Répondre aux « Questions qui piquent sur la dette et l’austérité »

Chypre a instauré un contrôle des mouvements de capitaux et confisqué des dépôts. Est-ce un exemple d’alternative ?

Question 6

6 mai 2016 par CADTM Belgique , Jérémie Cravatte , Laila Benzzi


Au CADTM, on sait trop bien ce que c’est d’être flippéE, voire découragéE, par toutes ces questions sur lesquelles on sèche. Du coup, inspiréEs par nos meilleurEs piqueurs et piqueuses (notre famille, nos potes, le pizzaiolo d’en face, les gens que l’on rencontre en animation), le CADTM Liège a organisé plusieurs sessions d’élaborations collectives d’éléments de réponse à ces piques (qu’elles soient d’ordre technique ou plus « politique »).

Ce travail a engendré une brochure que vous pouvez retrouver en entier ici.



Les banques Laïki et Bank of Cyprus représentaient, en 2012, 80 % du secteur bancaire chypriote. Secteur démesuré pour cette petite île d’un million d’habitantEs (750 % du PIB PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
). Ces deux banques détenaient énormément de titres de la dette Titres de la dette Les titres de la dette publique sont des emprunts qu’un État effectue pour financer son déficit (la différence entre ses recettes et ses dépenses). Il émet alors différents titres (bons d’état, certificats de trésorerie, bons du trésor, obligations linéaires, notes etc.) sur les marchés financiers – principalement actuellement – qui lui verseront de l’argent en échange d’un remboursement avec intérêts après une période déterminée (pouvant aller de 3 mois à 30 ans).
Il existe un marché primaire et secondaire de la dette publique.
publique grecque et, à l’inverse des autres grandes banques européennes (ou de la BCE BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
), elles n’ont pas été épargnées lors de la restructuration de cette dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
menée par la Troïka.

Le 19 mars 2013, la Troïka prêtait 10 milliards € à Chypre afin qu’elle continue à rembourser sa dette publique et qu’elle recapitalise ses banques. Comme toujours avec le FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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, ce prêt était accompagné de conditionnalités Conditionnalités Ensemble des mesures néolibérales imposées par le FMI et la Banque mondiale aux pays qui signent un accord, notamment pour obtenir un aménagement du remboursement de leur dette. Ces mesures sont censées favoriser l’« attractivité » du pays pour les investisseurs internationaux mais pénalisent durement les populations. Par extension, ce terme désigne toute condition imposée en vue de l’octroi d’une aide ou d’un prêt.  : une vague austéritaire inédite ET une taxe exceptionnelle sur l’ensemble des dépôts de la population. Cette taxe – pensée en collaboration avec le gouvernement d’alors – devait s’appliquer y compris aux comptes de moins de 100.000 € et ce, malgré la législation européenne de 2010 qui fixait à ce montant la garantie des dépôts.

Sous la pression populaire, le Parlement rejeta le plan. Deux jours plus tard, la BCE menace de ne plus fournir les banques chypriotes en liquidités Liquidité
Liquidités
Capitaux dont une économie ou une entreprise peut disposer à un instant T. Un manque de liquidités peut conduire une entreprise à la liquidation et une économie à la récession.
d’urgence. Le 25 mars, un nouvel accord voit le jour et les comptes supérieurs à 100.000 € sont saisis à hauteur d’entre 30 % et 40 %. Les faillites s’enchaînent, bien que le but affirmé soit de « relancer l’économie » et d’assainir les comptes.

=> Pour la première fois en Europe depuis 1985 un gouvernement ferme donc ses banques et applique un contrôle strict des mouvements de capitaux.


Mais comment et dans l’intérêt de qui ?

Les plus petits actionnaires et créanciers (pas la BCE) ont assumé des pertes. Concernant les déposantEs, le gouvernement d’alors a, volontairement, laissé passer une dizaine de jours entre l’annonce de ces mesures et leur application. [1] Cela a permis aux déposantEs les plus riches – dont les oligarques russes et riches britanniques – de sortir leurs euros (entre 4 et 6 milliards) du pays.

L’exemple de Chypre montre qu’on peut tout à fait utiliser le bail-in (voire la fiche suivante) et établir un contrôle strict des mouvements de capitaux, élément fondamental dans la gestion d’une crise bancaire et ce, en accord avec le droit européen [2], mais pas de cette manière.

À la place de cette saignée, on aurait pu socialiser les banques pour arrêter l’hémorragie et faire assumer les pertes par les plus gros actionnaires, les plus gros créanciers (dont la BCE) et les titulaires de comptes supérieurs à 250.000 € (de manière fortement progressive), par exemple. Cette alternative nécessiterait en effet une fermeture des banques et un contrôle strict des mouvements de capitaux.

Source et plus de détails : « Retour à Chypre (Euroland)... » de Xavier Dupret, juin 2013.


Notes

[1En Islande, c’est en une nuit que la mesure a été prise, en même temps que la nationalisation des trois principales banques.

[2L’article 65 §1B du traité de l’UE autorise ses États membres à prévoir « des procédures de déclaration des mouvements de capitaux » pour « des motifs liés à l’ordre public ou à la sécurité publique ».

Jérémie Cravatte

Militant du CADTM Belgique et membre d’ACiDe

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