Presse internationale
3 juillet 2006 par Emad Mekay
Dans une récente déclaration à l’occasion du 50e anniversaire du Club de Paris, le puissant cartel de créanciers basé en France, des groupes anti-dette qualifiaient de « moyenâgeuses » les politiques du Club à l’égard des nations emprunteuses. Mais certains disent que le terme « colonial » convient également très bien.
Formé des 19 nations les plus riches du monde, le Club de Paris
Club de Paris
Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.
Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.
Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
s’est constitué en 1956 comme un groupe informel de gouvernements créanciers pour la gestion commune de leur portefeuille de dettes collectif. Depuis, il a évolué pour devenir un des nombreux outils de politique étrangère que les anciennes puissances coloniales comme la Grande-Bretagne et la France utilisent pour maintenir leur influence sur les ressources des pays en développement.
Le Club est l’une des institutions financières internationales - presque toutes conçues et dirigées par d’anciennes puissances coloniales - comme le Fonds monétaire international
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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(FMI) et la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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, qui aident les nations industrialisées à promouvoir un programme économique qui garde nombre d’anciennes colonies attachées à leurs anciens occupants.
L’outil principal du Club de Paris dans sa mission de maximiser les retours fut de pousser à restructurer les prêts dans les pays en faillite. Depuis 1983, le Club a couvert quelque 504 milliards de dollars de dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
initialement donnés via des agences bilatérales faussement qualifiées « d’aide » ou via des agences de crédit à l’exportation, à des dizaines de pays africains, asiatiques et latino-américains.
Le poids le plus lourd de ces programmes a été supporté par l’Afrique subsaharienne et l’Amérique latine, mais aussi par des pays d’Asie (les Philippines), du Moyen Orient (Egypte et Jordanie) et d’Europe centrale et orientale (Pologne, Yougoslavie et Bulgarie).
Le résultat des rééchelonnements de la dette fut l’extension des échéances de remboursement sur des périodes plus longues combinée avec l’introduction d’intérêts moratoires et dans presque tous les cas le maintien de nations pauvres sous le joug de la dette.
Le Nigéria est un exemple classique de ce cercle vicieux. En 1985, sa dette publique extérieure s’élevait à 19 milliards de dollars. Bien qu’il ait payé à ses créanciers plus de 35 milliards de dollars pour un emprunt de moins de 15 milliards, sa dette échue fin 2004 s’élevait à près de 36 milliards de dollars parce que le gouvernement avait cessé de payer les intérêts composés au Club de créanciers.
Le rééchelonnement est également conforme aux programmes du FMI chargés de conditionnalités Conditionnalités Ensemble des mesures néolibérales imposées par le FMI et la Banque mondiale aux pays qui signent un accord, notamment pour obtenir un aménagement du remboursement de leur dette. Ces mesures sont censées favoriser l’« attractivité » du pays pour les investisseurs internationaux mais pénalisent durement les populations. Par extension, ce terme désigne toute condition imposée en vue de l’octroi d’une aide ou d’un prêt. économiques telles que privatisations d’entreprises de monopole d’Etat et libéralisation des marchés, une formule qui, selon les critiques a aggravé la situation d’endettement dans les nations pauvres.
Le confidentiel Club de Paris en est venu à coopérer si étroitement avec le FMI et la Banque mondiale que les représentants des deux organismes ont l’habitude d’être présents quand des décisions sur le traitement de la dette doivent être prises à Paris. Deux présidents du Club de Paris, Jacques de Larosière et Michel Camdessus, ont été directeurs généraux du FMI.
Les membres officiels du Club sont l’Allemagne, l’Australie, l’Autriche, la Belgique, le Canada, le Danemark, l’Espagne, les Etats-Unis,la Finlande, la France, la Grande-Bretagne, l’Irlande, l’Italie, le Japon,, la Norvège, les Pays-Bas, la Russie, la Suède et la Suisse.
« A travers le FMI, la Banque Mondiale et le Club de Paris, le nations prospères ont imposé un état prolongé de non-soutenabilité et d’urgence » affirme le groupe anti-dette Eurodad basé à Bruxelles, dans une déclaration signée par des dizaines de groupes indépendants.
