14 mars 2011 par Pauline Imbach , Zinaba Aboudou Rasmane
Un fait divers à l’allure d’une mauvaise série B met le feu aux poudres...
Pour comprendre ce qui s’est passé à Koudougou, un bref retour en arrière sur la situation s’impose.
Tout a commencé par une bagarre entre deux jeunes élèves, une fille et un garçon, d’un lycée de Koudougou (3e ville du pays à 150 km de Ouagadougou la capitale). Après une paire de gifles qu’elle a reçue du jeune homme, la fille, petite amie d’un policier, s’en est allée porter plainte. Jusqu’ici tout va bien. Mais voilà que le jeune homme, Justin Zongo, ne répond pas à la plainte, ce qui énerve notre policier, ami de la victime. Celui-ci décide alors de venir chercher le jeune homme en pleine classe pour l’amener de force au commissariat, outrepassant le fait que les forces « du désordre » ont l’interdiction d’agir dans les établissement scolaires sans autorisation préalable. Une fois au commissariat, le jeune étudiant est passé à tabac dans les règles de l’art avant d’être relâché. Le jeune homme cherche alors du soutien en avertissant le procureur de Koudougou de la situation, qui convoque et sermonne le policier. Ce dernier retourne alors chercher Justin Zongo qui, trainé au commissariat est de nouveau passé à tabac. L’étudiant ne se remettra pas des coups reçus et il décèdera des suites de ses blessures, après avoir été hospitalisé.
Ses camarades de classe, qui avaient suivi de près cette affaire, organisent une marche jusqu’au gouvernorat de Koudougou. Là, le gouverneur déclare que le décès est dû à une méningite et un acte de décès est rédigé précipitamment pour confirmer cette thèse officielle.
Cela n’est pas sans rappeler l’acte de décès de Thomas Sankara, sur lequel était mentionné “mort de mort naturelle”...
Injustices et répressions...
Le 24 févier, face à cette injustice criante, les étudiants se sont révoltés mettant le feu au gouvernorat, au commissariat et à une douzaine de véhicules. Les CRS de Koudougou (qui disposent d’un camp depuis peu dans cette ville « pour redresser la population » connue, depuis l’affaire Norbert Zongo, comme « rebelle » du Burkina Faso) viennent prêter main forte aux policiers. Ils ouvrent le feu et tuent le fils d’un commerçant. Immédiatement c’est toute une ville qui se lève et s’oppose aux forces du désordre. Puis rapidement le mouvement gagne les villes voisines de Poa, Kindi, Léo, Réo et tous les environs avant d’atteindre une semaine plus tard (le 7 mars) les villes de Bobo Dioulasso et Ouahigouya au nord du pays. Élèves et étudiants brûlent les commissariats en signe de protestation contre cette bavure policière.
Bilan officiel : 6 morts, de nombreux commissariats brûlés et des policiers chassés de certaines villes.
...augmentation des tensions !
Pour apaiser les tensions, surtout en plein FESPACO (Festival Panafricain du Cinéma de Ouagadougou), les autorités ne lésinent pas sur les moyens. Outre la répression, elles décident de fermer les lycées, les collèges et les universités, craignant que le mouvement prenne une allure révolutionnaire à l’odeur de jasmin.
Elles mettent également en place un comité de sages à Koudougou et utilisent les chefs traditionnels, aujourd’hui véritables sbires du régime, pour rencontrer les associations d’élèves et les calmer.
Seulement voilà, les jeunes semblent déterminés. Alors que la reprise des cours devait se faire le 7 mars, à Koudougou un grand sit-in a été organisé à l’occasion duquel une grève de 72 heures à été votée pour que justice soit rendue aux camarades assassinés pendant les révoltes.
À Ouagadougou, à l’appel des partis d’opposition, une marche, suivie d’un meeting sur la place de la révolution, a également été organisée. La journée du 7 mars a donc été plus que mouvementée partout dans le pays. Une dizaine de localités ont connu des manifestations et des commissariats ont été incendiés, des édifices publics vandalisés, des barricades érigées, des grèves et marches organisées.
De plus, le 11 mars, à l’appel de l’Association Nationale des Etudiants du Burkina (ANEB), une marche contre l’impunité et pour le jugement de tous les acteurs de ce crime crapuleux a été organisée. Partis de l’Université de Ouagadougou, 7000 étudiants se sont mis en route vers le siège de la Direction Générale de la Police Nationale. Rapidement bloqués par la police sur l’avenue Charles de Gaule qui mène au centre ville, les étudiants se sont organisés en front et se sont dirigés vers les commissariats de quartiers pour les incendier. Durant la marche, de nombreux étudiants ont été blessés par des jets de pierres et de lacrymogènes. Une vingtaine de personnes auraient été arrêtées. Durant cette marche de nombreux slogans visaient directement Blaise Compaoré et sa clique. Le mouvement semble donc s’élargir autour de revendications dépassant le meurtre du jeune Justin Zongo.
