Dans l’œil du cyclone : la crise de la dette dans l’Union européenne (5/7)

CDS et agences de notation : fauteurs de risques et de déstabilisation

23 septembre 2011 par Eric Toussaint


Entre juillet et septembre 2011, les bourses ont été ébranlées une nouvelle fois au niveau international. La crise s’est approfondie dans l’Union européenne, en particulier en matière de dettes. Le CADTM a interviewé Eric Toussaint afin de décoder différents aspects de cette nouvelle phase de la crise. [1]



Cinquième partie : CDS CDS
Credit Default Swap
Le CDS est un produit financier dérivé qui n’est soumis à aucun contrôle public. Il a été créé par la banque JPMorgan dans la première moitié des années 1990 en pleine période de déréglementation. Le Credit Default Swap signifie littéralement “permutation de l’impayé”. Normalement, il devrait permettre au détenteur d’une créance de se faire indemniser par le vendeur du CDS au cas où l’émetteur d’une obligation (l’emprunteur) fait défaut, que ce soit un pouvoir public ou une entreprise privée. Le conditionnel est de rigueur pour deux raisons principales. Premièrement, l’acheteur peut utiliser un CDS pour se protéger d’un risque de non remboursement d’une obligation qu’il n’a pas. Cela revient à prendre une assurance contre le risque d’incendie de la maison d’un voisin en espérant que celle-ci parte en flammes afin de pouvoir toucher la prime. Deuxièmement, les vendeurs de CDS n’ont pas réuni préalablement des moyens financiers suffisants pour indemniser les sociétés affectées par le non remboursement de dettes. En cas de faillite en chaîne d’entreprises privées ayant émis des obligations ou du non remboursement de la part d’un Etat débiteur important, il est très probable que les vendeurs de CDS seront dans l’incapacité de procéder aux indemnisations qu’ils ont promises. Le désastre de la compagnie nord-américaine d’assurance AIG en août 2008, la plus grosse société d’assurance internationale (nationalisée par le président George W. Bush afin d’éviter qu’elle ne s’effondre) et la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008 sont directement liés au marché des CDS. AIG et Lehman s’étaient fortement développées dans ce secteur.

Le CDS donne l’illusion à la banque qui en achète qu’elle est protégée contre des risques ce qui l’encourage à réaliser des actions de plus en plus aventureuses. De plus, le CDS est un outil de spéculation. Par exemple en 2010-2011, des banques et d’autres sociétés financières ont acheté des CDS pour se protéger du risque d’une suspension de paiement de la dette qui aurait pu être décrétée par la Grèce. Elles souhaitaient que la Grèce fasse effectivement défaut afin d’être indemnisées. Qu’elles soient ou non en possession de titres grecs, les banques et les sociétés financières détentrices de CDS sur la dette grecque avaient intérêt à ce que la crise s’aggrave. Des banques allemandes et françaises (les banques de ces pays étaient les principales détentrices de titres grecs en 2010-2011) revendaient des titres grecs (ce qui alimentait un climat de méfiance à l’égard de la Grèce) tout en achetant des CDS en espérant pouvoir être indemnisées au cas de défaut grec.1

Le 1er novembre 2012, les autorités de l’Union européenne ont fini par interdire la vente ou l’achat de CDS concernant des dettes des États de l’UE qui ne sont pas en possession du candidat acheteur du CDS.2 Mais cette interdiction ne concerne qu’une fraction minime du marché des CDS (le segment des CDS sur les dettes souveraines*) : environ 5 à 7 %. Il faut également noter que cette mesure limitée mais importante (c’est d’ailleurs à peu près la seule mesure sérieuse qui soit entrée en vigueur depuis l’éclatement de la crise) a entraîné une réduction très importante du volume des ventes des CDS concernés, preuve que ce marché est tout à fait spéculatif.

