Alternatives : Le Retour

21 octobre 2008 par Eric Toussaint




Les crises financière, économique, alimentaire et climatique ont pris un caractère dramatique à l’échelle mondiale en 2008. Les effets seront de longue durée. Les réponses apportées aux crises en cours par les organisations internationales et la plupart des gouvernements augmentent leur crise de légitimité. En effet une grande partie de l’opinion se rend parfaitement compte qu’on sauve les banquiers sans égard pour les peuples. La conjonction de ces crises montre aux peuples la nécessité de se libérer de la société capitaliste et de son modèle productiviste car ils constituent la racine du problème. [1]

La pensée néo-libérale développe la notion d’inéluctabilité : le système qui est, doit être parce qu’il est ; la mondialisation Mondialisation (voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.

Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».

La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
/globalisation Globalisation (voir aussi Mondialisation) (extrait de Chesnais, 1997a)

Origine et sens de ce terme anglo-saxon. En anglais, le mot « global » se réfère aussi bien à des phénomènes intéressant la (ou les) société(s) humaine(s) au niveau du globe comme tel (c’est le cas de l’expression global warming désignant l’effet de serre) qu’à des processus dont le propre est d’être « global » uniquement dans la perspective stratégique d’un « agent économique » ou d’un « acteur social » précis. En l’occurrence, le terme « globalisation » est né dans les Business Schools américaines et a revêtu le second sens. Il se réfère aux paramètres pertinents de l’action stratégique du très grand groupe industriel. Il en va de même dans la sphère financière. A la capacité stratégique du grand groupe d’adopter une approche et conduite « globales » portant sur les marchés à demande solvable, ses sources d’approvisionnement, les stratégies des principaux rivaux oligopolistiques, font pièce ici les opérations effectuées par les investisseurs financiers, ainsi que la composition de leurs portefeuilles. C’est en raison du sens que le terme global a pour le grand groupe industriel ou le grand investisseur financier que le terme « mondialisation du capital » plutôt que « mondialisation de l’économie » m’a toujours paru - indépendamment de la filiation théorique française de l’internationalisation dont je reconnais toujours l’héritage - la traduction la plus fidèle du terme anglo-saxon. C’est l’équivalence la plus proche de l’expression « globalisation » dans la seule acceptation tant soit peu scientifique que ce terme peut avoir.
Dans un débat public, le patron d’un des plus grands groupes européens a expliqué en substance que la « globalisation » représentait « la liberté pour son groupe de s’implanter où il le veut, le temps qu’il veut, pour produire ce qu’il veut, en s’approvisionnant et en vendant où il veut, et en ayant à supporter le moins de contraintes possible en matière de droit du travail et de conventions sociales »
telle qu’elle se déroule est incontournable, tous et toutes doivent s’y plier.
On plonge ainsi dans le mysticisme et le fatalisme. Pourtant, un regard attentif sur l’histoire démontre l’incongruité de l’idée “ d’irréversibilité ”. Prenons l’exemple du domaine financier. Au début du XXe siècle, la liberté des mouvements de capitaux assurée par l’étalon-or, la liberté des changes garantie par les traités sur le commerce et l’investissement, semblaient irréversibles. La première guerre mondiale est venue bouleverser tout cela. Dans les années 1920, la toute-puissance des marchés financiers Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
paraissait tout aussi irréversible qu’elle prétend l’être actuellement. Le krach de 1929 et la longue crise qui a suivi ont obligé les gouvernements à surveiller étroitement les activités bancaires et financières. A la fin de la seconde guerre mondiale, les gouvernements des principaux pays capitalistes vainqueurs se sont mis d’accord pour se doter d’instruments de contrôle financier sur le plan international. Le FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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avait notamment pour objectif de veiller à ce contrôle (son article VI le stipule explicitement). Plusieurs gouvernements d’Europe occidentale ont entrepris à partir de 1945 de vastes programmes de nationalisations, incluant des banques, sous la pression du monde du travail.

Les certitudes théoriques néo-libérales affichées aujourd’hui ne valent guère plus que celles des libéraux ou des conservateurs au pouvoir dans les années 1920 à la veille du krach financier. L’échec économique et le désastre social provoqués par les néo-libéraux d’aujourd’hui pourraient déboucher sur de nouveaux grands changements politiques et sociaux. La mondialisation n’est pas un rouleau compresseur qui écrase tout sur son passage : les forces de résistance sont bel et bien présentes.

Pourquoi dès lors exclure que le mécontentement social s’exprime à nouveau autour de projets émancipateurs ? Il n’y a ni fatalité économique ni situation politique qui résiste à l’action Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
des forces sociales.

La satisfaction des droits humains fondamentaux au Sud

Il serait vain d’attendre de la logique du marché qu’elle satisfasse les besoins essentiels. Les 2,8 milliards de personnes qui vivent avec moins de 2 $ par jour ne disposent pas du pouvoir d’achat suffisant pour que les marchés s’intéressent à elles. Seules des politiques publiques peuvent garantir, à tous et à toutes, la satisfaction des besoins humains fondamentaux. C’est pourquoi il est nécessaire que les dirigeants politiques disposent des moyens politiques et financiers leur permettant d’honorer leurs engagements et leurs devoirs envers leurs concitoyens.

L’application de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et du Pacte des droits économiques, sociaux et culturels ne pourra être obtenue que par l’action d’un puissant mouvement social et citoyen. Il faut, en premier lieu, mettre fin à l’hémorragie des ressources que constitue le remboursement de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
.

Il ne faut pas attendre que des institutions internationales prennent d’elles-mêmes la décision d’annuler la dette des PED. C’est l’action résolue d’un Etat ou d’une coalition d’Etats qui pourra conduire à une telle mesure. Les juristes qui se sont réunis à Quito en juillet 2008 ont parfaitement raison d’affirmer : « Nous soutenons les actes souverains des États qui, fondés en droit, déclarent la nullité d’instruments illicites et illégitimes de la dette publique, et avec elle la suspension des paiements [2]. »

Une fois ce premier pas franchi, il est essentiel de substituer à l’économie d’endettement international actuelle un modèle de développement socialement juste et écologiquement soutenable, indépendant des fluctuations des marchés financiers et des conditionnalités Conditionnalités Ensemble des mesures néolibérales imposées par le FMI et la Banque mondiale aux pays qui signent un accord, notamment pour obtenir un aménagement du remboursement de leur dette. Ces mesures sont censées favoriser l’« attractivité » du pays pour les investisseurs internationaux mais pénalisent durement les populations. Par extension, ce terme désigne toute condition imposée en vue de l’octroi d’une aide ou d’un prêt. des prêts du FMI et de la Banque mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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.

