Argentine : dette externe et « Fonds Bicentenaire » : Plus de privilèges pour les créanciers, moins de droits pour le peuple

16 janvier 2010 par ATTAC/CADTM Argentina




Avec la création du « Fonds Bicentenaire pour le Désendettement et la Stabilité », le Gouvernement national fait le choix, à nouveau, d’agir en faveur des créanciers internationaux et au détriment des millions de pauvres de notre pays qui ont besoin de politiques distributives immédiates.

Bien que l’on tente de l’écarter du débat public, la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
externe revient systématiquement sur le devant de la scène et nous montre son vrai visage. Il s’agit d’un instrument financier dont le capital transnational tire profit pour s’accaparer les ressources économiques générées par le travail du peuple.

La dette resurgit maintes et maintes fois dans la vie du pays. Malgré les paiements effectués et les innombrables renégociations que les gouvernements constitutionnels successifs ont mené avec les créanciers internationaux, la dette continue de croitre et de conditionner le développement de l’économie nationale. Plus nous payons, plus nous devons, et plus nous devons, plus l’on exige de nous l’application de politiques d’ajustement structurel afin de poursuivre les paiements et de perpétuer le cercle vicieux de l’endettement.

Ignorant la voix de la Justice argentine qui a déterminé le caractère frauduleux de la dette externe contractée durant la Dictature militaire [1] , les gouvernements constitutionnels, de Alfonsín à Kirchner, ne se sont pas saisis des fondements juridiques et politiques à leur disposition pour annuler la dette externe, ou tout du moins pour négocier avec les créanciers sur un pied d’égalité afin de permettre un changement substantiel des conditions de paiements.

Paradoxalement, la dette, qui conditionne le développement national, resurgit alors que le pays s’apprête à célébrer le Bicentenaire de la Révolution de Mai.

Le "Fonds Bicentenaire pour le Désendettement et la Stabilité” dont le Gouvernement National vient d’annoncer la création comprend un apport de 6 600 millions de dollars issu des réserves internationales du pays. Ce Fonds a pour objectif de garantir aux créanciers le paiement des dettes externes qui arrivent à échéance en 2010 (près de 13 milliards de dollars).

Par ce biais, le Gouvernement entend réinsérer le pays au système financier du capitalisme mondial et accéder ainsi à des prêts aux taux d’intérêt Taux d'intérêt Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
inférieurs à ceux que l’Etat et le secteur privé paient à l’heure actuelle. Mais le pouvoir économique mondial exige pour cela que le Gouvernement s’accorde au préalable avec le FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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, revitalisé par le G20 G20 Le G20 est une structure informelle créée par le G7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni) à la fin des années 1990 et réactivée par lui en 2008 en pleine crise financière dans le Nord. Les membres du G20 sont : Afrique du Sud, Allemagne, Arabie saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chine, Corée du Sud, États-Unis, France, Inde, Indonésie, Italie, Japon, Mexique, Royaume-Uni, Russie, Turquie, Union européenne (représentée par le pays assurant la présidence de l’UE et la Banque Centrale européenne ; la Commission européenne assiste également aux réunions). L’Espagne est devenue invitée permanente. Des institutions internationales sont également invitées aux réunions : le Fonds monétaire international, la Banque mondiale. Le Conseil de stabilité financière, la BRI et l’OCDE assistent aussi aux réunions. depuis l’éclatement de la crise internationale. Signalons qu’en tant que membre du G20, l’Argentine est à nouveau soumise aux recettes d’ajustement et de contrôles du FMI [2] .

Qu’est ce que le FMI exige comme étape préalable à l’accord ? Que l’Argentine accepte les audits correspondants et confirme sa volonté de payer le Club de Paris Club de Paris Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.

Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.

Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
(6,5 milliards de dollars) et les détenteurs de bons qui n’ont pas participé à l’échange de dette de 2005 environ 30 milliards de dollars).

A l’annonce de la création du Fonds du Bicentenaire, la Présidente Cristina Kirchner a affirmé que la mesure « renforce une politique effective depuis 2003 : celle du désendettement par le biais de l’excédent fiscal et de l’accumulation des réserves ». En d’autres termes, l’excédent fiscal, obtenu par le biais de l’ajournement des revendications populaires, permet de payer la dette.
Le Ministre de l’Economie Boudou a quant à lui souligné que « nous disposons aujourd’hui de plus de 47 milliards de dollars, dont 18 milliards sont des réserves de libre disponibilité, c’est à dire au dessus de la Base Monétaire, et desquelles nous ne prenons que 37% ». Comme la base monétaire est constituée de 30 milliards de dollars de réserves internationales, le Gouvernement considère que les 17 milliards restants constituent un « excédent ». Seul 1/3 de cet excédent est destiné au Fond Bicentenaire, précise-t-il, ce qui constitue un usage « raisonnable ».

Plusieurs questions inévitables se posent à l’analyse des arguments du Ministre Boudou : Les réserves « excédentaires » ne peuvent-elles pas être utilisées pour garantir des projets populaires productifs, de construction de logements, d’hôpitaux, d’écoles ? Ou destinées à la création d’un fond de chômage universel qui garantisse aux millions de chômeurs un revenu décent ? Nous pourrions multiplier les questions, mais chacune d’elles se heurtera à la réalité actuelle : il n’y a pas de moyens, étant donné qu’une grande partie des ressources générées par notre pays sont destinées prioritairement au paiement de la dette externe.
C’est une évidence : payer la dette externe implique de continuer à condamner des millions d’Argentins à vivre dans la pauvreté, sans emploi, sans accès à des soins de santé et à l’éducation.