« En conséquence, on a constamment et délibérément empêché toute sortie permanente du piège de la dette, maintenant les pays débiteurs dans un état de domination et de dépendance effectives » ajoute-t-il.
Cette « non-institution », comme on l’appelle parfois, dont les membres se réunissent 10 à 11 fois par an, est également critiquée en tant qu’exemple flagrant de procédures non démocratiques. Ses décisions sont prises à l’unanimité. Mais elle n’autorise que les seuls créanciers à participer, les débiteurs se retrouvent en fin de compte avec des conditions qu’ils n’ont pas contribué à formuler.
Afrodad, une plate-forme d’ONG africaines, a décrit le Club de Paris et ses relations avec les nations endettées dans les termes suivants : « Dans un jury de renards (les créanciers), les poulets (les débiteurs) sont toujours coupables. »
Au Club, c’est la politique qui motive la plupart des modalités de rééchelonnement de la dette. L’un des exemples les plus évidents de ces dernières années est la façon dont le Club a fini par renoncer à 80 % de la dette irakienne sous la pression des Etats-Unis. De façon analogue, elle a couvert 67 % de la dette de la Serbie et du Monténégro et la moitié des dettes du gouvernement pro-Washington en Pologne.
En revanche, les pays touchés par le tsunami dévastateur en 2004 ont reçu tout au plus un moratoire
Moratoire
Situation dans laquelle une dette est gelée par le créancier, qui renonce à en exiger le paiement dans les délais convenus. Cependant, généralement durant la période de moratoire, les intérêts continuent de courir.
Un moratoire peut également être décidé par le débiteur, comme ce fut le cas de la Russie en 1998, de l’Argentine entre 2001 et 2005, de l’Équateur en 2008-2009. Dans certains cas, le pays obtient grâce au moratoire une réduction du stock de sa dette et une baisse des intérêts à payer.
d’une année, les exposant au paiement d’intérêts additionnels en pleine période de désastre national.
Ces exemples, selon le Comité pour l’Abolition de la Dette du Tiers-Monde (CADTM), basé à Paris, « reflète avant tout les intérêts géopolitiques en jeu et sont particulièrement contestables. »
Selon d’autres organisations de la société civile s’exprimant dans une déclaration à l’occasion du 50e anniversaire du Club, « cela montre un niveau d’arbitraire politique défiant tout sens commun de justice et d’équité. »
« Au Club de Paris, les créanciers agissent comme juges dans leur propre procès » ajoutent-elles.
Les groupes ont appelé à la création d’un organisme impartial pour surveiller le processus de discussions sur le traitement de la dette internationale et pour garantir que la voix des nations endettées et celle des créanciers soient entendues toutes les deux.
Actuellement, le Club de Paris semble irrité que de nouveaux prêteurs comme la Chine et le Brésil veuillent courtiser ses clients et diluer le contrôle des nations riches sur les pays en développement. Il a lancé ouvertement une invitation à s’engager à ces puissances économiques naissantes.
« Puisque ces nouveaux joueurs d’Asie ou d’ailleurs commencent à se responsabiliser davantage pour le système... ils pourraient commencer à apprécier l’importance des institutions existantes » déclarait Stanley Fischer, gouverneur de la Banque centrale Banque centrale La banque centrale d’un pays gère la politique monétaire et détient le monopole de l’émission de la monnaie nationale. C’est auprès d’elle que les banques commerciales sont contraintes de s’approvisionner en monnaie, selon un prix d’approvisionnement déterminé par les taux directeurs de la banque centrale. d’Israël, ancien haut fonctionnaire du FMI, à une conférence organisée par le Club pour fêter son jubilé doré.
Ce point a été repris par nombre d’officiels contribuant à diriger le système économique mondial actuel.
« La communauté internationale doit trouver des moyens de s’engager avec des donateurs émergents. Elle doit les convaincre que le financement de pays à faibles revenus devrait se faire par une coordination internationale des efforts, plutôt que par des politiques nationales indépendantes » dit Agustin Carstens, directeur général adjoint du FMI.
Source : Ips News, 20 juin 2006.
Traduction : Marie Meert.