Pour qu’une annulation de dette soit utile pour le développement humain, il est nécessaire que les sommes destinées jusque-là au paiement de la dette soient utilisées pour le développement humain. Les modalités doivent être déterminées de manière démocratique par chaque pays concerné.

Mettre fin aux plans d’ajustement structurel

Les plans d’ajustement structurel, qu’ils portent ce nom ou qu’ils aient été rebaptisés « Cadres stratégiques de lutte contre la pauvreté » par les institutions financières internationales, en prônant la libéralisation totale des économies du Sud, ont pour conséquence d’affaiblir les États en les rendant plus dépendants de fluctuations extérieures (évolution des marchés mondiaux, attaques spéculatives, etc.) et de les soumettre à des conditionnalités inacceptables imposées par le tandem Banque mondiale/FMI et, derrière lui, par les gouvernements des pays créanciers regroupés dans le Club de Paris Club de Paris Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.

Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.

Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
. Le bilan humain des politiques d’ajustement structurel est tragique. Elles doivent donc être supprimées et remplacées par des politiques visant en priorité absolue la satisfaction des besoins humains fondamentaux, axées sur la souveraineté et la sécurité alimentaires et la recherche de complémentarités régionales.

Les plans d’ajustement structurel vont au-delà « ...de la simple imposition d’un ensemble de mesures macroéconomiques au niveau interne. Elles [sont] l’expression d’un projet politique, d’une stratégie délibérée de transformation sociale à l’échelle mondiale, dont l’objectif principal est de faire de la planète un champ d’action où les sociétés transnationales pourront opérer en toute sécurité. Bref, les programmes d’ajustement structurel (PAS) jouent un rôle de « courroie de transmission » pour faciliter le processus de mondialisation qui passe par la libéralisation, la déréglementation et la réduction du rôle de l’État dans le développement national  ».

ONU-CDH, Rapport commun de l’Expert indépendant Fantu Cheru et du Rapporteur spécial, E/CN.4/2000/51, 14 janvier 2000

La Commission des droits de l’homme de l’ONU [3] a adopté de multiples résolutions sur la problématique de la dette et de l’ajustement structurel. Dans l’une d’elles adoptée en 1999, la Commission affirme que « l’exercice des droits fondamentaux de la population des pays endettés à l’alimentation, au logement, à l’habillement, au travail, à l’éducation, aux services de santé et à un environnement sain, ne peut être subordonné à l’application de politiques d’ajustement structurel et à des réformes économiques générées par la dette  » (1999, Art. 5).

Rétrocéder aux citoyennes et citoyens des PED ce qui leur a été dérobé

Des richesses considérables, accumulées illicitement par des gouvernants et des capitalistes locaux, ont été placées en sécurité dans les pays les plus industrialisés, avec la complicité des institutions financières privées et la complaisance des gouvernements du Nord. La restitution de ces richesses implique l’aboutissement de procédures judiciaires menées à la fois dans les pays du tiers-monde et dans les pays les plus industrialisés. De telles enquêtes permettraient en outre de ne pas laisser les corrompus et les corrupteurs impunis : c’est la seule manière d’espérer voir un jour la démocratie et la transparence vaincre la corruption. Il s’agit également d’exiger réparation pour le pillage auquel le tiers-monde est soumis depuis cinq siècles. Cela implique notamment la restitution de biens économiques et culturels dérobés aux continents asiatique, africain et sud-américain.

« Les États doivent accorder réparation par le biais de mécanismes efficaces – qui peuvent comprendre la restitution – mis au point en concertation avec les peuples autochtones, en ce qui concerne les biens culturels, intellectuels, religieux et spirituels qui leur ont été pris sans leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, ou en violation de leurs lois, traditions et coutumes.  »

Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, 2007 [4]

Instaurer un impôt exceptionnel sur le patrimoine des grosses fortunes

Dans son rapport de 1995, la Cnuced Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement
CNUCED
Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement. Elle a été créée en 1964, sous la pression des pays en voie de développement pour faire contrepoids au GATT. Depuis les années 1980, elle est progressivement rentrée dans le rang en se conformant de plus en plus à l’orientation dominante dans des institutions comme la Banque mondiale et le FMI.
Site web : http://www.unctad.org
propose d’effectuer un prélèvement unique (« one-shot ») sur le patrimoine des grosses fortunes. Un tel impôt, prélevé partout dans le monde, permettrait de mobiliser des fonds considérables. Cet impôt exceptionnel (différent d’un impôt récurrent sur le patrimoine, tel qu’il existe dans quelques pays de la planète) pourrait être prélevé à l’échelle nationale. Un tel impôt exceptionnel de solidarité pourrait générer des ressources tout à fait considérables. Selon le World Wealth Report 2008 [5] publié par les sociétés Merrill Lynch et Capgemini, 10,1 millions de personnes dans le monde détiennent plus de 1 million de dollars d’actifs Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
et leur richesse cumulée atteint 40 700 milliards de dollars, soit 30 fois la dette extérieure publique de tous les pays en développement… Par conséquent, à titre d’exemple, un impôt de 10% exceptionnel sur ce patrimoine apporterait plus de 4 000 milliards de dollars sans pour autant les condamner à la misère…

L’ordre économique dominant «  a commencé à s’imposer lorsque la grande majorité des pays en voie de développement étaient encore des pays dépendants et ne pouvaient, par conséquent, participer à sa formation ; il était donc inévitable qu’il soit, dès l’origine, inéquitable et contraire à leurs intérêts. […] L’ordre économique international actuel est certainement injuste, principalement parce que les pays ’en développement’ n’ont pas participé à sa formation et que ce sont eux qui subissent aujourd’hui la majeure partie de ses effets négatifs. Cela impose donc de réparer la situation dans l’intérêt supérieur des droits de l’homme.  »

Raúl Ferrero, Rapporteur spécial de l’ONU
sur le Nouvel ordre économique international et sur la promotion des droits humains, 1983 [6]

De nombreuses questions subsistent. Quel taux imposer ? Un taux unique ? Un taux progressif ? Quelle part des fonds irait à des projets mondiaux ? A des projets continentaux ? Un fonds pour la reforestation ? Un fonds pour la dénucléarisation complète ? Quelles priorités et quels projets ? Déterminés par qui ? L’Assemblée générale de l’ONU précédée de référendums nationaux ? Continentaux ? Quelle part irait à des projets locaux ? Mais une chose est sûre : il faut s’engager dans cette voie, et instaurer plus généralement un système fiscal réellement redistributif donnant aux pouvoirs publics le moyen de se conformer à leurs obligations Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
à l’égard de leurs citoyen(ne)s en matière de droits économiques, sociaux et culturels.