Enfin, rappelons que le marché des CDS est dominé par une quinzaine de grandes banques internationales. Les hedge funds et les autres acteurs des marchés financiers n’y jouent qu’un rôle marginal. D’ailleurs la Commission européenne a menacé en juillet 2013 de poursuivre 13 grandes banques internationales pour collusion afin de maintenir leur domination sur le marché de gré à gré* (OTC) des CDS.3
et agences de notation Agences de notation Les agences de notation (Standard and Poor’s, Moody’s et Fitch en tête) sont des agences privées qui évaluent la solvabilité et la crédibilité d’un émetteur d’obligations (État, entreprise). Jusqu’aux années 1970 elle étaient payées par les acheteurs potentiels d’obligations, depuis la libéralisation financière la situation s’est inversée : ce sont les émetteurs d’obligations qui rémunèrent les agences pour qu’elles les évaluent... Reconnaissons leur qualité de travail : c’est ainsi que Lehman Brothers se voyait attribuer la meilleure note juste avant de faire faillite.  : fauteurs de risques et de déstabilisation [2]

 
CADTM : Tu n’as pas encore parlé des Credit Default Swaps Swap
Swaps
Vient d’un mot anglais qui signifie « échange ». Un swap est donc un échange entre deux parties. Dans le domaine financier, il s’agit d’un échange de flux financiers : par exemple, j’échange un taux d’intérêt à court terme contre un taux à long terme moyennant une rémunération. Les swaps permettent de transférer certains risques afin de les sortir du bilan de la banque ou des autres sociétés financières qui les utilisent. Ces produits dérivés sont très utilisés dans le montage de produits dits structurés.
(CDS)

Eric Toussaint : Le CDS est un produit financier dérivé Dérivés
Dérivé
Dérivé de crédit : Produit financier dont le sous-jacent est une créance* ou un titre représentatif d’une créance (obligation). Le but du dérivé de crédit est de transférer les risques relatifs au crédit, sans transférer l’actif lui-même, dans un but de couverture. Une des formes les plus courantes de dérivé de crédit est le Credit Default Swap.
qui n’est soumis à aucun contrôle public. Il a été créé dans la première moitié des années 1990 en pleine période de dérèglementation. Credit Default Swap signifie littéralement permutation de l’impayé. Normalement, il devrait permettre au détenteur d’une créance de se faire indemniser par le vendeur du CDS au cas où l’émetteur d’une obligation Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
(l’empunteur) fait défaut, que ce soit un pouvoir public ou une entreprise privée. Le conditionnel est de rigueur pour deux raisons principales. Premièrement, on peut acheter un CDS pour se protéger d’un risque de non remboursement d’une obligation qu’on n’a pas. Cela revient à prendre une assurance contre le risque d’incendie de la maison du voisin en espérant que celle-ci parte en flammes afin de pouvoir toucher la prime. Deuxièmement, les vendeurs de CDS n’ont pas réuni préalablement des moyens financiers suffisants pour indemniser les victimes du non remboursement de dettes. En cas de faillite en chaîne d’entreprises privées ayant émis des obligations ou du non remboursement de la part d’un Etat débiteur important, il est certain que les vendeurs de CDS seront dans l’incapacité de procéder aux indemnisations qu’ils ont promises. Le désastre de l’entreprise nord-américaine AIG en août 2008, la plus grosse société d’assurance internationale (en fait elle a été nationalisée par Bush afin d’éviter les conséquences d’une faillite) et la faillite de Lehman Brothers sont directement liés au marché des CDS. AIG et Lehman s’étaient fortement développés dans ce secteur.

Le marché des CDS permet toutes sortes de manipulations. J’ai eu l’occasion de suivre de près une tentative de manipulation lorsque j’étais membre de la commission d’audit de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
publique interne et externe mise en place par le gouvernement équatorien en 2007 et qui a rendu les résultats de ses travaux en septembre 2008. Pendant que nous auditions la dette équatorienne et que le président Rafael Correa menaçait les marchés financiers Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
internationaux de mettre fin au remboursement de la partie illégitime de la dette, une société privée nord-américaine a pris contact avec le gouvernement équatorien afin de lui faire une proposition édifiante. La société proposait au président Correa de laisser entendre qu’il suspendrait le paiement de la dette juste avant la prochaine échéance de paiement trois semaines plus tard. Cela permettrait à cette société de vendre des CDS pour un montant qu’elle évaluait à 300 millions de dollars. Le résultat final devait être le suivant : en réalité, l’Equateur paierait comme prévu ce qu’il devait. Du coup, la société ne devrait pas indemniser les détenteurs de CDS et elle verserait la moitié de la somme au gouvernement équatorien. Elle affirmait que cette opération était totalement sans risque de poursuite car la vente se ferait de gré à gré Marché de gré à gré
Gré à gré
Un marché de gré à gré ou over-the-counter (OTC) en anglais (hors Bourse) est un marché non régulé sur lequel les transactions sont conclues directement entre le vendeur et l’acheteur, à la différence de ce qui se passe sur un marché dit organisé ou réglementé avec une autorité de contrôle, comme la Bourse par exemple.
sans aucun contrôle de la part des autorités nord-américaines. La firme affirmait qu’elle avait déjà réalisé à plusieurs reprises ce genre d’opérations. Finalement, les autorités équatoriennes ont refusé la proposition et ont opté pour une autre stratégie qui a donné de bons résultats. L’intérêt de cette histoire véridique, c’est de montrer qu’en pratique les émetteurs (et les acheteurs) de CDS peuvent réaliser toutes sortes de manipulations. Il faut rappeler que jusqu’au désastre d’AIG et à la faillite de Lehman Brothers, le FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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, la Réserve fédérale des Etats-Unis, la BCE BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
ont affirmé à maintes reprises que les CDS étaient un produit nouveau qui offrait d’excellentes garanties Garanties Acte procurant à un créancier une sûreté en complément de l’engagement du débiteur. On distingue les garanties réelles (droit de rétention, nantissement, gage, hypothèque, privilège) et les garanties personnelles (cautionnement, aval, lettre d’intention, garantie autonome). contre les risques (voir encadré sur les CDS). Depuis le discours a changé mais rien, absolument rien, n’a été fait pour réglementer. En attendant, les CDS constituent, vu leur ampleur, une terrible bombe à retardement pour le système financier international. En réalité, il faudrait interdire les CDS.

