Alerte au franc suisse pour les collectivités françaises et les ménages croates

19 janvier 2015 par Pierre Gottiniaux


Ce jeudi 15 janvier, la BNS (Banque Nationale de Suisse) a décidé de mettre fin au système qui liait la valeur du franc suisse et de l’euro (1,20 franc suisse pour 1 euro) qu’elle avait mis en place en 2011, dans un contexte de forte tourmente pour l’euro. Aussitôt la nouvelle annoncée, le choc en Suisse a été assez retentissant et la bourse Suisse a fortement plongé. L’activité de nombre d’entreprises repose sur l’exportation, et celle-ci a été rendue en un instant très compliquée par un franc suisse qui s’est envolé de 30 %. La mesure a également pris de court les opérateurs des marchés de change, qui parient d’énormes sommes d’argent sur de faibles variations des taux de changes, en faisant jouer l’effet de levier. Ils ont joué, ils ont perdu, et que leurs multimillionnaires de clients y laissent quelques plumes au passage ne devrait pas nous défriser d’un iota. Par contre, des millions de personnes en Europe, qui ne sont ni traders, ni millionnaires, ont commencé à sentir un vent de panique souffler à leurs oreilles – et à juste titre.



Les taux d’intérêt Taux d'intérêt Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
de certaines communes françaises ont encore doublé, voire triplé

En France, environ 5000 communes sont concernées par des emprunts toxiques souscrits auprès de Dexia au cours des années 2000 [1]. Ces emprunts toxiques sont pour beaucoup indexés sur le franc suisse, ce qui va avoir pour effet d’en augmenter considérablement les taux d’intérêt. Selon Christophe Greffet, vice-président du conseil général de l’Ain et président de l’Association des acteurs publics contre les emprunts toxiques : « on a des taux d’intérêt qui doublent et dans certains cas triplent. Ce sont des sommes considérables pour les collectivités ». Et si l’on compare avec les taux pratiqués aux moments où les contrats ont été émis, on constate que de nombreuses communes sont passés d’environ 3 % à 12, 13 voire 17 % [2] !

Beaucoup des collectivités concernées ont intentés des recours en justice pour faire annuler ces contrats de prêts, mais les décisions tardent à arriver et le gouvernement se montre extrêmement frileux dans cette affaire, pour ne pas dire carrément obscène – mais qui s’étonne encore de voir des gouvernements dits « de gauche » venir en aide aux banques plutôt qu’à la population [3]. Quoiqu’il en soit, les communes peuvent et doivent remettre en cause ces dettes, clairement illégitimes, en refusant de payer !

Dans plusieurs pays d’Europe de l’Est, la pilule Suisse va aussi avoir beaucoup de mal à passer, comme en Pologne ou en Croatie ou de nombreuses familles sont endettées directement en francs suisse. En Croatie, ce sont plus de 70 000 foyers qui ont contracté des crédits hypothécaires en francs suisse pendant les années 2000, sous les conseils « avisés » des grandes banques étrangères qui dominent le marché. Depuis 2008, ces contrats avaient déjà été revalorisés plusieurs fois, largement en défaveur des emprunteurs qui avaient vu autant les taux d’intérêts que le capital de leur dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
exploser [4]. L’annonce récente de la BNS a eu pour effet de faire décrocher la kuna Croate de près de 17 % face au franc Suisse, impactant à nouveaux les victimes de ces prêts. L’association Franc (Udruga Franak), qui est en procès contre 8 grandes banques responsables, a appelé à une réunion d’urgence avec le gouvernement.

De nombreux emprunteurs ont déjà remboursé plus que les sommes empruntées, sans voir leur prêt diminuer tant les intérêts ont explosés
Les hongrois qui connaissent une situation d’endettement similaire ne seront pas touchés de la même manière, le gouvernement d’Orban ayant pris en novembre dernier des mesures préventives assurant un taux de change fixe entre le franc suisse et le forints. Pour autant, cette mesure est largement insuffisante et les prêts en devises étrangères qui profitent grassement aux banques sur le dos de la population doivent être à minima totalement modifiés pour ne plus dépendre des évolutions de devises, voire tout simplement annulés : il faut savoir que de nombreux emprunteurs ont déjà remboursé plus que le capital emprunté au départ, sans voir au final leur prêt diminuer tant les intérêts ont explosés depuis 2008. En Autriche, bien que le gouvernement ait interdit en 2008 l’émission de contrats de prêts en devises étrangères – déjà à l’époque en raison de l’envolée du franc Suisse - les ménages y détiennent encore pour 29 milliards de dollars (25 mds d’euros) d’emprunts en devise helvétique.


Pierre Gottiniaux

Permanent au CADTM Belgique

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