Parler de crise écologique globale, revient à faire le constat de l’évolution défavorable du milieu de vie pour l’espèce humaine et de la perte de la biodiversité dont il est un chaînon. Plus de la moitié des humains vivent dans des conditions qui nous seraient insupportables, plus d’1 milliard ne peut manger, ou boire de l’eau potable. ¼ des mammifères, nos proches cousins, sont condamnés à disparaître. Les sols agricoles surexploités s’essoufflent, les mers sont vidées, les forêts brulées, la guerre de l’eau a commencé. Notre climat se détériore rapidement, réchauffé par notre surconsom-mation alimentaire, matérialiste et énergivore.
Faisant la queue un beau matin de juin au guichet de la poste, une jeune femme, légèrement obèse, au teint rougeoyant se tourne vers moi : « y pourraient quand même climatiser ! ». Je lui réponds qu’il ne fait guère plus de 22-24°, une température qui me semble agréable, puis j’ajoute que climatiser aboutit à réchauffer un peu plus le climat, donc globalement à l’inverse de l’effet rechercher. « Vous croyez ! » J’insiste : climatiser utilise de l’énergie, donc produit de la pollution et du réchauffement. « Non, je ne vous crois pas ! » Une voiture produit du CO2 quand elle roule, si elle est climatisée un jour de grande chaleur, elle en produira 10 à 20% de plus et, à l’arrêt dans les encombrements, réchauffera les piétons passant juste à côté avec les calories extraites de son habitacle.
L’ignorance des choses importantes du monde
Le gouvernement français, comme ceux des autres pays riches maintiennent la majorité de la population, au nom de la sacro sainte croissance – soit disant source d’emploi - dans l’ignorance des choses importantes du monde et de la portée de leurs actes consuméristes. Climatiser n’est pas anodin, cela va produire du profit pour le fabricant, le vendeur, le service après-vente, et surtout le fournisseur d’énergie, etc., donc faire augmenter le PIB
PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
. Totalement à l’envers de ce que chacun d’entre nous doit comprendre, s’il a le désir de laisser à ses proches descendants une planète vivable. Le PIB aime le positif comme toutes les dépenses qui le font monter. Ne lui parler pas d’économie d’énergie ou de décroissance matérielle, vous le rendriez malade. Le PIB est un instrument comptable des profits capitalistes, il ne s’intéresse pas au bien-être des humains ou de la nature : il n’est pas fait pour ça. L’indice de développement humain, IDH
Indicateur de développement humain
IDH
Cet outil de mesure, utilisé par les Nations unies pour estimer le degré de développement d’un pays, prend en compte le revenu par habitant, le degré d’éducation et l’espérance de vie moyenne de sa population.
, vous connaissez ? Les médias, la publicité, les transnationales l’ignorent.
Cette femme, comme des centaines de millions d’autres humains, est une victime du marketing. Il y a plus de 30 ans, Ivan Illich avait dit combien le malaise psychique accompagnait les progrès du « bien-avoir » matériel. A la recherche d’un mieux être qui semble toujours s’enfuir, elle surconsomme des produits raffinés, emballés, pesticidés, - pauvres en nutriments, riches en sucres et graisses – tous issus de l’agrobusiness et des supermarchés dont elle fait la fortune. L’obésité apportera son lot de maladies : son thermomètre interne est déjà déréglé. De plus en plus de services et de produits du santé-business lui seront nécessaires. Le poids de son corps lui créera de nouveaux besoins que de nombreux robots électromécaniques lui fourniront. Sa maladie est un vecteur redoutable de la surconsommation de toutes les matières premières et des énergies fossiles de la planète, transformées par l’industrie. Terminal de la longue chaîne du pillage organisé au nom du libre-échange, elle est une source de profits formidable. Utilisée par les statistiques des économistes, elle servira de prétexte, pour nous démontrer la nécessité d’augmenter chaque année la quantité de nourriture, de médicaments, de services, de biens matériels dans une course sans fin jusqu’à l’épuisement planétaire.
