Combattre les acteurs de la financiarisation et interdire les profits sur les dettes privées et publiques illégitimes

10 septembre 2020 par CADTM , Collectif , Virginie de Romanet , Renaud Vivien , PAH , Antonio Gambini , ACiDe , Vicente Losada , Eva Betavatzi , Gilles Grégoire , Plateforme espagnole de lutte contre les fonds vautours , Mats Lucia Bayer , Walter Actis , Ángel del Castillo , Mari Ángeles Bueno , Roberto Moreno , Miguel Vázquez , Pedro Martin Heras


En janvier 2020 est paru le « Cahier de revendication communes sur la dette et la nécessité d’un réel contrôle citoyen sur la finance au niveau européen », coordonné par le CADTM. Ce document a été écrit de manière collective par les militant·e·s de près d’une quinzaine de collectifs et organisations à travers l’Europe. Il a été signé, en tout ou en partie, par 39 associations de 10 pays européens.

La sortie de ce cahier de revendication européen a été éclipsée par la crise sanitaire du coronavirus. En revanche, son contenu est plus que jamais d’actualité. En effet, vu les niveaux d’endettement publique qui ont atteint de nouveaux sommets et vu les promesses faites par les gouvernements de nouvelles mesures d’austérités. Vu l’opportunité saisie par le monde de la finance pour organiser en douce son sauvetage par les États et pour leur refiler les milliards d’euros de dettes sur lesquels il a spéculé ces dernières années. Et vu l’ampleur grandissante de la crise économique et sociale en cours. Il est plus que jamais urgent de répondre au chantage de la dette et de se saisir collectivement de tous les secteurs qui relèvent du bien commun et de leurs moyens de financement. Or, c’est précisément l’objet des revendications faites dans ce Cahier de revendications.

Nous republions, dans le désordre et en fonction de l’actualité, chacun des chapitres de ce document. Ce premier chapitre publié séparément (qui est en fait le chapitre 4 du document) traite de l’urgence de répondre à la privatisation des secteurs de la santé et du logement et du rôle des fonds vautours dans la destruction de ces secteurs en Europe.



Contributeurs/trices : Antonio Gambini (CNCD- Belgique), Eva Betavatzi, Renaud Vivien, Gilles Grégoire et Mats Lucia Bayer (CADTM Belgique), Vicente Losada, Walter Actis, Mari Ángeles Bueno, Ángel del Castillo, Roberto Moreno et Miguel Vázquez (Plateforme espagnole de lutte contre les fonds vautours Fonds vautour
Fonds vautours
Fonds d’investissement qui achètent sur le marché secondaire (la brocante de la dette) des titres de dette de pays qui connaissent des difficultés financières. Ils les obtiennent à un montant très inférieur à leur valeur nominale, en les achetant à d’autres investisseurs qui préfèrent s’en débarrasser à moindre coût, quitte à essuyer une perte, de peur que le pays en question se place en défaut de paiement. Les fonds vautours réclament ensuite le paiement intégral de la dette qu’ils viennent d’acquérir, allant jusqu’à attaquer le pays débiteur devant des tribunaux qui privilégient les intérêts des investisseurs, typiquement les tribunaux américains et britanniques.
), Pedro Martin Heras (Plateforme des affecté·e·s par les hypothèques, PAH – État espagnol), Virginie de Romanet (ACiDe Bruxelles)


L’hégémonie croissante des acteurs financiers et du capital, due au processus de financiarisation dont il est question dans le chapitre 6.d., leur offre un pouvoir de contrôle sur les individus, les entreprises, les sociétés et les gouvernements. Les marchés déterminent ainsi les objectifs à atteindre. En leur sein, de nombreux acteurs se font concurrence et collaborent : des entreprises, des individus, et même des gouvernements, leur but étant de tirer un maximum de profits. Une pléiade de banques, fonds de pension Fonds de pension Fonds d’investissement, appelé aussi fonds de retraite, qui a pour vocation de gérer un régime de retraite par capitalisation. Un fonds de pension est alimenté par l’épargne des salariés d’une ou plusieurs entreprises, épargne souvent complétée par l’entreprise ; il a pour mission de verser des pensions aux salariés adhérents du fonds. Les fonds de pension gèrent des capitaux très importants, qui sont généralement investis sur les marchés boursiers et financiers. , fonds de capital risque, compagnies d’assurance, investisseurs, etc., interviennent avec de l’argent emprunté pour ensuite l’investir et générer des profits aux dépens des « outsiders », c’est-à-dire des travailleurs/euses, des pensionné·e·s, des personnes exclues du monde du travail, des migrant.e.s, des personnes en situation de précarité, etc.