Redistribuer équitablement les richesses au niveau planétaire

Jamais la richesse n’a été aussi inéquitablement répartie au niveau mondial. Afin de lutter contre cette dramatique montée des inégalités, il est incontournable d’instaurer des taxes internationales qui pourraient prendre plusieurs formes : taxes de type Tobin sur la spéculation Spéculation Opération consistant à prendre position sur un marché, souvent à contre-courant, dans l’espoir de dégager un profit.
Activité consistant à rechercher des gains sous forme de plus-value en pariant sur la valeur future des biens et des actifs financiers ou monétaires. La spéculation génère un divorce entre la sphère financière et la sphère productive. Les marchés des changes constituent le principal lieu de spéculation.
financière (comme la recommande le réseau ATTAC), taxe sur les bénéfices des sociétés transnationales (en 2006, Total a réalisé le plus gros bénéfice annuel de l’histoire de l’économie française, à hauteur de 12,585 milliards d’euros, dont plus du tiers a été offert aux actionnaires sous forme de dividende…), taxe sur les industries polluantes, etc. Ces revenus doivent être utilisés dans la lutte contre les inégalités, pour l’éducation, la santé publique, la souveraineté alimentaire, la promotion des biens publics et la protection de l’environnement.

Une taxe sur les billets d’avion ?



_ Damien Millet

Après la naissance de l’association Attac en 1998, le débat sur la notion de taxe internationale n’a cessé de prendre de l’ampleur. En 2003, une commission a été mise sur pied par le président français Jacques Chirac, dans le but de réfléchir «  à la possibilité de nouvelles contributions financières internationales pour réduire la pauvreté, favoriser le développement, et financer les biens publics globaux tels que l’environnement, la santé publique ou les ressources rares [7]  ».

Parmi les choix proposés dans le rapport [8] remis en 2004, l’ex-président français a choisi d’instaurer une taxe sur les billets d’avion. En juillet 2006, la France a été la première à concrétiser cette taxe variant entre 1 et 40 euros par billet d’avion, selon la destination et la classe de voyage. De nombreux chefs d’Etat se sont engagés à suivre l’exemple, mais en août 2008, peu de pays appliquaient une telle taxe [9]. Son produit, estimé à 300 millions de dollars par an, alimente Unitaid, une facilité pour l’achat de médicaments contre le sida, la tuberculose et le paludisme, à destination des PED. Les citoyens sont priés d’applaudir. Mais est-ce si simple ?

L’apport d’Unitaid est la preuve qu’une taxe internationale est parfaitement réalisable, mais c’est là le seul mérite d’Unitaid, qui ne semble pas avoir fait l’objet d’une vraie réflexion sur les buts cherchés et les moyens à mettre en œuvre pour les atteindre.

Si le but est d’améliorer les systèmes de santé dans les PED, l’annulation de la dette et l’abandon des politiques d’ajustement structurel auraient été des leviers bien plus judicieux puisque les États du Sud ont remboursé 190 milliards de dollars à leurs créanciers en 2007, soit plus de 600 fois le montant qu’Unitaid rapporte. Bien sûr, d’autres mesures sont indispensables pour améliorer la santé publique : la fin des brevets sur les médicaments et la production à large échelle de médicaments génériques de haute qualité fournis gratuitement aux populations qui en ont besoin.

Si le but est d’avancer sur le thème d’une taxe internationale, le choix des billets d’avion est loin d’être le meilleur puisqu’il s’agit finalement d’une taxe sur la consommation, pas d’une taxe qui vise fondamentalement ceux qui accumulent le plus de richesses, comme une taxe sur la spéculation financière ou sur les bénéfices des sociétés transnationales.

Les travailleurs africains ayant migré dans un pays riche dans le but d’envoyer des fonds pour la survie de leur famille restée en Afrique paient cette taxe quand ils retournent dans leur pays.

Se contentant d’agir à la marge de la mondialisation financière, cette contribution sur les billets d’avion évite toute remise en cause des choix macro-économiques [10] qui ont conduit le secteur de la santé dans l’impasse actuelle.

Porter l’aide publique au développement (APD APD On appelle aide publique au développement les dons ou les prêts consentis à des conditions financières privilégiées accordés par des organismes publics des pays industrialisés à des pays en développement. Il suffit donc qu’un prêt soit consenti à un taux inférieur à celui du marché pour qu’il soit considéré comme prêt concessionnel et donc comme une aide, même s’il est ensuite remboursé jusqu’au dernier centime par le pays bénéficiaire. Les prêts bilatéraux liés (qui obligent le pays bénéficiaire à acheter des produits ou des services au pays prêteur) et les annulations de dette font aussi partie de l’APD, ce qui est inadmissible. ) au minimum à 0,7 % du PIB PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.

L’APD ne remplit pas le rôle qu’elle devrait tenir. Elle ne s’investit pas en tenant compte des besoins au Sud, mais en fonction des intérêts géopolitiques, commerciaux et médiatiques des pays donateurs. L’effet d’annonce est de mise, seuls les projets visibles et rentables sont retenus, les entreprises impliquées sont en général celles du pays d’où vient l’argent, trop de manipulations statistiques ont lieu et le contour de l’APD est flou : elle inclut des prêts à taux réduit qui seront remboursés jusqu’au dernier centime, les remises de dette, les frais d’écolage (frais de scolarité des étudiants du Sud dans les pays concernés), l’accueil des réfugiés (et trop souvent le retour de force dans leur pays d’origine), les frais de missions d’experts aux expertises bien peu utiles, le salaire de coopérants qui profitent rarement aux populations démunies… La partie de l’APD qui arrive sur place et profite aux plus pauvres est dérisoire. Le triplement de l’APD permettrait de dégager des sommes substantielles. Enfin, pour bien faire, l’APD devrait être versée entièrement sous forme de dons et, plutôt que de parler d’aide ou de don, il conviendrait dorénavant d’utiliser le terme « réparation ». Il s’agit en effet de réparer les dommages causés par des siècles de pillage et d’échange inégal.

Dans ce contexte, la Charte des droits et devoirs économiques des Etats adoptée par l’ONU en 1974 [11] est un apport important. Le Chapitre 1 principe (i) prescrit que les relations entre Etats devraient être régies par une série de principes parmi lesquels figure celui de « Réparation des injustices qui ont été imposées par la force et qui privent une nation des moyens naturels nécessaires à son développement normal. » L’article 17 prescrit l’obligation générale des Etats de coopérer pour le développement qui est doublée du devoir de chaque Etat de « coopérer aux efforts des pays en voie de développement pour accélérer leur progrès économique et social en leur assurant des conditions extérieures favorables et en leur apportant une aide active, conforme à leurs besoins et à leurs objectifs en matière de développement, dans le respect rigoureux de l’égalité souveraine des Etats et sans conditions qui portent atteinte à leur souveraineté. » Une obligation similaire, faite à tous les Etats de « répondre aux besoins et objectifs de développement généralement reconnus ou mutuellement acceptés des pays en voie de développement  » figure à l’article 22 [12].

