Compte rendu de la première audition organisée par la Présidente du parlement grec et la Commission pour la vérité sur la dette grecque
12 juin 2015 par Commission pour la vérité sur la dette grecque
Ce jeudi 11 juin s’est tenue au sein du Parlement grec la première audition de témoins organisée dans le cadre de la Commission pour la Vérité sur la dette grecque. Celle-ci s’est tenue dans la foulée d’une réunion de travail entre les membres de la Commission, la présidente du Parlement et l’eurodéputée Eva Joly, qui s’est ponctuée d’une conférence de presse.
Ces auditions, qui ont pour but de recueillir les déclarations de plusieurs acteurs clés ayant assumé des postes à responsabilité sur la scène grecque et européenne, représentent pour la Commission, mais aussi pour le peuple grec qui a pu suivre cette audition en direct à la télévision, un outil supplémentaire pour comprendre comment la Grèce est devenue une « quasi colonie » des Institutions européennes et du FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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, selon les propres termes de Philippe Legrain, la première personne a être auditionnée. Monsieur Legrain a assumé de février 2011 à février 2014 la fonction de conseiller économique de José Manuel Durão Barroso, président de la Commission européenne à cette époque.
Cette audition, menée par la Présidente du Parlement grec, Zoe Konstantopoulou, et Éric Toussaint, coordinateur scientifique de la Commission, a tout d’abord été l’occasion pour M. Legrain de confirmer ce qu’il avait dit avec force dans l’excellent documentaire « Puissante et incontrôlée la Troïka » [1] : En 2010, les grands dirigeants européens (dont la Commission européenne) et le directeur du FMI de l’époque, Dominique Strauss-Kahn, ont délibérément refusé de considérer la Grèce comme insolvable dans le but de protéger les intérêts des grandes banques européennes. En effet, selon les statuts du FMI, cette Institution ne pouvait pas prêter à un État dont la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
est déjà insoutenable.
Selon ses statuts, le FMI ne pouvait pas prêter à un État dont la dette est déjà insoutenable.
L’objectif du prêt de 2010 était de prêter au gouvernement grec pour qu’il rembourse immédiatement les banques françaises et allemandes qui étaient les principales créancières de la Grèce. Ce prêt n’a donc pas bénéficié au peuple grec mais aux banques privées. S’en est suivie une augmentation importante de la dette publique grecque et l’imposition de mesures d’austérité d’une violence inouïe.
M. Legrain a rappelé les chiffres de l’exposition des banques européennes à la dette grecque en se basant sur les chiffres officiels de la Banque centrale européenne
BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
(BCE). Ainsi, en 2010 les banques françaises et allemandes étaient fortement exposées à la dette grecque puisqu’elles détenaient respectivement 20 et 17,2 milliards d’euros de titres. Une restructuration de la dette grecque à cette époque aurait donc entraîné des pertes que les grands dirigeants européens (français et allemands en tête) refusaient de faire subir à leurs « champions nationaux ». M. Legrain l’affirme clairement : les dirigeants d’Institutions tels que Jean-Claude Trichet, alors directeur de la BCE, ont clairement choisi de protéger les intérêts des banques de leur pays d’origine en s’opposant à toute restructuration de la dette grecque pourtant insoutenable. « Trichet a agi pour défendre les intérêts des banques françaises ».
M. Legrain va même plus loin. Non seulement le choix de ne pas restructurer en 2010 a laissé le temps aux grandes banques européennes de se dégager du « risque grec », mais la BCE les y a même aidés ! Il affirme en effet qu’en achetant à l’époque des titres grecs sur le marché secondaire, la BCE a permis aux grandes banques européennes de revendre leurs titres à bon prix [2]. Selon lui non seulement les grandes banques n’ont essuyé que peu de pertes mais certaines même ont réussi à dégager de beaux profits de cette opération.
Le choix de ne pas restructurer en 2010 a laissé le temps aux grandes banques de se dégager du « risque grec », et la BCE les y a aidés !
L’audition a également été l’occasion d’inviter M. Legrain à commenter la restructuration de la dette grecque qui a finalement été réalisée en 2012. Éric Toussaint a ainsi exposé une série de faits reconstitués grâce au travail d’audit en cours. M. Toussaint a souligné qu’il s’agissait d’une restructuration discriminatoire qui a sacrifié d’un côté les petits porteurs grecs et, d’un autre, profité aux grandes banques européennes. Ainsi les fonds de pension
Fonds de pension
Fonds d’investissement, appelé aussi fonds de retraite, qui a pour vocation de gérer un régime de retraite par capitalisation. Un fonds de pension est alimenté par l’épargne des salariés d’une ou plusieurs entreprises, épargne souvent complétée par l’entreprise ; il a pour mission de verser des pensions aux salariés adhérents du fonds. Les fonds de pension gèrent des capitaux très importants, qui sont généralement investis sur les marchés boursiers et financiers.
grecs y ont perdu jusqu’à 60 % de leurs actifs
Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
entraînant des pertes pour plus de 15 000 petits porteurs !
S’appuyant sur un document secret du FMI, la Présidente du Parlement a ensuite abordé la question des responsabilités. Cette note, datant de 2010, annonçait déjà que la situation de la Grèce devrait s’empirer, prévoyant pour l’année 2013 un ratio dette/PIB
PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
de 150 %. Après avoir rappelé que le ratio actuel est de 180%, la Présidente posa la question suivante : « Tenant compte de cette estimation de 2010 pensez-vous que l’erreur est acceptable ? Pensez-vous qu’il y ait responsabilité des prêteurs ? » En guise de réponse, l’ancien conseiller de monsieur Barroso a exposé trois facteurs qui expliquent selon lui le comportement des grands dirigeants européens et du FMI :
J’encourage le gouvernement grec à ne pas accepter les conditions des créanciers
Fort de cette analyse, M. Legrain n’a pas hésité à exposer les conclusions qu’il en tire : « J’encourage le gouvernement à ne pas accepter les conditions des créanciers en raison des souffrances économiques et de la colonisation politique déjà imposées au peuple grec ».
Après s’être engagé, à l’égard de la Présidente du Parlement grec et des membres de la Commission pour la Vérité sur la dette grecque, à rester à la disposition de leur travail d’audit, M. Legrain a été remercié et a repris son avion pour Londres.
Les membres de la Commission pour la Vérité sur la dette grecque ont quitté le Parlement pour poursuivre leur travail. Leur rapport préliminaire sera présenté les 17 et 18 juin prochain au Parlement grec en présence du Président de la République hellénique, de plusieurs ministres dont le chef du gouvernement Alexis Tsipras, de députés nationaux et étrangers, d’universitaires, d’économistes, de juristes et de membres de mouvements sociaux européens.
D’ici là, la Commission pour la Vérité sur la dette grecque aura encore l’occasion d’entendre monsieur Roumeliotis, ex-représentant de la Grèce au FMI, le 15 juin prochain.
Pour soutenir cette Commission : http://greekdebttruthcommission.org/
[1] Voir à partir de 13’25 : https://www.youtube.com/watch?v=nYGOWUrHcI0
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