Dette et extractivisme : Chapitre 5

Construire un monde post-extractiviste, post consumériste

15 août 2017 par Nicolas Sersiron , Robin Delobel


Chapitre 5 du livre Dette et extractivisme écrit par Nicolas Sersiron, ancien président du CADTM France. Ce livre est sorti sur papier aux éditions Utopia en octobre 2014. Il est possible de se le procurer soit en librairie soit de le commander sur ce site au prix de 8 euros.

Les 5 chapitres sont publiés séparément au courant de l’été 2017.

Le système dette, que la majorité des lecteurs du site commence à bien connaître, est mis en lien avec l’extractivisme. Il est en effet un des plus puissant leviers du pillage des ressources naturelles qui enrichit un petit nombre d’actionnaires, appauvri et désespère la grande majorité de l’humanité et détruit notre biotope. Au fil de la publication des chapitres, nous verrons comment le réchauffement climatique et l’extinction des espèces vivantes en forte accélération, l’acidification des océans, la destruction des grands massifs forestiers, sont des conséquences directes des deux systèmes dette et extractivisme.



La société post-extractiviste existera demain quelle que soit la volonté de ceux que Jean Ziegler appelle « les saigneurs de la terre », ceux que les Occupy et les Indignés désignent comme les 1 %. La question est de savoir comment il est possible de la créer, avant qu’elle ne s’impose par la raréfaction des ressources naturelles et l’accélération des désastres climatiques et environnementaux. Dans un proche avenir, un effondrement des sociétés extractivo-consuméristes avec une montée de la barbarie, sont des probabilités fortes si rien ne change. Les métaux et les énergies fossiles sont des ressources finies dont les limites se rapprochent rapidement. L’eau douce, les sols agricoles, les forêts, les poissons, le sable sont aussi des ressources finies quand la capacité des écosystèmes à les renouveler est dépassée. Quant à la biodiversité, dont nous sommes un des éléments, elle est en chute libre pendant que le chaos climatique progresse.


Le choix auquel nous faisons face

L’agriculture productiviste, initiée par la « révolution verte », devra impérativement laisser la place à une agriculture respectueuse du climat, des sols, de l’environnement et de la santé des humains. Le gaspillage alimentaire et la consommation de viande devront diminuer très fortement si nous ne voulons pas que la désertification et la faim progressent de façon irréversible. L’utilisation démentielle des énergies fossiles aura des conséquences catastrophiques sur le climat tant la complexité des interactions est grande si nous restons sur la trajectoire actuelle. Quant aux apprentis sorciers de la géo-ingénierie, qui veulent nous faire croire qu’ils peuvent lutter contre le réchauffement avec des technologies démesurées plutôt que de s’attaquer aux émissions de GES des sociétés consuméristes, ils nous font courir des risques insensés, tel que l’arrêt de la mousson en Inde avec de gigantesques famines [1].

La croissance de la consommation des ressources naturelles, si elle se poursuit sur la trajectoire de ce début du XXIe siècle, donne chaque jour plus de poids à l’hypothèse de l’effondrement [2]. Même la BM Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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 [3] et l’AIE [4], des institutions qui ont toujours soutenu le pillage des ressources naturelles et les profits capitalistiques, sont d’accord pour dire que si nous ne laissons par les trois quarts des ressources fossiles dans le sol, l’augmentation de 2°C, considérée comme une limite impérative par le GIEC, sera largement dépassée bien avant la fin du siècle [5].

L’agriculture productiviste - grande émettrice de GES - ne pourra faire face à un tel bouleversement climatique. Elle ne sera pas plus capable de fonctionner avec un pétrole très cher, que de s’adapter suffisamment vite aux variations de températures et de saisonnalité des pluies ou des sécheresses, et donc de nourrir les immenses agglomérations. Violence, guerre, tyrannie deviendraient alors les dernières solutions pour le partage de la nourriture et de l’énergie mises en exergue dans le film Mad Max. Une autre agriculture résiliente au pétrole doit se développer rapidement. Que ce soit avec l’agroécologie urbaine, les ceintures maraîchères ou le redéploiement de l’agriculture paysanne et écologique, elle se fera avec des techniques respectueuses « des conditions de vie et du patrimoine naturel. [6] »

Quant aux énergies renouvelables, si elles sont de vraies solutions pour remplacer les énergies fossiles déclinantes et désastreuses pour le climat, elles nécessitent de grandes quantités de métaux et de ressources naturelles déjà limitées [7]. Le pic géologique, celui des matières premières minérales, le pic énergétique, le pic agricole et bientôt le peak everything seront bientôt atteints. Les énergies renouvelables ne seront une alternative crédible que dans la mesure où le gaspillage énergétique cessera. Inutile autant qu’impossible de construire des éoliennes si c’est pour consommer toujours plus. Il faut des ressources métalliques énormes pour fabriquer une grande éolienne : d’une à trois tonnes de cuivre et 500 kg ou plus d’aimants de néodyme, un des métaux contenus dans les terres rares. Il en va de même pour les panneaux solaires qui nécessitent argent, cuivre, silicium, plastique et terres rares. Quant aux centrales nucléaires, elles nécessitent encore plus de métaux rares tels que titane, cobalt, tantale, zirconium, hafnium, indium, argent, sélénium et lithium « alors que les réserves de tous ces métaux si spécifiques ne dépassent pas le siècle. [8] » Philippe Bihouix explique que la High Tech emballe le système.

Nous, les habitants des pays les plus prospères, sommes donc face à un choix très clair.

Soit décider volontairement de diminuer notre empreinte écologique, donc notre consommation matérielle, en réduisant fortement nos besoins en bois, minéraux, viandes, poissons, énergies (y compris d’origine renouvelable), eaux douces et terres arables. Aller vers la simplicité impliquera de remplacer ce système dans lequel règne la mode, l’obsolescence programmée et le gaspillage.

Soit laisser le business as usual continuer à détruire notre biotope au nom du « libre » échange, de la « libre » concurrence et de la « libre » entreprise, avec pour seule idéologie le grand mensonge libéral du TINA. Que les dominants veuillent se noyer dans des piscines de bénéfices pourrait nous laisser indifférents si leurs folies ne nous entraînaient dans une débâcle aussi certaine que collective. L’incapacité de nos décideurs politiques à interdire les PFJ ou à contraindre les banques trop grandes pour faire faillite à se scinder est le signe d’une connivence mortifère.

Pourquoi les banques ne continueraient-elles pas à jouer à la bourse Bourse La Bourse est l’endroit où sont émises les obligations et les actions. Une obligation est un titre d’emprunt et une action est un titre de propriété d’une entreprise. Les actions et les obligations peuvent être revendues et rachetées à souhait sur le marché secondaire de la Bourse (le marché primaire est l’endroit où les nouveaux titres sont émis pour la première fois). -casino sur les matières premières, pétrole et nourriture ? Pourquoi ne pourraient-elles pas continuer à être sauvées par les contribuables quand elles risquent la faillite en entraînant celle de toute l’économie, nous disent-elles tranquillement ? Ces fameuses banques systémiques Banque systémique
Banques systémiques
Les banques systémiques sont les banques aux actifs jugés tellement importants que leur chute aurait des conséquences sur le système financier et économique dans son ensemble, ce sont les banques qui constituent un « risque systémique » (too big to fail, trop grandes pour tomber).
, too big to jail, trop grosses pour aller en prison, font grossir la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
publique par leurs combines d’évasions fiscales dans les paradis fiscaux Paradis fiscaux
Paradis fiscal
Territoire caractérisé par les cinq critères (non cumulatifs) suivants :
(a) l’opacité (via le secret bancaire ou un autre mécanisme comme les trusts) ;
(b) une fiscalité très basse, voire une imposition nulle pour les non-résidents ;
(c) des facilités législatives permettant de créer des sociétés écrans, sans aucune obligation pour les non-résidents d’avoir une activité réelle sur le territoire ;
(d) l’absence de coopération avec les administrations fiscales, douanières et/ou judiciaires des autres pays ;
(e) la faiblesse ou l’absence de régulation financière.

La Suisse, la City de Londres et le Luxembourg accueillent la majorité des capitaux placés dans les paradis fiscaux. Il y a bien sûr également les Iles Caïmans, les Iles anglo-normandes, Hong-Kong, et d’autres lieux exotiques. Les détenteurs de fortunes qui veulent échapper au fisc ou ceux qui veulent blanchir des capitaux qui proviennent d’activités criminelles sont directement aidés par les banques qui font « passer » les capitaux par une succession de paradis fiscaux. Les capitaux généralement sont d’abord placés en Suisse, à la City de Londres ou au Luxembourg, transitent ensuite par d’autres paradis fiscaux encore plus opaques afin de compliquer la tâche des autorités qui voudraient suivre leurs traces et finissent par réapparaître la plupart du temps à Genève, Zurich, Berne, Londres ou Luxembourg, d’où ils peuvent se rendre si nécessaires vers d’autres destinations.
, leurs délires mégalos et leurs prêts avec intérêts aux Etats.

N’oublions pas qu’en France, entre 50 et 70 milliards d’euros chaque année ne rentrent pas dans les caisses de l’Etat du fait de l’évasion fiscale pratiquée par les détenteurs de capitaux. Alors que dans le même temps, ce même Etat impose aux contribuables, les 99 %, de leurs payer 50 milliards d’euros au titre des intérêts de la dette, à 59 % illégitime [9]. Avec ces 100-120 milliards rajoutés au budget français, les politiques d’austérité deviendraient inutiles, le financement des défis écologiques et de la lutte contre les inégalités assurés.

Les 1 %, véritables junkies drogués aux profits, sont incapables de prendre en compte les conséquences de leurs spéculations, y compris sur leurs enfants. Ils sont pires que les héroïnomanes qui ne tueront qu’eux-mêmes. Leur imposer une longue période de sevrage est urgent. Inverser le rapport de force est indispensable pour ne pas voir transformer notre pseudo démocratie actuelle en dictature ou barbarie.