Depuis le début du mouvement, et en plein FESPACO, les enfants de Facebook, ont bien tenté d’élargir les revendications avec notamment la création d’un profil « Blaise Compaoré dégage [1] » ou en appelant à deux reprises à des mobilisations autour du rond-point des cinéastes, lieu symbolique en plein festival cinématographique. Mais peu de gens ont répondu présents. Le FESPACO semblait pourtant être un moment idéal pour faire entendre la grogne sociale...
Aujourd’hui, la jeunesse burkinabée est toujours dans la rue, mais il semble difficile de dire ce qui se passera dans les jours à venir si le reste de la population ne se mobilise pas à ses côtés. Alors que la grève de 72 heures de Koudougou touche à sa fin, une grève de 72 heures vient d’être décidée à Ouagadougou.
« Les forces critiques » composées d’associations et de partis politiques d’opposition, qui avaient joué un rôle important dans le mouvement de contestation qui avait suivi l’assassinat du journaliste Norbert Zongo, ne constituent plus un moteur de résistance depuis ces dernières années. Aujourd’hui, alors qu’elles ont toujours une forte capacité de mobilisation, elles se sont contentées de condamner les faits, ne cherchant pas à construire un rapport de force en faveur des populations en élargissant les revendications.
Blaise Compaoré dégage !
24 ans de dictature et d’impunité ! Ça suffit, Blaise Compaoré dégage ! Arrivé au pouvoir par un coup d’État et l’assassinat de Thomas Sankara, Blaise Compaoré s’y maintient et compte bien y rester. Trucage des élections, changement de la constitution, rien ne semble l’arrêter. « Réélu en novembre au terme d’un scrutin contesté, avec seulement 1,5 millions de voix (soit 80% des suffrages exprimés !) dans un pays qui compte 16 millions d’habitants, il entend désormais modifier la constitution pour pouvoir conserver son fauteuil indéfiniment » [2].
Son fauteuil, il le doit à ses amis de la françafrique qui, depuis quelques années, lui confèrent le statut de vieux sage et de faiseur de paix dans la sous-région, et à ses amis de Washington qui ont félicité le Burkina en le qualifiant de « bon élève du FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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».
Le bon élève, pour le FMI, c’est celui qui paye ses dettes et qui applique les réformes économiques préconisées par l’institution, sans ce soucier de leurs impacts sur la population. Blaise Compaoré est, il est vrai, de ce point de vue, un élève modèle. En 2009, la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
publique extérieure du Burkina Faso atteint légèrement plus de 2 milliards de dollars [3] contre 832 millions de dollars en 1990. En 2009, le service de la dette
Service de la dette
Remboursements des intérêts et du capital emprunté.
s’est élevé à 52,3 millions de dollars.
En vingt ans de service, la politique de Blaise Compaoré a multiplié par deux et demi la dette extérieure publique du pays. Dans le même temps, un véritable programme de démantèlement des services publics a débuté, avec la signature en 1991 du premier plan d’ajustement structurel Plan d'ajustement structurel En réaction à la crise de la dette, les pays riches ont confié au FMI et à la Banque mondiale la mission d’imposer une discipline financière stricte aux pays surendettés. Les programmes d’ajustement structurel ont pour but premier, selon le discours officiel, de rétablir les équilibres financiers. Pour y parvenir, le FMI et la Banque mondiale imposent l’ouverture de l’économie afin d’y attirer les capitaux. Le but pour les États du Sud qui appliquent les PAS est d’exporter plus et de dépenser moins, via deux séries de mesures. Les mesures de choc sont des mesures à effet immédiat : suppression des subventions aux biens et services de première nécessité, réduction des budgets sociaux et de la masse salariale de la fonction publique, dévaluation de la monnaie, taux d’intérêt élevés. Les mesures structurelles sont des réformes à plus long terme de l’économie : spécialisation dans quelques produits d’exportation (au détriment des cultures vivrières), libéralisation de l’économie via l’abandon du contrôle des mouvements de capitaux et la suppression du contrôle des changes, ouverture des marchés par la suppression des barrières douanières, privatisation des entreprises publiques, TVA généralisée et fiscalité préservant les revenus du capital. Les conséquences sont dramatiques pour les populations et les pays ayant appliqué ces programmes à la lettre connaissent à la fois des résultats économiques décevants et une misère galopante. .
Comme ses confrères d’Afrique du nord, Compaoré a aujourd’hui de quoi s’inquiéter, la jeunesse burkinabée semble déterminée à mettre fin à ce trop long règne. « Le monde est un village planétaire et les échos des luttes contre les régimes dictatoriaux de l’Afrique du nord résonnent dans les consciences des jeunes du Burkina. La contagion des révolutions tunisienne et égyptienne menace le Burkina par la similitude des longs règnes et les pratiques des pouvoirs » [4].
[3] Le Burkina Faso en chiffre, édition 2010, INSD www.insd.bf
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