Assurer le retour dans le domaine public des secteurs stratégiques qui ont été privatisés

Les réserves et la distribution d’eau, la production et la distribution électriques, les télécommunications, la poste, les chemins de fer, les entreprises d’extraction et de transformation de biens primaires, le système de crédit, certains secteurs de l’éducation et de la santé... ont été systématiquement privatisés ou sont en voie de l’être. Il convient d’assurer le retour de ces entreprises dans le domaine public.

Article 2/2. « Chaque Etat a le droit de nationaliser, d’exproprier, ou de transférer la propriété des biens étrangers, auquel cas il devrait verser une indemnité adéquate, compte tenu de ses lois et règlements et de toutes les circonstances qu’il juge pertinentes. Dans tous les cas où la question de l’indemnisation donne lieu à différend, celui-ci sera réglé conformément à la législation interne de l’Etat qui prend des mesures de nationalisation et par les tribunaux de cet Etat…  »

ONU, Charte des droits et devoirs économiques des Etats, 1974

Adopter des modèles de développement partiellement autocentrés

Ce type de développement suppose la création de zones politiquement et économiquement intégrées, l’émergence de modèles de développement endogènes, un renforcement des marchés intérieurs, la création d’une épargne locale pour des financements locaux (alors que dans bien des pays, les sommes placées à l’étranger par les plus riches dépassent le montant de la dette extérieure du pays), le développement de l’éducation et de la santé publiques et gratuites, la mise en place d’un impôt progressif et de mécanismes de redistribution des richesses, une diversification des exportations, une réforme agraire garantissant un accès universel à la terre aux paysans, une réforme urbaine garantissant un accès universel au logement, etc.

À l’architecture mondiale actuelle, il faut substituer des regroupements économiques régionaux. Seul un tel développement partiellement autocentré permettra l’émergence de relations de complémentarité Sud-Sud, condition sine qua non au développement économique des PED.

Si l’on veut donner un contenu de justice sociale au projet d’intégration Sud-Sud, il faut que les pouvoirs publics récupèrent le contrôle sur les ressources naturelles et sur les grands moyens de production, de crédit et de commercialisation. Il faut niveler vers le haut les acquis sociaux des travailleurs et des petits producteurs tout en réduisant les asymétries entre les économies. Il faut soutenir les petits producteurs privés dans de nombreuses activités : agriculture, artisanat, commerce, services. Le processus d’émancipation sociale que poursuit le projet socialiste du 21e siècle veut libérer la société de la domination capitaliste en soutenant les formes de propriété qui ont une fonction sociale positive : petite propriété privée, propriété publique, propriété coopérative, propriété communale et collective, propriété traditionnelle des peuples indigènes…

Agir sur le commerce

Il faut réformer radicalement les règles du commerce. En ce qui concerne l’agriculture, comme le revendique le mouvement paysan Via Campesina, il convient de reconnaître le droit de chaque pays (ou groupe de pays) à la souveraineté alimentaire et notamment à l’autosuffisance pour les produits de base.

Les règles du commerce mondial doivent en outre être subordonnées à des critères environnementaux, sociaux et culturels stricts. La santé, l’éducation, l’eau ou la culture doivent être exclues du champ du commerce international. Les services publics doivent en être les garants et doivent donc être exclus de l’Accord général sur le commerce des services (AGCS), préparant la libéralisation totale des services publics. Il convient, par ailleurs, d’abolir les Accords sur les droits de propriété intellectuelle relatifs au commerce (ADPIC) qui empêchent les pays du Sud de produire librement des biens (médicaments, par exemple) visant la satisfaction des besoins de leurs populations.

« Article 5. Tous les Etats ont le droit de se grouper en organisations de producteurs de produits de base en vue de développer leur économie nationale.  »

Charte des droits et devoirs économiques des Etats, Nations Unies, 1974

Il s’agit de mettre en place des mécanismes garantissant une meilleure rémunération du panier de produits exportés sur le marché mondial par les PED (stabiliser le prix des matières premières à un niveau satisfaisant pour les pays producteurs, garantir les revenus d’exportation, constituer des stocks régulateurs - ce qui implique l’abandon des stocks zéro -, etc.).

Pour aller vers de tels mécanismes concertés, il convient de soutenir les efforts des PED pour constituer des cartels de pays producteurs. L’organisation des pays exportateurs de pétrole OPEP
Organisation des pays exportateurs de pétrole
En anglais, OPEC : Organization of the Petroleum Exporting Countries

En 2020, l’OPEP regroupe 13 pays producteurs de pétrole : Algérie, Angola, Arabie saoudite, Congo, Émirats arabes unis, Gabon, Guinée équatoriale, Irak, Iran, Koweït, Libye, Nigeria, Venezuela. Ces 13 pays représentent 40 % de la production de pétrole dans le monde et possèdent plus de 79 % des réserves connues. Créée en septembre 1960 et basée à Vienne (Autriche), l’OPEP est chargée de coordonner et d’unifier les politiques pétrolières de ses membres, dans le but de leur garantir des revenus stables. À cette fin, la production obéit en principe à un système de quota. Chaque pays, représenté par son ministre de l’Énergie et du Pétrole, se charge à tour de rôle de la gestion de l’organisation.

Afin de limiter leur production, l’OPEP est à l’initiative de la création de l’OPEP+, réunissant 10 autres pays producteurs dont 7 PED : Azerbaïdjan, Bahreïn, Brunei, Kazakhstan, Malaisie, Mexique, Oman, Russie, Soudan et Soudan du Sud.

Site : www.opec.org
(OPEP, est trop souvent décriée alors qu’elle joue à plusieurs égards un rôle positif [13]. La réalisation de tels cartels pourrait permettre à la fois une réduction des volumes exportés (ce qui, d’une part, limiterait l’épuisement des ressources naturelles et, d’autre part, permettrait l’augmentation des surfaces utilisées pour les cultures vivrières Vivrières Vivrières (cultures)

Cultures destinées à l’alimentation des populations locales (mil, manioc, sorgho, etc.), à l’opposé des cultures destinées à l’exportation (café, cacao, thé, arachide, sucre, bananes, etc.).
) et une augmentation des recettes d’exportation à réinvestir dans le développement par les pays bénéficiaires. Pourquoi pas un cartel des producteurs de cuivre (le Chili à lui seul représentait, il n’y a guère, 30% des exportations mondiales) ? Un cartel du café ? Un cartel du thé ? Etc.

