Dans la forêt de Durban

9 décembre 2011 par Samir Abi




30000 participant-e-s sont venus de 192 pays pour participer au COP17. Pour ce beau monde, l’Afrique du Sud a mobilisé tout ce qu’elle a de meilleur. De son gouvernement aux technicien-ne-s de surface en passant par les chauffeurs, policier-e-s, cuisinier-e-s, en tout plus de 5000 personnes au travail jour et nuit pour assurer une bonne organisation. Des centaines de volontaires venant de Johannesburg, de Cape Town, de Bloemfontein, de Port Elizabeth, de Kimberley… Difficile de leur demander sa route ou une quelconque indication sur la ville car ils n’ont même pas encore eu le temps de la parcourir pour découvrir tous les charmes de cette station touristique de l’océan indien. Ils affichent toujours le sourire pour vous demander à votre arrivée : «  Did you have a good night ? » Tout un charme ! Et il en faut pour faire passer les longues journées du COP 17.

En cette période estivale dans l’hémisphère sud, le soleil se lève assez tôt sur Durban. Vers 4h00 on en voit les premiers rayons. À 6h00 il semble déjà au Zénith et impossible de résister à son appel malgré le brise marine fraîche qui souffle sur la ville le matin. La journée commence obligatoirement par un tour sur le net pour voir les derniers mails et les informations sur les réunions de la journée. Pour ceux qui désirent rejoindre les réunions du COP, le kit indispensable pour tout-e participant-e à ne jamais oublier : téléphone, laptop et badge. Au COP, toute la journée se déroule autour de ces trois objets. Les conférences sur le changement climatique sont les meilleurs endroits pour se rendre compte, grandeur nature, du poids de l’information dans le monde d’aujourd’hui. Une fois franchis les contrôles de sécurité, « Welcome in the world ».

Premier rendez-vous de la journée, le point de presse des différents négociateurs. Rien de meilleur pour définitivement vous réveiller. Les avancés, les blocages, les nouvelles propositions sur la table sont soigneusement présentés avec tout le jargon diplomatique et juridique nécessaire. A cet exercice les négociateurs du groupe Afrique demeurent les chouchous des journalistes car les plus prolixes en informations et surtout en inquiétudes. Inquiétudes sur la convention, les engagements de réductions d’émission, sur les financements de l’adaptation, le fonds vert... L’heure d’horloge est souvent trop courte pour aborder les nombreux points en discussion. Chaque jour, entre 20 et 30 ateliers informels de négociations se réunissent simultanément avant les plénières où les différents textes sont adoptés. Le premier groupe d’ateliers concerne les pays (parties dans le langage du COP) ayant ratifié la convention cadre. Les débats y portent essentiellement d’une part sur les stratégies mises en œuvre par les différentes parties pour réduire leur émission et s’adapter aux impacts du changement climatique, et d’autre part sur le financement et le transfert de technologie. À ce niveau, les discussions se déroulent autour du document de communication nationale présenté par chaque partie dans lequel est retracée sa situation par rapport au changement climatique. Le second groupe d’ateliers informels de négociations réunit les parties ayant ratifié le protocole de Kyoto pour suivre le niveau de réalisation des engagements. À ces deux premiers groupes informels de négociations s’ajoutent les ateliers informels des groupes de travail ad hoc AWG- LCA et AWG-KP. Ces groupes de travail ad hoc sont ceux qui mobilisent souvent le plus depuis le COP 13 de Bali en 2007 car y sont discutés le futur de la convention au travers des actions Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
coopératives de Long Terme (AWG-LCA) et le futur du protocole de Kyoto (AWG-KP) notamment la période d’engagement de l’après 2012. Ces ateliers sont souvent fermés et seuls les négociateurs des parties y participent.

Le dilemme pour les pays africains, pendant de longues années, a été de savoir comment, pour défendre leurs intérêts, suivre, durant deux semaines, tous ces ateliers simultanés. D’autant plus qu’ils exigent un haut niveau de compétence. Chaque sujet abordé fait l’objet préalablement de beaucoup de négociations dans les rencontres intermédiaires qui se déroulent tout au long de l’année avant le COP. Malgré la meilleure volonté du monde le processus du COP est très éprouvant pour les méninges. Un processus africain de concertation mis sur pied avant le COP 15 à Copenhague a permis d’avancer sur ces questions en créant un groupe commun des négociateurs Afrique pour faire face à la masse des négociateurs européens et américains. En outre, vue la participation croissante des ONG africaines au sein du COP, les délégations officielles en ont finalement intégré bon nombre. À Durban il est marquant de voir qu’une nouvelle génération de négociateurs occupe de plus en plus de place au sein des délégations africaines. Cette génération, agée de moins de 40 ans, dont les francophones parlent couramment l’anglais, est sans complaisance et aborde avec une grande maîtrise les sujets qui sont en jeu. Bien souvent, ces francophones ont fait leur premier pas dans la société civile avant de se retrouver au niveau officiel. D’où leur grande volonté de bien faire afin de modifier l’image de cette Afrique toujours à la traine. La qualité des documents de communication nationale fournis démontre le niveau d’expertise qui se développe au sein des ministères de l’environnement en Afrique. Les financements du Fonds environnemental mondial (FEM) y contribuent également.

