Tout d’abord, qu’est-ce que c’est : l’idée est de remplacer le sauvetage bancaire externe (connu sous le nom de bail-out) pratiqué à partir de la crise de 2008 via la mise à contribution des contribuables, par un sauvetage interne (bail-in ou renflouement interne), qui prévoit la mise à contribution des actionnaires et des créanciers de la banque. Le bail-in fait partie du deuxième pilier de l’Union bancaire, un ensemble institutionnel et juridique créé par les pouvoirs publics européens à partir de 2012 (et entrée en vigueur le 1er janvier 2016) visant à mieux anticiper et coordonner la gestion des crises bancaires entre pays membres.
Selon cette loi, l’appel aux créanciers se fait dans un ordre prédéfini : après les actionnaires viennent ainsi les porteurs d’obligations
Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
dites « subordonnées » (plus risquées) ; viennent ensuite les obligations dites « senior » (moins risquées) - à moins qu’elles ne soient assorties d’une sûreté, voir plus loin - et enfin les autres créanciers. On utilise ainsi l’argent des créanciers (à hauteur des montants prêtés) pour recapitaliser la banque, par exemple en transformant des obligations en actions
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
. Si les apports des actionnaires et des créanciers ne suffisent pas, les dépôts au-delà de 100 000 euros peuvent être mis à contribution, les montants inférieurs à 100 000 euros restant en principe protégés par la garantie des dépôts.
Si le principe est juste, le diable se cache dans les détails.
Tout d’abord, l’énumération des créanciers cache de très nombreuses exemptions qui limitent énormément le montant des créances qui peuvent être appelées à contribuer au bail-in.
Si le principe est juste, le diable se cache dans les détails
Les dépôts de moins de 100 000 euros et les montants dus aux employés (salaires) et à l’État (taxes), figurent naturellement dans la liste des créances qui ne peuvent PAS être appelées pour un renflouement interne. Mais sont également exemptées :
les créances bénéficiant d’une garantie (pratique pourtant très courante)
les engagements pris dans le cadre de contrats de produits dérivés
Produits dérivés
Produit dérivé
Famille de produits financiers qui regroupe principalement les options, les futures, les swaps et leurs combinaisons, qui sont tous liés à d’autres actifs (actions, obligations, matières premières, taux d’intérêt, indices...) dont ils sont par construction inséparables : option sur une action, contrat à terme sur un indice, etc. Leur valeur dépend et dérive de celle de ces autres actifs. Il existe des produits dérivés d’engagement ferme (change à terme, swap de taux ou de change) et des produits dérivés d’engagement conditionnel (options, warrants…).
(une part très importante des bilans des grandes banques)
les engagements à très court terme (moins de 7 jours)
De plus, si la contribution des actionnaires et des créanciers équivaut à au moins 8 % du total du bilan de la banque, il est possible de faire appel au Fonds de résolution unique (faisant partie toujours du deuxième pilier de l’Union bancaire, connu sous le nom de Mécanisme de résolution unique ou MRU). Le Fonds, financé par le secteur bancaire, doit avoir atteint 8,1 milliards d’euros en 2023. Or, vu les montants en jeu lors d’une crise bancaire et vu la taille des banques en Europe (à titre d’exemple, BNP Paribas a un bilan d’environ 2 000 milliards d’euros), il y a fort à parier que ce montant sera vite épuisé en cas de crise. Et on en reviendra encore - et bien vite - à l’argent public. En effet, si l’argent du Fonds ne suffit pas le Conseil peut faire appel au Mécanisme européen de stabilité, une entité qui se finance sur les marchés financiers
Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
pour prêter aux États ou aux banques, mais est garanti in fine par les États européens.
Ce qui pourrait apparaître comme une solution face aux sauvetages bancaires semble être un feu de paille déjà éteint. Pour l’instant en effet, le bail-in au sens propre du terme a été appliqué seulement pour les banques de très petite taille (Italie) ou pour des petits pays (Chypre, Islande). À l’inverse, fin 2016, face au risque de faillite de la troisième plus grande banque d’Italie, Monte dei Paschi di Siena, le Parlement italien décidait d’accroître de 20 milliards d’euros la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
publique du pays en guise de garantie pour la recapitalisation du système bancaire national (dont déjà 5,4 milliards ont été destinés à Monte dei Paschi). La loi européenne a tout simplement été jugée inapplicable vu les risques de contamination aux autres banques, en Italie et ailleurs en Europe.
L’objectif explicite du Mécanisme de résolution unique (MRU) de « mettre un terme aux opérations de sauvetage de banques qui ont coûté des centaines de milliards d’euros aux contribuables pendant la crise » a vite échoué.
Les exemptions démontrent le manque de volonté politique de toucher aux racines profondes du problème : le comportement des banques
De plus, les exemptions décrites plus haut illustrent bien la nature d’un problème fondamental que la loi sur la résolution des crises ne traite pas : les banques - et en particulier les plus grandes d’entre elles - sont tellement interconnectées que si l’une fait défaut, les autres risquent d’être entraînées dans sa chute. Ceci vaut également pour les fonds d’investissements, fonds de pension Fonds de pension Fonds d’investissement, appelé aussi fonds de retraite, qui a pour vocation de gérer un régime de retraite par capitalisation. Un fonds de pension est alimenté par l’épargne des salariés d’une ou plusieurs entreprises, épargne souvent complétée par l’entreprise ; il a pour mission de verser des pensions aux salariés adhérents du fonds. Les fonds de pension gèrent des capitaux très importants, qui sont généralement investis sur les marchés boursiers et financiers. ou sociétés d’assurance, grands créanciers des banques. Mettre les créanciers à contribution revient donc à transmettre le problème au reste du système - un choix que les politiques refusent de faire.
Autrement dit, ces exemptions démontrent le manque de volonté politique de toucher aux racines profondes du problème : le comportement des banques - et en particulier les plus grandes d’entre elles – leur l’impunité qui se perpétue, la spéculation
Spéculation
Opération consistant à prendre position sur un marché, souvent à contre-courant, dans l’espoir de dégager un profit.
Activité consistant à rechercher des gains sous forme de plus-value en pariant sur la valeur future des biens et des actifs financiers ou monétaires. La spéculation génère un divorce entre la sphère financière et la sphère productive. Les marchés des changes constituent le principal lieu de spéculation.
qui ne cesse de s’opérer et leur logique de maximisation du profit au tout prix.
Cet article est extrait du magazine du CADTM : Les Autres Voix de la Planète
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