo Samba Sylla, le Consensus de Paris, ou si vous préférez le New Deal, c’est un « Consensus de Wall Street ». On reprend les recettes du Consensus de Washington des années 1990, c’est-à-dire les plans d’ajustement structurel et l’ultralibéralisation, et on l’actualise à la sauce actuelle, à savoir toujours plus de financiarisation et de pouvoir donné aux intérêts privés. A ce sommet, on a de nouveau appuyé les Accords de partenariats économiques (APE) ainsi que la Zone de libre-échange Continentale africaine (ZLECAf), deux outils de libre-échange dont nous connaissons déjà les effets, des relations asymétriques de pouvoir entre l’Europe et l’Afrique, une libération totale des mouvements de capitaux, une destruction des économies locales et renforcer la dépendance de pays à l’exportation de matières premières et à l’importation de produits transformés. L’autre annonce, qui n’a rien d’inédite non plus, c’est le recours accru aux Partenariats-Public-Privé (PPP), ce mécanisme qui grosso modo privatise les profits, socialise les pertes, et favorise les investissements étrangers au détriment des secteurs locaux. Le tout, comme l’a indiqué et dénoncé la Cour des Comptes européennes pour ne citer qu’elle, provoquant un renchérissement du coût des projets et donc de la dette. Lorsque Macron déclame fièrement que « Nous sommes en train collectivement d’abandonner l’Afrique à des solutions qui datent des années 60 », je suis d’accord avec lui. Tout ce qu’il a proposé ces derniers temps correspond en tous points aux recettes néocoloniales habituelles. La forme change quelque peu, mais le fond reste profondément ancré. Il est de toute façon très clair que ni la France ni les principales économies mondiales n’ont intérêt à voir l’Afrique se développer. Les relations centres/périphéries de même que la division internationale du travail doivent perdurer afin qu’ils puissent conserver leur emprise politique, économique et militaire et dégager un maximum de profits.
Concernant le Soudan, ce qui s’est passé ce 17 mai, c’est une véritable opération de blanchiment de dettes odieuses
Il me semble également indispensable d’évoquer la question du Soudan. Il a été annoncé que la dette du Soudan allait être annulée, mais que ce soit très clair, dire sous cette forme « La dette du Soudan est annulée » c’est clairement mensonger. Pourquoi ? D’abord, car le Soudan devait au préalable rembourser la Banque mondiale, le FMI et la Banque africaine de développement (BAfD). Pour ce faire, plusieurs créanciers les ont remboursés par l’intermédiaire de prêts-relais. La dette est donc passée d’une main à une autre. Ensuite, l’opération dite d’annulation se comprend dans le cadre du Club de Paris et de l’Initiative PPTE, 25 ans après son lancement, soit un quart de siècle ! Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’une « annulation » dans ce cadre ne s’applique que sur la part bilatérale et qu’elle est soumise à la signature préalable d’un accord économique, un plan d’ajustement structurel
Plan d'ajustement structurel
En réaction à la crise de la dette, les pays riches ont confié au FMI et à la Banque mondiale la mission d’imposer une discipline financière stricte aux pays surendettés. Les programmes d’ajustement structurel ont pour but premier, selon le discours officiel, de rétablir les équilibres financiers. Pour y parvenir, le FMI et la Banque mondiale imposent l’ouverture de l’économie afin d’y attirer les capitaux. Le but pour les États du Sud qui appliquent les PAS est d’exporter plus et de dépenser moins, via deux séries de mesures. Les mesures de choc sont des mesures à effet immédiat : suppression des subventions aux biens et services de première nécessité, réduction des budgets sociaux et de la masse salariale de la fonction publique, dévaluation de la monnaie, taux d’intérêt élevés. Les mesures structurelles sont des réformes à plus long terme de l’économie : spécialisation dans quelques produits d’exportation (au détriment des cultures vivrières), libéralisation de l’économie via l’abandon du contrôle des mouvements de capitaux et la suppression du contrôle des changes, ouverture des marchés par la suppression des barrières douanières, privatisation des entreprises publiques, TVA généralisée et fiscalité préservant les revenus du capital. Les conséquences sont dramatiques pour les populations et les pays ayant appliqué ces programmes à la lettre connaissent à la fois des résultats économiques décevants et une misère galopante.
