Ce discours de Sonia Mitralia, membre du Comité grec contre la dette et du CADTM international, a été prononcé devant la Commission Sociale de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe qui s’est tenue le 24 janvier 2012 à Strasbourg sur le thème : « Les mesures d’austérité - un danger pour la démocratie et les droits sociaux".
Presque deux ans après le début du traitement de choc imposé par la Banque centrale européenne
BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
, la Commission européenne et le Fonds monétaire international
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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à la Grèce, son bilan est catastrophique, révoltant et inhumain.
Tout d’abord, même les inspirateurs de ces politiques admettent maintenant ouvertement non seulement leur échec patent, mais aussi que leurs recettes étaient dès le début totalement erronées, irréalistes, inefficaces et même contre-productives. En voici une illustration qui concerne non pas une question secondaire mais le cœur du problème, la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
publique grecque elle-même. Selon tous les responsables du désastre grec, si leurs politiques (d’austérité plus que draconienne) s’avéraient efficaces à 100%, ce qui est d’ailleurs totalement illusoire, la dette publique grecque serait ramenée en 2020 à 120% de PIB
PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
national, c’est-à-dire au taux qui était le sien … en 2009 quand tout ce jeu de massacre a commencé ! En somme, ce qu’ils nous disent maintenant cyniquement, c’est qu’ils ont détruit toute une société européenne… absolument pour rien !
Mais, comme si tout cela ne suffisait pas, ils persistent à imposer aux Grecs – mais aussi pratiquement à tout le monde - exactement les mêmes politiques qu’eux-mêmes admettent qu’elles ont échoué. C’est ainsi qu’on est désormais en Grèce au septième « Mémorandum » d’austérité et de destruction de services publics, après que les six premiers ont fait preuve d’une totale inefficacité ! On assiste au Portugal, en Irlande, en Italie, en Espagne et un peu partout en Europe à l’application de ces mêmes plans d’austérité draconienne qui aboutissent partout au même résultat, c’est-à-dire enfoncer les économies et les populations dans une récession Récession Croissance négative de l’activité économique dans un pays ou une branche pendant au moins deux trimestres consécutifs. et un marasme toujours plus profonds.
En réalité, des expressions telles que « austérité draconienne » sont absolument insuffisantes pour décrire ce qui est en train de se passer en Grèce. Les salaires et les retraites sont amputés de 50% ou même, dans certains cas, de 70%. La malnutrition fait des ravages parmi les enfants de l’école primaire, la faim fait son apparition surtout dans les grandes villes du pays dont le centre est désormais occupé par des dizaines des milliers des SDF misérables, affamés et en haillons. Le chômage atteint désormais 20% de la population et 45% des jeunes (49,5% pour les jeunes femmes). Les services publics sont liquidés ou privatisés avec comme conséquence que les lits d’hôpitaux sont réduits (par décision gouvernementale) de 40%, qu’il faut payer très cher même pour accoucher, qu’il n’y a plus dans les hôpitaux publics des pansements ou des médicaments de base comme des aspirines. L’Etat grec n’est toujours pas capable, en janvier 2012 !, de fournir aux élèves les livres de l’année scolaire commencée en septembre passé. Des dizaines de milliers de citoyens grecs handicapés, infirmes ou souffrants des maladies rares se voient condamnés à une mort certaine et à brève échéance après que l’Etat grec leur a coupé les subsides et les médicaments. Le nombre de tentatives de suicide s’accroît à une vitesse hallucinante, comme d’ailleurs celui des séropositifs et des toxicomanes abandonnés désormais à leur sort par les autorités. Des millions de femmes grecques se voient maintenant chargées des tâches normalement assumées par l’Etat à travers ses services publics quand ceux-ci n’étaient pas encore démantelés ou privatisés par les politiques d’austérité. La conséquence en est un véritable calvaire pour ces femmes grecques : non seulement elles sont les premières à être licenciées et sont contraintes d’assumer les tâches des services publics en travaillant de plus en plus gratuitement à la maison, mais elles sont aussi directement visées par la réapparition de l’oppression patriarcale qui sert d’alibi idéologique au retour forcé des femmes au foyer familial.
On pourrait continuer presque à l’infini cette description de la déchéance de la population grecque. Mais, même en se limitant à ce qu’on vient de dire, on constate qu’on se trouve devant une situation sociale qui correspond parfaitement à la définition de l’état de nécessité ou de danger reconnu depuis longtemps par le droit international. Et ce même droit international oblige expressément les Etats à donner la priorité à la satisfaction des besoins élémentaires de ses citoyens et non pas au remboursement de ses dettes.
Comme le souligne la Commission du droit international de l’ONU à propos de l’état de nécessité : « On ne peut attendre d’un État qu’il ferme ses écoles et ses universités et ses tribunaux, qu’il abandonne les services publics de telle sorte qu’il livre sa communauté au chaos et à l’anarchie simplement pour ainsi disposer de l’argent pour rembourser ses créanciers étrangers ou nationaux. Il y a des limites à ce qu’on peut raisonnablement attendre d’un État, de la même façon que pour un individu. »
Notre position, partagée par des millions de Grecs, est claire et nette et se résume au respect du droit international. Les Grecs ne doivent pas payer une dette qui n’est pas la leur pour plusieurs raisons.
Primo, parce que l’ONU et les conventions internationales -signées par leur pays mais aussi par les pays de leurs créanciers- intiment à l’Etat grec de satisfaire en toute priorité non pas ses créanciers mais plutôt ses obligations
Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
envers ses nationaux et les étrangers qui se trouvent sous sa juridiction.
Secundo, parce que cette dette publique grecque, ou au moins une part très importante, semble réunir tout les attributs d’une dette odieuse
Dette odieuse
Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.
Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).
Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.
Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».
Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »
Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
, et en tout cas illégitime, que le droit international intime de ne pas rembourser. C’est d’ailleurs pourquoi il faudrait tout faire non pas pour empêcher (comme l’Etat grec le fait maintenant) mais plutôt pour faciliter la tache de la Campagne grecque pour l’audit citoyen de cette dette afin d’identifier sa part illégitime.
Notre conclusion est catégorique : la tragédie grecque n’est ni fatale ni insoluble. La solution existe et la répudiation, l’annulation et le non paiement de la dette publique grecque en font partie en tant que premier pas dans la bonne direction. C’est-à-dire, vers le salut de tout un peuple européen menacé par une catastrophe humanitaire sans précédent en temps de paix…
Appel
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