Par ailleurs, les PED doivent pouvoir recourir à des mesures de protection de leurs productions locales, notamment, comme le demande Via Campesina, « l’abolition de tout appui et subside directs ou indirects aux exportations  », « l’interdiction de la production et de la commercialisation de semences et d’aliments génétiquement modifiés » et « l’interdiction du brevetage du vivant ainsi que l’appropriation privée du savoir relatif à l’agriculture et à l’alimentation  ».

« Pour garantir l’indépendance et la souveraineté alimentaire de tous les peuples du monde, il est crucial que les aliments soient produits dans le cadre de systèmes de production diversifiés, de base paysanne. La souveraineté alimentaire, c’est le droit de chaque peuple de définir ses propres politiques agricoles et, en matière d’alimentation, de protéger et réglementer la production agricole nationale et le marché interne afin d’atteindre des objectifs soutenables, de décider dans quelle mesure ils recherchent l’autosuffisance sans se débarrasser de leurs excédents dans des pays tiers en pratiquant le dumping. […] On ne doit pas donner la primauté au commerce international par rapport aux critères sociaux, environnementaux, culturels ou de développement [14] »

Via Campesina

Adopter une nouvelle discipline financière

Les crises financières à répétition des années 1990 et la crise financière mondiale qui a éclaté en 2008 ont prouvé par l’absurde qu’aucun développement durable ne pouvait être atteint sans un contrôle strict des mouvements de capitaux et de l’évasion fiscale. Plusieurs mesures sont donc nécessaires afin de soumettre les marchés financiers à la satisfaction des besoins humains fondamentaux : re-réglementer les marchés financiers, contrôler les mouvements de capitaux, supprimer les paradis fiscaux Paradis fiscaux
Paradis fiscal
Territoire caractérisé par les cinq critères (non cumulatifs) suivants :
(a) l’opacité (via le secret bancaire ou un autre mécanisme comme les trusts) ;
(b) une fiscalité très basse, voire une imposition nulle pour les non-résidents ;
(c) des facilités législatives permettant de créer des sociétés écrans, sans aucune obligation pour les non-résidents d’avoir une activité réelle sur le territoire ;
(d) l’absence de coopération avec les administrations fiscales, douanières et/ou judiciaires des autres pays ;
(e) la faiblesse ou l’absence de régulation financière.

La Suisse, la City de Londres et le Luxembourg accueillent la majorité des capitaux placés dans les paradis fiscaux. Il y a bien sûr également les Iles Caïmans, les Iles anglo-normandes, Hong-Kong, et d’autres lieux exotiques. Les détenteurs de fortunes qui veulent échapper au fisc ou ceux qui veulent blanchir des capitaux qui proviennent d’activités criminelles sont directement aidés par les banques qui font « passer » les capitaux par une succession de paradis fiscaux. Les capitaux généralement sont d’abord placés en Suisse, à la City de Londres ou au Luxembourg, transitent ensuite par d’autres paradis fiscaux encore plus opaques afin de compliquer la tâche des autorités qui voudraient suivre leurs traces et finissent par réapparaître la plupart du temps à Genève, Zurich, Berne, Londres ou Luxembourg, d’où ils peuvent se rendre si nécessaires vers d’autres destinations.
et lever le secret bancaire pour lutter efficacement contre l’évasion fiscale, le détournement de fonds publics et la corruption, adopter des règles assurant la protection des pays qui recourent à l’endettement extérieur. C’est donc une architecture financière complètement différente qui est nécessaire, et la mise sur pied en décembre 2007 d’une Banque du Sud est un pas dans ce sens.

Face à la crise financière, les gouvernements devraient prendre le contrôle des banques privées sans indemnisation. Dans le cas de la nationalisation de banques privées au bord de la faillite, il faut que le gouvernement récupère le coût de l’opération de sauvetage des dépôts des épargnants en prélevant une somme égale sur le patrimoine des grands actionnaires et des administrateurs. Au lieu de sauver les banquiers, il faut sauver l’épargne et le crédit populaires.

Supprimer les paradis fiscaux et les centres offshore [15]

Ces paradis fiscaux – et judiciaires - ont pour effet de gonfler la bulle financière et de fragiliser les économies licites (entre 500 et 1 500 milliards de dollars sont blanchis annuellement). Le centre offshore de la City de Londres représente à lui seul 40% du chiffre d’affaire réalisé par les paradis fiscaux. Ensuite, sur la liste des principaux paradis fiscaux viennent quelques pays dont la Suisse, les Pays-Bas, l’Irlande, le Grand Duché de Luxembourg qui représentent environ 30%. Les 30% restants passent par une soixantaine de destinations exotiques comme les Iles Vierges, les Iles Caïmans, les Bermudes… Il est nécessaire de supprimer les paradis fiscaux et les centres offshore tout en levant le secret bancaire pour lutter efficacement contre l’évasion fiscale, le détournement de fonds publics et la corruption.

Assurer un contrôle démocratique de la politique d’endettement

La décision des États de contracter des emprunts et les termes dans lesquels ceux-ci sont souscrits doivent être soumis à l’approbation populaire (débat et vote au Parlement, contrôle citoyen). A ce titre, le projet de nouvelle Constitution bolivienne prévoit désormais que c’est l’Assemblée législative plurinationale qui autorise le recours à l’emprunt [16]. De même, la Constitution équatorienne place, de manière transparente, la décision de l’endettement entre les mains des élus du peuple.

« Art. 9.- Les orientations et limites à l’endettement public seront connues et approuvées par l’Assemblée nationale de concert avec l’établissement du budget, conformément à la loi.  »

Constitution de l’Equateur, 2008

Garantir aux personnes le droit de circulation et d’établissement

Outre que la liberté de circulation et d’établissement constitue un droit humain élémentaire, il faut tenir compte du fait que les envois des migrants vers leur famille d’origine vivant dans les PED représentent une ressource tout à fait considérable pour des dizaines de millions de familles. Rien qu’en 2007, les envois des migrants ont représenté la somme de 240 milliards de dollars, soit quatre fois plus que la partie « don » de l’ensemble de l’aide publique au développement. Evidemment, sur la base d’une véritable amélioration des conditions de vie qui sera la conséquence de l’application des mesures préconisées plus haut, les pressions migratoires diminueront fortement. C’est par cet angle-là qu’il faut régler le problème, pas par celui de la fermeture des frontières aux êtres humains.