, avec le FMI. De plus, il faut savoir que le Soudan était en défaut de paiement depuis 1984. Ses dettes sont issues de régimes dictatoriaux (Gaafar Nimeiry – 1969-85, Omar el-Béchir – 1989-2019), régimes volontairement soutenus par les puissances occidentales d’abord dans un contexte géopolitique de Guerre Froide, ensuite pour des intérêts économiques. La Banque mondiale, le FMI, l’État français et même la BNP Paribas ont volontairement soutenu ces régimes pour défendre leurs intérêts privés et contre l’intérêt des populations. En droit international, cela s’appelle une dette odieuse
Dette odieuse
Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.
Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).
Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.
Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».
Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »
Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
. Elle devrait donc être purement et simplement annulée sans aucune forme de conditionnalités. Ce qui s’est passé ce 17 mai c’est une véritable opération de blanchiment de dettes odieuses. Et que récolte le Soudan en contrepartie ? L’assurance de voir ses créanciers lui imposer un calendrier de réformes politiques néolibérales tout en lui imposant des investissements profitant aux intérêts du Nord. Lorsque l’État français annonce une annulation de 5 milliards de ses créances, il ment. En réalité, le Soudan va rembourser ces 5 milliards, et l’État français va les réinvestir dans le cadre d’un Contrat dit de désendettement et de développement (C2D), dans lequel il aura un pouvoir considérable pour décider dans quels secteurs et quelles entreprises vont investir. Ce n’est nullement un hasard que ces déclarations aient été faites devant le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux.
Question 4
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D’abord sur la France, c’est évidemment faux de dire que le niveau élevé d’endettement ne pose pas de problème. Ceux qui plaident cela se reposent sur le fait qu’actuellement les taux d’intérêt
Taux d'intérêt
Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
sont très faibles. Sauf que cette situation ne va pas durer éternellement, et lorsqu’ils remonteront, le coût de la dette également. Ensuite car l’État français et les pays de l’UE, par leur choix politique, sont totalement dépendant actuellement du marché obligataire. En l’état, et cela ne veut pas dire qu’il n’est pas possible de créer des alternatives, loin de là, l’État français est obligé de recourir aux emprunts privés. Ce sont eux qui font la pluie et le beau ici comme ailleurs, et ici comme ailleurs leurs prêts sont conditionnés. Ce qui m’amène à mon dernier point. Il ne faut pas oublier que la dette a un véritable coût social. Pas un mois ne se passe pour dire que la dette étant élevée, il faut se serrer la ceinture, réduire les dépenses, les budgets publics, etc. Il n’y a qu’à regarder les déclarations des différents gouvernements et les tribunes d’économistes orthodoxes. On voit bien que dans les secteurs des transports, de la justice, de l’éducation, et dans la santé il y a un sous-financement structurel ayant pour objectif de procéder à des privatisations et à imposer des logiques de profit dans ces secteurs ô combien important pour l’intérêt général et la justice sociale.
Il ne faut pas oublier que la dette a un véritable coût social
Maintenant pour l’Afrique pourquoi sont-ils plus facilement plombés que nous par le poids de leur dette ? Il y a de multiples raisons à cela. Premièrement, en comparaison des pays du Nord, leurs économies sont très faibles, ils disposent de budget et de marges de manœuvre bien plus réduites que dans les pays du Nord. Pour le dire rapidement, sur les 48 pays que compte l’Afrique subsaharienne, aucun n’est un pays à revenu supérieur, c’est-à-dire un pays développé selon la définition des Institutions financières internationales (IFI). 23 pays sont à faible revenu et 25 à revenu intermédiaire. Ensuite ces pays n’ont pas la possibilité de lever des fonds de manière souveraine dans les mêmes proportions que dans les pays du Nord, autant à une échelle nationale que régionale. Les banques centrales ou régionales ne sont pas en mesure de déployer des plans de financement à la hauteur de ce qui s’est fait dans l’UE ou aux États-Unis. Pour se financer, ils dépendent grandement des créanciers extérieurs, bilatéraux, multilatéraux ou privés qui comportent tous des contraintes importantes, soit avec des conditionnalités politiques soit avec des taux d’emprunt extrêmement élevés. Enfin ces pays sont extrêmement vulnérables aux facteurs exogènes. Les conséquences économiques et sociales directes de la pandémie en Afrique c’est une contraction du PIB
PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
de 2,1 % en 2020, une chute drastique des flux financiers extérieurs (investissements directs étrangers, aide publique au développement, envois de fonds de la diaspora), la dépréciation
Dépréciation
Dans un régime de taux de changes flottants, une dépréciation consiste en une diminution de la valeur de la monnaie nationale par rapport aux autres monnaies due à une contraction de la demande par les marchés de cette monnaie nationale.