Nous devons prendre en mains notre avenir et organiser un plan de sauvetage du peuple par le peuple. Les dirigeants politiques tout comme les responsables des grandes institutions financières, devenus les passe-plats des détenteurs de capitaux, n’hésitent plus à mentir ou à verser dans la schizophrénie. Olivier Blanchard, chef économiste du FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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, a expliqué fin 2012 que l’institution s’était trompée dans ces calculs et que les mesures d’austérité avaient en réalité des effets multiplicateurs augmentant la récession Récession Croissance négative de l’activité économique dans un pays ou une branche pendant au moins deux trimestres consécutifs. économique. Néanmoins, le FMI, à travers la Troïka, continue à imposer des mesures d’austérité aux pays européens, semblables à celles imposées depuis trente ans aux PED. Il impose à la Tunisie en 2014 des mesures d’austérité typiques des PAS en échange de nouveaux prêts, ainsi que le remboursement des prêts odieux de la période Ben Ali, de même qu’il continue, par ses conseils et ses prêts, à saigner le peuple grec.

La BM continue à prêter en 2013 des dizaines de milliards de dollars pour l’extraction des énergies fossiles et alerte dans le même temps sur les cataclysmes à venir provoqués par le réchauffement climatique. Pour gagner l’élection présidentielle française, le candidat François Hollande déclare que son plus grand ennemi est la finance, mais après deux ans de mandature, impose des mesures d’austérité au peuple, sanctifie la croissance du PIB PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
, les profits des entreprises, rembourse une dette illégitime, et nomme un ancien banquier de Rothschild, ministre de l’économie.


Les résistances sont liées

Les résistances à l’extractivisme Extractivisme Modèle de développement basé sur l’exploitation des ressources naturelles, humaines et financières, guidé par la croyance en une nécessaire croissance économique. , à la dette illégitime, à l’agriculture productiviste, à la malnutrition au Sud et au Nord comme au réchauffement climatique réussiront quand la multitude des luttes locales, internationales et des expériences alternatives seront suffisamment puissantes pour créer un effet de bascule. Dans un monde aux ressources finies, la croissance du PIB est une folie destructrice que semblent ignorer la très grande majorité de nos concitoyens tout comme la quasi-totalité de nos élus. Les peuples retrouveront alors le sens de la vie en se réappropriant les grands choix de société. N’oublions jamais que l’ascenseur social et les classes moyennes occidentales sont nés du cataclysme financier de la crise de 1929. Et cela contre la volonté des détenteurs de capitaux et des patrons. Ce sont les révoltes des populations étatsuniennes après la crise de 1929, la détermination des résistants européens dressés contre les armées nazies et les sacrifices du peuple russe arrêtant les armées d’Hitler plus ensuite le contrepoids du régime soviétique qui ont permis à cette économie mixte de se déployer.

Pour construire un monde post-extractiviste, avant qu’il ne s’impose brutalement, la décroissance des inégalités, de l’agriculture industrielle et de nos comportements barbares avec les pays du Sud sont indispensables. Une décroissance volontaire de la consommation des biens matériels et alimentaires pour le milliard et demi d’humains qui gaspillent abondamment est primordiale pour que d’autres peuples puissent avoir accès à une alimentation suffisante et une vie digne. Le modèle consumériste occidental issu de l’american way of life n’a été possible que par la conquête armée et le vol des ressources naturelles d’autres peuples par les Européens au cours des derniers siècles. Quand ce ne fut pas l’extermination quasi complète des populations indigènes en Amérique du Nord, Australie, Nouvelle Zélande et ailleurs. Aujourd’hui, cette conquête par dépossession extractive est encore accentuée par les grands pays émergents Pays émergents Les pays émergents désignent la vingtaine de pays en développement ayant accès aux marchés financiers et parmi lesquels se trouvent les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Ils se caractérisent par un « accroissement significatif de leur revenu par habitant et, de ce fait, leur part dans le revenu mondial est en forte progression ». qui veulent leur part du grand festin. On les comprend même si on ne les approuve pas.


L’impossible rattrapage

Bien que les spoliations par les accaparements de terre ou par les exploitations de mines à ciel ouvert redoublent d’intensité en ce début de siècle, le système capitaliste ne pourra jamais offrir aux près de quatre milliards d’Indiens, de Chinois et d’Africains le même style de vie fondée sur le conso-gaspillage que celui du milliard d’habitants des pays de la Triade Triade Les expressions « Triade » et « triadique » sont dues à K. Ohmae (1985). Elles ont été utilisées d’abord par les business schools et le journalisme économique, avant d’être adoptées très largement. Les trois pôles de la Triade désignent les États-Unis, l’Union européenne et le Japon, mais autour de ces pôles se forment des associations un peu plus larges. Selon Ohmae, le seul espoir d’un pays en développement - il faut y ajouter désormais les anciens pays dits socialistes - est de se hisser au statut de membre associé, même périphérique, d’un des trois « pôles ». Cela vaut également pour les nouveaux pays industrialisés (NPI) d’Asie, qui ont été intégrés par étapes, avec notamment des différences de pays à pays, dans le pôle dominé par le Japon (Chesnais, 1997, p. 85-86). . Car cela n’a été possible qu’avec la profusion d’un pétrole à très bas prix que les Occidentaux ont dilapidé au cours du XXe siècle. Cela en saturant l’atmosphère de CO2, 400 ppm en 2014 contre 280 il y a un siècle. Le banquet touche à sa fin, il faut partager les restes et cesser de dégrader le climat. Sinon, après la guerre économique en cours, c’est la violence des armes qui explosera. Les Africains - dont le nombre devrait atteindre deux milliards - comme d’autres peuples n’accepteront plus très longtemps d’être dépossédés de leurs richesses naturelles et d’avoir à subir le réchauffement dont ils ne sont pas responsables.

Pour que la trajectoire suicidaire actuelle s’infléchisse rapidement, les européens et les étatsuniens, pionniers et grands responsables du pillage extractiviste, « Pill-âge » ou « Occidentalocène », devraient être les premiers à diminuer très fortement leur empreinte écologique. Gandhi disait que c’est nous-mêmes qui devons changer si nous voulons que les autres changent. N’est-ce pas à ceux qui ont tant profité des richesses de la terre et du travail des autres peuples de construire un nouveau modèle post-extractiviste, post-consumériste, socialement juste et écologiquement soutenable ? Il est possible de vivre mieux, moralement et affectivement, en refusant d’être asservi par l’économie matérialiste. « Moins de biens plus de liens » proclament les objecteurs de croissance.

  • « Il y a toujours un consommateur à la fin de la chaîne, et ce consommateur c’est vous et moi. Si nous voulons éviter un stress ingérable à l’avenir, nous devons renoncer aux idéaux du rêve américain et convaincre les politiciens que nous aspirons à autre chose que ce que le modèle consumériste du XXe siècle a forgé dans l’inconscient collectif de la plupart des sociétés. Des modes de vie soutenables, la décroissance… sont des pistes très enthousiasmantes. [10] »

La compétition devra être remplacée par la coopération, le gaspillage par les économies de ressources et la sobriété alimentaire, la propriété intellectuelle par les savoirs partagés pour que tous puissent accéder à une vie soutenable. Nos besoins devront s’ajuster aux potentiels du renouvellement des écosystèmes pour que la planète bleue puisse continuer à offrir l’exceptionnel biotope qui a permis à la vie de naître et aux humains d’évoluer jusqu’à aujourd’hui. La conquête marchande et la civilisation industrielle se sont édifiées par des guerres, l’extension sans limites de la propriété privée, les destructions sociales et environnementales. Un avenir vivable pour tous ne pourra se construire qu’avec des relations fondées sur les communs, tendant vers le partage, la gratuité et donc la paix. « Vivre simplement pour que simplement d’autres puissent vivre » disait Gandhi. Les latino-américains avec le « buen vivir » font primer les relations avec les autres et la nature sur l’avoir. « Selon José Kaputa Lota, le « plus être » négro-africain implique la critique du développement entendu comme ‘simple croissance, simple accumulation de richesses matérielles’. [11] » Il en va de même avec le Bonheur National brut, le BNB du Bhoutan.


L’audit citoyen des dettes publiques

En Grèce la dette a atteint 175 % du PIB en 2014. Le chômage est à plus de 65 % pour les jeunes. Il y a de graves problèmes de santé publique, une croissance des suicides, une braderie du patrimoine aux entreprises privées (plages, îles et entreprises publiques, etc.) et la montée des néonazis. Cela est le résultat des conditionnalités Conditionnalités Ensemble des mesures néolibérales imposées par le FMI et la Banque mondiale aux pays qui signent un accord, notamment pour obtenir un aménagement du remboursement de leur dette. Ces mesures sont censées favoriser l’« attractivité » du pays pour les investisseurs internationaux mais pénalisent durement les populations. Par extension, ce terme désigne toute condition imposée en vue de l’octroi d’une aide ou d’un prêt. imposées par la Troïka pour le remboursement aux banques d’une dette très majoritairement illégitime.

Des résistances se construisent, des groupes de citoyens expérimentent des manières de vivre basées sur l’autonomie, la solidarité et la gratuité, à travers des collectifs et des centres sociaux : échanges de semences, coopératives de production agricoles et de soins, repas autogérés et gratuits. Les mouvements de désobéissance se développent contre les grands projets miniers, contre l’extrême droite et pour un audit de la dette [12].

L’audit citoyen est un formidable moyen pour mettre au grand jour l’immense escroquerie que la dette représente, pour les peuples du Sud comme pour ceux du Nord, depuis la débâcle bancaire de 2008. Il consiste à analyser d’où vient la dette, à quoi elle a servi, qui détient ses titres, à chercher si elle a été contractée dans l’intérêt de la population ou pas. Les dettes publiques illégitimes étant le levier de l’extractivisme et de l’asservissement des peuples, l’audit citoyen est le meilleur moyen de lutter contre ces deux fléaux. Il porte en lui la reconquête de la démocratie par le contrôle des finances de l’Etat. L’audit citoyen a pour but, aussi bien au niveau local qu’au niveau d’un pays voire d’un continent comme l’Europe, de comprendre comment l’argent des contribuables est dépensé par les gouvernements.

L’audit permet par exemple de comprendre que les déficits chroniques des budgets ne sont pas dus à un excès de dépenses, comme on aimerait nous le faire croire, mais bien à une diminution volontaire des recettes depuis bientôt trois décennies. Le recours à l’emprunt, l’évasion fiscale, les privatisations, les PPP, (partenariats public-privé) doivent être analysés comme des cadeaux faits aux multinationales et à leurs actionnaires, et non pas comme des nécessités économiques.