«  En Haïti et en Jamaïque, huit diplômés universitaires sur dix partent pour l’étranger. Au Sierra Leone et au Ghana, c’est le cas de cinq diplômés sur dix. De nombreux pays d’Amérique centrale et d’Afrique subsaharienne, ainsi que certains pays insulaires des Caraïbes et du Pacifique, affichent des taux de migration des personnes très qualifiées de plus de 50 %.  »

Banque mondiale, Migrations internationales, envois de fonds et exode des compétences”,
24 octobre 2005

Etablir l’égalité homme-femme

Même si l’expression est devenue à la mode, cette égalité est la clé absolument indispensable pour une alternative réelle. Il est important de préciser, à l’heure des mots ambigus, qu’il s’agit bien d’ « égalité » à établir et non d’ « équité ». Ces deux mots sont souvent employés l’un pour l’autre mais ne recouvrent pas la même nécessité ni la même urgence. Celui qui a 6 pommes et décide de les donner à deux personnes peut considérer « équitable » d’en donner 2 à l’une et 4 à l’autre selon des critères qui lui paraissent pertinents. Au mieux, c’est ainsi que les femmes vivent d’équité : selon les possibilités objectives, selon les partis au pouvoir, selon la hiérarchie des urgences… A ce niveau, il est utile d’actualiser les idéologies qui, même progressistes, ont laissé de côté la lutte pour l’émancipation des femmes. Les femmes ne sont pas des êtres humains au rabais et, en tout état de cause, elles doivent bénéficier du même traitement que les hommes dans tous les domaines. D’abord dans la sphère publique : les droits civils et politiques, les droits économiques, sociaux et culturels. Chacun et chacune ses 3 pommes ! Et surtout dans la sphère privée : au sein des familles, des ménages, des communautés. Car c’est en dernier ressort là que le patriarcat se réfugie lorsque des avancées sociétales sont acquises. Là que les désirs de pouvoir peuvent subsister, là que les revanches se prennent face aux injustices extérieures. Celui qui se sent esclave exploité au dehors devient potentat chez lui par la grâce du patriarcat ! Le féminisme, en tant qu’instrument de l’émancipation des femmes et de la lutte contre le patriarcat, est donc partie intégrante de l’alternative, ce n’est pas négociable.

« Les Etats doivent prendre, sur le plan national, toutes les mesures nécessaires pour la réalisation du droit au développement et ils doivent assurer notamment l’égalité des chances de tous dans l’accès aux ressources de base, à l’éducation, aux services de santé, à l’alimentation, au logement, à l’emploi et à une répartition équitable du revenu. Des mesures efficaces doivent être prises pour assurer une participation active des femmes au processus de développement. Il faut procéder à des réformes économiques et sociales appropriées en vue d’éliminer toutes les injustices sociales.  » 

ONU, Déclaration sur le droit au développement [17]

Garantir le droit des peuples indigènes à l’autodétermination

La vision hiérarchisée de l’histoire du monde entraîne très souvent une vision raciste des rapports sociaux. Avec quelle condescendance bien souvent, même dans les textes les mieux intentionnés, aborde-t-on les droits des « communautés indigènes » ! Souvent minoritaires par la « force » des événements historiques, comme les massacres et les pillages des colons, les peuples natifs sont en résistance permanente pour sauvegarder leurs droits. Et même dans les cas où les peuples natifs sont majoritaires par rapport aux descendants des colons blancs, par exemple dans plusieurs pays andins, le racisme renverse la hiérarchie des valeurs et donne tous les droits aux minorités dominantes. L’autonomie constitue donc un moyen politique pour épauler la revendication des droits. Cette autonomie ne peut s’acquérir, une fois de plus, que par la création d’un rapport des forces : c’est ainsi que durant les dernières décennies, partout dans le monde, des peuples indigènes ont rejeté la soumission au modèle dominant et se sont dressés contre les multinationales, contre les gouvernements, contre les institutions internationales pour faire valoir leur droit, leur choix de société. De nouvelles Constitutions en Bolivie, au Venezuela, en Equateur entérinent ces luttes et ouvrent le champ à une juste autonomie des peuples natifs, leur permettant de vivre ou de faire revivre les coutumes, les traditions, le droit, la conception du politique, la conception de la démocratie qui sont les leurs. Est-ce le meilleur moyen, est-ce l’unique voie à suivre ? La réflexion mérite d’être menée dans les rangs des mouvements sociaux. Ce qui est clair, c’est que l’autonomie permettra aux peuples bénéficiaires de tester le bien fondé de leurs choix et aux autres communautés de les rencontrer sur un pied d’égalité.

En septembre 2007, et après plus de vingt ans de négociations, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté une « Déclaration sur les droits des peuples autochtones [18] », qui reconnaît notamment aux quelque 370 millions de personnes concernées « le droit à l’autodétermination  » et «  le droit de définir et d’élaborer des priorités et des stratégies en vue d’exercer leur droit au développement  », afin de protéger leurs cultures et l’intégrité de leurs terres, sans aucune forme de discrimination. Des réparations sont même prévues pour les préjudices subis : « Les peuples autochtones privés de leurs moyens de subsistance et de développement ont droit à une indemnité juste et équitable.  » Même si cette déclaration n’a pas la valeur juridique et contraignante d’un traité, c’est un pas en avant qu’il faut saluer. Il est à signaler que onze pays, dont la Russie et la Colombie, se sont abstenus, tandis que quatre autres (les Etats-Unis, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande) ont voté contre [19].

Protéger les biens communs de l’humanité

La réflexion sur les biens communs de l’humanité est au cœur des débats altermondialistes. Le nom qu’on leur donne varie (biens publics, patrimoine de l’humanité…) et le champ qu’ils couvrent à tendance à s’élargir. Etablir une liste et une classification des biens communs nécessite donc une vaste consultation démocratique où se reflètent des histoires et des cultures différentes.

La notion de « bien commun » recoupe la notion de « droit » à bien des égards. La protection des biens communs veut en effet garantir le droit et l’accès de tous à l’eau, à l’air pur, à l’énergie, à la nourriture, au transport, à l’éducation de base mais aussi à la connaissance au sens large, au droit au développement, à l’égalité, à la liberté, au plaisir, bref, le droit à la vie. Tous ces droits ont été magnifiquement énoncés dans les chartes et pactes des Nations unies.

A l’échelle planétaire, d’autres droits doivent être garantis : le droit universel à un emploi digne par une réduction radicale du temps de travail s’opposant à la logique actuelle qui voit des chômeurs coexister avec des salariés surmenés et rongés par le stress ; le droit universel à un revenu de citoyenneté ; la défense des systèmes de retraite par répartition Retraite par capitalisation
par répartition
Le système de retraite par répartition est basé sur la solidarité inter-générationnelle garantie par l’État : les salariés cotisent pour financer la retraite des pensionnés.
Le système de retraite par capitalisation est basé sur l’épargne individuelle : les salariés cotisent dans un fonds de pension qui investit sur les marchés internationaux et est chargé de leur verser leur retraite à la fin de leur carrière.
, par opposition au système de retraite par capitalisation (l’instauration d’un système par répartition là où il n’existe pas) ; la gratuité de l’éducation (niveau universitaire compris) et de la santé ; de vastes programmes de travaux publics socialement utiles et préservant l’environnement (par exemple, construction de logements et aménagement urbain, rénovation de l’habitat existant, infrastructure de transports collectifs par chemin de fer…) ; gratuité des transport publics ; campagnes d’alphabétisation, de vaccination, de soins de santé primaire comme ce fut le cas avec des résultats extraordinaires au Nicaragua entre 1980 et 1983 ou au Venezuela en 2003-2005.