d’une majorité de devise, une hausse vertigineuse de l’endettement extérieur, une insécurité alimentaire dans certaines régions, et 69 millions d’Africain·es supplémentaires – principalement des femmes – poussé·es dans l’extrême pauvreté d’ici la fin 2021, portant à 40,2 le pourcentage d’Africain·es vivant avec moins de 1,90 $US par jour, indicateur par ailleurs hautement discutable tant il est sous-évalué. Et à tout cela, il faut ajouter une série de mécanisme de domination, soit commerciaux, soit monétaires, soit financiers, soit politiques, qui maintiennent l’Afrique dans la dépendance.
Question 5
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En droit international, les droits humains fondamentaux prévalent sur les droits des créanciers. En un mot, cela veut dire qu’il est illégal, criminel, de sacrifier les droits humains sur l’autel de la finance
Il me semble en premier lieu indispensable de replacer les choses dans leur contexte. La dette de l’Afrique quelle est-elle aujourd’hui ? C’est 500 milliards de $US, c’est-à-dire 0,5 % des créances mondiales. Que pèse ces 500 milliards face aux milliers de milliards de plan de relance des pays occidentaux ou face aux quelques 3.000 milliards d’argent public dépensés pour les sauvetages bancaires en 2007-2008 ? Rien du tout ! Si on annulait ces 500 milliards, les créanciers ne le verraient même pas ! Trouvez-vous normal que plus de 60 % des pays africains consacrent davantage de ressources au remboursement de la dette qu’en dépenses de santé ? Comment ladite « communauté internationale » tout autant que l’ONU peuvent répéter à longueur de temps que l’Afrique doit se développer alors même qu’on lui fait porter ce fardeau, hérité en majorité de l’époque coloniale ? Que ce soit très clair, en droit international, les droits humains fondamentaux prévalent sur les droits des créanciers. En un mot, cela veut dire qu’il est illégal, criminel, de sacrifier les droits humains sur l’autel de la finance. Selon la CNUCED
Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement
CNUCED
Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement. Elle a été créée en 1964, sous la pression des pays en voie de développement pour faire contrepoids au GATT. Depuis les années 1980, elle est progressivement rentrée dans le rang en se conformant de plus en plus à l’orientation dominante dans des institutions comme la Banque mondiale et le FMI.
Site web : http://www.unctad.org
, la somme nécessaire pour assurer à la totalité de la population les services sociaux essentiels (Éducation primaire, santé, eau, assainissement) est de 80 milliards $USD par an sur 10 ans. En comparaison des quelques 1.700 milliards $US, au bas mot, de dépenses militaires annuelles mondiales, on voit bien que cela pourrait être résolu si volonté politique il y avait.
Autre point fondamental. Pour le CADTM, la dette est davantage un problème politique qu’économique, il faut la comprendre comme un système de domination avant tout. Et pour le CADTM, si l’annulation de la dette est une condition indispensable au développement des pays du Sud, elle est aussi insuffisante. Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’aujourd’hui les gouvernements africains, pris dans les griffes de leurs créanciers, lorsqu’ils établissent leur calendrier de réforme politique, ils le font en fonction des recommandations et des exigences des créanciers. En clair, ils rédigent leur calendrier de réformes avec les recommandations du FMI, du G7, etc. juste à côté. Annuler leur dette, ce n’est pas simplement une opération économique, c’est leur donner la possibilité de se libérer des conditionnalités, d’être souverain dans leur politique de développement. Voilà pourquoi l’annulation totale et inconditionnelle de ces pays est indispensable. Réglons d’abord ce problème et ensuite intéressons-nous aux autres causes structurelles de l’endettement que vous mentionnez à juste titre.