Les autorités monétaires et financières ont encouragé la création de la bombe à retardement constituée par les CDS



Alan Greenspan, ex-directeur de la Réserve fédérale des Etats-Unis, écrit en 2007, alors que la crise a éclaté aux Etats-Unis et s’étend à l’Europe : « Une innovation récente de grande importance a été la création des Credit Default Swap ou CDS. Il s’agit d’un produit dérivé Produits dérivés
Produit dérivé
Famille de produits financiers qui regroupe principalement les options, les futures, les swaps et leurs combinaisons, qui sont tous liés à d’autres actifs (actions, obligations, matières premières, taux d’intérêt, indices...) dont ils sont par construction inséparables : option sur une action, contrat à terme sur un indice, etc. Leur valeur dépend et dérive de celle de ces autres actifs. Il existe des produits dérivés d’engagement ferme (change à terme, swap de taux ou de change) et des produits dérivés d’engagement conditionnel (options, warrants…).
qui transfère le risque de crédit, généralement celui d’un instrument d’endettement, à un tiers, moyennant une prime. La possibilité de bénéficier des revenus d’un prêt tout en transférant ailleurs le risque de crédit a été une manne pour les banques et autres intermédiaires financiers ; en effet, pour obtenir un taux de rendement désiré sur leurs fonds, les banques doivent augmenter leur ratio d’endettement en acceptant en dépôt des obligations et/ou des dettes. La plupart du temps, ces institutions prospèrent en prêtant de l’argent. Mais dans les périodes difficiles, elles encourent des problèmes trop connus de créances Créances Créances : Somme d’argent qu’une personne (le créancier) a le droit d’exiger d’une autre personne (le débiteur). douteuses, qui les avaient, par le passé, obligées à réduire leurs prêts. Or cette restriction affaiblit l’activité économique tout entière. Un instrument de marché qui déplace le risque pour ces émetteurs de crédit fortement endettés peut se révéler d’un intérêt critique pour la stabilité économique, surtout dans un contexte mondial. Le CDS fut ainsi inventé pour répondre à ce besoin ; il prit le marché d’assaut. La Banque des règlements internationaux a calculé qu’en 2006, les CDS ont totalisé plus de 20.000 milliards d’équivalents-dollar, alors qu’ils n’étaient que de 6.000 milliards à la fin 2004. La puissance d’amortisseur de cet instrument a été démontrée de façon éclatante entre 1998 et 2001, quand le CDS put répartir les risques de 1.000 milliards de dollars pour des emprunts destinés aux réseaux de télécommunications, alors en expansion rapide. Bien qu’une grande part de ces entreprises eussent fait défaut lors de l’explosion de la bulle Internet, pas une seule des grandes institutions de garantie de prêt ne fut mise en péril. Les pertes furent en dernier recours absorbées par des assureurs fortement capitalisés, par des fonds de pension Fonds de pension Fonds d’investissement, appelé aussi fonds de retraite, qui a pour vocation de gérer un régime de retraite par capitalisation. Un fonds de pension est alimenté par l’épargne des salariés d’une ou plusieurs entreprises, épargne souvent complétée par l’entreprise ; il a pour mission de verser des pensions aux salariés adhérents du fonds. Les fonds de pension gèrent des capitaux très importants, qui sont généralement investis sur les marchés boursiers et financiers. et autres, qui avaient été les principaux fournisseurs des garanties de défaut de crédit. Tous furent en mesure d’absorber le choc. Il n’y eut donc pas de répétition des défauts en cascade des précédentes époques
 [3]. »