Les États et les ménages subissent les conséquences des bulles financières

Les agents financiers ont joué un rôle central dans la crise que nous vivons en Europe depuis plus d’une décennie. Une comparaison de l’évolution des chiffres des dettes privées et des dettes publiques depuis les années 2000 permet de dévoiler l’ampleur de leurs activités. Les dettes des sociétés financières n’ont cessé d’augmenter entre 2000 et 2007 [1], de la même manière que les dettes des ménages [2] et des sociétés non financières [3] au bénéfice notamment des banques européennes alors que le taux d’endettement public était en baisse durant la même période [4]. Après 2007, ce sont les taux d’endettement public qui ont augmenté en passant de 66 % à 82 % en 2011 sur l’ensemble de la zone euro alors que les dettes privées des ménages et des sociétés non financières ont augmenté de manière très réduite depuis 2007 [5].

Les institutions financières, et en particulier les banques, ont ainsi engendré des bulles de crédits colossales avant 2007 qu’elles n’ont pas assumées. Ce sont les États européens qui en ont payé le prix, ce qui explique l’augmentation des chiffres des dettes publiques après 2007. Nous pouvons dire que les dettes privées créées de toutes pièces par les entreprises financières se sont transformées partiellement en dettes publiques par différents procédés dont le plus connu est le bail-out, c’est-à-dire la recapitalisation bancaire par les États soutenue et encouragée, voir imposée, par les institutions européennes. D’autres formes de recapitalisation qui ne disent pas leur nom sont apparues par après. (voir chapitre 2.a)

Les bulles de crédits générées par l’octroi abusif de prêts de toutes sortes par les banques privées, notamment aux ménages des pays les plus en difficulté (Grèce, Espagne, Portugal, Irlande, Chypre), ont très vite explosé. Les conséquences de ces phénomènes ont été et continuent d’être d’une extrême gravité : expulsion, exclusion, privations de droits – droit à la santé, à l’éducation, au logement, à la sécurité sociale, etc... Les revenus des ménages baissent alors que leurs dépenses augmentent pour pallier aux coupes budgétaires des États et à la libéralisation de l’économie au sens large. Finalement, on assiste à une multiplication de prêts non performants des ménages (prêts qui risquent de ne pas être remboursés) conduisant à une crise de l’endettement privé au plus grand bénéfice des fonds vautours, ces fonds spéculatifs d’investissement qui tirent de juteux profits des crises financières.


Le rôle des fonds vautours

Les fonds vautours, sont des fonds d’investissement Fonds d’investissement Les fonds d’investissement (private equity) ont pour objectif d’investir dans des sociétés qu’ils ont sélectionnées selon certains critères. Ils sont le plus souvent spécialisés suivant l’objectif de leur intervention : fonds de capital-risque, fonds de capital développement, fonds de LBO (voir infra) qui correspondent à des stades différents de maturité de l’entreprise. spécialisés. L’objet de leurs investissements sont les créances Créances Créances : Somme d’argent qu’une personne (le créancier) a le droit d’exiger d’une autre personne (le débiteur). en difficulté de recouvrement. Ils acquièrent ainsi à des prix bradés des paquets de créances, des actions Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
et des obligations Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
à des banques, des entreprises ou des États, pour exiger ensuite un remboursement complet des valeurs des créances. Ils agissent sur des zones économiques en difficulté dans lesquelles ils profitent de la faiblesse des prix des actifs Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
.

Dans le cas des entreprises, les fonds vautours cherchent à accéder à leur contrôle et leur gestion afin d’effectuer les opérations de réorganisation interne, généralement par la vente d’actifs ou la réduction du personnel en vue d’une capitalisation rapide. De plus en plus de fonds vautours participent à la gestion des services publics dont le fonctionnement s’écarte des principes d’équité et également d’efficacité qui les ont fondés pour se rapprocher d’une logique corporatiste.