En Afrique, l’économie, le recouvrement de l’impôt, le financement des services publics, etc. se portaient bien mieux entre 1960 et 1980 que maintenant. Cela signifie que les pays africains, qui ont tous ou presque appliqué les plans d’ajustement structurel du FMI commandités par les grandes puissances, se sont affaiblis
Mais là encore, qui sont les responsables ? En Afrique, l’économie, le recouvrement de l’impôt, le financement des services publics, etc. se portaient bien mieux entre 1960 et 1980 que maintenant. Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela signifie que les pays africains, qui ont tous ou presque appliqué les plans d’ajustement structurel du FMI commandités par les grandes puissances, se sont affaiblis. En libéralisant leur économie, en s’enfermant dans un modèle extractiviste-exportateur destructeur, leur dépendance s’est renforcée. Qui permet les sorties massives de capitaux, les flux financiers illicites, les accords de libre-échange au profit du Capital ? Qui a imposé des codes miniers, forestiers, maritimes au profit des multinationales ? Qui limite l’imposition ? Le FMI, l’OMC
OMC
Organisation mondiale du commerce
Créée le 1er janvier 1995 en remplacement du GATT. Son rôle est d’assurer qu’aucun de ses membres ne se livre à un quelconque protectionnisme, afin d’accélérer la libéralisation mondiale des échanges commerciaux et favoriser les stratégies des multinationales. Elle est dotée d’un tribunal international (l’Organe de règlement des différends) jugeant les éventuelles violations de son texte fondateur de Marrakech.
L’OMC fonctionne selon le mode « un pays – une voix » mais les délégués des pays du Sud ne font pas le poids face aux tonnes de documents à étudier, à l’armée de fonctionnaires, avocats, etc. des pays du Nord. Les décisions se prennent entre puissants dans les « green rooms ».
Site : www.wto.org
, le G7, l’OCDE
OCDE
Organisation de coopération et de développement économiques
Créée en 1960 et basée au Château de la Muette à Paris, l’OCDE regroupait en 2002 les quinze membres de l’Union européenne auxquels s’ajoutent la Suisse, la Norvège, l’Islande ; en Amérique du Nord, les USA et le Canada ; en Asie-Pacifique, le Japon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande. La Turquie est le seul PED à en faire partie depuis le début pour des raisons géostratégiques. Entre 1994 et 1996, deux autres pays du Tiers Monde ont fait leur entrée dans l’OCDE : le Mexique qui forme l’ALENA avec ses deux voisins du Nord ; la Corée du Sud. Depuis 1995 et 2000, se sont ajoutés quatre pays de l’ancien bloc soviétique : la République tchèque, la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie. Puis d’autres adhésions se sont produites : en 2010, le Chili, l’Estonie, Israël et la Slovénie, en 2016 la Lettonie, en 2018 la Lituanie et, en 2020, la Colombie est devenue le trente-septième membre.
Site : www.oecd.org
, sans oublier le Big Four des cabinets d’audit (KPMG, Ernest & Young, Deloitte, PWC), des grandes places financières et autres paradis fiscaux
Paradis fiscaux
Paradis fiscal
Territoire caractérisé par les cinq critères (non cumulatifs) suivants :
(a) l’opacité (via le secret bancaire ou un autre mécanisme comme les trusts) ;
(b) une fiscalité très basse, voire une imposition nulle pour les non-résidents ;
(c) des facilités législatives permettant de créer des sociétés écrans, sans aucune obligation pour les non-résidents d’avoir une activité réelle sur le territoire ;
(d) l’absence de coopération avec les administrations fiscales, douanières et/ou judiciaires des autres pays ;
(e) la faiblesse ou l’absence de régulation financière.
