6 septembre 2010 par Renaud Vivien , Pascal André
Les différentes initiatives mises en place au niveau international pour traiter le problème de l’endettement des pays du Tiers Monde sont-elles efficaces ? Non, répond Renaud Vivien, juriste et membre du Comité pour l’abolition de la dette du Tiers Monde (CADTM). Pour lui, il n’y a qu’une seule solution envisageable : l’annulation totale et inconditionnelle de la dette financière des pays en développement. Explications.
Les promesses d’annulation de dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
formulées par les grands bailleurs de fonds internationaux ont-elles été tenues ?
Non. En 2005, lors du Sommet de Gleneagles, en Écosse, les dirigeants du G8 G8 Ce groupe correspond au G7 plus la Fédération de Russie qui, présente officieusement depuis 1995, y siège à part entière depuis juin 2002. ont décidé de prendre une décision qu’ils ont eux-mêmes qualifiées d’« historique » et que les médias ont largement relayée comme telle : éliminer 100% de la dette des pays les plus pauvres. Mais cette annonce ne s’est malheureusement pas concrétisée, ou à peine. Le montant total de l’allégement n’a représenté que 55 milliards de dollars, alors qu’à l’époque, la dette publique extérieure de l’ensemble des pays en développement (PED) s’élevait à 1.330 milliards de dollars. De plus, les allègements de dette octroyées dans le sillage de cette décision n’ont souvent eu qu’un effet positif à court terme sur les pays concernés. En fait, la situation n’a fait qu’empirer depuis lors, puisqu’en 2009, on estimait à 29 le nombre de PED ayant une dette insoutenable Dette insoutenable C’est la dette dont la poursuite du paiement empêche les autorités de garantir aux citoyens l’exercice de leurs droits fondamentaux notamment en matière de santé, d’éducation, de logement, de revenu minimum et de sécurité. Si la poursuite du paiement de la dette empêche les autorités publiques de respecter leurs obligations fondamentales envers les citoyen·nes, le paiement en question peut être suspendu même si la dette est légitime et légale. , soit le double de pays qui étaient rangés dans cette catégorie avant l’éclatement de la crise mondiale en 2008.
La volonté politique n’y est donc pas ?
Non, très clairement. Or, elle seule permettra de mettre un terme à cette injustice et elle passe nécessairement par l’annulation totale et sans condition de toutes les dettes odieuses et illégitimes. La Norvège a emprunté momentanément cette voie, mais elle n’est pas suivie par les autres pays du Nord, qui continuent à faire front au sein du Club de Paris
Club de Paris
Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.
Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.
Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
contre les pays endettés, malgré les preuves manifestes d’illégitimité de la dette. On pourrait penser que seuls, les pays n’ont qu’une très faible marge de manœuvre, mais c’est faux. Les suspensions de remboursement, les audits et les déclarations de nullité de dette constituent des actes souverains légitimés par le droit international public, que les créanciers doivent reconnaître. D’ailleurs, les décisions prises récemment par l’Équateur, le Paraguay et la Norvège, et qui allaient dans ce sens, n’ont pas entraîné de rétorsion économique.
Et d’après vous, que devraient faire les pays en développement ?
Eux aussi sont confrontés à un vrai choix politique : continuer à rembourser ou stopper immédiatement le paiement du service de la dette
Service de la dette
Remboursements des intérêts et du capital emprunté.
. Pour le CADTM, il est clair que c’est cette dernière option qui doit être prise, car elle repose sur des arguments juridiques tels que l’obligation
Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
pour les États de respecter en priorité les droits humains des populations. De toute façon, tout prêt contracté en violation de normes de droit international et national ou détourné par les pouvoirs publics avec la complicité des créanciers n’a aucune valeur légale. Pour identifier toutes ces dettes contractées de manière illicite et donc légitimer leur annulation sans conditions, il est urgent de mettre en place des audits de la dette. L’audit de la dette constitue en effet un acte unilatéral qui peut être posé par tous les Etats. C’est d’ailleurs une recommandation principale de l’actuel Expert indépendant de l’ONU sur la dette externe. Le CADTM est également en faveur de la mise en place d’audits de la dette au Nord car nombre de dettes contractées par les pays riches n’ont pas profité aux populations du Nord.