Quant au FMI en 2007, il déclare à propos de la santé des Etats-Unis et notamment des CDS appelés «  les nouveaux marchés de transfert des risques  » : «  Bien qu’il n’y ait pas de place pour la complaisance, il semble que l’innovation ait épaulé la solidité du système financier. Les nouveaux marchés de transfert des risques ont favorisé la dispersion du risque de crédit , d’un noyau où l’aléa moral Aléa moral
Risque moral
En anglais, moral hazard

Argument fréquemment utilisé par les adversaires de l’annulation de la dette. Il s’appuie sur la théorie libérale qui donne la situation mettant en présence un emprunteur et un prêteur comme un cas d’asymétrie d’information. En l’occurrence, l’emprunteur sait seul s’il compte réellement rembourser son créancier. Annuler la dette aujourd’hui ferait donc courir le risque de répandre à l’avenir cette facilité accordée aux débiteurs et, par conséquent, d’accroître les réticences des prêteurs à engager leur capital qui n’auraient d’autre solution que d’exiger un taux d’intérêt augmenté d’une prime de risque croissante. On le voit, la « morale » est placée exclusivement du côté des prêteurs et l’« amoralité » placée du côté des emprunteurs suspectés a priori de malveillance. Or, il est facile de montrer que cet aléa moral est un produit direct de la liberté totale accordée aux capitaux de circuler : il est proportionnel à l’ouverture des marchés financiers puisque celle-ci multiplie les potentialités de contrats marchands censés apportés le bonheur à l’humanité mais qui apportent bien plus assurément leur lot de contrats risqués. Donc, les financiers voudraient voir multiplier à l’infini leurs possibilités de gagner de l’argent sans risque dans une société dont on nous dit qu’elle est et qu’elle doit être une société du risque... Belle contradiction.
est concentré, vers la périphérie où la discipline de marché est le principal frein à la prise de risques. (…) Si l’alternance des périodes d’euphorie et de panique n’ont pas disparu — les phases d’expansion–récession Récession Croissance négative de l’activité économique dans un pays ou une branche pendant au moins deux trimestres consécutifs. du crédit hypothécaire à risque en étant la dernière illustration — les marchés ont montré leur capacité à s’autoréguler
 » (FMI, Rapport pour les consultations de 2007 au titre de l’article 4 avec les Etats-Unis) [4].

Visiblement, certaines banques réputées sérieuses n’ont pas renoncé à se couvrir contre les risques de défaut de paiement par des CDS. C’est ainsi que la Deutsche Bank a annoncé fin juillet 2011 qu’elle avait réduit de 88% son exposition face à la dette italienne. Le principal prêteur allemand aurait fait passer son exposition en Italie de 8 milliards d’euros à 997 millions d’euros. Selon le Financial Times, la Deutsche Bank arrive à ce résultat non pas en ayant vendu des titres italiens pour plus de 7 milliards, mais par un jeu d’écriture dans ses livres de compte en achetant des CDS pour se couvrir contre une possibilité de défaut de paiement de la part de l’Italie [5].
A un autre niveau, les hedge funds Hedge funds Les hedge funds, contrairement à leur nom qui signifie couverture, sont des fonds d’investissement non cotés à vocation spéculative, qui recherchent des rentabilités élevées et utilisent abondamment les produits dérivés, en particulier les options, et recourent fréquemment à l’effet de levier (voir supra). Les principaux hedge funds sont indépendants des banques, quoique fréquemment les banques se dotent elles-mêmes de hedge funds. Ceux-ci font partie du shadow banking à côté des SPV et des Money market funds.

