Annulation de la dette de la République démocratique du Congo ? Une mascarade !

2 août 2011 par Victor Nzuzi


Les annulations de la dette de la RDC se succèdent depuis maintenant un an. Après le FMI, la Banque mondiale, les États-Unis, ce fut le tour de la Belgique puis des Pays-Bas, de la France, de la Suède, etc, d’annoncer des annulations de dettes... Mais en quoi consistent-elles vraiment ? Quelles sont les dettes concernées ? Que cachent ces soit-disant actes de générosité des grandes puissances occidentales ?



Arrêtons-nous par exemple sur l’annulation de dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
octroyée par la Belgique. Le gouvernement belge comptabilisait 416 millions d’euros de remises de dette dans son aide publique au développement (APD APD On appelle aide publique au développement les dons ou les prêts consentis à des conditions financières privilégiées accordés par des organismes publics des pays industrialisés à des pays en développement. Il suffit donc qu’un prêt soit consenti à un taux inférieur à celui du marché pour qu’il soit considéré comme prêt concessionnel et donc comme une aide, même s’il est ensuite remboursé jusqu’au dernier centime par le pays bénéficiaire. Les prêts bilatéraux liés (qui obligent le pays bénéficiaire à acheter des produits ou des services au pays prêteur) et les annulations de dette font aussi partie de l’APD, ce qui est inadmissible. ) pour l’année 2010. La Belgique paraît ainsi très généreuse vis-à-vis de la RDC. En réalité, cette opération consiste en un simple jeu d’écriture qui profite surtout à la Belgique qui comptabilise la valeur nominale de cette créance (et non la valeur réelle qui est largement inférieure) dans son APD pour la gonfler artificiellement. Cet allègement n’est en fait qu’une mascarade surtout lorsque l’on sait que la RDC ne doit rien. Au contraire, c’est la Belgique qui doit au Congo. La Belgique, dont le Sénat a voté le 29 mars 2007 une résolution demandant au gouvernement l’annulation de la dette odieuse Dette odieuse Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.

Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).

Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.

Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».

Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »

Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
en prenant sa valeur réelle (et non nominale) ainsi que la mise en place d’un audit des créances Créances Créances : Somme d’argent qu’une personne (le créancier) a le droit d’exiger d’une autre personne (le débiteur). belges sur les pays en développement, doit rendre des comptes aux Congolais-e-s sur son implication dans le lourd fardeau de la dette que porte le peuple congolais. Les Congolais-e-s doivent également mettre en avant cette résolution du Sénat belge pour exiger un audit de cette dette.

Pour rappel, la Belgique, avec la complicité de la Banque mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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, nous a légué une dette coloniale le jour même de l’indépendance. Cet héritage odieux est une violation du traité de Versailles, qui interdit le transfert de dettes coloniales aux États indépendants. Ensuite, la Belgique a soutenu, à l’instar des autres puissances capitalistes, la dictature de Mobutu et financé des projets sans le consentement de la population. De plus, ces projets se sont révélés très souvent improductifs, comme les 4 turbines d’Inga 2 vendues par l’entreprise belge Atelier des Câbleries électriques de Charleroi (ACEC [1] ) qui n’ont jamais fonctionné. On peut aussi citer le barrage de Mobayi mbongo, le renouvellement et électrification du chemin de fer Matadi-Kinshasa (non électrifié jusqu’à ce jour), le projet d’expansion de la Gécamines (n’ayant jamais eu lieu), les soutiens à l’armée de la dictature, etc. Les autorités belges doivent aussi clarifier leur soutien à la sécession du Katanga, qui avait mis un terme à l’indépendance du Congo onze jours seulement après l’indépendance du Congo. Soulignons également que le fameux contentieux belgo-congolais n’a toujours pas été résolu. C’est donc la Belgique qui nous est redevable et pas l’inverse. Le peuple congolais est en droit d’attendre des réparations.
Mais au lieu de cela, les créanciers de la RDC comme le Club de Paris Club de Paris Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.

Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.

Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
et les Institutions financières internationales (IFI) dont la Belgique fait partie, ont imposé l’austérité budgétaire et la confiscation des ressources naturelles comme conditions à l’annulation de la dette qui est pourtant largement odieuse. La quasi-totalité de la dette qui vient d’être allégée correspond, en effet, à la facture laissée par Mobutu à son peuple. Cette dette odieuse avait par la suite été blanchie par les créanciers au début des années 2000 dans le cadre de l’Initiative Pays Pauvres Très Endettés PPTE
Pays pauvres très endettés
L’initiative PPTE, mise en place en 1996 et renforcée en septembre 1999, est destinée à alléger la dette des pays très pauvres et très endettés, avec le modeste objectif de la rendre juste soutenable.

Elle se déroule en plusieurs étapes particulièrement exigeantes et complexes.

Tout d’abord, le pays doit mener pendant trois ans des politiques économiques approuvées par le FMI et la Banque mondiale, sous forme de programmes d’ajustement structurel. Il continue alors à recevoir l’aide classique de tous les bailleurs de fonds concernés. Pendant ce temps, il doit adopter un document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP), parfois juste sous une forme intérimaire. À la fin de ces trois années, arrive le point de décision : le FMI analyse le caractère soutenable ou non de l’endettement du pays candidat. Si la valeur nette du ratio stock de la dette extérieure / exportations est supérieure à 150 % après application des mécanismes traditionnels d’allégement de la dette, le pays peut être déclaré éligible. Cependant, les pays à niveau d’exportations élevé (ratio exportations/PIB supérieur à 30 %) sont pénalisés par le choix de ce critère, et on privilégie alors leurs recettes budgétaires plutôt que leurs exportations. Donc si leur endettement est manifestement très élevé malgré un bon recouvrement de l’impôt (recettes budgétaires supérieures à 15 % du PIB, afin d’éviter tout laxisme dans ce domaine), l’objectif retenu est un ratio valeur nette du stock de la dette / recettes budgétaires supérieur à 250 %. Si le pays est déclaré admissible, il bénéficie de premiers allégements de son service de la dette et doit poursuivre avec les politiques agréées par le FMI et la Banque mondiale. La durée de cette période varie entre un et trois ans, selon la vitesse de mise en œuvre des réformes clés convenues au point de décision. À l’issue, arrive le point d’achèvement. L’allégement de la dette devient alors acquis pour le pays.

Le coût de cette initiative est estimé par le FMI en 2019 à 76,2 milliards de dollars, soit environ 2,54 % de la dette extérieure publique du Tiers Monde actuelle. Les PPTE sont au nombre de 39 seulement, dont 33 en Afrique subsaharienne, auxquels il convient d’ajouter l’Afghanistan, la Bolivie, le Guyana, Haïti, le Honduras et le Nicaragua. Au 31 mars 2006, 29 pays avaient atteint le point de décision, et seulement 18 étaient parvenus au point d’achèvement. Au 30 juin 2020, 36 pays ont atteint le point d’achèvement. La Somalie a atteint le point de décision en 2020. L’Érythrée et le Soudan n’ont pas encore atteint le point de décision.

Alors qu’elle devait régler définitivement le problème de la dette de ces 39 pays, cette initiative a tourné au fiasco : leur dette extérieure publique est passée de 126 à 133 milliards de dollars, soit une augmentation de 5,5 % entre 1996 et 2003.

Devant ce constat, le sommet du G8 de 2005 a décidé un allégement supplémentaire, appelée IADM (Initiative d’allégement de la dette multilatérale), concernant une partie de la dette multilatérale des pays parvenus au point de décision, c’est-à-dire des pays ayant soumis leur économie aux volontés des créanciers. Les 43,3 milliards de dollars annulés via l’IADM pèsent bien peu au regard de la dette extérieure publique de 209,8 milliards de dollars ces 39 pays au 31 décembre 2018.
(PPTE).