Les banques privées qui prêtent aux Etats et reçoivent les intérêts payés par les contribuables sont bien les vrais bénéficiaires, voire les véritables dirigeants, d’un système qui, en affaiblissant l’Etat, augmente le pillage des ressources humaines. Augmenter les impôts de la majorité pour faire face à la récession provoquée par les banques n’est-il pas une forme d’extractivisme appliquée à la plus-value Plus-value La plus-value est la différence entre la valeur nouvellement produite par la force de travail et la valeur propre de cette force de travail, c’est-à-dire la différence entre la valeur nouvellement produite par le travailleur ou la travailleuse et les coûts de reproduction de la force de travail.
La plus-value, c’est-à-dire la somme totale des revenus de la classe possédante (profits + intérêts + rente foncière) est donc une déduction (un résidu) du produit social, une fois assurée la reproduction de la force de travail, une fois couverts ses frais d’entretien. Elle n’est donc rien d’autre que la forme monétaire du surproduit social, qui constitue la part des classes possédantes dans la répartition du produit social de toute société de classe : les revenus des maîtres d’esclaves dans une société esclavagiste ; la rente foncière féodale dans une société féodale ; le tribut dans le mode de production tributaire, etc.

Le salarié et la salariée, le prolétaire et la prolétaire, ne vendent pas « du travail », mais leur force de travail, leur capacité de production. C’est cette force de travail que la société bourgeoise transforme en marchandise. Elle a donc sa valeur propre, donnée objective comme la valeur de toute autre marchandise : ses propres coûts de production, ses propres frais de reproduction. Comme toute marchandise, elle a une utilité (valeur d’usage) pour son acheteur, utilité qui est la pré-condition de sa vente, mais qui ne détermine point le prix (la valeur) de la marchandise vendue.

Or l’utilité, la valeur d’usage, de la force de travail pour son acheteur, le capitaliste, c’est justement celle de produire de la valeur, puisque, par définition, tout travail en société marchande ajoute de la valeur à la valeur des machines et des matières premières auxquelles il s’applique. Tout salarié produit donc de la « valeur ajoutée ». Mais comme le capitaliste paye un salaire à l’ouvrier et à l’ouvrière - le salaire qui représente le coût de reproduction de la force de travail -, il n’achètera cette force de travail que si « la valeur ajoutée » par l’ouvrier ou l’ouvrière dépasse la valeur de la force de travail elle-même. Cette fraction de la valeur nouvellement produite par le salarié, Marx l’appelle plus-value.

La découverte de la plus-value comme catégorie fondamentale de la société bourgeoise et de son mode de production, ainsi que l’explication de sa nature (résultat du surtravail, du travail non compensé, non rémunéré, fourni par le salarié) et de ses origines (obligation économique pour le ou la prolétaire de vendre sa force de travail comme marchandise au capitaliste) représente l’apport principal de Marx à la science économique et aux sciences sociales en général. Mais elle constitue elle-même l’application de la théorie perfectionnée de la valeur-travail d’Adam Smith et de David Ricardo au cas spécifique d’une marchandise particulière, la force de travail (Mandel, 1986, p. 14).
produite par les travailleurs d’un pays ? Les GPII (les grands projets inutiles imposés) associés à des PPP comme l’aéroport Notre Dame Des Landes, le train à grande vitesse Lyon-Turin, les autoroutes vides (Pau-Langon) ou les éléphants blancs Éléphant blanc
éléphants blancs
L’expression « éléphant blanc » désigne un mégaprojet, souvent d’infrastructure, qui amène plus de coûts que de bénéfices à la collectivité.

Pour la petite histoire, la métaphore de l’éléphant blanc provient de la tradition des princes indiens qui s’offraient ce cadeau somptueux. Cadeau empoisonné, puisqu’il entraînait de nombreux coûts et qu’il était proscrit de le faire travailler. Ce terme est généralement utilisé pour désigner des mégaprojets développés dans les pays du Sud.
dans les PED doivent être compris eux aussi comme des cadeaux faits aux grandes entreprises privées avec l’argent public ou pire avec des emprunts d’Etats faits auprès des banques : double jackpot. Privatiser les profits, socialiser les pertes, c’est la logique privilégiée par les gouvernants adeptes du néolibéralisme en période de crise, mise en évidence par Naomi Klein dans son livre « La Stratégie du choc ».

L’Allemagne de l’Ouest avait obtenu en 1953 que le remboursement de sa dette de guerre ne dépasse jamais 5 % du montant de ses exportations annuelles. En réalité elle ne l’a jamais remboursée. Les Grecs, Portugais, Irlandais, Espagnols, seraient-ils plus fautifs que les allemands des années quarante pour devoir subir de la part de la riche Europe une telle cure d’austérité ?

L’ensemble des dettes publiques peuvent être passées en revue par un audit citoyen qui agira comme un tamis en faisant apparaître toutes les dettes odieuses ou illégitimes, leur enlevant les assises pseudo légales qui fondent leurs remboursements. « Je ne paie rien, car je ne dois rien » est le slogan des Grecs qui contestent les plans d’austérité successifs entraînant une récession économique équivalente à celle des PED qui, soumis aux mêmes plans d’austérité, sont maintenus dans la pauvreté depuis plus de trente ans.

En 2007-2008, sous l’impulsion de Rafael Correa, l’Equateur a organisé un audit gouvernemental et citoyen. Les travaux ont abouti à une annulation du remboursement de 70 % de la dette souveraine. L’Equateur n’a pas subi à ce jour de rétorsion de la finance internationale [13].

L’Argentine a cessé ses remboursements de dettes unilatéralement en 2001. Elle était au bord du gouffre économique, conséquence d’un endettement odieux hérité de la dictature militaire de Videla.

  • « Durant les deux dernières décennies (avant 2001), l’Argentine est un élève zélé du FMI et applique à la lettre ses contre-réformes : libéralisation financière, licenciement massif de fonctionnaires, privatisation des entreprises publiques, ouverture de l’économie, gel des salaires, diminution drastique des budgets de l’éducation et de la santé... Malgré les politiques d’ajustement structurel, le pays est prisonnier de la spirale de l’endettement. La récession économique s’installe. [14] »

Après trois années sans payer, elle a obtenu, après négociation, une annulation de 55 % du stock de sa dette (84 milliards de dollars). Les dix années suivantes, ce pays a eu un taux de croissance de plus de 7 %, malheureusement dans une logique économique extractiviste et libérale. Aujourd’hui, les « fonds vautours Fonds vautour
Fonds vautours
Fonds d’investissement qui achètent sur le marché secondaire (la brocante de la dette) des titres de dette de pays qui connaissent des difficultés financières. Ils les obtiennent à un montant très inférieur à leur valeur nominale, en les achetant à d’autres investisseurs qui préfèrent s’en débarrasser à moindre coût, quitte à essuyer une perte, de peur que le pays en question se place en défaut de paiement. Les fonds vautours réclament ensuite le paiement intégral de la dette qu’ils viennent d’acquérir, allant jusqu’à attaquer le pays débiteur devant des tribunaux qui privilégient les intérêts des investisseurs, typiquement les tribunaux américains et britanniques.
 », des créanciers qui avaient achetés des dettes dévalorisées après la restructuration, ont obtenu, après un jugement de la cour suprême des Etats-Unis, le remboursement de leurs obligations Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
à leur valeur nominale, multipliant par 1 600 leur mise de départ. Ils mettent l’économie de l’Argentine en péril. Elle tente de résister par tous les moyens légaux à ce qui pourrait se transformer en une catastrophe économique [15].

Le peuple d’Islande a obtenu, à force de casserolades, qu’il ne soit pas contraint d’assumer les dettes des banques en faillite. Depuis 2011-2012, ce pays a retrouvé un taux de croissance et de chômage que tous les pays européens lui envient. Agnès Rousseau écrit dans Bastamag « …face à la pire crise bancaire de l’histoire, l’Islande fait passer les intérêts des citoyens avant ceux des banquiers. Et a décidé de mettre fin à l’impunité des délinquants de la finance. [16] » En décembre 2013 trois anciens banquiers et un important actionnaire de la banque Kaupthing ont été condamnés à plusieurs années de prison [17].

  • « Comme le reconnaissent Kenneth Rogoff, ex-économiste en chef au FMI, et Carmen Reinhart : « Les circonstances dans lesquelles une dette a été accumulée peuvent affecter le regard du débiteur sur sa ‘légitimité’ et sa propension à la rembourser. » Les prêts aux pays en difficulté sont conditionnés à des mesures d’austérité qui réduisent la souveraineté des Etats, violent les droits économiques et sociaux de leur population et ne permettront pas à ces pays de sortir de la crise. C’est pourquoi les nouvelles dettes générées par ces accords qui imposent aux peuples des mesures d’austérité sans précédent sont odieuses et peuvent être remises en cause. [18] »

Quand les gouvernements sont complices, seule une très forte mobilisation de la population d’un pays permettra d’obtenir un audit et ensuite une annulation des dettes. N’oublions pas que les dettes publiques illégitimes ont un double rôle. Au Sud elles servent à contraindre les peuples et les pays endettés à exporter leurs matières premières à très bas coût pour ensuite exporter les devises nécessaires à leur remboursement vers les acteurs de la finance internationale. Au Nord, elles servent à contraindre les populations à perdre une part toujours plus importante des bénéfices de leur travail au profit de l’oligarchie financière. Que ce soit par la baisse des salaires, la privatisation des services publics ou l’augmentation de la charge de la dette sur le budget national, donc sur les contribuables. Leurs annulations sont fondamentales pour se rapprocher d’une société post-extractiviste dans laquelle la recherche du bien vivre, cher aux Équatoriens et aux Boliviens, primerait sur celui du toujours plus de consommation et de croissance.


Paradis fiscaux et judiciaires (PFJ), prix de transfert et contrôle des changes

Bloquer ou rendre inopérant l’utilisation des PFJ relève d’une décision politique. Selon le journaliste Denis Robert, on sait exactement où va l’argent mondial. Il suffit d’ajouter ou de supprimer quelques lignes dans les ordinateurs pour fermer la porte de ces enfers pour les 99 %. Autre solution, taxer les transactions financières non pas à hauteur de 0,01 %, mais entre 1 et 3 %. Cela enlèverait une bonne part du bénéfice attendu de l’utilisation des PFJ. L’emploi de cette manne aiderait à faire disparaître les dettes publiques.