Certains fonds vautours, typiquement enregistrés dans des paradis fiscaux Paradis fiscaux
Paradis fiscal
Territoire caractérisé par les cinq critères (non cumulatifs) suivants :
(a) l’opacité (via le secret bancaire ou un autre mécanisme comme les trusts) ;
(b) une fiscalité très basse, voire une imposition nulle pour les non-résidents ;
(c) des facilités législatives permettant de créer des sociétés écrans, sans aucune obligation pour les non-résidents d’avoir une activité réelle sur le territoire ;
(d) l’absence de coopération avec les administrations fiscales, douanières et/ou judiciaires des autres pays ;
(e) la faiblesse ou l’absence de régulation financière.

La Suisse, la City de Londres et le Luxembourg accueillent la majorité des capitaux placés dans les paradis fiscaux. Il y a bien sûr également les Iles Caïmans, les Iles anglo-normandes, Hong-Kong, et d’autres lieux exotiques. Les détenteurs de fortunes qui veulent échapper au fisc ou ceux qui veulent blanchir des capitaux qui proviennent d’activités criminelles sont directement aidés par les banques qui font « passer » les capitaux par une succession de paradis fiscaux. Les capitaux généralement sont d’abord placés en Suisse, à la City de Londres ou au Luxembourg, transitent ensuite par d’autres paradis fiscaux encore plus opaques afin de compliquer la tâche des autorités qui voudraient suivre leurs traces et finissent par réapparaître la plupart du temps à Genève, Zurich, Berne, Londres ou Luxembourg, d’où ils peuvent se rendre si nécessaires vers d’autres destinations.
, se spécialisent dans le rachat à bas prix de vieux titres de dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
publique car l’État en question a déjà fait défaut ou risque de faire défaut. Refusant de participer aux opérations de restructuration de l’État en difficulté, ces fonds multiplient ensuite les procédures judiciaires dans différentes juridictions contre ce pays, afin d’obtenir un paiement équivalent à la totalité du principal, des intérêts accumulés, des pénalités de retard et parfois même des frais des justice. Considérant la différence de prix entre la décote initiale des titres rachetés sur le marché secondaire et les sommes demandées et obtenues auprès des tribunaux, les taux de profit des fonds vautours oscillent entre 300 % et 2000 %. Ceci aux dépens des populations et de leurs droits sociaux fondamentaux.

 Le droit à la santé menacé par les fonds vautours en Espagne

Santé publique menacée

Les fonds d’investissement sont de plus en plus présents dans le secteur de la santé. Leur stratégie est similaire à celle qu’ils adoptent pour le rachat de dette souveraine : ils achètent et « assainissent » les entreprises qu’ils acquièrent (en réduisant les salaires et les dépenses) et les vendent ensuite au plus offrant.

L’intérêt des fonds spéculatifs n’est pas d’améliorer la santé de la population, mais d’obtenir les meilleurs profits pour leurs actionnaires. Un fonds vautour n’investit pas son argent s’il n’a pas la garantie que son activité ne sera pas limitée par une concurrence publique.


Quels sont les effets de cette stratégie ?

  • La réduction des dépenses dans les hôpitaux partiellement publics pour favoriser les hôpitaux privatisés, ce qui a un impact direct sur la qualité des soins aux patient·e·s, ainsi que sur la précarité des conditions de travail et la réduction du nombre d’employé·e·s.
  • Ces entreprises ont accès aux données de tous les patient·e·s du système de santé publique qui sont traité·e·s dans leurs hôpitaux, ce qui signifie que nos renseignements personnels ne sont pas protégés.
  • Les données relatives à la santé pourraient être utilisées par les compagnies privées d’assurance maladie pour refuser le droit de souscrire une police à certaines personnes.
  • La plupart des fonds vautours sont basés dans des paradis fiscaux, ce qui signifie une diminution des recettes fiscales de l’État.


La collaboration public-privé, une forme de privatisation des hôpitaux publics

Depuis 2004, deux modèles de concessions administratives ont été développés dans l’État espagnol, principalement dans la Communauté valencienne et la Communauté de Madrid : le modèle PFI (Private Finance Initiative) et le modèle PPP (Public Private Partnership).