La question de la démocratie politique est évidemment centrale. Sans l’intervention active des citoyen(ne)s à tous les échelons de la décision politique, l’ensemble des propositions présentées ici n’a pas véritablement de sens.

Bâtir une nouvelle architecture internationale

Il faut opter pour des propositions qui redéfinissent radicalement le fondement de l’architecture internationale (missions, fonctionnement…). Reprenons le cas de l’OMC OMC
Organisation mondiale du commerce
Créée le 1er janvier 1995 en remplacement du GATT. Son rôle est d’assurer qu’aucun de ses membres ne se livre à un quelconque protectionnisme, afin d’accélérer la libéralisation mondiale des échanges commerciaux et favoriser les stratégies des multinationales. Elle est dotée d’un tribunal international (l’Organe de règlement des différends) jugeant les éventuelles violations de son texte fondateur de Marrakech.

L’OMC fonctionne selon le mode « un pays – une voix » mais les délégués des pays du Sud ne font pas le poids face aux tonnes de documents à étudier, à l’armée de fonctionnaires, avocats, etc. des pays du Nord. Les décisions se prennent entre puissants dans les « green rooms ».

Site : www.wto.org
, du FMI et de la Banque mondiale qu’il faut remplacer.

La nouvelle OMC devrait viser dans le domaine du commerce à garantir la réalisation d’une série de pactes internationaux fondamentaux, à commencer par la Déclaration universelle des droits humains et tous les traités fondamentaux en matière de droits humains (individuels ou collectifs) et environnementaux. Sa fonction serait de superviser et de réglementer le commerce de manière à ce qu’il soit rigoureusement conforme aux normes sociales (conventions de l’Organisation internationale du travail OIT
Organisation internationale du travail
Créée en 1919 par le traité de Versailles, l’Organisation internationale du travail (OIT, siège à Genève) est devenue, en 1946, la première institution spécialisée des Nations unies. L’OIT réunit les représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs, dans le but de recommander des normes internationales minimales et de rédiger des conventions internationales touchant le domaine du travail. L’OIT comprend une conférence générale annuelle, un conseil d’administration composé de 56 membres (28 représentants des gouvernements, 14 des employeurs et 14 des travailleurs) et le Bureau international du travail (BIT) qui assure le secrétariat de la conférence et du conseil. Le pouvoir du BIT (Bureau International du Travail) est très limité : il consiste à publier un rapport annuel et regroupe surtout des économistes et des statisticiens. Leurs rapports défendent depuis quelques années l’idée que le chômage provient d’un manque de croissance (de 5% dans les années 60 a 2% aujourd’hui), lui-même suscité par une baisse de la demande. Son remède est celui d’un consensus mondial sur un modèle vertueux de croissance économique, ainsi que sur des réflexions stratégiques au niveau national (du type hollandais par exemple). L’OIT affirme qu’il est naïf d’expliquer le chômage par le manque de flexibilité et que les changements technologiques n’impliquent pas une adaptation automatiquement par le bas en matière de salaires et de protection sociale.
– OIT) et environnementales. Cette définition s’oppose de manière frontale aux objectifs actuels de l’OMC. Ceci implique bien évidemment une stricte séparation des pouvoirs : il est hors de question que l’OMC, comme d’ailleurs toute autre organisation, possède en son sein son propre tribunal. Il faut donc supprimer l’Organe de règlement des différends.

L’organisation qui remplacera la Banque mondiale, largement régionalisée (des banques du Sud pourraient y être reliées), aurait pour fonction de fournir des prêts à taux d’intérêt Taux d'intérêt Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
très bas ou nuls et des dons qui ne pourraient être octroyés qu’à condition d’être utilisés dans le respect rigoureux des normes sociales et environnementales et, plus généralement, des droits humains fondamentaux. Contrairement à la Banque mondiale actuelle, la nouvelle banque dont le monde a besoin ne chercherait pas à représenter les intérêts des créanciers et à imposer aux débiteurs un comportement de soumission au marché-roi, elle aurait pour mission prioritaire de défendre les intérêts des peuples qui reçoivent les prêts et les dons.

Le nouveau FMI, quant à lui, devrait retrouver une part de son mandat originel pour garantir la stabilité des monnaies, lutter contre la spéculation, contrôler les mouvements de capitaux, agir pour interdire les paradis fiscaux et la fraude fiscale. Pour atteindre cet objectif, il pourrait contribuer avec les autorités nationales et les fonds monétaires régionaux à la collecte de différentes taxes internationales.

Toutes ces pistes requièrent l’élaboration d’une architecture mondiale cohérente, hiérarchisée et dotée d’une division des pouvoirs. La clef de voûte devrait en être l’ONU, pour autant que son Assemblée générale en devienne la véritable instance de décision - ce qui implique de supprimer le statut de membre permanent du Conseil de Sécurité (et le droit de veto qui lui est lié). L’Assemblée générale pourrait déléguer des missions spécifiques à des organismes ad hoc.

Nous croyons à la nécessité et à la possibilité de la réforme de l’ONU pour trois raisons : sa charte est globalement progressiste et démocratique ; le principe de sa composition est démocratique (un Etat = une Voix) - même s’il devrait être complété comme suggéré plus haut par un système de représentation proportionnelle et directe - ; dans les années 1960 et 1970, l’Assemblée générale a adopté des résolutions et des déclarations nettement progressistes (qui en principe restent d’application) et a mis en place certaines institutions utiles (l’OIT, la CNUCED, l’OMS…).

Une autre question qui n’a pas encore fait suffisamment de chemin est celle d’un dispositif international de droit, d’un pouvoir judiciaire international (indépendant des autres instances de pouvoir international), qui complète le dispositif actuel comportant principalement la Cour internationale de La Haye et la jeune Cour pénale internationale. Avec l’offensive néolibérale des vingt dernières années, la loi du commerce a progressivement dominé le droit public. Des institutions internationales non démocratiques comme l’OMC et la Banque mondiale fonctionnent avec leur propre organe de justice : l’Organe de règlement des différends au sein de l’OMC et le CIRDI CIRDI Le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a été créé en 1965 au sein de la Banque mondiale, par la Convention de Washington de 1965 instituant un mécanisme d’arbitrage sous les auspices de la Banque mondiale.

