En mai 2010, la Commission européenne a créé un Fonds européen de stabilisation financière (FESF), doté de plusieurs centaines de milliards d’euros [1]. Les aides devaient durer trois ans, mais il est déjà certain que ce délai sera dépassé. Elles sont conditionnées à la mise en place, par les pays concernés, de programmes d’austérité censés restaurer leur solvabilité. Le FESF s’inscrit dans un plan d’aide plus large, qui comprend également un financement du FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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à hauteur de plusieurs centaines de milliards d’euros, soumis aux mêmes conditions, dans la droite ligne des plans d’ajustement structurel du FMI imposés depuis les années 1980 aux pays en développement et aux économies issues de l’ex-bloc soviétique. Par ailleurs, la BCE
BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
a décidé d’acheter des titres de la dette
Titres de la dette
Les titres de la dette publique sont des emprunts qu’un État effectue pour financer son déficit (la différence entre ses recettes et ses dépenses). Il émet alors différents titres (bons d’état, certificats de trésorerie, bons du trésor, obligations linéaires, notes etc.) sur les marchés financiers – principalement actuellement – qui lui verseront de l’argent en échange d’un remboursement avec intérêts après une période déterminée (pouvant aller de 3 mois à 30 ans).
Il existe un marché primaire et secondaire de la dette publique.
émis par les pays en difficulté mais, et c’est fondamental, elle fait cette acquisition auprès des banques privées sur le marché secondaire de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
. Au lieu de prêter directement aux Etats membres de la Zone euro, la BCE prête donc des capitaux au taux de 1% aux banques privées qui ensuite prêtent cet argent aux Etats en difficulté à un taux doublé ou triplé pour les prêts à court terme. Ensuite, la BCE achète auprès des mêmes banques privées les titres des Etats [2] auxquels elle s’interdit de prêter directement ! Evidemment, il est tout à fait logique de considérer que la BCE devrait prêter à 1% directement aux Etats qui en éprouvent le besoin au lieu de passer par les banques qui font de juteux bénéfices au passage et prennent dans leurs politiques de prêt des risques inconsidérés, que les Etats finiront par assumer à leur place en cas de risque de faillite. Mais il ne faut surtout pas se contenter demander que la BCE prête aux Etats, il faut d’abord et surtout obtenir l’annulation de la partie illégitime de la dette publique et une réduction importante du reste de la dette [3]. Si on ne donne pas la priorité à cette exigence, le nœud coulant de la dette sera à peine desserré et les populations devront payer les pots cassés de la crise pendant des décennies.
Plusieurs dispositions des traités qui régissent l’Union européenne, l’eurozone et la BCE doivent être abrogées [4]. Par exemple, il faut supprimer les articles 63 et 125 du traité de Lisbonne interdisant tout contrôle des mouvements de capitaux et toute aide à un État en difficulté. Il faut également abandonner le Pacte de stabilité et de croissance. Au-delà, il faut remplacer les actuels traités par de nouveaux dans le cadre d’un véritable processus constituant démocratique afin d’aboutir à un pacte de solidarité des peuples pour l’emploi et l’écologie. Il faut revoir complètement la politique monétaire ainsi que le statut et la pratique de la Banque centrale Banque centrale La banque centrale d’un pays gère la politique monétaire et détient le monopole de l’émission de la monnaie nationale. C’est auprès d’elle que les banques commerciales sont contraintes de s’approvisionner en monnaie, selon un prix d’approvisionnement déterminé par les taux directeurs de la banque centrale. européenne.
L’émission des eurobonds
Devant l’ampleur de la crise, les dirigeants européens ont décidé de créer et d’émettre des obligations
Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
européennes, des « eurobonds », afin de financer partiellement le Fonds qui fournit des prêts aux pays les plus endettés. Ce mécanisme nouveau permet d’emprunter dans les meilleures conditions sur les marchés en bénéficiant d’une note AAA, équivalente à celle dont disposent l’Allemagne ou la France en 2010. De nouveau, il s’agit d’emprunter sur les marchés, donc auprès des banques privées et autres zinzins
Zinzins
On surnomme ’zinzins’ les investisseurs institutionnels, c’est-à-dire les gestionnaires de fonds collectifs qui ont atteint un poids financier paroxysmique sur les marchés financiers, tels les fonds de pension, les compagnies d’assurance et autres organismes de placements collectifs.