Le système du libre marché ne nous présente que la face délicieuse de la consommation
Il s’adresse à notre part infantile et pulsionnelle. Il transgresse la structuration de nos désirs pour créer en nous le besoin d’une satisfaction immédiate. Pour cela, il en masque les véritables coûts ou les externalise. Dans son besoin d’une croissance incessante, indispensable à la fabrication de ses profits, il nous aveugle sur le but de son projet. La croissance serait le moyen de créer des emplois et l’effet de ruissellement (trickle down effect) permettrait aux pauvres de s’enrichir grâce aux investissements des profits des plus riches. Mensonges. Les emplois diminuent inexorablement sous l’effet des gains de productivité, et les accumulations capitalistes de quelques-uns appauvrissent le plus grand nombre. Pomper sans limites dans les ressources naturelles, nos biens communs, devient dans ce schéma, aussi indispensable que normal. Pour écouler les surproductions issues de la course aux profits, le libre marché pousse les humains au surendettement. Et ainsi pour satisfaire aux besoins artificiels créés par le système médiatico-publicitaire, nous brûlons notre planète. En dépassant la capacité de renouvellement de notre maison - le système-planète-habitable - nous créons une dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
écologique envers les 4 milliards d’humains exclus, nos enfants et les générations futures.
Le système « consommationiste » externalise les coûts de deux manières. Soit il reporte sur d’autres une partie du prix : le citoyen mangeur, mais surtout le végétarien, doit payer la dépollution de l’eau qu’il boit alors que l’essentiel de la pollution chimique est produite par l’agriculture qui, à 80%, sert à la production animale. Il mangerait beaucoup moins de viande si le prix reflétait les véritables coûts, les pollutions de l’eau, de l’air et celui du réchauffement dû à l’élevage (15-20% des gaz à effet de serre GES). Sur le plan de la santé il se porterait mieux. Payons-nous avec l’achat de notre steak le prix de la disparition de la forêt amazonienne ? Le prix de la mort lente des indiens au profit du soja OGM
OGM
Organisme génétiquement modifié
Organisme vivant (végétal ou animal) sur lequel on a procédé à une manipulation génétique afin de modifier ses qualités, en général afin de le rendre résistant à un herbicide ou un pesticide. En 2000, les OGM couvraient plus de 40 millions d’hectares, concernant pour les trois-quarts le soja et le maïs. Les principaux pays producteurs étaient les USA, l’Argentine et le Canada. Les plantes génétiquement modifiées sont en général produites intensivement pour l’alimentation du bétail des pays riches. Leur existence pose trois problèmes.
Problème sanitaire. Outre la présence de nouveaux gènes dont les effets ne sont pas toujours connus, la résistance à un herbicide implique que le producteur va multiplier son utilisation. Les produits OGM (notamment le soja américain) se retrouvent gorgés d’herbicide dont dont on ignore les effets sur la santé humaine. De plus, pour incorporer le gène nouveau, on l’associe à un gène de résistance à un antibiotique, on bombarde des cellules saines et on cultive le tout dans une solution en présence de cet antibiotique pour ne conserver que les cellules effectivement modifiées.
Problème juridique. Les OGM sont développés à l’initiative des seules transnationales de l’agrochimie comme Monsanto, pour toucher les royalties sur les brevets associés. Elles procèdent par coups de boutoir pour enfoncer une législation lacunaire devant ces objets nouveaux. Les agriculteurs deviennent alors dépendants de ces firmes. Les États se défendent comme ils peuvent, bien souvent complices, et ils sont fort démunis quand on découvre une présence malencontreuse d’OGM dans des semences que l’on croyait saines : destruction de colza transgénique dans le nord de la France en mai 2000 (Advanta Seeds), non destruction de maïs transgénique sur 2600 ha en Lot et Garonne en juin 2000 (Golden Harvest), retrait de la distribution de galettes de maïs Taco Bell aux USA en octobre 2000 (Aventis). En outre, lors du vote par le parlement européen de la recommandation du 12/4/2000, l’amendement définissant la responsabilité des producteurs a été rejeté.