En 2010, l’Argentine devra faire face au paiement de 13 milliards de dollars de dettes qui arrivent à échéance. Ce à quoi s’ajoutent les 6,5 milliards que le Gouvernement paiera probablement au Club de Paris, et les 30 milliards qui seront reconnus et échangés avec les détenteurs de bons. Le Plan d’Allocation pour Enfants [3] , un des plans sociaux parmi les plus ambitieux crées par le Gouvernement national cette année, aura quant à lui un coût annuel d’à peine 2,6 milliards de dollars. Cette simple comparaison de chiffres met d’abord en évidence le fait que le pays dispose de ressources abondantes. Ensuite, elle démontre qu’il est faux d’affirmer qu’il n’est pas possible pour l’instant de réduire la pauvreté, la mortalité infantile, ou qu’il n’y pas de ressources pour investir dans l’éducation, entre autres exemples. Ce qui fait défaut, c’est la décision politique de mettre un frein à l’hémorragie constante des devises par le biais du mécanisme de la dette, et de les redistribuer parmi les secteurs populaires de notre pays.

La gravité de la crise sociale que nous vivons rend indispensable la suspension du paiement de la dette et la réalisation consécutive d’un Audit de celle-ci, qui, sur base de l’analyse des contrats de prêt et du processus de renégociation de l’endettement public, de la destination des fonds et de l’exécution des programmes et projets financés, détermine son caractère légal ou illégal, légitime ou illégitime.

Une grande partie de la dette actuelle trouve son origine dans le processus d’endettement délibéré et frauduleux mis en place au cours des années 70 par les créanciers externes, la Dictature Militaire et les groupes économiques locaux, au détriment du pays. ATTAC- CADTM Argentine considère que seules les dettes contractées par les représentants légitimes du pays et qui ont été utilisées dans l’intérêt du Peuple doivent être payées [4] . Les escroqueries ne sont pas des dettes, et les renégociations successives et échanges de dettes postérieurs à la Dictature ne « blanchissent » en aucun cas ce vice d’origine.

La création du Fonds du Bicentenaire porte préjudice à la souveraineté nationale et aux intérêts populaires, ce qui est contradictoire avec les principes qui ont guidé les révolutionnaires en 1810, quand, avec le peuple protagoniste, ils ont constitué un véritable mouvement démocratique, revendiquant l’héritage de l’esclave et de l’indien, défenseur des droits du peuple et promoteur d’une société dans laquelle règnent la liberté, l’égalité et la fraternité, dans le cadre d’une Amérique latine unie et libre des ingérences étrangères.
Après 200 ans, ce même esprit doit renaitre aujourd’hui. Nous devons créer de nombreux Fonds Bicentenaire, mais qui, à l’inverse de celui créé par le Gouvernement national, utilisent les ressources financières dont dispose le pays afin de garantir la réalisation de projets populaires et solidaires, qui visent la construction d’un pays souverain, juste et équitable, dans le cadre d’une Amérique latine unie.


Traduction : Cécile Lamarque

Notes

[1La résolution « OLMOS, Alejandro s/ Denuncia » (dictée par le Tribunal Criminel et Correctionnel Nro 2, Dossier Nº 14.467) a déterminé l’existence d’au moins quatre cent soixante dix-sept délits liés à l’endettement externe au cours du gouvernement militaire. Martínez de Hoz, le seul à avoir été jugé dans cette affaire, a été relaxé du fait de la prescription de l’action pénale. En 2000, une copie du dossier a été remise au Congrès de la Nation afin qu’il évalue les conséquences de cette affaire et détermine l’éventuelle responsabilité politique qui pourrait reposer sur chacun des acteurs dans les évènements qui ont provoqué l’endettement externe phénoménal de l’Argentine. En contradiction avec les décisions de la Justice, le Congrès a archivé le dossier et l’affaire n’a jamais été traitée.

[2Lors de la réunion du G20 en septembre dernier à Pittsburgh ( Etats-Unis), l’Argentine s’est engagée à ce que le FMI analyse régulièrement la marche de son économie afin d’ajuster celle-ci aux engagements et objectifs décidés dans le cadre de cette réunion.

[3Le Plan d’Allocation pour Enfants consiste à octroyer 180 pesos (soit 47 dollars) par mois pour chaque enfant de moins de 18 huit ans et jusqu’à cinq enfants aux personnes qui sont au chômage, qui travaillent au noir ou qui gagnent moins du salaire minimum (1500 pesos (394 dollars) depuis janvier 2010) ) ou les contribuables sociaux mono-parentaux.

[4La doctrine de la Dette Odieuse, reconnue en Droit International Public, énonce trois conditions cumulatives pour qualifier une dette d’odieuse dont on ne peut dés lors pas exiger le remboursement : 1) elle a été contractée par un régime despotique, dictatorial, en vue de consolider son pouvoir, ou par des représentants illégitimes du Peuple 2) elle a été contractée non dans l’intérêt du peuple, mais contre son intérêt et/ou dans l’intérêt personnel des dirigeants et des personnes proches du pouvoir 3) les créanciers connaissaient (ou étaient en mesure de connaître) la destination odieuse des fonds prêtés.

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