Des banques belges réalisent des profits en temps de crise sur le dos des pays du Sud

10 juin 2021 par CADTM Belgique , 11.11.11 , Fairfin , Entraide et Fraternité , Oxfam Belgique


La coupole néerlandophone 11.11.11 publie aujourd’hui une étude intitulée « Quoi qu’il en coûte ? Analyse des dettes des pays du Sud envers les institutions financières actives en Belgique ». Réalisée en collaboration avec Oxfam Belgique, Entraide & Fraternité, le CADTM et Fairfin, cette étude met en lumière le rôle des créanciers privés dans l’endettement des pays du Sud et plus particulièrement celui des banques et des fonds d’investissements actifs en Belgique.



La part des créanciers privés dans l’endettement total des pays du Sud a fortement augmenté au cours de la dernière décennie, passant de 45 % en 2010 à 60 % en 2019. Elle a même été multipliée par cinq dans les pays aux revenus les plus faibles. Cette dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
est particulièrement attractive pour les investisseurs privés, car elle leur offre des taux de rendements parmi les plus élevés au monde.

Mais cette tendance a un coût pour les pays du Sud. Tout d’abord, parce qu’elle les rend dépendants des fluctuations de marchés financiers internationaux particulièrement volatiles. Ensuite, parce que le manque de transparence et d’informations sur l’identité de ces investisseurs privés ainsi que sur les conditions de remboursement rend toute tentative de restructuration de la dette très complexe. Enfin, parce que les quelques initiatives limitées prises par les États créanciers, dont la Belgique, dans le cadre de la pandémie, pour un allègement de la dette signent pour l’heure un chèque en blanc aux créanciers privés. En effet, ces derniers sont seulement invités à y participer sur « base volontaire ». Résultat : aucune institution financière n’a pour l’heure fait le moindre geste en faveur de l’allègement de la dette.

L’étude se penche en particulier sur le cas de deux pays, le Sénégal et le Pérou. Pour le premier, la part des dettes à rembourser en 2020 était de 352 millions de dollars US, dont la moitié à destination des créanciers privés. Dans les prochaines années, il va devoir affronter de nombreux pics de remboursement, ce qui le pousse à contracter de nouveaux emprunts. Le second pays, emblématique de l’endettement des économies émergentes, est l’un de ceux qui a le plus emprunté sur les marchés privés durant la pandémie. Aujourd’hui, plus de 60 % de sa dette externe est détenue par des acteurs privés.

Six institutions financières actives en Belgique, dont quatre ont leur siège social en Belgique, jouent un rôle relativement important dans l’endettement de certains pays du Sud. Il s’agit de BNP Paribas, Deutsche Bank, Degroof Petercam, Candriam, KBC Group et Ackermans & van Haaren. Ensemble, elles ont investi dans les obligations Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
d’État de 32 pays et détiennent 8,55 % de l’ensemble des souscriptions souscrites entre mars 2020 et mars 2021 dans 13 pays. Deux d’entre elles, BNP Paribas et Deutsche Bank, figurent même dans le top 10 mondial des institutions ayant souscrit des obligations durant cette période. Les remboursements qui sont prévus cette année à l’égard de ces banques sont assortis d’un taux d’intérêt Taux d'intérêt Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
de 8,75 %.

Il devient urgent de questionner l’absence de responsabilisation de ces acteurs privés dans les discussions actuelles sur des mesures d’allègement de la dette. Car si les taux de rendements sur la dette des pays du Sud sont si intéressants, c’est que le risque de non-remboursement est pris en compte. Il n’est donc pas justifiable que les pays doivent prioriser le remboursement de ces dettes à des créanciers privés plutôt que des investissements essentiels dans les services publics.

Dans un contexte où 121 millions de personnes supplémentaires sont menacées de famine et où près d’un demi-milliard d’êtres humains pourraient basculer dans la pauvreté, il est urgent de prendre des mesures fortes sur la dette. Notons que pour certains pays africains, plus de 40 % de leur budget est consacré au paiement de la dette au lieu de servir à financer des dépenses publiques essentielles comme la santé.

La Belgique peut agir et s’imposer comme leader pour obliger les créanciers privés à participer aux opérations d’allégements de la dette. En juillet 2015, elle adoptait une des législations les plus progressistes dans le monde contre des fonds vautours Fonds vautour
Fonds vautours
Fonds d’investissement qui achètent sur le marché secondaire (la brocante de la dette) des titres de dette de pays qui connaissent des difficultés financières. Ils les obtiennent à un montant très inférieur à leur valeur nominale, en les achetant à d’autres investisseurs qui préfèrent s’en débarrasser à moindre coût, quitte à essuyer une perte, de peur que le pays en question se place en défaut de paiement. Les fonds vautours réclament ensuite le paiement intégral de la dette qu’ils viennent d’acquérir, allant jusqu’à attaquer le pays débiteur devant des tribunaux qui privilégient les intérêts des investisseurs, typiquement les tribunaux américains et britanniques.
. Dans le même sens, il est possible, et nécessaire, d’adopter une loi pour obliger les institutions financières actives en Belgique à plus de transparence et à participer aux efforts collectifs de restructuration de la dette. Ceci afin qu’elle ne fasse pas plonger les populations du Sud dans davantage d’inégalités et de pauvreté.

Contact presse :

  • Renaud Vivien (Entraide et Fraternité) : 0497 04 79 99
  • Anais Carton (CADTM) : 0484 90 30 01

En annexe, se trouvent le résumé exécutif en français et l’intégralité du rapport en néerlandais.


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