Banque mondiale, géopolitique et mal-développement

3 octobre 2022 par Eric Toussaint , Renaud Duterme


Militant infatigable et porte-parole du CADTM (Comité pour l’abolition des dettes illégitimes), Éric Toussaint vient de publier un réquisitoire ultradocumenté contre la Banque mondiale. Il dénonce une institution qui avance dans l’ombre malgré une influence (et une capacité de nuisance) capitale dans le mal-développement d’une partie du monde.



Géographies en mouvement – Peux-tu brièvement rappeler l’origine et le rôle officiel de la Banque mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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Éric Toussaint – C’est une institution créée en 1944 mais qui est rentrée en activité l’année suivante, avec un mandat initial qui était l’octroi de prêts pour la reconstruction de l’Europe. Dès 1948, les États-Unis ont cependant préféré le plan Marshall Plan Marshall Ce plan a été conçu par l’administration du président démocrate Harry Truman, sous le nom de European Recovery Program. Il sera ensuite connu sous le nom du secrétaire d’État de l’époque, Georges Marshall (qui a été chef d’état-major général entre 1939 et 1945), chargé d’en assurer la mise sur pied. Entre avril 1948 et décembre 1951, les États-Unis accordent, principalement sous forme de dons, à quinze pays européens et à la Turquie une aide de 12,5 milliards de dollars (ce qui représente une somme plus de dix fois supérieure en 2020). Le Plan Marshall visait à favoriser la reconstruction de l’Europe dévastée au cours de la Seconde Guerre mondiale. (qui proposait des dons plutôt que des prêts). Elle a donc été cantonnée à un rôle de banque de développement. À l’époque, une grande partie de l’Afrique et une partie de l’Asie étaient encore sous tutelle coloniale. Ses clients étaient donc surtout des métropoles coloniales comme la France, les Pays-Bas, la Belgique, le Royaume-Uni d’une part, des gouvernements sud-américains et des pays du sous-continent indien nouvellement décolonisés d’autre part.

Dès ces débuts, « développement » signifiait, pour la Banque mondiale comme pour la plupart des gouvernements occidentaux d’ailleurs, d’intégrer les pays du Sud au modèle Centre-Périphérie et de les doter d’infrastructures (ports, chemins de fer, centrales électriques, etc.) destinées à exporter leurs matières premières sur le marché mondial. Jusqu’en 1962, on ne relève aucun prêt pour une école, un hôpital ou un système d’égouts.

GEM – Tu montres que, dès ses débuts et tout au long de son existence, la Banque va placer l’idéologie au cœur de sa politique de prêt, contrairement à ses statuts. Peux-tu développer à l’aide d’exemples concrets ?

ÉT – La banque place en effet des objectifs politiques en priorité dans ses choix de prêts. Le premier qu’elle octroie, en 1947, à la France est conditionné par l’exclusion du Parti communiste français du gouvernement de De Gaulle. Ce prêt fut d’ailleurs accordé le lendemain du départ du PCF.

En 1953, la Banque a soutenu les États-Unis et le Royaume-Uni dans le renversement du gouvernement Mossadegh en Iran, gouvernement qui voulait nationaliser une partie de la production pétrolière du pays. L’année suivante, au Guatemala, elle a appuyé le coup d’État militaire contre le président ÁrbenzGuzmán qui prônait une réforme agraire et exigeait la reprise des terres à la United Fruit Compagny.

Ces quelques exemples (parmi d’autres que je documente dans le livre) démontrent que la Banque est avant tout un instrument destiné à répondre aux intérêts géostratégiques des grandes puissances. Et ce alors que ses propres statuts stipulent noir sur blanc que la politique ne doit pas entrer en compte dans sa politique de prêts. Les faits sont en totale contradiction cette idée.

Retrouvez la suite de l’interview sur le site de Géographie en mouvement


Eric Toussaint

Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.

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Renaud Duterme

est enseignant, actif au sein du CADTM Belgique, il est l’auteur de Rwanda, une histoire volée , éditions Tribord, 2013, co-auteur avec Éric De Ruest de La dette cachée de l’économie, Les Liens qui Libèrent, 2014, auteur de De quoi l’effondrement est-il le nom ?, éditions Utopia, 2016 et auteur de Petit manuel pour une géographie de combat, éditions La Découverte, 2020.

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