La Suisse, la City de Londres et le Luxembourg accueillent la majorité des capitaux placés dans les paradis fiscaux. Il y a bien sûr également les Iles Caïmans, les Iles anglo-normandes, Hong-Kong, et d’autres lieux exotiques. Les détenteurs de fortunes qui veulent échapper au fisc ou ceux qui veulent blanchir des capitaux qui proviennent d’activités criminelles sont directement aidés par les banques qui font « passer » les capitaux par une succession de paradis fiscaux. Les capitaux généralement sont d’abord placés en Suisse, à la City de Londres ou au Luxembourg, transitent ensuite par d’autres paradis fiscaux encore plus opaques afin de compliquer la tâche des autorités qui voudraient suivre leurs traces et finissent par réapparaître la plupart du temps à Genève, Zurich, Berne, Londres ou Luxembourg, d’où ils peuvent se rendre si nécessaires vers d’autres destinations.
(Îles Caïmans, les États-Unis, la Suisse, Hong-Kong ou encore le Luxembourg, le Japon et les Pays-Bas), tout autant que le rôle des multinationales dans l’imposition d’accord léonin, Glencore en tête. On pourrait également parler des 15 pays africains ne disposant d’aucune souveraineté monétaire en raison du F-CFA. Et puis il ne faut pas oublier l’hypocrisie actuelle. On estime que 20 à 30 % de la fortune privée en Afrique est placée dans des paradis fiscaux. Qui permet à des dirigeants corrompus de détourner de l’argent public et de le placer dans les banques du Nord ? Au mois de mai 2021 encore la BNP Paribas a de nouveau été mis en examen concernant une affaire de blanchiment de plusieurs dizaines de millions d’euros de la famille Bongo au Gabon. Oui il y a des problèmes de gouvernance et de corruption en Afrique, comme ailleurs, ni plus ni moins. Et ces problèmes sont sciemment alimentés par les pays du Nord qui ont tout intérêt à conserver ce système. Pour ne parler que de Macron ces derniers mois c’est quoi ? C’est recevoir plusieurs dictateurs à l’Élysée, c’est vendre des avions à l’Égypte d’Al-Sissi, c’est faussement réformer le F-CFA avec l’appui stratégique du président ivoirien Ouattara, c’est rendre hommage et saluer l’action d’Idriss Déby, dictateur au pouvoir depuis 30 ans au Tchad. Ne soyons pas dupe.
Question 6
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J’ai déjà répondu en grande partie sur pourquoi il est indispensable d’annuler les dettes. A propos de la Chine, celle-ci mène une politique tant intérieure qu’extérieure, hautement critiquable. Mais étant donné son poids actuel, je ne vois pas pourquoi la Chine changerait seule de stratégie. Si l’on souhaite réduire son influence, il me semble indispensable d’agir à au moins deux niveaux. Le premier c’est d’arrêter de signer des accords économiques et commerciaux avec elle au motif qu’on ne peut faire autrement. On ne peut pas se plaindre de sa puissance actuelle tout en lui donnant tous les outils pour le faire. La seconde serait un changement radical de comportement des principales puissances à l’égard de la Chine et des pays en développement. A savoir dénoncer à l’unisson les innombrables violations des droits humains en Chine, au premier rang desquels se trouvent la question des Ouïghours. La seconde serait d’adopter une véritable politique de coopération avec les PED, c’est-à-dire procéder à des excuses officielles et à des réparations pour les crimes passés, à supprimer tous les accords néocoloniaux actuels (libre-échange, accord de garnison, FCFA, etc.) et enfin de mettre l’APD APD On appelle aide publique au développement les dons ou les prêts consentis à des conditions financières privilégiées accordés par des organismes publics des pays industrialisés à des pays en développement. Il suffit donc qu’un prêt soit consenti à un taux inférieur à celui du marché pour qu’il soit considéré comme prêt concessionnel et donc comme une aide, même s’il est ensuite remboursé jusqu’au dernier centime par le pays bénéficiaire. Les prêts bilatéraux liés (qui obligent le pays bénéficiaire à acheter des produits ou des services au pays prêteur) et les annulations de dette font aussi partie de l’APD, ce qui est inadmissible. à 1 % du RNB uniquement sous forme de don et sans conditionnalités.