Problème alimentaire. Les OGM sont inutiles au Nord où il y a surproduction et où il faudrait bien mieux promouvoir une agriculture paysanne et saine, inutiles au Sud qui ne pourra pas se payer ces semences chères et les pesticides qui vont avec, ou alors cela déséquilibrera toute la production traditionnelle. Il est clair selon la FAO que la faim dans le monde ne résulte pas d’une production insuffisante.
destiné au bétail européen ? Non bien sûr. Les bœufs à transformer en steak Mac Do et en cuir pour les sacs Vuitton sont plus profitables que la sauvegarde de quelques tribus sauvages. Faire disparaître le plus grand poumon de la planète importe peu aux profits immédiats du grand capital. L’essentiel est que le client final achète, le service environnemental n’est pas compris !
L’autre façon consiste à reporter les coûts volontairement cachés sur les générations futures. Dans quelques dizaines d’années le pétrole à bas coût aura disparu, la planète sera réchauffée, les déchets des centrales atomiques en fin de vie seront encore à gérer pour longtemps, les terres agricoles surexploitées seront totalement infertiles sans une pétrochimie intense, et les mers vides. La dette écologique
Dette écologique
La dette écologique est la dette contractée par les pays industrialisés envers les autres pays à cause des spoliations passées et présentes de leurs ressources naturelles, auxquelles s’ajoutent la délocalisation des dégradations et la libre disposition de la planète afin d’y déposer les déchets de l’industrialisation.
La dette écologique trouve son origine à l’époque coloniale et n’a cessé d’augmenter à travers diverses activités :
La « dette du carbone ». C’est la dette accumulée en raison de la pollution atmosphérique disproportionnée due aux grandes émissions de gaz de certains pays industriels, avec, à la clé, la détérioration de la couche d’ozone et l’augmentation de l’effet de serre.
La « biopiraterie ». C’est l’appropriation intellectuelle des connaissances ancestrales sur les semences et sur l’utilisation des plantes médicinales et d’autres végétaux par l’agro-industrie moderne et les laboratoires des pays industrialisés qui, comble de l’usurpation, perçoivent des royalties sur ces connaissances.
Les « passifs environnementaux ». C’est la dette due au titre de l’exploitation sous-rémunérée des ressources naturelles, grevant de surcroît les possibilités de développement des peuples lésés : pétrole, minéraux, ressources forestières, marines et génétiques.
L’exportation vers les pays les plus pauvres de produits dangereux fabriqués dans les pays industriels.
Dette écologique et dette extérieure sont indissociables. L’obligation de payer la dette extérieure et ses intérêts impose aux pays débiteurs de réaliser un excédent monétaire. Cet excédent provient pour une part d’une amélioration effective de la productivité et, pour une autre part, de l’appauvrissement des populations de ces pays et de l’abus de la nature. La détérioration des termes de l’échange accentue le processus : les pays les plus endettés exportent de plus en plus pour obtenir les mêmes maigres recettes tout en aggravant mécaniquement la pression sur les ressources naturelles.
pour nos suivants sera beaucoup plus lourde que la dette financière actuelle. Dans son principe elle est semblable : elle met en pleine lumière les limites du : « consommons le maximum tout de suite, nous ou nos descendants paierons plus tard ». À en croire le discours de la majorité de nos politiques sur la croissance, c’est le moyen de nous sortir de la crise. Vive la grande confusion du Grenelle de l’environnement. Ha oui, mais pardon, maintenant on va faire de la croissance verte !