Le modèle PFI consiste en des entreprises privées- pour la plupart des entreprises de construction dont beaucoup sont aujourd’hui engagées dans des procédures judiciaires- qui exécutent et financent la construction d’hôpitaux selon un contrat de concession de travaux publics, en échange de la perception de redevances annuelles pour la location du bâtiment et, nouveauté, pour la fourniture des services non sanitaires durant 30 ans.

Dans le cas des hôpitaux de type PPP, la différence avec les hôpitaux de type PFI réside dans le fait que les services de santé ainsi que les services dits « non sanitaires » sont entièrement gérés par une société privée (voir également le chapitre 2b sur les PPP).

Le processus est mené à bien grâce à la concession par les administrations de la santé de la privatisation (totale ou partielle) des hôpitaux publics en faveur d’entreprises. Ces sociétés ont ensuite vendu leurs actions à des fonds spéculatifs. Le cas de l’Espagne est particulièrement emblématique.

Le nombre exponentiel de fonds vautours ayant investi dans le secteur de la santé devrait nous alarmer. Voici un tableau reprenant une liste non-exhaustive des investissements effectués ces dernières années dans l’État espagnol :

Hôpitaux appartenant au système de santé publique

Dans l’État espagnol, suite aux tentatives de privatisations du système de santé publique et, en pratique, des hôpitaux de type PFI, depuis 2012, une vague de contestations a eu lieu au départ de la Communauté de Madrid et s’est étendue à la majeure partie du pays. Elle a été nommée « la marea blanca » (la marée blanche) et a été portée par les professionnels de la santé et les usagers.


Les soins de santé privés

Toutefois, les fonds spéculatifs n’ont pas agi exclusivement dans le domaine de la santé publique. Cela s’est également produit dans le secteur privé de la santé. Le tableau suivant montre certains des cas qui se sont produits dans ce secteur.

Hôpitaux privés


Le cas de Quirónsalud

Ce géant de la santé privée en Espagne est également un leader dans la gestion des hôpitaux publics en concession. Avec une part de marché de 14 %, il est le quatrième opérateur européen et le leader en Espagne.

Le rachat de Quirónsalud par Fresenius Helios constitue un véritable cas d’école de la financiarisation du secteur de la santé. Le tableau suivant présente les différents acteurs financiers qui ont participé à ce rachat :

Ce tableau nous montre très clairement les mécanismes de la financiarisation. Capio rachète IDC à CVC Capital Partners, CVC réintègre IDC qui devient IDC Salud qui fusionne avec le groupe hospitalier Quirón (lui-même créé d’une fusion promue par le fonds Doughty Hanson) et est ensuite racheté par Fresenius Helios et tout cela en l’espace de quelques années... Avec ces opérations, le fonds CVC Capital Partners a réalisé un bénéfice de 2.6 milliards d’euros.

D’où viennent ces énormes profits ? La réponse est simple - et triste : ils les obtiennent, ou s’attendent à les obtenir, grâce aux ressources qui proviennent des caisses publiques, qui leur assurent des patients (via les caisses de cotisation sociale) et de l’argent. Bref, ce sont les citoyen.ne.s qui paient avec leurs impôts ces spéculateurs qui, en outre, contribuent à la détérioration de la santé publique.


Résidences pour personnes âgées

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande la création d’un parc de centres spécialisés pouvant accueillir au minimum 5 % du nombre total de personnes âgées de plus de 65 ans. En Espagne, la moyenne (4,11 %) est inférieure au taux de couverture recommandé. Dans l’ensemble de l’État espagnol, il y a près de 73 % de places résidentielles privées contre 27 % de places publiques.

Au cours des trois ou quatre dernières années, les résidences pour personnes âgées ont attiré d’importants groupes d’investissement. DomusVi, Amavir, Sanitas Mayores, Orpea, Ballesol ou Vitalia Home sont les noms qui dominent l’industrie de la gériatrie et de la dépendance en Espagne, un secteur qui s’est développé ces dernières années et qui attire des groupes d’investissement étrangers.