L’absence de participation des créanciers privés est un véritable problème qui montre surtout que les gouvernements sont aujourd’hui largement soumis, sciemment et volontairement, aux intérêts de la finance
Concernant l’absence de participation des créanciers privés, cela est effectivement un véritable problème qui montre surtout que les gouvernements sont aujourd’hui largement soumis, sciemment et volontairement, aux intérêts de la finance. La position largement majoritaire des créanciers privés traduit d’une part le désengagement continue des États dans le financement du développement au profit du secteur privé, processus engagé dans les années 80 et qui s’est accéléré lors de ces deux dernières décennies. D’autre part, en donnant une place toujours plus importante au secteur privé dans le financement du développement. Si l’on regarde les ODD et l’Agenda 2030, c’est absolument flagrant. Enfin, le FMI lui-même incite les PED à recourir aux émissions obligataires pour financer leur besoin en infrastructures. Les IFI et le G20 agissent en véritable pompiers pyromanes. Mais avec de la volonté politique, si celle-ci était véritablement présente, il serait possible de changer. Mais la problématique est assez similaire à celle de la lutte contre l’évasion fiscale et la taxation des multinationales. A l’image du recul de Biden et de l’OCDE, de grandes annonces sont faites pour finalement arriver à des régulations nationales ou internationales insuffisantes pour ne pas dire obsolètes.
Question 7
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Le système asservi complètement les pays africains et plus largement les pays en développement. Entre les taux d’intérêts, les primes de risques, les commissions ponctionnées, etc. lorsqu’un pays comme le Nigeria par exemple emprunte 100, il ne lui arrive dans les caisses que 70
Il est clair que le modèle de financement du développement doit être totalement repensé. En premier lieu il faut affirmer que l’endettement en soi n’est pas mauvais. Dès lors qu’il est contracté dans de bonnes conditions et qu’il profite à l’intérêt général, il est tout à fait légitime de recourir à l’endettement pour se développer. Mais aujourd’hui le système asservi complètement les pays africains et plus largement les pays en développement. Entre les taux d’intérêts (pouvant atteindre 10 % ou plus), les primes de risques, les commissions ponctionnées, etc. lorsqu’un pays comme le Nigeria par exemple emprunte 100, il ne lui arrive dans les caisses que 70. Ce genre de pratique est également appliqué par des acteurs comme la Banque mondiale. C’est un pillage organisé. Alors même que ce sont les PED qui ont le plus besoin de financement, ce sont eux qui payent le plus cher. Il faut donc totalement réformer, pour ne pas dire révolutionner, le financement des PED.
Ensuite il y a tout un tas de mécanisme sur lesquels des marges de manœuvres existent. Sur la question des flux financiers illicites par exemple, la CNUCED estime les pertes annuelles pour l’Afrique, au minimum à 89 milliards $US par an, c’est bien plus que le service de la dette annuel de ces mêmes pays. Cela signifie que si on récupère ces 89 milliards, minimum j’insiste, l’Afrique est en mesure de se désendetter totalement en l’espace de 8-9 ans à peine.
Il faut ensuite agir au niveau des accords de libre-échange, les APE, l’ALECA, etc. et les annuler purement et simplement. Qu’à la place, les pays africains aient la possibilité de mettre en place des mesures protectionnistes comme le contrôle des mouvements de capitaux par exemple en parallèle d’une véritable solidarité des peuples à la fois panafricaniste et internationaliste.
Agir également au niveau monétaire en supprimant le F-CFA pour les 15 pays concernés et donner ensuite la possibilité à ses pays de battre leur propre monnaie. Faut-il une monnaie commune régionale ou continentale ? Je pense que tout dépend de la manière dont cela sera réalisé. Si l’Afrique ou des régions de l’Afrique appliquent une logique similaire à celle de l’Euro, ils seront confrontés aux mêmes problèmes de centres et périphéries. La politique de la France et de l’Allemagne ne profite clairement pas à la Grèce ou aux pays d’ex-Yougoslavie par exemple. Il en serait de même par exemple en Afrique de l’Ouest, les intérêts du Nigeria et du Côte d’Ivoire ne sont pas les mêmes que les autres pays de la région, bien plus faible économiquement.