Enfin, il convient ici de dénoncer le chantage des créanciers qui consiste à dire que si les pays du Sud agissent unilatéralement sur leurs dettes, ils seront ensuite privés de l’accès aux marchés financiers
Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
pour financer leur développement. Or, cet argument est irrecevable, car, à l’exception des pays dits émergents (comme le Brésil et l’Inde) et de certains pays riches en ressources pétrolières (comme le Nigéria), l’écrasante majorité des PED n’a, à l’heure actuelle, toujours pas accès à ces capitaux internationaux. Il ne faut, de plus, pas oublier que les transferts du Sud vers le Nord sont largement supérieurs aux transferts du Nord vers le Sud. Pour donner un exemple, on évalue la fuite des capitaux d’Afrique subsaharienne à 400 milliards de dollars entre 1970 et 2005, soit près du double de la dette extérieure totale du sous-continent (215 milliards dd dollars en 2005). C’est donc bien le Sud qui finance le Nord, et non l’inverse.
De nombreuses organisations (ONG, syndicats, mouvements sociaux, etc.) plaident pour une annulation de la dette, mais souvent en ordre dispersé…
C’est exact. Toutes ne partagent pas exactement la même position et la même stratégie. Les unes, comme le réseau international CADTM, pensent que l’annulation de la dette doit aller de pair avec une mise en cause du système capitaliste dans son ensemble. Les autres pensent qu’il faut libérer les pays du fardeau de la dette en accompagnant de manière critique la stratégie du FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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et de la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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sans remettre en cause la logique sous-jacente. Le premier défi du mouvement contre la dette est donc de renforcer les synergies pour concrétiser ses revendications.
L’Église catholique s’est beaucoup investie dans ce combat. Quelle est sa position aujourd’hui ?
À la fin des années 1990, l’Église catholique et plusieurs Églises réformées ont effectivement donné un nouvel élan à la campagne internationale contre la dette des pays du Tiers Monde, en vue du Jubilé de l’an 2000. Selon la Bible, tous les cinquante ans, une remise exceptionnelle de dettes doit être effectuée. Cela a donné lieu à de nombreuses manifestations, ainsi qu’au dépôt de la plus grande pétition de l’histoire de l’humanité (24 millions de signatures collectées entre 1998 et 2000), à Cologne lors du sommet du G7 G7 Groupe informel réunissant : Allemagne, Canada, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie, Japon. Leurs chefs d’État se réunissent chaque année généralement fin juin, début juillet. Le G7 s’est réuni la première fois en 1975 à l’initiative du président français, Valéry Giscard d’Estaing. . Sous la pression populaire, celui-ci a opté pour une nouvelle stratégie basée sur l’annulation des dettes jugées « insoutenables ». Le problème est que celle-ci est restée assortie de conditionnalités Conditionnalités Ensemble des mesures néolibérales imposées par le FMI et la Banque mondiale aux pays qui signent un accord, notamment pour obtenir un aménagement du remboursement de leur dette. Ces mesures sont censées favoriser l’« attractivité » du pays pour les investisseurs internationaux mais pénalisent durement les populations. Par extension, ce terme désigne toute condition imposée en vue de l’octroi d’une aide ou d’un prêt. , comme « la bonne gouvernance ». En fait, rien n’a donc vraiment changé. La logique est restée la même. Après le Jubilé de l’an 2000, l’Église catholique – estimant qu’elle avait obtenu ce qu’elle voulait, c’est-à-dire l’allégement de la dette – s’est malheureusement désinvestie de ce combat. Je pense qu’elle voyait cela comme un acte de charité. Or, ce que nous voulons, nous au CADTM, c’est un acte de justice. Nous ne nous limitons pas à revendiquer l’annulation totale et inconditionnelle de la dette extérieure publique des PED et l’abandon des politiques d’ajustement structurel (voir édition précédente) imposées à ces pays. Nous réclamons également des réparations pour les dommages causés au Sud du fait de la dette historique, écologique , sociale et culturelle de l’Occident.
Recueilli par Pascal ANDRÉ
Interview parue dans l’hebdomadaire Dimanche Express le 29 aout 2010
Renaud Vivien est également l’auteur de « L’annulation de la dette du Tiers Monde », Courrier hebdomadaire du CRISP, n°2046-2047, 12,40 EUR (peut-être commandé en ligne sur le site du Centre de recherche et d’information socio-politiques : www.crisp.be).
membre du CADTM Belgique, juriste en droit international. Il est membre de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015. Il est également chargé de plaidoyer à Entraide et Fraternité.
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