 Le logement financiarisé plutôt que socialisé

Le logement cible des fonds vautours

L’UE décide malgré cela de soutenir les différents acteurs financiers (banques, fonds d’investissement, fonds de pension, fonds vautours) qui profitent du cadre favorable qui leur est offert et choisissent le logement européen comme cible première de leurs investissements. En conséquence, le nombre de grandes entreprises possédant un nombre très grand nombre de logements a considérablement augmenté. Pour ne citer que quelques exemples, Cerberus, fonds vautour new-yorkais, a racheté 65.000 unités de logements à la GWS (une société immobilière berlinoise qui a été vendue en 2005). Dans l’état espagnol, les investissements du fonds vautour Blackstone, qui se targue d’être le plus grand fonds immobilier au monde, sont estimés à plusieurs centaines de milliards d’euros en moins de quatre ans, entre 2013 et 2017. Ces fonds se comportent comme des agents purement spéculatifs puisqu’ils n’apportent pas de valeur ajoutée dans leurs opérations immobilières et qu’ils ne paient même pas de taxes dans les pays où ils interviennent, faisant partie d’un réseau d’entreprises spéculatives. Nous savons que tout cela ne serait pas possible sans le consentement de l’UE. Nous avons assisté récemment à une réelle détermination des institutions européennes à promouvoir la financiarisation du logement. En février 2019, l’Eurogroupe a menacé la Grèce de ne pas rembourser les intérêts sur sa dette détenue par la BCE BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
(cf. chapitre 2.a.) en échange d’une réforme sévère de la loi dite « Katseli » censée protéger les personnes vulnérables surendettées (par les effets de l’austérité elle-même imposée par les créanciers de la Grèce) de perdre leur résidence principale. C’est après l’adoption d’une réforme de cette loi, et la destruction des droits au logement de la population grecque que l’UE a cessé son chantage.

En favorisant le rachat de prêts hypothécaires non-performants par des fonds spéculatifs et la déréglementation des marchés locatif et de l’achat de logements acquisitifs, l’UE fait augmenter plutôt que diminuer le nombre de logements insalubres. C’est l’inverse qui devrait pourtant avoir lieu.


Augmentation du mal-logement en Europe

Les observations générales de la situation du logement en Europe peuvent se résumer en trois points : une tendance à la privatisation du logement public, au rachat de grandes parts du parc de logements par quelques acteurs financiers transnationaux et une déréglementation croissante du marché locatif et acquisitif. Les conséquences à l’échelle européenne sont d’une extrême gravité : l’effort des ménages pour payer leur logement est devenu excessif (+40 % de leur revenus), des dizaines de millions de personnes vivent dans des logements sur-occupés, des millions sont privés de logement, plus de 7 millions de ménages sont en arriérés de loyers ou de remboursement de crédits immobiliers et entre 17 et 31 millions de personnes vivent dans des conditions insalubres (incapacité de chauffer son lieu de vie, humidité et pollution en sont les principales causes).

Le revers de la médaille est la grande quantité de profits que cumulent les capitaux financiers. La primauté des lois favorisant la « libre concurrence » dans le secteur du logement a comme conséquence la réduction des logements publics à un niveau « inoffensif » pour l’expansion des capitaux financiers. Les bulles sur les loyers qui commencent à proliférer dans de plus en plus de villes européennes sont une conséquence directe d’un marché du logement libéralisé. D’autre part, les banques tirent profit de la multiplication des crédits hypothécaires, conséquence importante de cet état de fait. En effet, le désengagement des États, et l’impulsion des institutions européennes, entraînent une nécessité des ménages à s’endetter pour avoir accès à un logement digne. Les banques entrent dans le jeu de la financiarisation au travers de crédits hypothécaires et de leur titrisation Titrisation Technique financière qui permet à une banque de transformer en titres négociables des actifs illiquides, c’est-à-dire qui ne sont pas (ou pas facilement) vendables. Initialement, cette technique a été utilisée par les établissements de crédit dans le but de refinancer une partie de leurs prêts à la clientèle. Les prêts sont cédés à un véhicule juridique qui émet en contrepartie des titres (généralement des obligations) placés sur les marchés financiers. Avec la titrisation, les risques afférents à ces crédits sont transférés des banques aux acheteurs. Cette pratique s’étend aujourd’hui à d’autres types d’actifs et d’acteurs (portefeuilles d’assurances, immobilier, créances commerciales).

