6 novembre 2007 par Sergio Ferrari
Par Sergio Ferrari [1]
Le 21 octobre 2007, une milice privée est intervenue violemment sur un site
d’expérimentations transgéniques de Syngenta-Brésil. Résultat : deux morts
dont un dirigeant du Mouvement des travailleurs ruraux sans terres (MST)
Valmir Mota de Oliveira « Keno » [2]. Avec d’autres paysans, dont plusieurs
furent blessés lors de l’affrontement, « Keno » participait à l’occupation
d’un site appartenant à la succursale brésilienne de la multinationale
suisse Syngenta, à Santa Tereza do Oeste (à 540 km de Curitiba, dans l’Etat
méridional du Parana). Suite à ces événements tragiques, l’opinion publique
internationale a remis l’entreprise agrochimique suisse (numéro 1 à
l’échelle mondial dans le secteur phytosanitaire et numéro trois sur le
marché des semences commerciales) sur le banc des accusés. Aujourd’hui, à
cause de la violence contre les paysans. Hier, pour des " délits
commerciaux " dans le monde entier et pour l’action
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
de cette multinationale
contre la souveraineté alimentaire. Mais ce n’est pas tout. Le 26 octobre
dernier, les mouvements sociaux brésiliens ont demandé expressément à
Syngenta de quitter le Brésil en l’accusant d’être responsable de crimes
humain et écologique.
La Syngenta et ses milices privées
D’après divers organismes brésiliens de défense des droits humains, les
événements se sont déroulés rapidement. Le 21 octobre (dimanche matin), un
groupe de 150 paysans du MST et de Via Campesina occupèrent le domaine de
la Syngenta pour dénoncer la culture illégale de semences transgéniques de
soja et de maïs.
Six heures plus tard, un peu après midi, une quarantaine de membres d’une
milice privée arrivèrent en voiture sur les lieux. De sang-froid, ils
assassinèrent de deux balles en pleine poitrine « Keno » et blessèrent
quatre autres paysans (Gentil Couto Viera, Jonas Gomes de Quiroz, Domingos
Barretos et Hudson Cardin). Egalement blessée de trois balles et battue
sauvagement par les vigiles, Izabel Nascimento de Souza se trouve
aujourd’hui dans le coma, entre la vie et la mort [3]. Deux autres
dirigeants du MST, qui avaient pu se cacher, ont échappé à la mort.
Ces événements relèvent de la chronique d’un massacre annoncé. Trois jours
auparavant, le 18 octobre, une délégation de la Commission des droits
humains et des minorités du Congrès brésilien avait participé à une
audience publique à Curitiba. Cette séance avait pour but de prendre
connaissance des dénonciations relatives à la formation et à l’action de
milices privées dans le Paraná (l’un des Etats brésiliens qui connaît le
plus grand taux de violence contre les travailleurs sans terre).
Selon la Commission de la Pastorale de la Terre - liée à l’Eglise
catholique du Brésil, le Paraná détient le record brésilien, pour l’année
2006, du nombre des conflits pour la terre (76 conflits). Les grands
propriétaires fonciers de cette région, regroupés au sein de l’Union
démocratique rurale et de la Société rurale de l’Ouest, " organisent des
groupes paramilitaires camouflés en entreprises de vigiles pour effectuer
des expulsions illégales, menaçant quotidiennement la vie des travailleurs
ruraux et créant un climat de terre dans l’Etat de Paraná ", affirme un
rapport rédigé par « Terre de droits » (une ONG pour la défense des droits
humains) et la Pastorale de la Terre, document analysé par la commission du
Congrès lors de sa récente séance spéciale à Curitiba.
Bien que Syngenta nie formellement que les employés de la société de vigile
« NF » (présente sur son champ expérimental) aient l’autorisation d’être
armés, sa responsabilité concernant des faits similaires n’est pas une
nouveauté.
En effet, le 20 juillet, dans la même localité, diverses familles habitant
le campement du MST « Olga Benário » [4] furent " gravement menacées par
des vigiles fortement armés, engagés par la multinationale Syngenta ",
indique le rapport de « Terre de droit » et de la Pastorale de la Terre.
Selon la plainte déposée par les familles auprès de la police locale, " les
vigiles de l’entreprise Syngenta envahirent le terrain et y restèrent
environ 40 minutes ", en tirant des balles de gros calibre durant la nuit.
Six des exigences présentées par les plaignants aux autorités législatives
durant la session du 18 octobre à Curitiba, deux jours à peine avant le
massacre de Santa Tereza do Oeste, se sont avérées aussi concluantes que
prémonitoires. Il vaut la peine de les rappeler :
réalisation d’une enquête sérieuse, effective et impartiale sur la
formation, l’entraînement et l’engagement de milices privées dans l’Etat du
Paraná ;
enquête plus particulière sur des entreprises de vigile du type de
la « NF » - engagée par la Syngenta - et sur l’origine des armes en leur
possession ;
« Terre de droit », la Commission pastorale de la Terre et le MST
ont aussi exigé la fin des violations des droits humains et la protection
des travailleurs ruraux.