Pour lutter efficacement contre la grande pauvreté et la faim, la disparition des PFJ est fondamentale. L’extractivisme est lié à la dette et à la corruption dans les PED, le repenti John Perkins [19] le démontre avec des preuves et des témoignages. Ni les accaparements de terre ni les concessions minières, ni bien d’autres contrats léonins ne pourraient se faire sans ces trous noirs dans lesquels tombent les commissions qui vont corrompre les décideurs. Près de 100 millions d’hectares en Afrique ont été accaparés pour des loyers annuels ne dépassant pas un euro par hectare. Ces prix étant ridiculement bas, il est impossible que d’énormes soultes ne soient pas versées aux décideurs grâce à l’opacité des PFJ. De plus une grande partie des matières premières transite dans ces paradis pour actionnaires, enfer pour les citoyens ordinaires. Les bénéfices des multinationales n’y sont pas imposables.

Les dettes illégitimes vident les budgets des PED, les paradis fiscaux les privent de rentrées légitimes. Victor N’Zuzi [20] paysan-journaliste de RDC, fait une comparaison saisissante : il demande comment une personne à qui on aurait coupé les bras et les jambes ferait pour vivre et manger.

Oxfam écrit en 2013

  • « On estime que les fuites de capitaux illicites coûtent au moins 859 milliards de dollars par an aux PED. La Commission européenne estime que l’évasion fiscale coûterait chaque année près de 1000 milliards d’euros à l’Union européenne, soit près de 2000€ pour chaque citoyen européen. En France, le Sénat estime que le coût pour le trésor public de l’évasion fiscale pourrait atteindre 50 milliards (par an). [21] »

La disparition du contrôle des changes a été imposée aux gouvernements du Sud par le FMI. Remettre ce contrôle aux frontières rendrait beaucoup plus difficiles les détournements et la corruption opérés grâce aux PFJ. Et contrairement à ce que la communication dominante veut nous faire croire, la demande en ressources naturelles est tellement forte que les multinationales extractivistes seraient bien obligées de s’y soumettre si une telle décision était prise de façon concertée par un groupe d’Etats du Sud. L’évasion fiscale, les détournements de fonds publics dans les PED, les prix invisibles des accaparements de terre, les bénéfices illicites ou criminels deviendraient alors beaucoup plus difficiles.

Le chiffre colossal du rapatriement des bénéfices obtenus par les multinationales dans les PED pourrait être connu et taxé en fonction des lois fiscales du pays et des pollutions environnementales produites. Les PED retrouveraient une liberté de gestion, des moyens de financement d’une autre ampleur que les pauvres prêts de secours des IFI’s avec leurs terribles conditionnalités ultralibérales ou les misérables APD APD On appelle aide publique au développement les dons ou les prêts consentis à des conditions financières privilégiées accordés par des organismes publics des pays industrialisés à des pays en développement. Il suffit donc qu’un prêt soit consenti à un taux inférieur à celui du marché pour qu’il soit considéré comme prêt concessionnel et donc comme une aide, même s’il est ensuite remboursé jusqu’au dernier centime par le pays bénéficiaire. Les prêts bilatéraux liés (qui obligent le pays bénéficiaire à acheter des produits ou des services au pays prêteur) et les annulations de dette font aussi partie de l’APD, ce qui est inadmissible. , provenant des pays extractivistes. Même le FMI lui-même le reconnait enfin en 2014 « L’évasion fiscale des multinationales est mauvais pour l’économie mondiale et les pays pauvres. Pour chaque dollar d’aide que les PED reçoivent, près de dix dollars disparaissent à travers la corruption et l’évasion fiscale. [22] »

Pourquoi l’île de Jersey est-elle le premier exportateur de bananes ? Parce que les trois grands producteurs Dole, Chiquita et Fresh Del Monte, sociétés étatsuniennes, se transforment en acheteurs-revendeurs de leur propre production. Comment ? En passant par des sociétés filiales dans ce paradis fiscal, elles minimisent leurs prix d’achat dans les pays producteurs d’Amérique latine et maximisent leurs prix de revente à d’autres filiales dans les pays consommateurs. Selon John Christensen de Tax justice network, les multinationales créent souvent une centrale d’achats aux Îles Caïmans, délocalisent leurs services financiers au Luxembourg, versent des royalties pour l’utilisation de la marque en Irlande, font facturer les coûts de transport sur l’Ile de Man, organisent le réseau de distribution à partir des Bermudes et paient les ressources humaines à Jersey. Ces escroqueries « légales », acceptées par nos gouvernements, enlèvent des recettes fiscales aux budgets des pays où la consommation a lieu. Le prix est volontairement si élevé que la plus-value faite sur la revente des bananes dans la filiale installée dans le pays acheteur n’offre qu’une très faible valeur ajoutée taxable.

L’ensemble de la plus-value faite par ces jeux d’écritures comptables est alors réalisée à Jersey et dans d’autres PFJ où l’impôt sur les sociétés n’existe pas. En enrichissant les actionnaires de ces multinationales, elles appauvrissent les peuples du Sud et du Nord de plusieurs façons. Le prix de vente des bananes à la production est artificiellement trop bas pour que les travailleurs des bananeraies reçoivent des salaires dignes et que les taxes sur les exportations dues aux pays producteurs puissent améliorer les conditions de vie de la population. La terre, l’eau et les travailleurs de ces pays ont produit les bananes, et en plus ils subissent la défertilisation due à ces monocultures, les pollutions de l’eau et du sol, les maladies provoquées par le très dangereux Paraquat.

C’est ainsi que les multinationales extractivistes opérant dans les PED pour les minerais, le pétrole ou les produits agricoles et sylvicoles, « optimisent », en réalité volent le pays producteur en ne payant que très peu de taxes.

Le rétablissement du contrôle des changes et l’interdiction du recours aux PFJ sont indispensables pour que les multinationales opérant dans les PED paient les impôts sur leurs bénéfices directement aux autorités des pays où production et « extraction » ont lieu. Cette rupture avec le dogme du libre-échange permettrait de rendre obligatoire le réinvestissement d’une part importante de ces bénéfices dans l’économie du pays. Aujourd’hui, les multinationales rapatrient « librement » la quasi-totalité vers leurs actionnaires. Ces mesures ne sont pas de même nature que le protectionnisme utilisé par les pays occidentaux aux XIX-XXe siècles, destiné à défendre leurs industries capitalistes dans un système de conquête internationale des marchés. On parle ici de protections légitimes contre l’évasion fiscale dans les PFJ.


L’aide publique au développement, l’APD, un moyen de l’extractivisme !

Une part très importante de l’APD française est gérée par l’AFD. Celle-ci administre les Contrats Désendettement-Développement, les C2D. De quoi s’agit-il ? Pour ne pas annuler une dette bilatérale, le plus souvent illégitime (soutien financier à un dictateur, argent détourné, aide liée, etc.) correspondant à un prêt fait par le gouvernement français à un pays de l’Afrique subsaharienne par exemple, l’Etat prêteur fait des C2D. Alors que la majeure partie de la population vit avec moins de deux dollars par jour, la France propose à ce pays que les remboursements de cette dette soient réinvestis dans le pays sous le contrôle de l’AFD. Ce système est éminemment retors puisqu’il qualifie d’APD les C2D. Ainsi il maintient la pression néocoloniale sur le pays pour obtenir l’accès privilégié à ses ressources naturelles ou favoriser une entreprise. De plus les C2D transforment le caractère illégitime ou odieux de la dette d’origine en aide généreuse. Pauline Imbach, dans le N°17 (09/2014) de la revue les Z’Indignés, nomme les C2D Contrat de Domination et d’Endettement. L’association Survie écrit :

  • « [avec] les C2D sous couvert d’annulation de dette (que l’Etat bénéficiaire rembourse pourtant au final), des montants colossaux sont versés pour financer des projets cornaqués par l’AFD et pour lesquels les entreprises françaises décrochent régulièrement le pactole. [23] »

Dans « Comment l’aide au développement se privatise au profit des grandes multinationales » [24], Bastamag cite un communiqué de la plateforme des PFJ, composé de différentes ONG, expliquant que Proparco, la banque adossée à l’AFD, « malgré son mandat de développement, agit comme n’importe quel investisseur privé, guidé par la rentabilité des projets plus que par leur impact réel sur l’amélioration des conditions de vie des populations des pays du Sud »

A contrario, la Norvège a fait réaliser un audit par le cabinet Deloitte de ses créances Créances Créances : Somme d’argent qu’une personne (le créancier) a le droit d’exiger d’une autre personne (le débiteur). sur les PED. Il est apparu que trente-quatre de ses crédits à l’exportation vers des PED étaient douteux [25]. Elle avait déjà procédé en 2007, de manière unilatérale, à l’annulation des créances illégitimes qu’elle détenait sur l’Equateur, la Jamaïque, le Pérou, la Sierra Leone et l’Egypte [26]. Si ce pays reconnaît ses actes néocoloniaux, la France prend le chemin inverse !!!

« La main qui reçoit est toujours en-dessous de celle qui donne » disait le grand écrivain malien Amadou Hampâté Bâ. L’APD ne porte-t-elle pas implicitement, derrière la générosité apparente, un potentiel de soumission ou de corruption de celui qui reçoit, voire des deux ? Peut-elle s’abstraire du « donner, recevoir, rendre », de l’équilibre entre ce qui est reçu et ce qui est rendu ? Colonialisme et néocolonialisme sont des « prendre sans rendre ». On parle d’« échange inégal » entre les matières premières exportées par les PED, dont la valeur restant au pays est extrêmement faible, et les produits manufacturés importés dont le prix est toujours plus élevé. L’APD française comme celle des autres pays industrialisés est si maigre qu’elle ne peut en aucun cas correspondre à un « rendre » capable de rééquilibrer son « prendre » extractiviste. C’est de la communication destinée à faciliter la prédation néocoloniale.

Plutôt qu’une APD frelatée, la réparation-compensation de la dette écologique Dette écologique La dette écologique est la dette contractée par les pays industrialisés envers les autres pays à cause des spoliations passées et présentes de leurs ressources naturelles, auxquelles s’ajoutent la délocalisation des dégradations et la libre disposition de la planète afin d’y déposer les déchets de l’industrialisation.

La dette écologique trouve son origine à l’époque coloniale et n’a cessé d’augmenter à travers diverses activités :


- La « dette du carbone ». C’est la dette accumulée en raison de la pollution atmosphérique disproportionnée due aux grandes émissions de gaz de certains pays industriels, avec, à la clé, la détérioration de la couche d’ozone et l’augmentation de l’effet de serre.