(extrait de Adda, p. 101, t. 1, 1996, p. 101-102)
Cette notion décrit la prépondérance nouvelle des émissions de titres (obligations internationales classiques émises pour le compte d’un emprunteur étranger sur la place financière et dans la monnaie du pays prêteur, euro-obligations libellées dans une monnaie différente de celle de la place où elles sont émises, actions internationales) dans l’activité des marchés. A quoi s’ajoute la transformation d’anciennes créances bancaires en titres négociables, technique qui a permis aux banques d’accélérer leur désengagement à l’égard des pays en voie de développement après l’irruption de la crise de la dette.
La caractéristique principale de cette logique de titrisation est la diffusion du risque qu’elle permet. Diffusion numérique tout d’abord, puisque le risque de défaut des emprunteurs cesse d’être concentré sur un petit nombre de banques transnationales en relation étroites les unes avec les autres. Diffusion qualitative ensuite, puisque chacune des composantes du risque afférent à un titre particulier peut donner lieu à la création d’instruments spécifiques de protection négociables sur un marché : contrats à terme pour se prémunir du risque de change, contrats de taux d’intérêt pour faire face au risque de variation des taux, marchés d’option négociables, etc. Cette prolifération des instruments financiers et des marchés dérivés donne aux marchés internationaux l’allure d’une foire aux risques, selon l’expression de Charles Goldfinger.
. Elles font bon ménage avec les fonds vautours depuis le début de la crise et les institutions européennes ne manquent pas de s’assurer que leur collaboration soit des plus profitables. Une grande quantité de prêts non-performants détenus par les banques est vendue aux fonds vautours à des prix dérisoires. Enfin, la BCE encourage activement ces ventes et se montre garante d’un système capitaliste financier qui ignore les droits humains pour l’accumulation de profits des classes dirigeantes (cf. chapitre 2.a.). D’un autre côté, l’espace des acteurs/trices non-engagé·e·s dans la course au profit présent·e·s sur le terrain du logement est sans cesse menacé par les pouvoirs publics et l’UE.


Dettes privées illégitimes

Les ménages grecs, espagnols, chypriotes, irlandais et portugais principalement, ont subi une crise du logement dramatique. Près d’un million de ménages ont été expulsés de leurs logements (plus de 600 000 rien qu’en Espagne depuis 2008) ou ont été menacés d’expulsion suite aux difficultés rencontrées pour rembourser des emprunts que les banques leur avaient octroyés de manière odieuse. Odieuse car les clauses de ces emprunts étaient souvent abusives comme en attestent de nombreux procès qui ont rendu justice aux ménages surendettés. Odieuse aussi car les banques ont fermé les yeux sur l’éligibilité des ménages à emprunter en ignorant leur capacité réelle de remboursement. Odieuse enfin car en tant qu’entreprises privées, elles ont cherché à tirer un maximum de profits sans jamais assumer la moindre responsabilité de leurs activités abusives en faisant payer le prix fort aux États par des procédés illégitimes de recapitalisation.

Des millions de ménages se sont retrouvés ainsi surendettés et en incapacité de rembourser leurs dettes privées ou même de subvenir à leurs besoins les plus élémentaires. Les droits fondamentaux à la santé, à l’éducation, à l’alimentation sont sans cesse bafoués par les coupes budgétaires des mesures d’austérité. Les ménages sont obligés d’augmenter leurs propres dépenses pour pallier à cette défaillance des pouvoirs publics et n’ont plus les capacités financières de rembourser leurs propres dettes. Pourtant ils continuent à payer à l’État et, de ce fait, à renflouer les caisses du système bancaire défaillant.

Mais rappelons que les lois imposant la rigueur sur les dettes publiques jouent également un rôle dans la crise du logement. En effet, le retrait imposé du secteur public sur le marché immobilier est lié à son incapacité d’investir davantage dans la construction de logements sociaux.

 Autres secteurs de l’économie touchés par les activités des fonds vautours

L’activité néfaste des fonds vautours touche d’autres secteurs que celui de la santé et du logement. Ils sont présents dans la plupart des secteurs de l’économie. Le métro andalou pour ne citer qu’un exemple, n’a pas été épargné des investissements de Globalvia détenus par OPTrust (Canada), PGGM (Pays-Bas) et USS (Royaume-Uni).

