Dette écologique : La Grande frontière

9 décembre 2019 par Anna Bednik


(CC - Wikimedia)

Tous les secteurs de l’économie mondiale sont tributaires des matières premières et de l’énergie.



La consommation mondiale des ressources naturelles a été multipliée huit au cours du 20è siècle (alors que la population n’a fait « que » quadrupler) ; celle des métaux a doublé en vingt-cinq ans, plus des deux tiers de l’or extrait depuis sa découverte (il y a 6000 ans) l’a été au cours du dernier demi-siècle. Les nouveaux usages s’ajoutent aux anciens (et non pas les remplaçant, comme le voudrait faire croire l’idée d’une « transition »), on extrait non seulement de plus en plus, mais aussi de plus en plus de ressources différentes (en trente ans, nous sommes par exemple passé-e-s de 20 métaux de grande utilisation à plus de 60).

Tous les secteurs de l’économie mondiale sont tributaires des matières premières et de l’énergie. En continuant à croître, cette économie ne peut que continuer à aggraver les destructions produites pour obtenir cette énergie et ces matières, quand bien même, dans le sillage du « développement durable », la multiplication des oxymores (éco-efficience, croissance verte, green new deal New Deal Nom donné aux mesures prises aux États-Unis par Roosevelt à partir de son élection en 1933 à la présidence pour faire face à la crise économique déclenchée en 1929.

Rappelons que dans le cadre du New Deal aux États-Unis et des politiques keynésiennes qui ont été étendues à l’Europe occidentale après la Seconde Guerre mondiale sous la pression d’importantes mobilisations populaires, les droits sociaux ont été nettement améliorés, une protection sociale importante a été mise en place, les banques d’affaires ont été séparées des banques de dépôts, le taux d’imposition des revenus les plus élevés a atteint 80 % aux États-Unis. On pourrait ajouter que les inégalités dans la répartition des revenus et du patrimoine ont été réduites. À cette époque, le Grand Capital avait été contraint de faire des concessions aux classes populaires qui s’étaient fortement mobilisées. Le gouvernement du président Roosevelt, qui voulait réformer le capitalisme pour le sauver et le consolider, avait dû affronter la Cour suprême qui avait essayé de faire abroger plusieurs de ses décisions. Roosevelt, pressé par la radicalisation à gauche des classes populaires, avait réussi à contrecarrer les décisions de la Cour suprême et avait imposé des mesures fortes, y compris en permettant aux syndicats de se renforcer dans les usines et aux travailleurs de recourir aux grèves pour obtenir des concessions des patrons.
, dématérialisation de la croissance...) s’emploierait à nous faire croire le contraire. L’amélioration de l’efficacité matérielle et énergétique (économies de matières premières et d’énergie par Anna Bednik par unité de production) ne fait pas baisser la consommation globale des matières, pas plus que ne le fait la concentration des industries gourmandes en ressources dans certains pays. Notre société « de la connaissance et de l’information » est bien loin de se nourrir seulement de matière grise. Elle ingurgite essentiellement des produits et des services (qui ont tous besoin de supports) fabriqués ici ou ailleurs, mais toujours à partir d’apports physiques bien réels qui nécessitent, pour voir le jour et être mis sur le marché, des infrastructures et des machines complexes, elles-mêmes fabriquées et animées grâce aux matières premières. Que ce soit le secteur des technologies d’information et de communication, celui de la finance, avec ses services associés ou y ayant recours, ou celui des technologies dites « vertes », tous ont besoin de matières premières. Tous, quelle que soit leur couleur, génèrent de nouvelles pressions sur les ressources et sur les territoires qui les recèlent. Et même dans l’hypothèse (très peu probable) d’une mécanisation complète qui remplacerait le travail humain, il faudrait encore des matières premières et de l’énergie pour que des machines fabriquent d’autres machines.

Extraits de La grande frontière.

La face cachée du numérique

Cet article est tiré du n° 77 de l’AVP (Les autres voix de la planète), « Dettes aux Suds » disponible à : https://www.cadtm.org/Dettes-aux-Suds


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