- La « biopiraterie ». C’est l’appropriation intellectuelle des connaissances ancestrales sur les semences et sur l’utilisation des plantes médicinales et d’autres végétaux par l’agro-industrie moderne et les laboratoires des pays industrialisés qui, comble de l’usurpation, perçoivent des royalties sur ces connaissances.

- Les « passifs environnementaux ». C’est la dette due au titre de l’exploitation sous-rémunérée des ressources naturelles, grevant de surcroît les possibilités de développement des peuples lésés : pétrole, minéraux, ressources forestières, marines et génétiques.

- L’exportation vers les pays les plus pauvres de produits dangereux fabriqués dans les pays industriels.

Dette écologique et dette extérieure sont indissociables. L’obligation de payer la dette extérieure et ses intérêts impose aux pays débiteurs de réaliser un excédent monétaire. Cet excédent provient pour une part d’une amélioration effective de la productivité et, pour une autre part, de l’appauvrissement des populations de ces pays et de l’abus de la nature. La détérioration des termes de l’échange accentue le processus : les pays les plus endettés exportent de plus en plus pour obtenir les mêmes maigres recettes tout en aggravant mécaniquement la pression sur les ressources naturelles.
issue de l’extractivisme participerait à la création d’un authentique « rendre » de ces Européens et des autres qui ont tant « reçu-pris ». Mais les pays industrialisés sont paniqués à l’idée d’une décroissance matérielle, avec baisse de la consommation et du confort, fin du gaspillage et perte des profits que cela entrainerait. C’est bien la justice et l’égalité qu’ils refusent aux autres ! Et pourtant, n’est-ce pas vers une décroissance subie que nous précipite à grande vitesse le délire matérialo-extractiviste actuel ?

En quoi les miettes que représente l’APD mondiale de 130 milliards de dollars en 2010 - dont 5 à 10 % vont réellement à des projets améliorant la vie des trois milliards d’humains vivant avec moins de deux dollars par jour - peuvent être qualifiées d’aide réelle ? 10 % de 130 = 13 milliards de dollars divisé par 3 milliards de personnes = 4,3 dollars par an et par personne. Ce n’est rien comparé aux 400 milliards de dollars que les migrants envoient chaque année, soit 100 $ par an et par personne ou aux 300 milliards de dollars ou bien plus de bénéfices faits dans les PED que les multinationales rapatrient dans leur pays d’origine. Ou encore aux fonds très importants en provenance des PED, cachés dans les PFJ. De qui se moque-t-on ? Des peuples du Sud comme des naïfs et consentants citoyens du Nord qui pensent que l’on donne toujours trop aux pays pauvres !


L’APD doit être abandonnée et remplacée par un système d’échanges justes

Car, comme les dettes illégitimes, l’APD appartient à l’arsenal du néocolonialisme. Il serait plus intéressant pour les PED de remettre des taxes variables à leurs frontières sur les produits agricoles en provenance des pays industrialisés qui subventionnent leur agriculture avec près de 750 millions de dollars chaque jour en 2013. Selon Olivier de Schutter « les pays développés sont autorisés à subventionner leurs agriculteurs à hauteur de plus de 400 milliards de dollars, sans violer les règles de l’OMC OMC
Organisation mondiale du commerce
Créée le 1er janvier 1995 en remplacement du GATT. Son rôle est d’assurer qu’aucun de ses membres ne se livre à un quelconque protectionnisme, afin d’accélérer la libéralisation mondiale des échanges commerciaux et favoriser les stratégies des multinationales. Elle est dotée d’un tribunal international (l’Organe de règlement des différends) jugeant les éventuelles violations de son texte fondateur de Marrakech.

L’OMC fonctionne selon le mode « un pays – une voix » mais les délégués des pays du Sud ne font pas le poids face aux tonnes de documents à étudier, à l’armée de fonctionnaires, avocats, etc. des pays du Nord. Les décisions se prennent entre puissants dans les « green rooms ».

Site : www.wto.org
. [27] » Une escroquerie !

Il faut choisir. Soit on accepte la pauvreté, le sous-développement, la faim, et on fait semblant de combattre avec des aides faussement charitables qui ne changeront rien aux causes structurelles de l’injustice globale. Ainsi en va-t-il de l’APD, des subventions et des prêts de secours conditionnés à des cures ultralibérales ou des bateaux de céréales payés par le PAM (programme alimentaire mondial) pour compenser a minima les effets catastrophiques du libre échange imposé depuis trente ans et permettre de résorber les surplus du Nord.

Soit on favorise la voie de la justice et de l’égalité, en axant les réparations sur l’autonomie agricole, économique et politique des PED par l’annulation des dettes illégitimes, par la lutte contre la corruption et la disparition des PFJ. Ensuite, par des soutiens techniques et financiers - en compensation des siècles d’asservissement et de dégâts écologiques - les pays industrialisés pourraient contribuer à la transformation dans les PED de leurs matières premières extraites et surtout au déploiement d’une agroécologie paysanne efficiente, sans intrants Intrants Éléments entrant dans la production d’un bien. En agriculture, les engrais, pesticides, herbicides sont des intrants destinés à améliorer la production. Pour se procurer les devises nécessaires au remboursement de la dette, les meilleurs intrants sont réservés aux cultures d’exportation, au détriment des cultures vivrières essentielles pour les populations. extérieurs.


Agriculture, énergie, alimentation

Robert Hirsch démontre que la croissance du PIB mondial est liée à la croissance de la consommation de pétrole. Une courbe statistique de la FAO montre que l’évolution du prix des aliments est quasiment parallèle à celui du prix du pétrole. Avec le productivisme, les terres aptes à produire des agrocarburants sont des puits de pétrole potentiels. Leur prix comme celui des denrées alimentaires croîtront avec celui du pétrole. Que ce type d’agriculture soit en plus pétro-dépendant confirme que la raréfaction du pétrole et le danger que fait courir à l’humanité ses émissions de GES mettent en grand danger l’alimentation des dix milliards d’humains à venir, si nous n’abandonnons pas le productivisme agricole et le gaspillage énergétique.


Variation du PIB et de la production pétrolière mondiale [28].


L’index FAO du prix des aliments versus le prix du pétrole de Brent [29].


Energie

Pour baisser notre empreinte extractiviste, agir sur les secteurs du bâtiment et de l’énergie est essentiel. Il faut le répéter, il n’existe aucun substitut crédible au pétrole, une énergie encore bon marché en 2014. Les agrocarburants, l’électricité, l’hydrogène, ni à fortiori le charbon hyper polluant ne peuvent la remplacer [30]. Conserver un mode de vie acceptable, tout en diminuant fortement notre consommation énergétique, est possible.

En France, l’association Négawatt, composée d’ingénieurs-chercheurs spécialisés dans le domaine de l’énergie et de l’environnement, propose un programme pour vivre progressivement sans les énergies fossiles ni le nucléaire. Pour diminuer notre empreinte écologique et son impact sur le climat tout en se préservant des risques causés par le nucléaire, la priorité est de réduire nos consommations d’énergie par la sobriété, l’efficacité énergétique et bien sûr la mise en place des énergies renouvelables.

Le modèle Négawatt part des principaux besoins en énergie comme le chauffage, l’éclairage, l’électricité et la mobilité. Les deux secteurs sur lesquels l’association démontre que de grosses améliorations sont possibles sont le bâtiment - mise en place d’une politique forte de rénovation thermique et les transports - en limitant l’étalement urbain parallèlement à une politique de stimulation des transports moins polluants et collectifs. En suivant leurs recommandations, une fermeture progressive des centrales nucléaires arriverait à son terme en 2033. Plus poussé à chaque réédition, le scénario Negawatt 2012 adopte une analyse de l’impact de l’agroalimentaire et propose une forte réduction de la consommation de viande !

Les grandes compagnies pétrolières qui dominent notre monde sont inquiètes. Une bulle carbone n’est-elle pas en cours ? De très puissants groupes d’investisseurs (3 000 milliards de dollars) se posent la question de la valeur de leur placement dans ces multinationales.

  • « Si l’on met en place les mesures nécessaires pour rester en-deçà de 2°C de réchauffement, l’essentiel des réserves fossiles d’énergie devra rester sous terre. Ces réserves risquent par conséquent de perdre leur valeur économique, tout comme, bien entendu, les compagnies qui les possèdent et les exploitent. [31] »

L’épuisement des ressources naturelles annoncé par le peak everything, comme le dépassement probable des limites du réchauffement, ne sont-ils pas aussi le signe que le peak du capitalisme est atteint. « D’ici à 2017, selon l’AIE, « la porte » qui permettrait d’empêcher un réchauffement supérieur à 2°C sera fermée pour toujours. »


Les territoires en Transition

Malgré les omissions des médias et le travail des lobbies Lobby
Lobbies
Un lobby est une structure organisée pour représenter et défendre les intérêts d’un groupe donné en exerçant des pressions ou influences sur des personnes ou institutions détentrices de pouvoir. Le lobbying consiste ainsi en des interventions destinées à influencer directement ou indirectement l’élaboration, l’application ou l’interprétation de mesures législatives, normes, règlements et plus généralement, toute intervention ou décision des pouvoirs publics. Ainsi, le rôle d’un lobby est d’infléchir une norme, d’en créer une nouvelle ou de supprimer des dispositions existantes.
pétroliers pour créer du climato-scepticisme, le grand public comprend la problématique des énergies fossiles. Les gaz de schistes non seulement ne sauveront pas longtemps notre modèle énergivore mais réchaufferont encore plus rapidement notre planète [32]. Après avoir nié l’existence du pic pétrolier pendant des années, l’AIE a fini par reconnaître qu’il s’était produit en 2006 [33]. Il s’agit-là du pétrole facile à extraire, mais le pic global ne devrait pas tarder. Or, selon le rapport Hirsch pour le département de l’Energie des Etats-Unis, il faut dix à vingt ans pour se préparer aux impacts du pic pétrolier [34].

L’agriculture productiviste et l’alimentation des grandes villes se font à coups de millions de kilomètres et de barils de pétrole. Le système actuel ne pourra donc pas faire face à un choc pétrolier comme le doublement ou le triplement du prix s’il n’y a pas désaccoutumance et réorganisation dès à présent d’une agro-alimentation sobre en énergie fossile. Vers 2020, avec la fin probable du miracle des gaz et pétroles de schistes selon Mathieu Auzanneau, et la prise de conscience de la montée des températures, une forte augmentation du prix est plus que probable. Elle pourrait provoquer une famine catastrophique et un chaos social indescriptible si rien n’est fait entre temps. Pourtant certains ont compris assez tôt ce défi immense.