De grands supermarchés (Carrefour, Alcampo et d’autres) se mettent à vendre leurs prêts non-performants à des fonds vautours. Parmi les vautours qui achètent ces prêts à la consommation en souffrance se trouvent des noms déjà connus dans d’autres secteurs comme la brique, tels que Lindorff, Axactor, Cabot, Link Financial ou Cerberus, entre autres.

Le secteur de la téléphonie est également touché.

 Revendications et alternatives

  1. Conformément à la Résolution du Parlement européen du 28 mars 2018 sur « l’amélioration de la viabilité de la dette des pays en développement », nous demandons à l’Union européenne d’adopter une législation européenne pour contrer les fonds vautours inspirée de la loi belge de 2015. Les États-membres doivent également prendre l’initiative d’adopter une telle législation.
  2. L’activité spéculative- extrêmement néfaste socialement des fonds vautours ne se limite pas aux dettes publiques mais s’étend également sur le marché, bien plus grand, des dettes privées. Il est dès lors nécessaire que des lois similaires à celle protégeant les États soient adoptées partout en Europe pour protéger les particuliers et les PME des fonds vautours.
  3. Informer et expliquer au public les dommages graves et énormes que les fonds vautours peuvent causer à nos vies.
  4. Dans le domaine des services de base, publics ou privés, tels que le logement, la santé ou les soins aux personnes âgées, nous demandons des mesures pour empêcher l’entrée de fonds spéculatifs dans ces secteurs et pour promouvoir une gestion visant à satisfaire les besoins des citoyen·ne·s.
  5. Toujours privilégier l’intérêt général avant le paiement de la dette (contrairement aux pratiques européennes et nationales actuelles).
  6. La disparition des paradis fiscaux. (voir chapitre 3)
  7. Nous soutenons l’appel des membres du réseau « Socialiser le logement en Europe » dont voici les revendications :
  • L’adoption du droit international au logement en tant que devoir fondamental de toutes les institutions de l’UE, des États membres et des entreprises et la mise en œuvre concrète de ce droit humain fondamental sous la forme d’une stratégie européenne du logement.
  • Autoriser, garantir et soutenir les segments du logement démocratique sans but lucratif réglementés par l’État pour de larges couches de la population en dehors des règles de concurrence et des flux de capitaux financiers de l’UE.
  • Un cadre européen qui permet, encourage et soutient la réglementation sociale stricte des propriétaires privés à but lucratif, des loyers du marché, des marchés fonciers, des hypothèques, de la transparence, des services de facilités et des conséquences de la défaillance hypothécaire.
  • Protéger, encourager et soutenir l’engagement et l’organisation des locataires et des autres habitants en faveur de leurs droits et des changements structurels nécessaires dans les domaines du logement et des terrains terres et l’immobilier.
Pour en savoir plus

Fonds vautours - Publications :



Sites internet



Dettes privées illégitimes



Logement


Notes

[1Dette des sociétés financières entre 2000 et 2007 : augmentation de 232 à 309 % du PIB sur l’ensemble de la zone euro. Source : Eric Toussaint, Bancocratie, 2014, éditions Aden

[2Dette des ménages entre 2000 et 2007 : augmentation de 49 à 54 % du PIB sur l’ensemble de la zone euro. Source : Ibid

[3Dette des sociétés non financières entre 2000 et 2007 : augmentation de 76 à 87 % du PIB sur l’ensemble de la zone euro. Source : Ibid

[4Dette brute de l’Etat (en moyenne) entre 2000 et 2007 : baisse de 68 à 66 % du PIB sur l’ensemble de la zone euro. Source : Ibid

[5Entre 2007 et 2011 les dettes des ménages ont augmenté de 54 à 61%, et celles des sociétés non financières de 87 à 96%, ce qui représente une augmentation très faible par rapport à celle des dettes publiques. Source : Ibid.

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est membre du CADTM Belgique

Renaud Vivien

membre du CADTM Belgique, juriste en droit international. Il est membre de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015. Il est également chargé de plaidoyer à Entraide et Fraternité.

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, chargé de recherche au CNCD-11.11.11

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CADTM Belgique.

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