Simultanément à la conférence de presse des négociateurs se tiennent les réunions des plateformes d’organisations non-gouvernementales présentes au COP. Les différentes organisations non gouvernementales présentes à la conférence des parties se regroupent en réseau sectoriel pour mener leurs actions. Il y a ainsi les Environmental NGOs (ENGOs) , les Young NGOs (YONGOs) , les Business NGOs (BINGOs) , les Research and independent NGOs ( RINGOs), les Trade union NGOs (TUNGOs) et les réseaux représentant les indigènes, les paysans, les autorités locales, les réseaux sur la justice climatique… Acceptées en tant qu’observateurs lors des plénières, les ONGs interviennent tout au long du COP par diverses actions pour influencer la position des pays et des négociateurs ou donner des informations alternatives aux journalistes. À Durban, le groupe le plus dynamique est celui des YONGOs qui rassemble toutes les coalitions jeunes sur le changement climatique du Nord au Sud. Ce groupe intervient dans l’espace du COP par des Artmobs, des conférences et des communiqués de presse et assure sa visibilité en portant les T-shirts I love KP (Kyoto protocol). Ces derniers jours, son action a beaucoup plus porté sur les négociateurs canadien-ne-s et la question du fonds vert. En fonction des plénières, la participation des ONGs est plus ou moins restreinte. Les ONGs qui en sont exclues trouvent un large éventail de side events grâce aux différents pavillons continentaux et aux 200 stands d’associations, de réseaux, de centres de recherches, d’universités, d’institutions internationales et de pays situés à l’exposition center.

Chaque continent a à sa disposition un pavillon où sont organisés des ateliers pour la présentation de ses programmes en cours sur le changement climatique, pour le lancement des diverses initiatives, comme le tout nouveau Fonds climat du Mali, et pour des échanges sur les sujets qui font débat au sein des groupes. La société civile est invitée à donner son avis sur les différents points. Le plus grand des pavillons est le pavillon africain dans lequel a été monté une forêt artificielle. Trois salles aux noms très évocateurs Desert, Rainforest et Rivers accueillent tout au long de la journée des side events. En dépassant le pavillon Afrique on tombe sur une imposante porte qui affiche la grande mention EU Pavillon. On y entre sans visa pour contempler les deux salles souvent peu bondées de Brussels Room et Warsaw Room où les institutions de la Commission européenne et la présidence polonaise de l’UE tiennent leurs side envents. Dans ces deux pavillons, à la fin de chaque side event, on est gracieusement nourri aux frais du contribuable, ce qui n’est pas le cas dans le pavillon US qui se situe à leur opposé. À l’US center, comme on l’appelle, vous n’avez droit ni au Coca, ni aux cakes, ni au poulet ou autre friandise offerte dans les autres pavillons, juste un café vous y attend. Les américains seraient-ils trop pingres ou trop regardants sur leurs finances ? Géré par l’US AID, ce pavillon est le plus fourni en matériel électronique car tout s’y déroule par vidéo conférence avec les conférenciers des side events qui se trouvent de l’autre côté de l’Atlantique. Une anecdote au passage : une des conférences portait sur les actions de l’US Departement of Defense (DOD) contre le changement climatique. Depuis le Pentagone, les conférenciers expliquaient que la Navy et les GI’s agissent écologiquement … Interdit de rire c’était vraiment du sérieux… en suivant toutes leurs explications on ne pouvait manquer de penser à l’Irak et à l’Afghanistan. Dans le pavillon chinois, de charmantes hôtesses vous accueillent, vous installent et vous offrent de l’eau pour étancher votre soif après le long parcours pour vous y rendre. Elles vous offrent ensuite un sac, un notebook, des bics… On se demande, bien sûr, si cela vient des mains d’ouvriers exploités et esclaves de la croissance chinoise… Mais avant de se poser la question l’hôtesse vous tend un document sur la Corporate Social Responsability des entreprises chinoises ; donc, tout est bien dans le meilleur des mondes ! Ceux qui ne sont pas disposés à subir toutes ces images jusque tard dans la soirée ont la belle échappatoire du forum climat de la Via campesina à l’Université du Kwazulu Natal (UKZN).

Un bus vous conduit à l’UKZN en 20mn quand les boulevards de Durban ne sont pas trop embouteillés. Située sur les montagnes surplombant Durban, l’UKZN est construite dans une forêt qui a préservé sa végétation et sa fraicheur. Via Campesina, Friends of the Earth, PACJA et divers autres réseaux sur la justice climatique y ont installé leur camp depuis l’arrivée de la caravane de l’espoir sur le climat qui a traversé toute l’Afrique australe. Des ateliers et des assemblées populaires s’y tiennent toute la journée. À chaque jour une thématique spécifique ; journée sur les forêts le dimanche, sur la souveraineté alimentaire le lundi, sur les emplois climatiques (Climate Jobs) le mardi... Et chaque jour « Siya Hamba » (Nous marchons) aux cris des « Amandla ». Du 1er au 5 décembre, une assemblée y a réuni plus d’un millier de femmes rurales d’Afrique australe. La vie coule plus tranquillement dans cette université, en pleine forêt, loin des nuisances sonores de Durban et de l’ICC, mais les activités y sont toutes d’une grande énergie et d’une grande radicalité car les paysan-ne-s, les migrant-e-s et les jeunes présent-e-s savent qu’il en va de leur survie. On y discute également des mobilisations Sud – Sud à construire pour faire entendre la voix des peuples à Rio + 20.

A la fin d’une telle journée, il reste la divertissante possibilité de terminer la soirée en réunion dans l’un des restaurants en face de l’océan indien ou, pour ceux qui le peuvent encore, d’assister aux concerts qui se succèdent sur la plage au sable fin de Durban. Dans les deux cas on est sûr de ne pas rejoindre son lit avant 2h00 du matin. Restent encore les deux derniers jours du COP où toutes les grandes décisions doivent être adoptées en présence des ministres. Et la ville magique de Durban rentrera de nouveau dans l’histoire. Durban qui est, comme le dit si bien la publicité du gouvernement sud africain aux touristes, The warmest place to live.


Samir Abi est secrétaire général d’Attac Togo, membre du réseau international CADTM

Samir Abi

ATTAC-CADTM Togo

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