Jour 3 : La Commission pour la vérité sur la dette grecque fait sa rentrée !

Des niveaux record de dépenses militaires... et de suicides. Les armes se retournent contre le peuple grec.

25 septembre 2015 par Emilie Paumard


Les deux auditions qui se sont tenues hier dans le cadre de la Commission pour la vérité sur la dette grecque ont été l’occasion de mettre en lumière les deux extrémités de la chaîne de l’endettement : une des plus grandes causes de l’augmentation de la dette du pays, les dépenses militaires, via le témoignage de l’ex-secrétaire d’État à la défense Costas Isychos ; et une des faces les plus dramatiques des conséquences de cette crise de la dette et de sa calamiteuse gestion, l’augmentation des suicides, via le réseau de défense des victimes de suicide. Deux témoignages terre à terre pour rappeler à celles et ceux qui voudraient nous faire croire que la question de l’endettement public est complexe et loin des réalités des gens, qu’il n’en est rien et que nous ne sommes pas dupes !



Après avoir souhaité une longue vie à la Commission d’audit dont il juge le travail essentiel, monsieur Isychos s’est empressé de rentrer dans le vif de son sujet. D’abord en prenant la hauteur nécessaire à l’enjeu, car pour lui on cantonne trop souvent la question du budget de la défense à la corruption qui entoure une série de contrats, ou aux scandales que représente l’achat d’armes défectueuses. S’il s’agit de faits graves qu’il convient absolument de dénoncer et condamner, cela ne constitue que la partie visible de l’iceberg. Car cette question du budget de la défense pose une question hautement politique. Il s’agit d’interroger les montants qui y sont alloués et de questionner la pertinence de leur destination.

Les intérêts de défense nationale requièrent-ils un tel niveau de dépense ?

Ainsi, en 2014, la Grèce était encore la championne d’Europe des dépenses militaires [1]. Ces montants exorbitants illustrent bien, selon lui, qu’il ne s’agit pas seulement de contrôler la validité des procédures d’achats mais bien d’une question de démocratie : « les intérêts de défense nationale requièrent-ils un tel niveau de dépense ? » interrogea-t-il. Car monsieur Isychos s’est permis d’émettre des doutes sur l’utilité d’une série d’achats pour défendre le peuple grec. Il explique ainsi qu’une importante partie du matériel acquis au cours des dernières décennies était destinée à remplir des objectifs fixés dans le cadre de l’OTAN OTAN
Organisation du traité de l’Atlantique Nord
Elle assure aux Européens la protection militaire des États-Unis en cas d’agression, mais elle offre surtout aux États-Unis la suprématie sur le bloc occidental. Les pays d’Europe occidentale ont accepté d’intégrer leurs forces armées à un système de défense placé sous commandement américain, reconnaissant de ce fait la prépondérance des États-Unis. Fondée en 1949 à Washington et passée au second plan depuis la fin de la guerre froide, l’OTAN comprenait 19 membres en 2002 : la Belgique, le Canada, le Danemark, les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne, l’Islande, l’Italie, le Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas, le Portugal, auxquels se sont ajoutés la Grèce et la Turquie en 1952, la République fédérale d’Allemagne en 1955 (remplacée par l’Allemagne unifiée en 1990), l’Espagne en 1982, la Hongrie, la Pologne et la République tchèque en 1999.
. Frégates, radars Avax, F16, autant d’acquisitions qu’il conviendrait donc de réinterroger pour l’ex-secrétaire d’État à la défense, à fortiori en ces temps de crise.

Car, si monsieur Isychos constate que le budget de la défense sera bel et bien réduit dans le cadre du troisième mémorandum, il invite le grand public à regarder de plus près la nature des coupes. Ce dernier prévoit en effet la baisse des dépenses militaires, mais il s’agit de celles liées au fonctionnement (dépenses en personnel, en entretien des infrastructures, hôpitaux militaires) et pas celles portant sur l’achat de matériel militaire bénéfiques aux sociétés étrangères et propices aux pots-de-vin. Le mémorandum reste donc totalement muet sur les lignes dédiées aux investissements. Lorsqu’on sait que les créanciers sont parmi les premiers fournisseurs en armement du pays, il ne faut pas être un adepte de la théorie du complot pour y voir la protection des intérêts des plus grandes nations européennes. France et Allemagne en tête !

Acheter d’abord et réfléchir après !

