10 février 2011 par Eric Toussaint , Mamadou Sarr
Le Comité pour l’annulation de la dette du Tiers monde invite les gouvernements africains à suivre l’exemple de certains pays de l’Amérique du Sud qui ont refusé de payer la dette illégitime, réclamée aux pays en développement. De l’avis d’Éric Toussaint, « c’est parfaitement possible pour un pays de refuser de payer sa dette ». Et les exemples sont légion dans le monde.
Équateur, Argentine, Paraguay. Voilà autant de pays qui ont refusé de payer leurs dettes à la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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, au FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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, au Club de Paris
Club de Paris
Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.
Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.
Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
et aux banquiers. C’est le Belge Eric Toussaint, le président du Comité pour l’annulation de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
du Tiers monde (Cadtm) qui l’a révélé, hier, au cours d’une conférence de presse à l’Ucad dans le cadre du Forum social mondial. ‘Si je vous donne tous ces exemples, c’est pour vous montrer que c’est parfaitement possible pour un pays de refuser de payer sa dette. Et que contrairement à ce qu’on fait passer comme message, cela ne produit pas le chaos. L’Argentine connaît un taux de croissance de plus de 8 % depuis 2003. L’Équateur connaît un taux de croissance de 3 à 4 %. Ces pays n’ont pas connu le chaos. Bien au contraire, ils ont enregistré une amélioration des salaires, des pensions et des conditions de vie des populations’, soutient Éric Toussaint qui a participé à l’audit de la dette de ces pays.
Ce qui lui fait dire que cela peut inspirer les pays africains à qui on réclame une ‘dette illégitime et illégale’. Parmi toutes ces expériences, sources d’inspiration en Amérique latine, le plus intéressant, c’est l’Équateur où le Cadtm a directement participé à l’audit de la dette. ‘Un nouveau président a été élu fin 2006 qui s’appelle Raphaël Corréa à la tête d’un processus qu’il appelle lui-même révolution citoyenne. Immédiatement il s’est engagé à faire l’audit de l’endettement de l’équateur de 1976 à 2006 par une commission de dix-huit experts en dette dont moi-même. Après quatorze mois de travaux, après avoir épluché des dizaines de milliers de dossiers et des centaines de contrats, nous avons soumis nos recommandations au gouvernement. Et après avoir identifié que 80 % de la dette publique de l’Équateur était de la dette illégitime, et sur la base de nos recommandations, le gouvernement a unilatéralement décidé de suspendre le paiement de la dette sous forme de bons’, renseigne Toussaint.
Il s’agit, dit-il, des titres de la dette
Titres de la dette
Les titres de la dette publique sont des emprunts qu’un État effectue pour financer son déficit (la différence entre ses recettes et ses dépenses). Il émet alors différents titres (bons d’état, certificats de trésorerie, bons du trésor, obligations linéaires, notes etc.) sur les marchés financiers – principalement actuellement – qui lui verseront de l’argent en échange d’un remboursement avec intérêts après une période déterminée (pouvant aller de 3 mois à 30 ans).
Il existe un marché primaire et secondaire de la dette publique.
publique vendus sous forme de bons sur les marchés financiers
Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
, en particulier à Wall Street. Des bons qui venaient à échéance entre 2012 et 2030 pour un montant de 3 230 millions de dollars. ‘Il y a eu donc un acte souverain unilatéral de suspension du paiement de la dette. Du coup, les détenteurs de ces titres de la dette, qui étaient des banquiers nord-américains, se sont mis à les vendre sur le marché à 20 % de leur valeur. Finalement, le gouvernement équatorien est arrivé à racheter 91 % des titres pour un coup total de 900 millions de dollars. Ce qui fait une économie, si on calcule le stock de capital racheté à bas prix et les intérêts qui ne sont pas payés jusqu’en 2030, d’où un bénéfice de plus de 7000 millions de dollars. Ce qui a permis au gouvernement très concrètement de faire passer dans le budget de l’État le service de la dette
Service de la dette
Remboursements des intérêts et du capital emprunté.
qui était de 32 % à 15 % et de faire passer les dépenses sociales qui représentaient 12% à 25% du budget. Donc, il y a une inversion des priorités’, informe-t-il.