Syngenta : pesticide assassin et semences « Terminator »
En 2006, la « Déclaration de Berne » (DB) - une organisation suisse connue
pour son travail d’information et de sensibilisation - lança une campagne
de courriers électroniques « Stop Paraquat », appuyée par de nombreuses ONG
dans le monde entier. Cette campagne exigeait de Syngenta l’arrêt immédiat
de la production et de la vente de cet herbicide, extrêmement toxique et
nocif pour la santé humaine.
Le Paraquat - vendu dans plus de 100 pays sous le nom générique de « Gramoxone » - représente une part importante des bénéfices réalisés par la
transnationale bâloise (pour l’année 2006, son bénéfice net déclaré
avoisine les 900 millions de dollars) et « a causé des milliers de morts »,
relève la DB dans la documentation de base pour cette campagne.
Malgré les critiques formulées publiquement depuis les années 1970 et les
campagnes systématiques de dénonciation contre la Syngenta (née en 2000 de
la fusion entre les divisions agrochimiques de Novartis-Suisse et du
consortium anglo-suédois AstraZeneca), le Gramaxone continue d’être vendu
dans le monde entier. Signe clair d’expansion : Syngenta a ouvert de
nouvelles installations en Chine. Actuellement, seuls une dizaine de pays
ont interdit ou limité sévèrement l’usage du Paraquat.
En mai 2007, plusieurs organisations asiatiques, africaines et européennes
ont présenté une dénonciation contre Syngenta auprès de l’Organisation des
Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Motif :
l’entreprise suisse ne respecte pas les engagements conclus dans le cadre
du code de bonne conduite édicté par la FAO, notamment l’article 3.5 qui
appelle à éviter l’usage de certains pesticides extrêmement toxiques. En
juillet 2007, la Cour européenne de justice s’est aussi prononcée contre
l’utilisation de ce produit.
D’autre part, en mars 2006, une vingtaine d’organisations paysannes, de
coopération au développement et de protection de l’environnement exigeaient
dans une lettre adressée au gouvernement suisse que celui-ci s’engage
activement pour l’interdiction à l’échelle mondiale des plantes
transgéniques « Terminator ». Comme le dénonçaient alors ces organisations
de la société civile suisse, Syngenta est particulièrement actif
Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
dans le
développement de ces semences et d’autres technologies similaires. Les
plantes du type « Terminator » produisent des semences stériles qui ne
permettent qu’une seule récolte, les paysans ne peuvent donc plus utiliser
ces terres.
Selon la dénonciation des organisations suisses (mentionnées plus haut) en
mars 2006, " l’unique objectif de cette technologie vise à dominer le
marché des semences et à assurer le contrôle de l’alimentation mondiale ce
qui implique une violation du droit humain à l’alimentation ".
La plante transgénique « Terminator » a fait l’objet de plusieurs débats et
réflexions, lors de la 8e conférence de la Convention des Nations Unies sur
la diversité biologique, tenue précisément fin mars 2006, à Curitiba
(Brésil).
A cette occasion, le Mouvement des travailleurs ruraux sans terre du Brésil
(MST) et Via Campesina avaient occupé symboliquement des sites de Syngenta
à Santa Tereza do Oeste pour protester contre " la semence illégale de soja
et de maïs transgéniques ", comme l’a rapporté le portail Internet suisse
pour l’étranger « Swissinfo ».
La tension entre le MST et la Syngenta portait alors sur les 120 hectares
de semences expérimentales, se trouvant dans la zone protégée du parc
national Iguazú. Fin 2006, le gouverneur de l’Etat de Paraná avait décrété
l’expropriation de ces terres, alors que l’Institut brésilien de
l’environnement infligeait une amende d’un demi-million de dollars à la
multinationale suisse pour avoir violé les lois brésiliennes.
Des stratagèmes dilatoires, des recours juridiques, des campagnes
publicitaires et des offensives médiatiques ont jusqu’ici permis à Syngenta
d’échapper aussi bien aux procédures judiciaires qu’aux ordres
d’expropriation. D’une manière ou d’une autre, les mêmes méthodes semblent
se répéter aujourd’hui, pour que la multinationale suisse soit exempte de
toute responsabilité dans la tuerie perpétrée à Santa Tereza do Oeste.
[1] Trad H.P Renk. Collaboration E-CHANGER+ LE COURRIER
[2] L’autre victime est l’un des 40 sbires de la Syngenta. Bien
entendu, la police a ouvert une enquête
[3] Pedro Carrano, " Syngenta Seeds investe contra trabalhadores no
Paraná ", Brasil de Fato, 24.10.2007 (www.brasildefato.com.br/)
[4] Olga Benário (1908-1942) : militante communiste, issue d’une
famille juive allemande. Compagne de Luis Carlos Prestes (fondateur du
Partido Comunista do Brasil), elle fut livrée à l’Allemagne nazie, après
l’échec de l’insurrection de 1935, par le gouvernement de Getulio Vargas et
mourut dans un camp de concentration.
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