4 mai 2016 par Mokhtar Ben Hafsa
Le quotidien tunisien La Presse a consacré un éditorial le dimanche 17 avril 2016 (voir ci-dessous) à la question du poids de l’endettement public. L’article met très clairement en garde contre l’hémorragie entraînée par l’endettement et le grand danger que celui-ci représente pour l’économie tunisienne, compte tenu en particulier de ce que le taux de croissance est à zéro.
Ce qui est frappant dans cet article et dans d’autres, et chez de nombreux journalistes et « experts », c’est l’absence de courage quand il s’agit de défendre le rythme fou de l’endettement. Mais les critique mettent souvent l’accent sur deux points : le premier, c’est le montant élevé des prêts, engloutis par les salaires et la consommation, et le second, c’est que sans le soutien des institutions créancières et des États amis qui sont aux côtés de la Tunisie, l’économie tunisienne se serait effondrée lamentablement.
En réalité, ces deux arguments sont défectueux :
1. Le plus gros des montants empruntés (environ 75 pour cent) depuis l’année 2011 se sont évaporés dans le remboursement de la dette odieuse
Dette odieuse
Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.
Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).
Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.
Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».
Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »
Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
(du régime Ben Ali) et de tout cela, le peuple tunisien n’a rien eu sur le plan social et la consommation a notablement diminué vu que le taux d’inflation
Inflation
Hausse cumulative de l’ensemble des prix (par exemple, une hausse du prix du pétrole, entraînant à terme un réajustement des salaires à la hausse, puis la hausse d’autres prix, etc.). L’inflation implique une perte de valeur de l’argent puisqu’au fil du temps, il faut un montant supérieur pour se procurer une marchandise donnée. Les politiques néolibérales cherchent en priorité à combattre l’inflation pour cette raison.
est resté élevé. Comment peut-on accuser les familles tunisiennes de surconsommation et de gaspillage de l’argent emprunté, alors que tout indique que le taux de consommation a diminué par rapport à la période avant 2010 et ne s’est pas stabilisé. Comment accuser les salaires alors que le salaire réel n’a pas évolué si l’on tient compte des taux d’inflation ? Nos journalistes doivent dire toute la vérité et faire le lien entre l’explosion de la crise de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
publique et la poursuite dans les mêmes choix économiques et sociaux, et arrêter de rejeter la faute de cette crise sur les salaires et les familles populaires.
2. « Les grands pays et les institutions financières internationales (entendez impérialistes !) soutiennent la Tunisie dans les critiques conditions politiques et économiques locales et régionales » : poudre aux yeux. Ces pays et institutions créancières ne sont pas avec « la Tunisie », c’est un petit groupe qui contrôle la Tunisie et soutient les choix de ses dirigeants, médiatiquement et politiquement, sous couvert d’experts, de docteurs et d’ associations spécialisées. S’ils étaient vraiment avec le peuple tunisien, pourquoi n’annulent-ils pas la dette de la dictature, dont ce peuple subit le joug ? Pourquoi offrir des prêts à taux d’intérêt
Taux d'intérêt
Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
élevé ? Et pourquoi baisser la notation de la Tunisie ? Pourquoi imposer des conditions politiques et sociales nuisibles et toxiques à leurs prêts ?
Il suffit de faire un petit calcul arithmétique simple sur les transactions nettes entre la Tunisie, la France, l’Allemagne et autres, pour voir que c’est la Tunisie qui finance les créanciers, les soutient et se tient à leurs côtés, et pas le contraire. Il suffit aussi de faire un tour dans quelques quartiers populaires, et dans les nombreuses régions pauvres du pays, pour voir clairement que les choses se sont encore détériorées à cause de ces soi-disant « aux-côtés-de-la-Tunisie », qui sont en fait sur et contre elle. Ils sont en train de détruire tout un peuple avec leur politique et la complicité des agents locaux chargés de la mettre en œuvre.
Surendettement
par Sald Benkraiem, La Presse, 17/4/2016
POUR un pays qui réalise une croissance économique presque nulle, le recours à l’endettement extérieur n’est pas forcément la solution la plus indiquée. Il est vrai que les bailleurs de fonds ont encore confiance en la Tunisie et surtout en sa capacité à honorer ses engagements. Toutefois, ce capital-confiance ne doit pas encourager nos décideurs à choisir les solutions de facilité, à savoir l’endettement extérieur qui ne fait qu’hypothéquer l’avenir des futures générations, porter atteinte à la souveraineté nationale et rendre difficile toute sorte de croissance économique. Bien au contraire, notre gouvernement doit faire fructifier ce capital et le promouvoir davantage, notamment auprès des investisseurs, qu’ils soient tunisiens ou étrangers.
Il est vrai que le pays a besoin de crédits pour dynamiser son économie. En revanche, il a intérêt à impulser les investissements, véritable créateurs d’emplois et de richesse. Par contre, l’endettement extérieur ne crée pas la richesse en Tunisie, puisqu’il est la plupart du temps orienté vers la consommation et la couverture des dépenses le l’État. En d’autres termes, on s’endette non pas pour investir mais pour consommer. Un constat amer pour un pays qui compte plus de six cent mille chômeurs et qui a plus que jamais besoin de grands projets générateurs d’emplois. Un besoin pressant, voire une priorité nationale, si on veut vraiment conforter la paix sociale et permettre à nos jeunes demandeurs d’emploi de s’insérer effectivement dans le circuit économique du pays.
Ainsi, les crédits ne représentent que des calmants pour un pays comme la Tunisie dont l’économie nationale a besoin d’un sursaut d’investissement et non pas de surendettement. Être un client fidèle de la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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ou du Fonds monétaire international n’est guère synonyme de bonne santé économique. Bien au contraire, la Tunisie ne doit jamais donner l’image du bon élève de ces deux institutions monétaires internationales qui ne font pas certes de la charité. Notre pays doit compter en premier lieu sur ses moyens, ses enfants et ses richesses naturelles, malheureusement prises en otage par une poignée d’individus.
26 avril 2016, par Mokhtar Ben Hafsa
Tunisie
La lutte du peuple grec est la nôtre !30 mai 2015, par Mokhtar Ben Hafsa