, au lieu de financer directement les besoins des pouvoirs publics par la Banque centrale européenne ou les banques centrales des Etats membres.
La perspective d’un plan Brady pour les pays européens les plus endettés
Au cours de l’année 2010, les dirigeants européens se sont rendus compte que la Grèce, l’Irlande et probablement d’autres pays verront leur situation empirer au cours des prochaines années car un effet boule de neige est enclenché. Bien que ces gouvernements remboursent leur dette, son volume poursuit inexorablement sa hausse à cause de la charge des intérêts et de la faible croissance économique. Le poids du remboursement de la dette deviendra vite insoutenable pour un certain nombre d’entre eux. C’est pour cela que fin 2010, les dirigeants européens ont annoncé qu’à partir de 2013, lors des nouvelles émissions de titres de la dette, des nouvelles règles seront adoptées afin de prévoir la possibilité d’une restructuration de dette avec à la clé une réduction de son montant. A partir de juin 2013 tous les titres émis par les États européens comprendront une « clause d’action
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
collective » indiquant que si un pays en détresse n’est pas en mesure de rembourser sa dette, tous les investisseurs devront se réunir et indiquer comment restructurer la dette et éventuellement la réduire. Ce type de mécanisme avait déjà été débattu au sein du FMI au début des années 2000, dans la foulée de la suspension du paiement de la dette par la Russie en 1998 et par l’Argentine en 2001.
Bref, dans les années qui suivront 2013, les prêteurs privés devront s’attendre à une restructuration de la dette des pays concernés, ce qui signifie une réduction de son volume suite à des négociations forcées. Mais que l’on ne s’inquiète pas trop pour les dividendes des principaux actionnaires des institutions privées créancières : entre-temps, les créanciers auront réussi à se faire rembourser des montants tout à fait considérables, tout en réduisant leur exposition aux pays à risque car le FMI, la BCE et la Commission européenne prennent progressivement de plus en plus de place en tant que prêteurs. Patrick Artus, chef économiste de la banque Natixis, fait la même analyse : « Au début de la prochaine décennie, la quasi-totalité de la dette détenue par les investisseurs privés aura été remboursée, et la quasi-totalité de la dette publique des pays en difficulté sera dans les mains des prêteurs publics (Fonds européen de stabilité financière (FESF) et son successeur, Union européenne, FMI...) » (Flash Economie, 24 mars 2011, http://gesd.free.fr/flas1218.pdf ).
Au fond, cela rappelle la gestion de la crise de la dette du tiers-monde au cours des années 1980 avec la mise en place du Plan Brady [5]. En effet au début de la crise qui a éclaté en 1982, le FMI et les gouvernements des Etats-Unis, de la Grande Bretagne et d’autres puissances sont venus à la rescousse des banquiers privés du Nord qui avaient pris des risques énormes en prêtant à tour de bras aux pays du Sud, surtout d’Amérique latine (un peu comme dans le secteur des subprimes
Subprimes
Crédits hypothécaires spéciaux développés à partir du milieu des années 2000, principalement aux États-Unis. Spéciaux car, à l’inverse des crédits « primes », ils sont destinés à des ménages à faibles revenus déjà fortement endettés et étaient donc plus risqués ; ils étaient ainsi également potentiellement plus (« sub ») rentables, avec des taux d’intérêts variables augmentant avec le temps ; la seule garantie reposant généralement sur l’hypothèque, le prêteur se remboursant alors par la vente de la maison en cas de non-remboursement. Ces crédits ont été titrisés - leurs risques ont été « dispersés » dans des produits financiers - et achetés en masse par les grandes banques, qui se sont retrouvées avec une quantité énorme de titres qui ne valaient plus rien lorsque la bulle spéculative immobilière a éclaté fin 2007.
Voir l’outil pédagogique « Le puzzle des subprimes »
et à l’égard de pays comme la Grèce, les pays d’Europe de l’Est, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne). Lorsque les pays en développement, à commencer par le Mexique, se sont trouvés au bord de la cessation de paiement, le FMI, les pays membres du Club de Paris
Club de Paris
Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.
Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.
Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
leur ont prêté des capitaux à condition qu’ils poursuivent les remboursements à l’égard des banquiers privés du Nord et qu’ils appliquent des plans d’austérité (les fameux plans d’ajustement structurel). Ensuite, comme l’endettement du Sud se poursuivait par l’effet boule de neige, ils ont mis en place le Plan Brady (du nom du secrétaire d’Etat au Trésor états-unien de l’époque) qui a impliqué une restructuration de la dette des principaux pays endettés avec échange de titres. Le volume de la dette a été réduit de 30% dans certains cas et les nouveaux titres (les titres Brady) ont garanti un taux fixe d’intérêt d’environ 6%, ce qui était très favorable aux banquiers. Cela assurait aussi la poursuite des politiques d’austérité sous le contrôle du FMI et de la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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. Aujourd’hui, sous d’autres latitudes, la même logique provoque les mêmes désastres.
Éric Toussaint, docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, président du CADTM Belgique, membre du Conseil international du Forum social mondial et de la Commission présidentielle d’audit intégral de la dette (CAIC) de l’Équateur, membre du Conseil scientifique d’ATTAC France, auteur des livres Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui (Cerisier, 2010), Banque du Sud et nouvelle crise internationale (CADTM-Syllepse, 2008), Banque mondiale : le coup d’Etat permanent (CADTM-Syllepse-Cetim, 2006), La finance contre les peuples (CADTM-Syllepse-Cetim, 2004). Co-auteur avec Damien Millet des livres La Crise, quelles crises ? (Aden-CADTM-Cetim, 2010), 60 questions 60 réponses sur la dette, le FMI et la Banque mondiale (CADTM-Syllepse, 2008) et Les tsunamis de la dette (CADTM-Syllepse, 2005). Prochain ouvrage à paraître en juin 2011 : La Dette ou la Vie, Aden-CADTM, 2011 (livre collectif coordonné par Damien Millet et Eric Toussaint). Eric Toussaint a participé également à la rédaction d’un ouvrage collectif d’ATTAC France à paraître en mai 2011 : Le piège de la dette publique, comment s’en sortir, Les liens qui libèrent, Paris, 2011
[1] Au départ, il s’agissait de 440 milliards d’euros mais vu la poursuite de la crise et des attaques spéculatives, le montant alloué ne cesse d’augmenter.
[2] Pour garantir que les zinzins continuent à acquérir leurs titres et tout en leur assurant que la BCE est l’acheteur de dernier ressort.
[3] Voir Eric Toussaint, Huit propositions urgentes pour une autre Europe, proposition 1, http://www.cadtm.org/Huit-propositi...
[4] Voir « 8. Refonder démocratiquement une autre Union européenne basée sur la solidarité » in Eric Toussaint, Huit propositions urgentes pour une autre Europe, http://www.cadtm.org/Huit-propositi...
[5] Voir Éric Toussaint, Banque mondiale : le Coup d’État permanent, CADTM-Syllepse-Cetim, 2006, chapitre 15.
Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.
Quand le président Joe Biden affirme que les États-Unis n’ont jamais dénoncé aucune dette, c’est un mensonge destiné à convaincre les gens qu’il n’y a pas d’alternative à un mauvais accord bi-partisan.
Plafond de la Dette US : la répudiation de dettes par le Président Franklin Roosevelt passée sous silence28 mai, par Eric Toussaint
24 mai, par Eric Toussaint , Maxime Perriot
17 mai, par Eric Toussaint , Sushovan Dhar
16 mai, par Eric Toussaint , Maxime Perriot
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Interview, Video, Mediakritiek - Lode Vanoost
Eric Toussaint : “Les crises font partie du métabolisme du système. Transformer les banques en services publics”14 avril, par Eric Toussaint , Lode Vanoost
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3 avril, par Eric Toussaint , Collectif , Olivier Bonfond , Christine Pagnoulle , Paul Jorion , Jean-François Tamellini , Zoé Rongé , Économistes FGTB , Nadine Gouzée
3 avril, par CADTM , Eric Toussaint , Collectif , Anaïs Carton
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