Ces pays ne seront d’ailleurs pas les seuls pays épinglés au cours de cette audition. Ainsi, l’ancien vice-ministre interroge la pertinence des contrats passés avec les États-Unis dans le cadre du FMS [2]. En effet ce soi-disant programme « d’assistance » consiste pour le pentagone à vendre leurs équipements en fin de vie. Un gâchis pour monsieur Isychios qui constate l’achat de matériels obsolètes qui ont besoin de pièces de rechanges et de personnel hautement qualifié pour leurs remises en état. Plus globalement, il dénonce la politique de la Grèce en matière d’achat d’armes qui facilite la corruption et consiste selon lui à : « acheter d’abord et réfléchir après ! ». Un exemple emblématique parmi tant d’autres, les F16 achetés peu avant les élections de 2000 et dont le contrat ne comprenait pas… la livraison des moteurs. Une anecdote qui pourrait faire sourire si cela n’avait pas engendré un surcoût de plus 200 % par rapport à la somme annoncée. Et les cas de ce type, dans lesquels les contrats se multiplient car l’accord initial ne comprenait ni les pièces de rechange, ni les moyens de maintenance, ni même parfois les munitions, sont pléthores. Lorsque ces exemples deviennent la règle on est en droit de s’interroger sur la volonté des autorités grecques à protéger les intérêts du pays.

Par ailleurs, Costas Isychos dénonce une impunité totale pour une série d’entreprises de l’armement. En effet, alors que des entreprises telles que Rheinmetall Defence ou Siemens ont été condamnées dans des affaires de corruption, elles ne sont toujours pas exclues des marchés publics européens et peuvent donc poursuivre leur business comme si de rien n’était.

C’est donc le tableau d’une Grèce sur-équipée en matériel militaire onéreux, obsolète, défectueux et dont l’utilité est discutable, que nous a dressé l’ex-vice ministre à la défense. Pour conclure, il a fait part à l’assemblée de son inquiétude pour les temps à venir. En effet, les coupes de fonctionnement prévues dans le troisième mémorandum représentent selon lui une menace importante dans un système où les jeunes conscrits n’ont que 2 repas par jour, où leurs familles doivent pourvoir elle-mêmes à leur équipement et où seulement 50 % des unités de soins intensifs des hôpitaux militaires fonctionnent faute de personnel.

Suite à cet interpellant exposé, les bénévoles du réseau de défense des victimes de suicide ont apporté à cette journée une dimension aussi émouvante que combative. Le ton a été donné par la fille de Dimitris Christoulas, retraité qui a mis fin à ses jours sur la place Syntagma le 4 avril 2012 en laissant une lettre qui expliquait son geste par son désespoir face à la crise en cours : « Il l’a fait à Athènes, sur la place du parlement pour nous inviter à refuser de nous suicider tous les jours. Et c’est ce que refuse cette Commission. Il est certain qu’elle fera encore l’objet de campagnes de dénigrement car les conclusions qu’elle tire sont désastreuses pour ce gouvernement ainsi que pour les gouvernements européens » a-t-elle déclaré devant l’assemblée.

Car le cas de monsieur Christoulas est loin d’être isolé, et très nombreux sont les Grecs qui se sont suicidés ces dernières années en laissant derrière eux un message clair sur les raisons de leur acte, à l’image de ces propos sans équivoque rapportés hier par un des membres du réseau : « j’espère être le dernier à payer vos décisions par le sang ». Les membres de la Commission et du réseau se sont d’ailleurs accordés pour que l’ensemble de ces témoignages soit intégré au rapport final de la Commission.

Cette décision est doublement motivée. D’une part parce qu’en ne mettant pas en place les études qualitatives nécessaires à la prise en compte de ce phénomène les autorités refusent de reconnaître ces morts pour ce qu’ils sont et par ce fait, refusent de leur rendre justice. Ensuite, parce que comme l’a très justement rappelé la présidente du parlement : « Ces faits vont à l’encontre de la narration dominante qui voudrait que les Grecs aient vécu et vivent toujours au-dessus de leurs moyens. »

À l’issue de cette poignante après-midi, qui a montré une fois de plus la violente réalité qu’a subie, et que continue de subir, le peuple grec, la présidente de la Vouli a conclu par ces mots : « Il arrive parfois au cours de notre vie qu’on nous demande de devenir complice d’une politique criminelle. Mais il est essentiel de se rappeler en pareil moment que toute position de pouvoir a un seul objectif : celui de servir le peuple ».


Notes

[1En pourcentage du PIB

[2Foreign Military Sales. Voir : http://www.dsca.mil/programs/foreign-military-sales-fms

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