La potion magique
La crise de l’économie globale liée à la crise écologique pousse les responsables du système capitaliste à chercher le moyen pour endormir le « consommationiste » inquiet pour son avenir et, ainsi, faire repartir la machine à produire toujours plus de profits. Aujourd’hui ils nous proposent la croissance durable sur une planète déjà très endommagée et limitée. Mais n’est-ce pas un autre habillage du système. Celui qui est responsable de l’injustice sociale grandissante et de la catastrophe écologique actuelle, celui qui est à la source de plus en plus de profits pour de moins en moins de personnes. Le vert serait-il devenu le sésame des mille et une nuits.
A la fois capable de stopper la crise et d’éviter l’écueil de la redistribution équitable des richesses ?
Le capitalisme vert cherche à nous engager dans une nouvelle économie qui serait écologiquement responsable. Nous devons croire dans la capacité de la techno-science pour résoudre les problèmes dont elle est pourtant la première responsable. Il n’est plus question de faire appel au bon sens populaire ou à l’esprit critique de chacun. Les pouvoirs imposent le dogme du croissantisme vert comme une évidence : si vous voulez des emplois, c’est la seule solution. Mais le réveil n’en sera que plus dur. Les décideurs veulent nous faire croire que la démocratie politique, la réflexion éco-citoyenne ne pourraient plus s’exercer devant la complexité des problèmes et l’urgence climatique. Seuls les experts de l’écologie, en réalité les nouveaux conseillers éco-verts du vieux système des profits, seraient capables de guider les décisions des gouvernants, les vraies bonnes décisions pour la population !!!
Pourtant, la prospérité d’aujourd’hui n’a aucun sens si elle ne tient pas compte de la prospérité de demain. A quoi sert de faire de la croissance verte en laissant au marché le soin de gérer la crise. Il préfère investir « …dans la production d’énergies « sans C02 » plutôt que dans les économies, alors qu’1 euro affecté à l’isolation des bâtiments évite bien plus de GES qu’un euro injecté dans le renouvelable. » Aurélien Bernier. 1 litre d’agrocarburant - de sa fabrication à son usage ultime - produit en moyenne 3 fois plus de GES qu’1 litre de pétrole. Sous le prétexte de l’autonomie énergétique, ce sont les profits de l’agro-industrie subventionnée par le contribuable que l’on découvre : au diable les GES.
La question écologique est fondamentalement politique
La justice sociale planétaire et notre avenir dépendent de la société civile. Si elle ne réussit pas à faire entendre sa voix, des choix écologiquement et socialement catastrophiques continueront à être faits - au nom du libre échange - pour les profits immédiats de l’oligarchie. Ils sont peu nombreux, immensément riches et plutôt âgés. Sans avenir, pathologiquement égocentrés, ils ne dirigent le monde que pour améliorer encore la magnificence de leurs derniers banquets.
Président du CADTM France, auteur du livre « Dette et extractivisme »
Après des études de droit et de sciences politiques, il a été agriculteur-éleveur de montagne pendant dix ans. Dans les années 1990, il s’est investi dans l’association Survie aux côtés de François-Xavier Verschave (Françafrique) puis a créé Échanges non marchands avec Madagascar au début des années 2000. Il a écrit pour ’Le Sarkophage, Les Z’indignés, les Amis de la Terre, CQFD.
Il donne régulièrement des conférences sur la dette.
8 octobre 2021, par Nicolas Sersiron
4 juin 2021, par Nicolas Sersiron
10 février 2021, par CADTM Belgique , Nicolas Sersiron , Sushovan Dhar , Camille Bruneau , Pablo Laixhay , Jonathan Peuch
26 octobre 2020, par Nicolas Sersiron
22 avril 2020, par Nicolas Sersiron
3 septembre 2019, par Nicolas Sersiron
19 mars 2019, par Nicolas Sersiron
24 janvier 2019, par Nicolas Sersiron , Cédric Durand , Nathalie Janson , Charles Gave , Frédéric Taddeï
7 janvier 2019, par Nicolas Sersiron , Aznague Ali
18 décembre 2018, par Nicolas Sersiron