L’initiative PPTE qui a permis le renforcement de la mainmise des créanciers et des transnationales sur les richesses de notre pays s’est finalement soldée en juillet 2010 par la décision des créanciers d’alléger la dette de notre pays. Les annonces que nous voyons défiler depuis un an ne sont en fait que l’application de cette décision de juillet 2010. De plus, ces annonces relèvent d’une véritable propagande puisque la dette congolaise n’a pas été totalement annulée ! Elle s’élève toujours à 3 milliards de dollars et va très prochainement exploser à nouveau sous l’effet des conditionnalités Conditionnalités Ensemble des mesures néolibérales imposées par le FMI et la Banque mondiale aux pays qui signent un accord, notamment pour obtenir un aménagement du remboursement de leur dette. Ces mesures sont censées favoriser l’« attractivité » du pays pour les investisseurs internationaux mais pénalisent durement les populations. Par extension, ce terme désigne toute condition imposée en vue de l’octroi d’une aide ou d’un prêt. , dont le fameux « climat des affaires », qui imposent la privatisation des entreprises publiques dans des domaines stratégiques comme le secteur minier.

Alors que les Grecs, les Espagnols, les Irlandais, les Portugais se mobilisent à juste titre contre l’austérité qui les frappe aujourd’hui violemment, les Congolais-e-s sont soumis à ces mesures anti-sociales depuis 1976. Le peuple congolais doit comprendre qu’on se moque de lui ! Il nous faut immédiatement exiger l’audit de la dette afin d’exiger la restitution des sommes illégalement perçues par les créanciers. L’exemple de l’Équateur, qui a réalisé l’audit de sa dette externe et interne en 2008, nous montre qu’une telle mesure est tout à fait réaliste. En novembre 2008, le président équatorien Rafael Correa, prenant appui sur ce rapport d’audit, avait décidé de suspendre le remboursement d’une partie de la dette. Finalement, le gouvernement de ce petit pays est sorti vainqueur d’une épreuve de force avec les banquiers nord-américains détenteurs de ces titres de la dette Titres de la dette Les titres de la dette publique sont des emprunts qu’un État effectue pour financer son déficit (la différence entre ses recettes et ses dépenses). Il émet alors différents titres (bons d’état, certificats de trésorerie, bons du trésor, obligations linéaires, notes etc.) sur les marchés financiers – principalement actuellement – qui lui verseront de l’argent en échange d’un remboursement avec intérêts après une période déterminée (pouvant aller de 3 mois à 30 ans).
Il existe un marché primaire et secondaire de la dette publique.
équatorienne. Il a racheté pour moins de 1 milliard de dollars des titres valant 3,2 milliards de dollars. Le trésor public équatorien a ainsi économisé environ 2,2 milliards de dollars de stock de dette auxquels il faut ajouter les 300 millions de dollars d’intérêts par an pour la période 2008-2030. Au total, grosso modo, l’Équateur a épargné de cette manière plus de 7 milliards de dollars. Cela a permis de dégager de nouveaux moyens financiers permettant au gouvernement d’augmenter les dépenses sociales dans la santé, l’éducation, l’aide sociale et dans le développement d’infrastructures de communication.

Exigeons également des autorités de Kinshasa la divulgation de tous les contrats portant sur les ressources naturelles, comme le Premier ministre vient de s’y engager. Car si nous prenons par exemple le contrat chinois, il y a de quoi se poser des questions sur l’équilibre du contrat, le caractère légal de certaines clauses mais aussi la qualité des travaux. La route qui mène du fleuve à Kinshasa nous le prouve : en moins d’une année, celle-ci est complètement détériorée. Même chose avec la route MBANZA NGUNGU MATADI.

Et que dire du Projet d’appui à la réhabilitation du secteur agricole et rural (PARSAR) financé par la Banque africaine de développement (BAD) dans la province Bas Congo ? De la magouille ! Et c’est le peuple qui paiera si nous laissons faire ! Nous devons immédiatement exiger le respect des articles 56 et 57 de la Constitution congolaise qui qualifient de pillage « tout acte, tout accord, toute convention, tout arrangement ou tout autre fait, qui a pour conséquence de priver la nation, les personnes physiques ou morales de tout ou partie de leurs propres moyens d’existence tirés de leurs ressources ou de leurs richesses naturelles » et qui fondent les poursuites judiciaires des auteurs de ce pillage.


Victor Nzuzi est le représentant du NAD Kinshasa, une des trois organisations membres du réseau CADTM en RDC

Notes

[1ACEC a été rachetée par l’entreprise étasunienne Westinghouse en 1971

Victor Nzuzi

NAD UNIKIN Kinshasa RDCongo

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