Janvier 2019
31 janvier 2019 par Renaud Vivien
Abstract :
Vingt-cinq ans après l’application des premiers plans d’ajustement structurel dans les pays du Sud censés résoudre la crise de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
de 1982, les pays de l’UE frappés par la crise financière de 2007 adoptent des mesures similaires sous la terminologie de « politiques d’austérité ». Certaines de ces mesures sont directement inscrites dans des accords appelés « memorandum » conclus entre l’État endetté et la Troïka, composée de la Banque centrale européenne
BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
(BCE), de la Commission européenne et du Fonds monétaire international
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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(FMI). Ces accords conclus avec la Grèce, l’Irlande et le Portugal contiennent des prescriptions précises qui accentuent les inégalités dans la répartition des revenus et augmentent le chômage entraînant une hausse de la pauvreté. Ce qui a commencé comme une crise financière s’est transformée, au sein de l’UE, en une crise d’endettement des États appelée « crise des dettes souveraines » ou « crise des dettes publiques », puis en crise économique et sociale impactant négativement les droits fondamentaux.
Cette situation est aggravée par l’action de certains créanciers surnommés « fonds vautours
Fonds vautour
Fonds vautours
Fonds d’investissement qui achètent sur le marché secondaire (la brocante de la dette) des titres de dette de pays qui connaissent des difficultés financières. Ils les obtiennent à un montant très inférieur à leur valeur nominale, en les achetant à d’autres investisseurs qui préfèrent s’en débarrasser à moindre coût, quitte à essuyer une perte, de peur que le pays en question se place en défaut de paiement. Les fonds vautours réclament ensuite le paiement intégral de la dette qu’ils viennent d’acquérir, allant jusqu’à attaquer le pays débiteur devant des tribunaux qui privilégient les intérêts des investisseurs, typiquement les tribunaux américains et britanniques.
». Les fonds vautours sont « des entités commerciales privées qui font l’acquisition, par achat, cession ou toute autre forme de transaction, ou parfois par le biais de procédures judiciaires, de dettes impayées ou en déshérence, en vue de réaliser un profit élevé ». Ils « acquièrent en général sur le marché secondaire la dette souveraine de pays pauvres défaillants à un prix très inférieur à la valeur nominale de celle-ci puis tentent, par la voie judiciaire, la saisie d’actifs
Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
ou des pressions politiques, d’en recouvrer le montant intégral, majoré d’intérêts, de pénalités et de frais de justice ». Leur activité a non seulement des incidences négatives sur la capacité des États à respecter leurs obligations relatives au respect des droits économiques, sociaux et culturels de leur population, mais elles perturbent aussi les actions collectives de restructuration des dettes souveraines au détriment des créanciers « coopératifs ».
Une restructuration de dette souveraine implique dans la majorité des cas un échange de dettes contre de nouvelles dettes assorties d’une baisse des taux d’intérêt
Taux d'intérêt
Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
et/ou d’un allongement du calendrier de remboursement et/ou d’une diminution du capital. Généralement, la restructuration de la dette passe par des négociations entre les représentants du pays débiteur et ses créanciers. Une restructuration peut aussi être organisée de manière unilatérale. Ainsi un État peut, en ultime recours, restructurer sa dette souveraine, comme l’a rappelé l’Assemblée générale des Nations Unies en 2015.
Les fonds vautours ne sont pas les seuls créanciers à utiliser la voie judiciaire, puisqu’on assiste depuis les années 1980 à un mouvement global de judiciarisation des conflits sur les dettes souveraines. Ce phénomène s’explique à la fois par l’apparition au début des années 1990 des fonds vautours, avec la financiarisation de l’économie internationale, et par l’érosion progressive des immunités des États, liée notamment au fait que ceux-ci peuvent être assimilés à des acteurs privés lorsqu’ils empruntent sur les marchés financiers
Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
.
Les États membres de l’UE sont concernés par ce phénomène de judiciarisation. D’une part, les juridictions d’États de l’UE sont régulièrement saisies par des fonds vautours et d’autre part, l’extension de la matière civile et commerciale et, par conséquent, du champ d’application du droit international privé, permet aux créanciers d’un État ayant restructuré sa dette d’introduire des actions en responsabilité civile contre cet État devant les tribunaux étrangers, remettant ainsi en cause la restructuration.