Jusqu’en 1996, le CIRDI a fonctionné de manière extrêmement sporadique : 1972 est la date de sa première affaire (la seule de l’année), l’année 1974 suivit avec 4 affaires, et suivirent de nombreuses années creuses sans aucune affaire inscrite (1973, 1975,1979, 1980, 1985, 1988, 1990 et 1991). L’envolée du nombre d’affaires par an depuis 1996 (1997 : 10 affaires par an contre 38 affaires pour 2011) s’explique par l’effet des nombreux accords bilatéraux de protection et de promotion des investissements (plus connus sous le nom de « TBI ») signés a partir des années 90, et qui représentent 63% de la base du consentement à la compétence du CIRDI de toutes les affaires (voir graphique)). Ce pourcentage s’élève à 78% pour les affaires enregistrées uniquement pour l’année 2011.

Cliquez pour plus d’infos
[voir Q8] dont le rôle a démesurément augmenté. La charte de l’ONU est régulièrement violée par des membres permanents de son Conseil de Sécurité. Des nouveaux espaces de non droit sont créés (les prisonniers sans droit embastillés à Guantanamo par les Etats-Unis). Les Etats-Unis, après avoir récusé la Cour internationale de La Haye (où ils ont été condamnés en 1985 pour avoir agressé le Nicaragua), refusent la Cour pénale internationale. Tout cela est extrêmement préoccupant et requiert d’urgence des initiatives pour compléter un dispositif international de droit.

En attendant il faut contraindre des institutions comme la Banque mondiale et le FMI de rendre des comptes à la justice. En effet, alors qu’en principe elles sont soumises au droit international et notamment à l’ensemble des traités relatifs aux droits humains, ces deux institutions (auxquelles il faut ajouter les banques régionales de développement) n’en tiennent pas compte.

« L’aggravation de la malnutrition, le recul des taux de scolarisation et la montée du chômage ont été imputés aux politiques d’ajustement structurel. Or, ces mêmes institutions [FMI et Banque mondiale] continuent à prescrire la même thérapie et à en faire une condition pour bénéficier d’un allégement de la dette, niant l’évidence – à savoir que les programmes d’ajustement structurel ont sans conteste accentué la pauvreté. »

Fantu Cheru, Rapporteur spécial de l’ONU [20]

Par ailleurs, ces institutions ont soutenu (et soutiennent encore) activement des régimes dictatoriaux et ont déstabilisé (et déstabilisent encore) des gouvernements démocratiques menant des politiques qui déplaisent à Washington et à d’autres capitales. La liste de leurs méfaits est longue et les délits qu’elles ont commis et commettent encore sont très graves. Il est nécessaire d’entamer des procès à leur encontre devant différentes instances habilitées à le faire, à commencer par des juridictions nationales [21].


Notes

[1Ce texte est une version augmentée et actualisée d’un article d’août 2008 intitulé : « Quelles alternatives pour le développement humain ? »

[2Voir texte intégral de la déclaration finale : www.cadtm.org/spip.php?article3622. Pour une argumentation détaillée du point de vue du droit international en faveur de l’acte souverain unilatéral, voir Hugo Ruiz Diaz Balbuena, « La décision souveraine de déclarer la nullité de la dette ou la décision de non paiement de la dette : un droit de l’Etat », www.cadtm.org/imprimer.php3?id_article=3520

[3Se référant aux investigations de rapporteurs spéciaux, de groupes de travail d’experts et du secrétaire général de l’ONU.

[4Article 11, section 2. Cette déclaration a été adoptée en septembre 2007. Voir plus loin dans cette question.

[5Disponible sur www.ml.com/media/100472.pdf

[6Etude sur le nouvel ordre économique international et la protection des droits de l’Homme, E/CN.4/Sub.2/1983/24, par. 10.

[7Lettre de M. Jacques Chirac Président de la République adressée à M. Jean-Pierre Landau, conseiller financier à l’ambassade de France à Londres et président du groupe de travail sur les nouvelles contributions internationales pour le financement du développement, 7 novembre 2003, www.elysee.fr rubrique Archives.

[8Les nouvelles contributions financières internationales, Groupe de travail présidé par Jean-Pierre Landau, La Documentation française, 2004.

[9Voir www.unitaid.eu/index.php/fr/Un-mode-de-financement-innovant.html : « Aujourd’hui, la taxe est déjà en place dans les pays suivants : France, Chili, Côte d’Ivoire, Congo, République de Corée, Madagascar, Maurice, Niger. Pour sa part, la Norvège affecte une partie de sa taxe sur le CO2 (kérosène) à UNITAID. »

[10Sur le site web d’Unitaid, on peut ainsi lire : « En France, la taxe est en place depuis le 1er juillet 2006 et n’a eu aucun impact négatif sur l’industrie du transport aérien. Air France a publié un résultat en hausse de 5% sur un an de son trafic passager en septembre 2007. »

[11Résolution 3281 (XXIX) de l’Assemblée générale du 12 décembre 1974.

[12Voir Cetim, Quel développement ? Quelle coopération internationale ?, 2007.

[13Par exemple, le Venezuela, membre de l’OPEP, a signé des accords avec une quinzaine de pays de la Caraïbe et de l’Amérique latine en vertu desquels il leur vend le pétrole a un prix « d’ami », nettement plus bas que celui qu’il pratique avec les Etats-Unis dont il est un des principaux fournisseurs.

[14Via Campesina, in Rafael Diaz-Salazar, Justicia Global. Las alternativas de los movimientos del Foro de Porto Alegre, Icaria editorial et Intermón Oxfam, 2002, p.87 et 90

[15Un centre offshore ou paradis fiscal est un artifice comptable, un espace fictif en fait, présent dans les comptes des entreprises (zinzins, transnationales industrielles et autres), qui permet à une transaction dans un territoire précis d’échapper à toute forme de contrôle et de taxation liée à ce territoire du fait que la transaction est considérée comme se produisant ailleurs sur le plan juridique.

[16Voir notamment l’article 322 cité dans Q53.

[17Article 8, section 1. Déclaration adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU dans sa résolution 41/128 du 4 décembre 1986. Souligné par les auteurs. Texte intégral reproduit dans Eric Toussaint, Banque mondiale, le Coup d’Etat permanent. L’agenda caché du consensus de Washington, CADTM-Syllepse-Cetim, 2006, p. 267-271.

[19Voir « Les Nations unies reconnaissent les droits des peuples indigènes », Le Monde, 14 septembre 2007.

[20ONU, Commission des droits de l’homme, E/CN.4/2001/56, 18 janvier 2001, p. 14.

[21Pour une argumentation détaillée à ce propos, voir Eric Toussaint, Banque mondiale : le Coup d’Etat permanent, CADTM-Syllepse-Cetim, 2006, chapitres 22 à 24.

Eric Toussaint

Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.

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