Dette des pays pauvres : ce qu’il faut comprendre de la décision du G8

30 juin 2005 par Arnaud Zacharie




Le 11 juin 2005, les ministres des Finances du G8 G8 Ce groupe correspond au G7 plus la Fédération de Russie qui, présente officieusement depuis 1995, y siège à part entière depuis juin 2002. ont annoncé l’annulation immédiate de 100% de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
multilatérale de 18 pays pauvres très endettés PPTE
Pays pauvres très endettés
L’initiative PPTE, mise en place en 1996 et renforcée en septembre 1999, est destinée à alléger la dette des pays très pauvres et très endettés, avec le modeste objectif de la rendre juste soutenable.

Elle se déroule en plusieurs étapes particulièrement exigeantes et complexes.

Tout d’abord, le pays doit mener pendant trois ans des politiques économiques approuvées par le FMI et la Banque mondiale, sous forme de programmes d’ajustement structurel. Il continue alors à recevoir l’aide classique de tous les bailleurs de fonds concernés. Pendant ce temps, il doit adopter un document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP), parfois juste sous une forme intérimaire. À la fin de ces trois années, arrive le point de décision : le FMI analyse le caractère soutenable ou non de l’endettement du pays candidat. Si la valeur nette du ratio stock de la dette extérieure / exportations est supérieure à 150 % après application des mécanismes traditionnels d’allégement de la dette, le pays peut être déclaré éligible. Cependant, les pays à niveau d’exportations élevé (ratio exportations/PIB supérieur à 30 %) sont pénalisés par le choix de ce critère, et on privilégie alors leurs recettes budgétaires plutôt que leurs exportations. Donc si leur endettement est manifestement très élevé malgré un bon recouvrement de l’impôt (recettes budgétaires supérieures à 15 % du PIB, afin d’éviter tout laxisme dans ce domaine), l’objectif retenu est un ratio valeur nette du stock de la dette / recettes budgétaires supérieur à 250 %. Si le pays est déclaré admissible, il bénéficie de premiers allégements de son service de la dette et doit poursuivre avec les politiques agréées par le FMI et la Banque mondiale. La durée de cette période varie entre un et trois ans, selon la vitesse de mise en œuvre des réformes clés convenues au point de décision. À l’issue, arrive le point d’achèvement. L’allégement de la dette devient alors acquis pour le pays.

Le coût de cette initiative est estimé par le FMI en 2019 à 76,2 milliards de dollars, soit environ 2,54 % de la dette extérieure publique du Tiers Monde actuelle. Les PPTE sont au nombre de 39 seulement, dont 33 en Afrique subsaharienne, auxquels il convient d’ajouter l’Afghanistan, la Bolivie, le Guyana, Haïti, le Honduras et le Nicaragua. Au 31 mars 2006, 29 pays avaient atteint le point de décision, et seulement 18 étaient parvenus au point d’achèvement. Au 30 juin 2020, 36 pays ont atteint le point d’achèvement. La Somalie a atteint le point de décision en 2020. L’Érythrée et le Soudan n’ont pas encore atteint le point de décision.

Alors qu’elle devait régler définitivement le problème de la dette de ces 39 pays, cette initiative a tourné au fiasco : leur dette extérieure publique est passée de 126 à 133 milliards de dollars, soit une augmentation de 5,5 % entre 1996 et 2003.

Devant ce constat, le sommet du G8 de 2005 a décidé un allégement supplémentaire, appelée IADM (Initiative d’allégement de la dette multilatérale), concernant une partie de la dette multilatérale des pays parvenus au point de décision, c’est-à-dire des pays ayant soumis leur économie aux volontés des créanciers. Les 43,3 milliards de dollars annulés via l’IADM pèsent bien peu au regard de la dette extérieure publique de 209,8 milliards de dollars ces 39 pays au 31 décembre 2018.
et de 9 autres dans les dix-huit prochains mois. Cette décision, qualifiée par le G8 lui-même d’« historique », représente un précédent à différents niveaux :

- Elle porte sur l’annulation du stock d’une partie de la dette des pays pauvres, et plus sur son seul service annuel ;
- Elle porte sur la dette multilatérale, qui restait encore largement exclue des opérations d’allégement, même si le principe de mêler les institutions financières internationales avait été adopté dès le lancement de l’initiative PPTE renforcée en juin 1999 ;
- Elle inclut les dettes dues au FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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, qui représentent en moyenne la moitié du service de la dette Service de la dette Remboursements des intérêts et du capital emprunté. des pays pauvres très endettés au cours des cinq prochaines années ;
- Elle accepte le principe d’une annulation à 100% des dettes prises en compte par la décision.

Malgré ces acquis, la décision du G8 comporte de nombreuses limites :

- Elle a été prise par le G8 au nom de tous les Etats membres créanciers des institutions financières internationales et doit donc être confirmée par l’Assemblée générale du FMI et de la Banque mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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en septembre 2005 ;
- Elle ne concerne pas toute la dette multilatérale, mais uniquement les dettes dues au FMI, à la Banque mondiale et à la Banque africaine de développement, même si ces trois institutions sont les principales créancières multilatérales des pays concernés ;
- Elle prend la forme d’une annulation année après année tout au long des échéances, c’est-à-dire sur une période de 40 ans ;
- Elle ne concerne qu’un petit nombre de pays (27 dans dix-huit mois) pour un allégement de 1,4 milliards de dollars annuels au total, alors que 62 pays pauvres, dont le service annuel de la dette s’élève au total à 39 milliards de dollars, nécessitent une annulation totale de leur dette extérieure pour atteindre les Objectifs du Millénaire ;
- Elle se fonde sur un mécanisme selon lequel chaque dollar de dette annulée est compensé par une diminution d’autant de l’aide versée au pays bénéficiaire, ce dollar d’aide n’étant ensuite reversé au pays concerné que s’il remplit les conditions fixées par les bailleurs de fonds, ce qui implique que l’annulation de la dette ne signifiera pas automatiquement des fonds supplémentaires pour le financement du développement des pays bénéficiaires ;
- Elle implique des conditions lourdes et des réformes d’ajustement structurel pour y avoir accès ;
- Elle reste encrée dans la logique de l’initiative PPTE, dont les limites et la complexité sont pourtant largement admises.

Par conséquent, la décision du G8 a beau être « historique », elle n’en est pas moins totalement insuffisante au vu des besoins nécessaires aux pays pauvres pour atteindre les Objectifs du Millénaire, qui sont pourtant des objectifs minimalistes et jugés « réalistes » par les gouvernements. Cela implique, pour les ONG et les syndicats engagés dans la campagne internationale en faveur de l’annulation de la dette, d’exiger que les gouvernements passent des paroles aux actes :

- Demander l’annulation totale de la dette de tous les pays pauvres, à commencer par ceux qui nécessitent une telle mesure pour atteindre les Objectifs du Millénaire que les gouvernements se sont eux-mêmes fixés ;
- Demander que cette annulation soit additionnelle par rapport aux flux d’aide publique au développement reçus par les pays bénéficiaires ;
· Demander que l’aide soit de meilleure qualité et d’autant plus importante qu’un pays nécessite des moyens pour atteindre les Objectifs du Millénaire ;
- Demander que les conditions liées aux annulations soient remplacées par les seules conditions légitimes, c’est-à-dire celles qui garantissent que les fonds libérés seront affectés démocratiquement dans les services sociaux.


Source : Centre national de coopération au développement (CNCD), www.cncd.be.

Arnaud Zacharie

Secrétaire général du CNCD-11.11.11

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