Bancocratie : « pour construire leur pouvoir, les banques n’ont pas eu besoin de coup de force… »

18 septembre 2014 par Isabelle Ponet


D’autres ont déjà dit la mécanique complexe et barbare qui a construit petit à petit le pouvoir absolu des banques : Bancocratie ! Trop grandes pour faire faillite et trop grandes pour être condamnées. Des États au-dessus des États.
Mais qui refuse de laisser ces banques tomber en faillite, qui renonce à les poursuivre en justice, qui, en fait, leur donne le pouvoir sinon les États eux-mêmes ?



C’est cette dimension-là du livre d’Eric Toussaint qui m’a le plus touchée au fur et à mesure où l’analyse avançait. Non, ce n’est pas par la force que le Capital financier a pris le pouvoir au Politique. Il a instrumentalisé le Politique en lui dictant les lois, les institutions et les discours qui lui sont favorables : une BCE BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
qui ne peut prêter qu’aux banques privées, à un taux d’intérêt Taux d'intérêt Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
minime, pour que celles-ci les re-prêtent aux États à un taux bien plus élevé ; les accords de Bâle, censés augmenter le contrôle sur les banques mais qui leur donnent explicitement les moyens de le contourner ; le refus des gouvernements de séparer la face spéculative des banques et la face service au public etc. Elles continuent donc à jouer avec notre épargne en étant sûre d’être renflouées aux frais de la collectivité sous prétexte de « salut public ».

La dernière partie du livre d’Eric Toussaint égrène les compromissions des responsables politiques, les complicités, les passages de plus en plus fréquents du management des banques aux marocains ministériels et inversement. Non, pour construire leur pouvoir, les banques n’ont pas eu besoin de coup de force… sauf contre les citoyens. La crise qui a éclaté en 2008 coûte chaque jour des larmes, du sang et même la vie à des millions de travailleurs européens, comme aux travailleurs du Sud. Diminution des protections sociales, des services publics, des budgets culturels pour pouvoir rembourser aux banques la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
qu’elles ont imposée aux Etats. Et surtout, partout, diminution des salaires, des pensions… et des droits syndicaux !!!

Car, au-delà des jeux boursiers, l’objectif du Capital à travers toute cette crise est de restaurer les taux de profit en rapprochant les salaires européens de ceux pratiqués en Asie. Et pour ce faire, il devra affronter les travailleurs et leurs organisations.

C’est donc bien finalement dans une guerre que nous sommes engagés, et le livre d’Eric Toussaint nous rappelle utilement les armes de la désobéissance :

  • Démasquer les discours sur la nécessité de payer les dettes que les banques elles-mêmes ont organisées
  • Annuler les dettes illégitimes, suspendre les autres pour renégocier les taux usuriers en forçant les banquiers à la table des négociations
  • Socialiser le secteur des banques et des assurances afin qu’il soit réellement mis au service des besoins sociaux, et contrôlé par les citoyens qui y déposent leurs épargnes, par les travailleurs et les associations autant que par les mandataires publics.

C’est à ce prix seulement que nous pourrons récupérer collectivement le pouvoir sur nos vies.


Plus sur le livre Bancocratie : http://cadtm.org/Bancocratie


Isabelle Ponet

Isabelle Ponet : licenciée en sciences religieuses, militante pour la défense des droits des sans papiers, auteure de Un Tiers Monde à domicile. Mondialisation, migrations, expulsions et travail clandestin, cahier POS nr10, FLL Bruxelles 2000 qui fait le lien entre l’oppression actuelle des populations du Sud, notamment à travers le mécanisme de la dette, et l’exploitation des travailleurs clandestins dans le Nord.

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