C’est le cas de Rob Hopkins, un enseignant en permaculture qui a initié le mouvement de la Transition. A Totnes, il a démarré un processus de résilience au tout pétrole prenant en compte le problème du réchauffement climatique. Totnes est devenue la première Transition Town. On en compte maintenant des centaines dans le monde. L’objectif des initiatives de Transition est que la ville, le village ou la communauté organise sa résilience. Comme l’explique Rob Hopkins dans le Manuel de Transition, « dans le domaine de l’écologie, le terme fait référence à la capacité d’un écosystème à s’adapter à des événements (chocs) extérieurs. [35] » Les citoyens qui constituent un groupe de Transition visent donc à s’adapter à une pénurie pétrolière ou alimentaire, d’une manière démocratique et positive et non à la manière des survivalistes [36].


Agroécologie

Se préparer aux défis que représentent la raréfaction du pétrole, le réchauffement climatique et les crises économiques implique de trouver une nouvelle forme de sobriété et d’autonomie. Un moyen important de résilience existe dans la production alimentaire. Selon l’ONG Grain

  • « si nous nous efforçons de restructurer l’agriculture et le système alimentaire global, en les articulant autour de la souveraineté alimentaire, de l’agriculture familiale, de l’agroécologie et des marchés locaux, nous pourrions réduire de moitié les émissions mondiales en quelques décennies. [37] »

L’agroécologie, à l’opposée de la « révolution verte », permet d’éliminer au maximum les gaspillages et d’utiliser un minimum d’énergie. Elle est essentielle pour atteindre la souveraineté alimentaire : pas ou très peu d’intrants externes, pas de monocultures clonales même biologiques, association de plantes favorisant la croissance et la protection les unes des autres, respect de la biodiversité, utilisation de semences paysannes, forte intensité en main d’œuvre et relocalisation générale de la production par la population.

Enseignée et répandue parmi les petits paysans des PED, elle permettrait de nourrir les plus pauvres [38]. Elle est adaptable à tous les terrains et à tous les climats, contrairement au productivisme. Non seulement ce dernier laisse près d’un milliard d’humains dans la sous-nutrition chronique, mais la disparition de la biodiversité, faune et flore, qu’il entraîne et son universalisation sont porteurs d’un grand risque de famine en cas de choc climatique ou de maladie grave sur une monoculture Monoculture Culture d’un seul produit. De nombreux pays du Sud ont été amenés à se spécialiser dans la culture d’une denrée destinée à l’exportation (coton, café, cacao, arachide, tabac, etc.) pour se procurer les devises permettant le remboursement de la dette. . Les nouvelles sécheresses, les fortes chaleurs, la croissance des cyclones et des inondations en sont les prémisses. Contrairement aux idées reçues, l’agroécologie bien menée est beaucoup plus productive à surface égale et socialement plus juste.

  • « Les projets agroécologiques menés dans 57 PED ont entraîné une augmentation de rendement moyen de 80 %. De récents projets menés dans 20 pays africains ont même démontré un doublement des rendements des cultures sur une période de 3 à 10 ans. [39] »

La Via Campesina donne une définition courte de l’agroécologie,

  • « elle est une véritable agriculture paysanne durable, fondée sur le retour aux méthodes d’agriculture traditionnelle, sur le développement de nouvelles pratiques écologiques, sur le contrôle et la préservation des terres et des semences, ainsi que sur l’égalité sociale et entre les sexes. [40] »

Non seulement elle ne détruit pas la MOS - le fondement de la fertilité - mais elle est au contraire capable de la régénérer et de refroidir la planète. Avec de bonnes pratiques agroécologiques « on pourrait incorporer annuellement dans les sols entre trois et demi et cinq tonnes de matière organique par hectare de terre agricole. Ce qui permettrait de compenser entre 24 et 30 % des émissions mondiales de GES. [41] »

Ainsi, contrairement au productivisme agricole qui vide les campagnes, l’agroécologie nécessite une intensivité en main d’œuvre apte à les repeupler. Ce qui va dans le sens de la relocalisation nécessaire de la production des aliments, et plus généralement des activités, pour faire face à la déplétion pétrolière et au réchauffement climatique. Il est aujourd’hui aussi indispensable de répartir le travail entre tous que de trouver de nouvelles activités. Avec la raréfaction et l’enchérissement du pétrole, les grandes villes seront des lieux de vies moins enviables et résilients que les campagnes. Détroit, l’ex-capitale de l’automobile américaine, a perdu le tiers de sa population, le chômage y est très important. Le maraîchage urbain coopératif et agroécologique participe grandement à la survie des habitants restants.

Dans un monde industrialisé et technologique, où les gains de productivité créent un chômage de masse chronique, les fausses solutions comme l’obsolescence programmée des objets, les dates de péremption inutiles de certains aliments, les effets terrifiants de la mode instrumentalisée par la publicité ne peuvent qu’être abandonnés. Ces gestions court-termistes ne permettent déjà plus aux usines de continuer à fournir suffisamment d’emplois tout en accélérant la destruction de la planète. Elles n’ont pas plus de sens que le gaspillage énergétique et alimentaire poussant à produire toujours plus. Face à la déplétion des métaux comme à celle des énergies fossiles, la sobriété alimentaire comme la simplicité matérielle volontaire seront des valeurs de plus en plus désirables. Anabella Rosenberg de la CSI exprime cela crûment : « on ne créera pas d’emplois sur une planète morte [42] ».


Alimentation

Lutter contre l’extractivisme et le réchauffement résultant du modèle agroalimentaire imposé par l’agrobusiness passe nécessairement par une forme ou une autre de sobriété alimentaire. Même s’il est difficile de changer ses habitudes surtout quand la nourriture préparée par l’industrie devient une addiction (sel, sucre, viandes, produits laitiers, etc), réussir à s’en évader n’amène que du mieux-être aussi bien sur le plan psychologique que sur celui de la santé. Cela commence aussi bien par des approvisionnements de proximité provenant d’agricultures familiales que par des autoproductions locales. Que ce soit dans les villes avec des jardins collectifs partagés, des productions faites dans des ceintures maraîchères, dans des AMAP de proximité (association pour le maintien de l’agriculture paysanne) ou dans les campagnes, les productions agricoles doivent être relocalisées. Le gaspillage énergétique de l’agriculture industrialisée est énorme. « Selon la FAO, pour obtenir un kilo de riz, un agriculteur américain utilise quatre-vingt fois l’énergie commerciale nécessaire à l’agriculteur philippin » [43]. Les 50 % de GES émis par le mode alimentaire occidental sont la terrible conséquence du gaspillage généralisé.

Chacun doit changer ses habitudes et réapprendre à manger des fruits et des légumes de saison, autant que possible produits localement, à éviter au maximum les produits préparés et/ou emballés et à cuisiner des aliments bruts issus de l’agriculture biologique. Les aliments produits et préparés industriellement dont on ignore la provenance, mais dont on sait qu’ils ont parcouru des milliers de kilomètres, comme les transports intercontinentaux de fruits frais tropicaux ou des primeurs par avions et camions, ne sont pas écologiquement viables.

La production de protéines animales de mauvaise qualité, fabriquées dans des usines à viande gigantesques et mondialisées s’approvisionnant avec des sojas OGM OGM
Organisme génétiquement modifié
Organisme vivant (végétal ou animal) sur lequel on a procédé à une manipulation génétique afin de modifier ses qualités, en général afin de le rendre résistant à un herbicide ou un pesticide. En 2000, les OGM couvraient plus de 40 millions d’hectares, concernant pour les trois-quarts le soja et le maïs. Les principaux pays producteurs étaient les USA, l’Argentine et le Canada. Les plantes génétiquement modifiées sont en général produites intensivement pour l’alimentation du bétail des pays riches. Leur existence pose trois problèmes.


- Problème sanitaire. Outre la présence de nouveaux gènes dont les effets ne sont pas toujours connus, la résistance à un herbicide implique que le producteur va multiplier son utilisation. Les produits OGM (notamment le soja américain) se retrouvent gorgés d’herbicide dont dont on ignore les effets sur la santé humaine. De plus, pour incorporer le gène nouveau, on l’associe à un gène de résistance à un antibiotique, on bombarde des cellules saines et on cultive le tout dans une solution en présence de cet antibiotique pour ne conserver que les cellules effectivement modifiées.


- Problème juridique. Les OGM sont développés à l’initiative des seules transnationales de l’agrochimie comme Monsanto, pour toucher les royalties sur les brevets associés. Elles procèdent par coups de boutoir pour enfoncer une législation lacunaire devant ces objets nouveaux. Les agriculteurs deviennent alors dépendants de ces firmes. Les États se défendent comme ils peuvent, bien souvent complices, et ils sont fort démunis quand on découvre une présence malencontreuse d’OGM dans des semences que l’on croyait saines : destruction de colza transgénique dans le nord de la France en mai 2000 (Advanta Seeds), non destruction de maïs transgénique sur 2600 ha en Lot et Garonne en juin 2000 (Golden Harvest), retrait de la distribution de galettes de maïs Taco Bell aux USA en octobre 2000 (Aventis). En outre, lors du vote par le parlement européen de la recommandation du 12/4/2000, l’amendement définissant la responsabilité des producteurs a été rejeté.


- Problème alimentaire. Les OGM sont inutiles au Nord où il y a surproduction et où il faudrait bien mieux promouvoir une agriculture paysanne et saine, inutiles au Sud qui ne pourra pas se payer ces semences chères et les pesticides qui vont avec, ou alors cela déséquilibrera toute la production traditionnelle. Il est clair selon la FAO que la faim dans le monde ne résulte pas d’une production insuffisante.
, bourrés d’herbicides et traversant les océans, fait partie d’un système alimentaire écologiquement et socialement insoutenable. Il détruit les petits éleveurs des PED, anéantit les forêts, réchauffe la planète et est à la base de l’obésité et de bien d’autres ALD. Le modèle d’alimentation carnée globalisée, aux mains de multinationales toujours plus puissantes, comme l’énorme conglomérat Smithfield passé des mains étatsuniennes à celles des chinois, n’est pas écologiquement viable. Son remplacement par un système d’élevage de proximité, intégré dans des fermes de polycultures-élevages familiales et agroécologiques sera bénéfique autant pour l’emploi et la santé que pour l’environnement et le climat.