En l’absence de cadre international pour restructurer les dettes publiques, la crainte de ces représailles judiciaires explique que les États continuent d’assurer le paiement de leurs dettes au détriment du respect des droits fondamentaux de leurs populations et du redressement de leur économie.
Compte tenu de l’impact des crises de dettes souveraines sur les droits fondamentaux et de l’enjeu mondial que revêt leur résolution vu les interdépendances économiques et le devoir de coopération entre États, le cadre d'action devrait se situer au niveau international ou, à défaut d’accord, au niveau national. Les États membres de l’UE pourraient, selon certaines conditions et formes que nous analysons dans cette étude, légiférer unilatéralement pour limiter l’impact des fonds vautours et restructurer leurs dettes souveraines par le biais d’actes pris dans l’exercice de la puissance publique appelés « actes jure imperii » ou de « lois de police » en matière contractuelle.
Ainsi, nous examinons d’une part, la nécessité pour les États membres de l’UE de prendre ce type d’actes unilatéraux et d’autre part, leur conformité au droit de l’UE, afin de dégager des pistes juridiques à la fois efficaces et respectueuses du droit de l’UE permettant aux États de lutter contre les fonds vautours et de restructurer leurs dettes.
Pour mener cette étude qui nous permettra de délimiter in fine la marge de manœuvre des États au regard du droit de l’UE, nous nous appuyons sur deux exemples récents de lois : la loi grecque du 23 février 2012 sur la restructuration des dettes grecques et la loi belge du 12 juillet 2015 relative à la lutte contre les activités des fonds vautours. Leur examen présente deux intérêts majeurs. Le premier est que ces deux lois ont été au centre de litiges portés devant plusieurs juridictions au sein de l’UE. Dans ces différentes procédures, les créanciers requérants invoquent plusieurs dispositions du droit de l’UE. Le second avantage est que ces lois sont prises par des États se trouvant dans des positions différentes à l’égard du contrat d’endettement visé par l’ingérence étatique. Dans la loi grecque, l’État (grec) est en position de débiteur de l'obligation contractuelle tandis que dans la loi belge, l’État (belge) peut être soit un tiers, soit une partie au contrat.
Cette étude ne permet pas d’analyser tous les obstacles juridiques à l’adoption de tels actes unilatéraux. Considérant que les deux législations étudiées se situent au sein de l’UE et que tous les États membres ont l'obligation de respecter le droit communautaire, nous décidons de délimiter notre sujet à la marge de manœuvre des États membres au regard du droit de l’UE.
Plus précisément, nous examinons la marge de manœuvre des États au regard des Règlements Bruxelles I bis et Rome I, de la Charte des droits fondamentaux de l’UE (CDF), de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et de son premier Protocole additionnel, du Traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE) et du Traité sur l’Union européenne (TUE).
L’étude est composée de quatre chapitres. Le premier porte sur la nécessité pour les États membres de l’UE d’agir par la voie unilatérale, compte tenu du contexte politique et économique international. Après avoir relevé les blocages politiques à la mise en place d’une procédure internationale sur la faillite des États et l’insuffisance des clauses d'action collectives (CAC), nous examinons la compétence des États pour légiférer via des lois de police et des actes jure imperii. Dans les deuxième et troisième chapitres, nous analysons respectivement la conformité de la loi grecque et de la loi belge au droit de l’UE, après avoir répondu à la question de l’applicabilité du droit international privé en cas de litige entre l’État et ses créanciers. Dans le dernier chapitre, nous synthétisons les résultats obtenus dans les chapitres II et III concernant les dettes détenues par les créanciers privés. Nous analysons ensuite les obstacles juridiques à la restructuration des dettes souveraines à l’égard des États membres et des Institutions de l’UE avant de livrer quelques réflexions pour les surmonter à l’aune du cas de la Grèce en 2018. En conclusion, nous reprenons les recommandations principales que pourraient suivre les États pour limiter l’impact des activités des fonds vautours et de restructurer leurs dettes.
membre du CADTM Belgique, juriste en droit international. Il est membre de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015. Il est également chargé de plaidoyer à Entraide et Fraternité.
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