Il faut donner la possibilité à l’Afrique de développer son secteur secondaire et industriel, en le conjuguant bien entendu à la problématique écologique. C’est en transformant les matières premières que vous réalisez une véritable plus-value
Il faut aussi permettre aux banques centrales, nationales et régionales de financer bien plus largement les PME et les populations. L’accès au crédit est aujourd’hui bien trop limité.
Il faudrait également supprimer tout un tas d’accord bilatéraux, tels que des accords économiques exclusifs ou préférentiels, des accords de garnison, etc.
Enfin, il faut lui permettre de sortir du modèle extractiviste destructeur, basé sur l’exportation des matières premières, modèle imposé par les puissances impérialistes et les institutions financières internationales depuis l’époque coloniale à nos jours. Trouvez-vous normal que la majeure partie du pétrole extrait en Afrique soit exporté vers l’Europe, région où elle est transformée avant ensuite d’être réimportée en carburants dans ces mêmes pays ? Il faut donner la possibilité à l’Afrique de développer son secteur secondaire et industriel, en le conjuguant bien entendu à la problématique écologique. C’est en transformant les matières premières que vous réalisez une véritable plus-value
Plus-value
La plus-value est la différence entre la valeur nouvellement produite par la force de travail et la valeur propre de cette force de travail, c’est-à-dire la différence entre la valeur nouvellement produite par le travailleur ou la travailleuse et les coûts de reproduction de la force de travail.
La plus-value, c’est-à-dire la somme totale des revenus de la classe possédante (profits + intérêts + rente foncière) est donc une déduction (un résidu) du produit social, une fois assurée la reproduction de la force de travail, une fois couverts ses frais d’entretien. Elle n’est donc rien d’autre que la forme monétaire du surproduit social, qui constitue la part des classes possédantes dans la répartition du produit social de toute société de classe : les revenus des maîtres d’esclaves dans une société esclavagiste ; la rente foncière féodale dans une société féodale ; le tribut dans le mode de production tributaire, etc.
Le salarié et la salariée, le prolétaire et la prolétaire, ne vendent pas « du travail », mais leur force de travail, leur capacité de production. C’est cette force de travail que la société bourgeoise transforme en marchandise. Elle a donc sa valeur propre, donnée objective comme la valeur de toute autre marchandise : ses propres coûts de production, ses propres frais de reproduction. Comme toute marchandise, elle a une utilité (valeur d’usage) pour son acheteur, utilité qui est la pré-condition de sa vente, mais qui ne détermine point le prix (la valeur) de la marchandise vendue.
Or l’utilité, la valeur d’usage, de la force de travail pour son acheteur, le capitaliste, c’est justement celle de produire de la valeur, puisque, par définition, tout travail en société marchande ajoute de la valeur à la valeur des machines et des matières premières auxquelles il s’applique. Tout salarié produit donc de la « valeur ajoutée ». Mais comme le capitaliste paye un salaire à l’ouvrier et à l’ouvrière - le salaire qui représente le coût de reproduction de la force de travail -, il n’achètera cette force de travail que si « la valeur ajoutée » par l’ouvrier ou l’ouvrière dépasse la valeur de la force de travail elle-même. Cette fraction de la valeur nouvellement produite par le salarié, Marx l’appelle plus-value.
La découverte de la plus-value comme catégorie fondamentale de la société bourgeoise et de son mode de production, ainsi que l’explication de sa nature (résultat du surtravail, du travail non compensé, non rémunéré, fourni par le salarié) et de ses origines (obligation économique pour le ou la prolétaire de vendre sa force de travail comme marchandise au capitaliste) représente l’apport principal de Marx à la science économique et aux sciences sociales en général. Mais elle constitue elle-même l’application de la théorie perfectionnée de la valeur-travail d’Adam Smith et de David Ricardo au cas spécifique d’une marchandise particulière, la force de travail (Mandel, 1986, p. 14).
. Sans cela, l’Afrique a beau être le continent le plus riche en ressources naturelles, elle restera cantonnée à ces niveaux de développement extrêmement inquiétant pour les populations.
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