Il serait préférable que les mangeurs de viande et les consommateurs de produits laitiers se limitent aux élevages locaux nourris sans apport externe d’aliments du bétail. Cela diminuerait fortement les quantités disponibles, ce qui est une bonne chose quand on a compris que plus de 50 % des terres utilisées par l’Europe sont en dehors de ses frontières.


Relocalisation

  • « C’est par l’alimentation qu’il est le plus sensé de commencer à reconstruire la résilience des communautés et de l’agriculture, mais les matériaux de construction, les textiles, le bois d’œuvre, l’énergie et les monnaies la suivent de près. [44] »

Redevenir le moins dépendant possible des énergies fossiles et des métaux est un impératif pour chaque action Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
que l’on entreprend. Par exemple, le transport d’aliments sur de longues distances par camions ou les déplacements en automobile individuelle pour s’approvisionner au supermarché demandent énormément de matières premières, minérales et fossiles aussi bien pour la construction du matériel que son utilisation : l’écobilan est catastrophique. Comme le disent régulièrement les objecteurs de croissance, il s’agit de choisir entre la décroissance et la barbarie [45]. Geneviève Azam parle du choix entre l’autolimitation ou le capitalisme du désastre [46]. Opter pour la décroissance ou subir une récession forcée, il faut choisir, et vite. « A chaque point de croissance supplémentaire correspond une augmentation de 0,7 point d’émissions. Un ordre de grandeur qui se confirme tant dans le temps que dans l’espace. [47] » En supprimant la rente procurée par les capitaux : intérêts, dividendes et loyers, la croissance devient inutile.

On ne pourra pas continuer à acheter des smartphones et des tablettes numériques tous les ans ou des voitures inutilement robotisées et lourdes. Il est nécessaire d’aller vers la société « low tech » proposée par Philippe Bihouix. Certaines professions qui ont presque disparu pourraient revoir le jour face à la nécessité de produire des biens durables. Des métiers fondés sur l’artisanat, la réparation et le recyclage seraient à nouveau sollicités. Cela permettrait de faire revivre les villes et les villages tout en diminuant notre empreinte extractiviste. Se détourner des supermarchés sera nécessaire, revitalisera les petits commerces et créera des emplois de proximité. Christian Jacquiau fait remarquer « qu’il est aujourd’hui clairement établi qu’un emploi créé en grande surface, le plus souvent précaire et à temps partiel non choisi, conduit à la destruction de cinq emplois stables et durables ailleurs » [48].

Localement, nous pouvons produire beaucoup de choses essentielles : fruits, légumes, bois, médicaments, produits laitiers, fromages, savons, petits matériels… A travers la production régionale de bois par exemple, la construction de maisons et de meubles peut être relocalisée, entraînant une diminution des déplacements, des créations d’emplois et une utilisation plus responsable des ressources. Contrairement au modèle IKEA, qui, malgré ses beaux slogans, exploite les travailleurs et transporte les meubles à travers le monde [49]. Les initiatives telles que les AMAP et les SEL (Services d’Echanges Locaux) recréent autant une production alimentaire de proximité, résistance au tout pétrole, que du lien humain. La révolution des Incredible Vegetables - en France les « incroyables comestibles » - en montrant le pouvoir de la gratuité et du partage pour aller vers plus d’autonomie, fait au passage une belle entaille dans la sacro-sainte propriété, la compétition et le renfermement sur soi.

  • « Une habitante a décidé, en particulier à cause de la crise, d’abattre le mur qui isolait son jardin de la rue et de proposer aux habitants de se servir librement dans son potager. C’était il y a trois ans environ. Depuis, les potagers en libre-service ont fleuri un peu partout en ville, Todmorden est devenue autosuffisante en légumes grâce à cela, et soixante-dix autres villes anglaises ont suivi l’exemple. [50] »


L’hyper mobilité n’est pas écologiquement soutenable

Un des objectifs de la relocalisation tient dans la diminution des transports et déplacements. Il nous invite à reconsidérer nos besoins de mobilité et l’usage systématique de la voiture. Ivan Illich, dans Energie et équité, a démontré que si l’on additionne le temps passé au travail pour payer son auto et les frais qui y sont liés, que l’on divise ensuite ce chiffre par le nombre de kilomètres parcourus, on obtient une vitesse moyenne inférieure à celle du vélo. Il conclut que la vitesse généralisée d’une voiture pour un américain atteint à peine les six kilomètres par heure [51]. Pour les campagnes, il faudra inventer des moyens de déplacement peu énergivore, autres que la voiture que nous connaissons. Les tricycles carrossés à pédale et à assistance électrique avec panneaux solaires sont une solution intéressante pour les indispensables déplacements individuels. Espérons que des chocs écologiques trop violents ne nous contraignent pas à revenir brutalement aux chevaux et bœufs comme moyen de transport et de traction, comme cela existe encore dans les PED.

Revoir notre mobilité signifie aussi redonner du poids aux réseaux ferrés anciens au lieu du tout TGV. Les lignes à grande vitesse, LGV, ont un impact environnemental et un prix exorbitant par rapport aux trains pendulaires [52]. La SNCF et RFF en France ont tellement investi dans les LGV qu’elles ont une dette - 44 milliards d’euros en 2013 - impossible à rembourser. De plus, favoriser les trains à grande vitesse est synonyme de loi du plus fort, car, comme l’explique Simon Charbonneau, une LGV « est conçue pour relier uniquement les grands centres urbains au détriment des villes petites et moyennes situées sur l’itinéraire. [53] » On assiste d’ailleurs à de fortes oppositions aux projets de construction de LGV, comme celle du Turin-Lyon au prix faramineux de 26 milliards d’euros [54]. De ce fait, l’entretien des lignes régionales n’est plus financé alors qu’elles sont utilisées par un beaucoup plus grand nombre d’habitants aux revenus modestes. Le président de la FNAUT [55] explique qu’« un kilomètre de TGV, c’est 20 millions d’euros, moderniser une ligne, 2 millions » [56]. En résumé, comme le dit Geneviève Azam, la relocalisation peut se présenter comme « une résistance explicite au déracinement globalisé et une réponse démocratique à la crise sociale et écologique. [57] »


Travailler moins

Travailler moins n’est-il pas le seul chemin pour aller vers le post-extractivisme ? Plus de justice sociale c’est moins de revenus pour ceux qui contribuent au conso-gaspillage et plus pour ceux qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts. Notre imaginaire, formaté par le système marchand, nous fait croire que le bonheur est indissociablement lié à l’accumulation de biens. Le mal-être grandissant dans les pays nantis montre pourtant le contraire.

La décroissance, ce mot qui fait peur, doit être comprise comme étant d’abord celle des inégalités sociales et environnementales. La décroissance matérielle implique une nouvelle répartition des richesses fondée sur la croissance non pas du PIB - compétition et profits - mais de l’égalité, de la solidarité et de la coopération. Car aujourd’hui cette fameuse croissance économique, appelée de ses vœux par tous les responsables du Nord, est catastrophique pour la majorité des habitants du monde. Selon l’observatoire des inégalités :

  • « Les 1 % les plus fortunés contrôleraient pas moins de 46 % du patrimoine mondial. L’Amérique du Nord et l’Europe en détiennent ensemble 62 %. L’Inde (1,2 milliard d’habitants) en possède 1,4 %. L’Afrique (1 milliard d’habitants) ne dispose que de 1 % de la richesse mondiale. [58] »

Comment en finir avec les objets inutiles, jetables, à durée de vie volontairement limitée que beaucoup défendent au nom de l’emploi, mais qui détruisent notre planète bleue ? Comment en finir avec la suralimentation et la malbouffe, avec le stress lié au travail ayant perdu sens et surtout avec le mal-être et les maladies que ces deux fléaux entraînent ?

Dans « Un projet pour la décroissance » [59], Vincent Liegey et ses comparses proposent une forme très originale de revenu d’existence ou revenu universel, la dotation inconditionnelle d’autonomie, la DIA. A la différence des autres, elle n’est pas ancrée dans le consumérisme car en partie démonétisée. Elle est un revenu donné à tous, sous forme d’accès gratuits à des services de base : droits aux premiers kilowattheures d’énergie, aux premiers mètres cube d’eau et de gaz, aux premiers mètres carrés de terrain ou de logement, aux services sociaux, à l’éducation, à la culture. Un système qui donne une part croissante aux monnaies locales, accélère la relocalisation des productions en donnant accès à l’alimentation et à la culture de proximité, tout en conservant une part de monnaie nationale. La DIA serait couplé à un RMA, revenu maximum acceptable, dans un rapport de un à quatre. En libérant le travail contraint, chacun pourrait se réapproprier du temps pour la culture, le maraîchage, la construction de son logement, les réparations, le recyclage des objets, la coopération et le renforcement des liens avec les autres. Bien sûr, chacun aurait aussi la possibilité de travailler volontairement pour améliorer son revenu de base. Ainsi chaque personne pourrait progresser vers l’autonomie, augmenter sa capacité de résilience aux énergies fossiles, retrouver du sens et de la joie de vivre tout en cessant de détruire notre monde. Pierre Rabhi dit très justement « toute démarche qui construit de l’autonomie est insurrectionnelle » [60]. L’insurrection des consciences, comme l’« Indignez-vous » de Stéphane Hessel et toutes les actions de résistance individuelles et collectives au marché sont indispensables pour casser la course de notre planète « Titanisée » par les « junkies du profit ». Cessons notre tacite reconduction de ce contrat mortifère.


Un peu d’optimisme

Les informations partagées dans ce livre sont lourdes et peuvent paraître effrayantes. Mais les solutions existent, elles sont nombreuses et loin d’être toutes répertoriées ici. De plus en plus de personnes passent à l’acte petit ou grand, ont des prises de conscience, chacun-e selon ses possibilités et sa sensibilité.

Alors que la violente dépossession des ressources communes à l’humanité a débuté il y a cinq siècles, aujourd’hui 1 % des humains possède 50 % des richesses pendant que les 50 % d’en bas n’ont quasiment rien : 5 000 euros vous classe dans la moitié des plus riches. Cette rupture avec le donner-recevoir-rendre détruit les liens humains - aussi bien que ceux tissés entre les hommes et la nature - reposant sur l’échange et le partage. Continuer à les remplacer par un monde de compétition, d’accumulation privative et de croissance du PIB entraîne la croissance parallèle de la barbarie. Qu’aujourd’hui un tiers des humains ne puisse manger suffisamment pour avoir une vie active et qu’un autre tiers soit en surpoids ou obèses et souvent malade est une réalité barbare.