Un Hedge funds (ou fonds spéculatif) est une institution d’investissement empruntant afin de spéculer sur les marchés financiers mondiaux. Plus un fonds aura la confiance du monde financier, plus il sera capable de prendre provisoirement le contrôle d’actifs dépassant de beaucoup la richesse de ses propriétaires. Les revenus d’un investisseur d’un Hedge funds dépendent de ses résultats, ce qui l’incite à prendre davantage de risques. Les Hedge funds ont joué un rôle d’éclaireur dans les dernières crises financières : spéculant à la baisse, ils persuadent le gros du bataillon (les zinzins des fonds de pension et autres compagnies d’assurance) de leur clairvoyance et crée ainsi une prophétie spéculative auto-réalisatrice.
, qui sont particulièrement actifs Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
sur le marché OTC des CDS, sont inquiets de la perspective d’une décote de la dette grecque. Ils se demandent s’ils resteront suffisamment crédibles pour continuer à vendre des CDS alors qu’ils n’indemniseront pas les détenteurs de CDS sur la dette grecque [6].

CADTM : Quelle est la part de responsabilité des agences de notation dans la crise ?

Eric Toussaint : Les nord-américaines Standard and Poor’s et Moody’s ainsi que la franco-nord américaine Fitch sont les trois agences privées de notation qui font la pluie et le beau temps en ce qui concerne l’évaluation de la solvabilité et de la crédibilité d’un émetteur d’obligations, que ce soit un Etat ou une entreprise [7]. Elles existent depuis près d’un siècle mais ce n’est qu’à partir des années 1970-1980, avec la financiarisation de l’économie, que leurs affaires se sont brutalement développées. Mais elles sont constamment dans une situation de conflits d’intérêt. Jusqu’aux années 1970, c’étaient les acheteurs potentiels des obligations émises par les Etats et les entreprises qui payaient les agences de notation pour qu’elles leur donnent un avis sur la qualité des émetteurs. Depuis, la situation s’est complètement renversée, ce sont les émetteurs d’obligations qui rémunèrent les agences pour qu’elles les évaluent. La motivation des pouvoirs publics et des entreprises est bien sûr d’obtenir une bonne note afin de payer le taux d’intérêt Taux d'intérêt Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
les plus bas possible aux acheteurs d’obligations. Rappelons que jusqu’à la veille de la faillite d’Enron en 2001, les agences de notation grassement rémunérées attribuaient la meilleure cote à ce négociant d’énergie. De même en 2008 avec les banques d’affaires Banques d'affaires
Banque d'affaires
Société financière dont l’activité consiste à effectuer trois types d’opérations : du conseil (notamment en fusion-acquisition), de la gestion de haut de bilan pour le compte d’entreprises (augmentations de capital, introductions en bourse, émissions d’emprunts obligataires) et des placements sur les marchés avec des prises de risque souvent excessives et mal contrôlées. Une banque d’affaires ne collecte pas de fonds auprès du public, mais se finance en empruntant aux banques ou sur les marchés financiers.
Merril Lynch ou Lehman Brothers. De même avec la Grèce en 2009-début 2010. Elles ont fait la démonstration de leur nuisance. Elles devraient faire l’objet de poursuites judiciaires car les résultats des notes qu’elles distribuent ont été et sont néfastes. L’évaluation des risques est une mission qui devrait incomber à des organismes publics.

Fin de la cinquième partie


Éric Toussaint, docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, président du CADTM Belgique, membre de la Commission présidentielle d’audit intégral de la dette (CAIC) de l’Équateur et du Conseil scientifique d’ATTAC France. A dirigé avec Damien Millet le livre collectif La Dette ou la Vie, Aden-CADTM, 2011. A participé au livre d’ATTAC : “Le piège de la dette publique. Comment s’en sortir”, édition Les liens qui libèrent, Paris, 2011.

Notes

[1Nous publions à nouveau cet entretien, paru dans son intégralité le 26 août 2011, sous forme d’une série en sept parties.

[2Voir la première partie « La Grèce au cœur des tourmentes », la deuxième partie « La grande braderie des titres grecs », la troisième partie « La BCE, fidèle serviteur des intérêts privés » et la quatrième partie «  Le ‘Plan Brady’ européen : austérité permanente  »

[3Alan Greenspan, Le temps des turbulences, Editions Jean-Claude Lattès, 2007, p. 477

[4Voir à propos des erreurs de jugements du FMI à propos des Etats-Unis, de l’Irlande : François Sana « Zéro de conduite pour le FMI »

[5Financial Times, « Deutsche hedges Italian risk », 27 July 2011, p. 13.

[6Financial Times, « Greek rescue plan worries hedge funds », supplément FTfm, 8 August 2011.

[7Il en existe d’autres, comme la chinoise Dagong, mais elles ont très peu d’influence.

Eric Toussaint

Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.

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