Éric Toussaint révèle que ‘l’Équateur, et vous n’en avez pas entendu parler, a expulsé le représentant permanent de la Banque mondiale. Parce que la Banque mondiale ne veut pas qu’on sache qu’on peut expulser ses représentants. L’Équateur a mis dehors le FMI qui avait ses locaux au sein de la banque centrale Banque centrale La banque centrale d’un pays gère la politique monétaire et détient le monopole de l’émission de la monnaie nationale. C’est auprès d’elle que les banques commerciales sont contraintes de s’approvisionner en monnaie, selon un prix d’approvisionnement déterminé par les taux directeurs de la banque centrale. . L’Équateur a quitté le tribunal de la banque mondiale qui est le Centre international de règlement des différends. Ce que la Bolivie a fait, deux ans auparavant. Donc nous pensons que cet exemple, qui s’est passé en Équateur, peut parfaitement se passer dans la majorité des pays en Afrique. Cela devrait être reproductible en Grèce, par exemple, qui est confronté à une crise terrible de la dette’.
Le temps des audits de la dette
Autre exemple servi lors de cette conférence : l’Argentine. D’après Toussaint, ce pays a suspendu en 2001 le paiement de la dette, justement après un mouvement social un peu comparable à celui de la Tunisie de janvier 2011. ‘L’Argentine a suspendu le remboursement de 1000 milliards de remboursement de titres de la dette de décembre 2001 à mars 2005. L’Argentine a également suspendu les remboursements de la dette au Club de Paris qui est un des principaux créanciers des pays d’Afrique subsaharienne avec le FMI et la BM... L’Argentine a suspendu le paiement de sa dette à l’égard du Club de Paris pour un montant de 6 milliards de dollars de 2001 jusqu’à aujourd’hui. Il n’y a aucun journaliste qui a entendu parler de cela. Parce que le Club de Paris ne veut pas qu’on sache ailleurs dans le monde qu’on peut refuser de le payer. Le Club de Paris ne dit rien et fait tout pour que cela ne se sache pas. Après dix ans de non paiement, l’Argentine dit qu’on peut recommencer à dialoguer avec le Club de Paris, mais le FMI n’en fera pas partie. Le Club de Paris a accepté ; alors que d’habitude, il exige la présence du FMI, fait-il remarquer.
Le dernier exemple qu’Éric Toussaint a donné, c’est le Paraguay qui a répudié sa dette à l’égard des banquiers suisses en 2005. ‘La Suisse n’est pas contente et a porté plainte contre le Paraguay qui a dit : « on s’en fout de ces condamnations. Mieux que cela, nous allons déposer une plante à la Haye contre la Suisse qui protège ses banquiers suisses. » « Et la Suisse ne dit rien non plus », ajoute-t-il. Avant de souligner qu’il donne cet exemple, pour qu’on sache qu’il y a d’autres sources d’inspiration pour d’autres gouvernements. « Les gouvernements sous la pression des mouvements sociaux doivent lancer des audits de la dette. Et prendre des mesures unilatérales de non-paiement de la dette » commente Toussaint. Il pense que la Tunisie pourrait suivre l’exemple « si on a un gouvernement dont sont absents les représentants du RCD [1], un gouvernement réellement en rapport avec les mouvements sociaux pourra mettre en place une commission d’audit de la dette et à l’issue des résultats décider la suspension du paiement ».
[1] Rassemblement constitutionnel démocratique, parti qui était au pouvoir durant la période de la dictature sous Ben Ali, et dissous le 9 mars 2011
Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.
Quand le président Joe Biden affirme que les États-Unis n’ont jamais dénoncé aucune dette, c’est un mensonge destiné à convaincre les gens qu’il n’y a pas d’alternative à un mauvais accord bi-partisan.
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