Marchandisation du monde, dérégulation financière, libre-échange des biens et des services résultent d’une destruction de la démocratie organisée par les politiques ultralibérales en faveur des détenteurs de capitaux. Le TAFTA ou GMT, grand marché transatlantique, et le TISA ou ACS, accord commercial sur les services, tous les deux en négociations secrètes n’ont qu’un seul but, - en faisant primer les intérêts des multinationales sur le pouvoir des Etats et de leur peuple - instaurer une « noblature » des actionnaires sur le monde se substituant à la République. « TISA reprend l’une des idées maîtresses de TAFTA : le principe de ‘coordination’, qui empêche d’imposer une régulation qui porterait tort à l’un des signataires. Autant dire, un moins-disant régulatoire généralisé. [61] » Vous ne voulez pas d’OGM ni de pesticides dans votre nourriture et votre eau, vous voulez en finir avec la finance des banksters, eh bien la signature de ces traités aboutira à son contraire. Elle entraînera la disparition des réglementations sanitaires et financières. Les multinationales pourront renforcer le dumping social et écologique, au détriment des travailleurs et de tous les sujets du « grand royaume marchand. »

Le moyen essentiel permettant d’appliquer ces nouvelles dérégulations aux biens et aux services sera l’obligation imposée aux gouvernements de faire appel aux arbitrages privés pour régler les différends entre un Etat et une multinationale : l’un protégeant son pays, son peuple et la nature, l’autre ne pensant qu’au profit de ses actionnaires. La justice publique sera alors réservée aux voleurs de bicyclette, les destructions sociales et environnementales relèveront d’une justice privatisée [62]. Les arbitrages du CIRDI CIRDI Le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a été créé en 1965 au sein de la Banque mondiale, par la Convention de Washington de 1965 instituant un mécanisme d’arbitrage sous les auspices de la Banque mondiale.

Jusqu’en 1996, le CIRDI a fonctionné de manière extrêmement sporadique : 1972 est la date de sa première affaire (la seule de l’année), l’année 1974 suivit avec 4 affaires, et suivirent de nombreuses années creuses sans aucune affaire inscrite (1973, 1975,1979, 1980, 1985, 1988, 1990 et 1991). L’envolée du nombre d’affaires par an depuis 1996 (1997 : 10 affaires par an contre 38 affaires pour 2011) s’explique par l’effet des nombreux accords bilatéraux de protection et de promotion des investissements (plus connus sous le nom de « TBI ») signés a partir des années 90, et qui représentent 63% de la base du consentement à la compétence du CIRDI de toutes les affaires (voir graphique)). Ce pourcentage s’élève à 78% pour les affaires enregistrées uniquement pour l’année 2011.

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 [63] sous l’égide de la BM, ou ceux rendus dans les pays de l’Alena, ont donné majoritairement raison aux multinationales sur les Etats depuis quelques décennies. La compagnie étatsunienne Lone Pine, se réclamant de ce traité, demande à l’Etat du Québec 250 millions de dollars, correspondant au manque à gagner résultant de l’interdiction de la fracturation hydraulique. Ce règlement anti-gaz de schistes n’ayant d’autre but que de protéger les québécois et la nature des pollutions environnementales provoquées par cette extraction [64].

Face à cette volonté d’unification marchande sous le règne de cette « noblature » actionnariale, Jérôme Baschet explique que la mise en œuvre « d’une autonomie rebelle dans les territoires zapatistes du Chiapas (Mexique) est l’une des plus remarquables ‘utopies réelles’ mises en œuvre actuellement » [65]. La multiplicité des mondes que proposent les communautés zapatistes, en opposition à la planète globalisée, est le résultat d’une résistance et d’un cheminement très organisés vers l’autonomie des peuples. La démocratie réelle mise en œuvre au cours des vingt dernières années dans les montagnes du sud mexicain est une aventure singulière par son caractère post-capitaliste.

Des paysans pauvres mais unis, nous montrent qu’une société post-extractiviste - aussi indispensable pour l’avenir de la jeune génération que pour la survie de l’humanité - est réalisable là où des citoyens entrent en conscience dans une résistance active. Si le spectacle de ce monde malade vous déprime, le passage à la lutte organisée et collective, en donnant à voir un autre futur, fera disparaître le découragement shooté dans votre cerveau par le TINA thatchérien. Les interactions sociales apporteraient-elles à certains de nos neurones ces récompenses que d’autres recherchent dans les drogues ? De nouvelles recherches tendraient à le prouver. Mais, comme le dit le nouveau citoyen de San Cristobal de Las Casas, « il est vain de croire qu’on peut construire sans résister et stérile de résister sans construire. [66] »

Introduction
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4


Notes

[1« Géo-ingénierie : scientifiques, militaires et milliardaires s’allient pour manipuler l’atmosphère » par Sophie Chapelle http://www.bastamag.net/article3404.html

[2Naomi Oreskes, L’effondrement de la société occidentale, Les Liens qui Libèrent, 2014.

[3La BM « redoute une hausse de la température du globe de 4 °C dès 2060. Un monde à + 4°C déclencherait une cascade de changements cataclysmiques, dont des vagues de chaleur extrême, une chute des stocks alimentaires et une montée du niveau de la mer frappant des centaines de millions de personnes » http://www.lemonde.fr/planete/article/2012/11/19/la-banque-mondiale-redoute-le-cataclysme-d-une-hausse-de-4-c-de-la-temperature_1792492_3244.html

[4AIE, l’agence internationale de l’énergie, a été fondée par l’OCDE en 1974.

[5« Comment l’Europe et la Banque mondiale subventionnent le réchauffement climatique ». http://www.bastamag.net/article777.html

[6Dominique Meda, « Nous vivons toujours dans la mystique de la croissance », Libération, 10.09.2013.

[7Philippe Bihouix, L’âge des Low tech, Seuil, 2014.

[8Philippe Bihouix, Penser la décroissance, Presses de SciencePo, 2013.

[9Rapport co-rédigé par le CAC, Attac et le Cadtm en juin 2014. http://cadtm.org/Que-faire-de-la-dette

[10Harald Weltzer, Journal Libération, 22 mars 2013.

[11Paul Ariès, Amoureux du bien vivre, Golias, 2013.

[12Roxanne Mitralias, émission « Terre à terre » sur France Culture, 11.05.2013.

[13Nombreux articles sur cette question sur www.cadtm.org

[15France-Inter 25.08.14, cadtm.org/Dettes-des-Etats-Les-fonds

[18Damien Millet et Eric Toussaint, La dette ou la vie, Aden-Cadtm, 2012.

[19John Perkins, Les confessions d’un assassin financier, Alterre, 2005.

[29Gail ’The Actuary" Tverberg : http://ourfiniteworld.com/

[30Richard Heinberg, Pétrole, la fête est finie, Résistances, 2008 ; Yves Cochet, Pétrole Apocalypse, Fayard, 2005.

[32Matthieu Auzanneau, Pétrole, la fête est finie, Blog Oil man http://petrole.blog.lemonde.fr

[33Hervé Kempf, Le pic pétrolier a eu lieu en 2006, http://www.reporterre.net/spip.php?article1424

[34Rob Hopkins, Manuel de Transition - De la Dépendance au Pétrole à la Résilience, Ecosociété, 2010.

[35Rob Hopkins, Manuel de Transition, Ecosociété, 2010, p. 60.

[36Mouvement issu des Etats-Unis, les survivalistes se préparent à des pénuries en stockant armes et nourritures dans leur maison.

[37GRAIN, Hold-up sur l’alimentation, GRAIN-Cetim, 2012, p. 109.

[41GRAIN, Hold-up sur l’alimentation, GRAIN-Cetim, 2012, p. 113.

[42Confédération syndicale internationale http://www.bastamag.net/On-ne-creera-pas-d-emplois-sur-une

[43GRAIN, Hold-up sur l’alimentation, GRAIN-Cetim, 2012, p. 119. Energie pour les engrais et les machines agricoles.

[44Rob Hopkins, Manuel de Transition - De la Dépendance au Pétrole à la Résilience, Ecosociété, 2010, p. 74.

[45Paul Ariès, Décroissance ou barbarie, Golias, 2009.

[46Geneviève Azam, Le temps du monde fini, Les Liens qui Libèrent, 2010.

[48Christian Jacquiau, Les coulisses de la grande distribution, Albin Michel, 2000.

[49O. Bailly, D. Lambert, J-M Caudron, Ikea, un modèle à démonter, Luc Pire, 2006.

[51Ivan Illich, Energie et équité, Seuil, 1975.

[52Le train pendulaire permet d’emprunter à grande vitesse les courbes des lignes classiques.

[55Fédération Nationale des Associations d’Usagers de Transports.

[56Le Monde, 23-24 aout 2009.

[57Geneviève Azam, Le temps du monde fini, vers l’après-capitalisme, Les Liens qui Libèrent, 2010.

[59Vincent Liegey, Stéphane Madeleine, Christophe Ondet, Anne Isabelle Veillot, Un projet pour la décroissance, Editions Utopia, 2013.

[62voir l’affaire Tapie en France ou lire sur Bastamag « Comment l’industrie du tabac reprend l’offensive grâce aux traités de libre échange » http://www.bastamag.net/Comment-l-industrie-du-tabac

[63Centre international de règlement des différents liés à l’investissement auprès de la BM.

[65Jérôme Baschet, Adieux au capitalisme, Autonomie, société du bien vivre et multiplicité des mondes, La découverte, 2014.

[66Interview de Jérôme Baschet, CQFD, Avril 2014 : http://cqfd-journal.org/Il-serait-vain-de-croire-qu-on

Nicolas Sersiron

Président du CADTM France, auteur du livre « Dette et extractivisme »
Après des études de droit et de sciences politiques, il a été agriculteur-éleveur de montagne pendant dix ans. Dans les années 1990, il s’est investi dans l’association Survie aux côtés de François-Xavier Verschave (Françafrique) puis a créé Échanges non marchands avec Madagascar au début des années 2000. Il a écrit pour ’Le Sarkophage, Les Z’indignés, les Amis de la Terre, CQFD.
Il donne régulièrement des conférences sur la dette.

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