13 octobre 2017 par Noëmie Cravatte
L’atelier avait pour objectifs de mieux comprendre les luttes contre ces grands projets nuisibles [1] et imposés (GPNI) ; de tirer les leçons de ces luttes, mais aussi de s’interroger sur la contribution de ces luttes écologistes à la lutte contre le capitalisme, de voir comment ces luttes renforcent nos mouvements, nos stratégies.
Sébastien Kennes a commencé par dresser le portrait des GPNI
GPNI
GPNIS
L’expression « grands projets nuisibles et imposés », qui fait suite à l’expression plus connue de « grands projets inutiles et imposés », désigne également des mégaprojets qui parfois n’ont même pas été terminés ou se sont avérés par la suite inutiles et coûteux. « Inutiles »... vraiment ? Ces projets servent en fait des intérêts bien particuliers, ceux des firmes grassement payées pour leur construction et / ou par l’usage qui en sera fait. Ils sont donc bien utiles pour une poignée de privilégiéEs, même s’ils sont nuisibles pour la majorité de la population et l’environnement. Cette expression est généralement utilisée pour désigner des mégaprojets développés dans les pays du Nord.
et de leurs caractéristiques. Il s’agit de grands projets d’infrastructure qui s’imposent sur le territoire ; qui ont un coût très élevé ; qui engendrent une forme de privatisation via des partenariats public-privé (PPP) ; dont la mise en place découle d’un déni de démocratie (même si un processus plus ou moins participatif est parfois mis en avant, surtout au Nord) ; d’études d’impact sur l’environnement plus ou moins douteuse (quand elles existent). On peut également ajouter que les luttes contre ces grands projets sont souvent motivées au départ par le NIMBY (« not in my backyard » - elles sont en effet menées par la population touchée par le projet, concernée au premier chef) mais ce point de départ est souvent dépassé et la lutte s’élargit alors à d’autres enjeux. Enfin, il faut souligner le rôle de l’État qui fait usage de la répression contre ces mouvements d’opposition.
Les deux intervenant-e-s ont présenté deux approches différentes du sujet :
Lucile Daumas a donné à voir la situation au Maroc, quant à Jérôme Pelenc, il a présenté une analyse plus générale des enjeux liés aux GPNI.
Lucile est membre d’Attac Maroc faisant partie du réseau CADTM. C’est à partir de son expérience de lutte contre un de ces grands projets qu’elle nous a présenté trois dossiers de GPNI contestés au Maroc.
La première chose à souligner ici c’est qu’au Maroc, tous les projets sont imposés : il n’existe aucun mécanisme de consultation ou de décision démocratique.
Au Maroc, tous les projets sont imposés
C’est d’ailleurs ce qui est aujourd’hui mis en avant dans les luttes au Maroc : la population se mobilise en tant que population autochtone contre l’accaparement des terres par exemple. Pourtant l’application de la convention 169 de l’OIT
OIT
Organisation internationale du travail
Créée en 1919 par le traité de Versailles, l’Organisation internationale du travail (OIT, siège à Genève) est devenue, en 1946, la première institution spécialisée des Nations unies. L’OIT réunit les représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs, dans le but de recommander des normes internationales minimales et de rédiger des conventions internationales touchant le domaine du travail. L’OIT comprend une conférence générale annuelle, un conseil d’administration composé de 56 membres (28 représentants des gouvernements, 14 des employeurs et 14 des travailleurs) et le Bureau international du travail (BIT) qui assure le secrétariat de la conférence et du conseil. Le pouvoir du BIT (Bureau International du Travail) est très limité : il consiste à publier un rapport annuel et regroupe surtout des économistes et des statisticiens. Leurs rapports défendent depuis quelques années l’idée que le chômage provient d’un manque de croissance (de 5% dans les années 60 a 2% aujourd’hui), lui-même suscité par une baisse de la demande. Son remède est celui d’un consensus mondial sur un modèle vertueux de croissance économique, ainsi que sur des réflexions stratégiques au niveau national (du type hollandais par exemple). L’OIT affirme qu’il est naïf d’expliquer le chômage par le manque de flexibilité et que les changements technologiques n’impliquent pas une adaptation automatiquement par le bas en matière de salaires et de protection sociale.
relative aux peuples indigènes et tribaux qui impose la consultation des populations autochtones sur tout projet important sur leur territoire n’est pas revendiquée.
Le premier cas présenté par Lucile est celui du TGV Tanger-Casablanca. Ce projet est presque terminé puisque son achèvement est prévu pour 2018. Or, Tanger est une région en complet bouleversement : un nouveau port de conteneurs a fait explosé le commerce maritime, d’autant que ce port est arrimé à une zone industrielle et une zone franche commerciale.
L’origine même de ce projet de TGV a suscité la colère au Maroc. En effet, lorsque le Maroc a décidé d’acheter des avions militaires aux États-Unis plutôt que les rafales français, Sarkozy a réclamé des investissements pour les entreprises françaises… C’est une des raisons qui ont provoqué le rejet de ce projet. S’ajoute à cela l’inadéquation de ce projet avec les conditions de vie au Maroc : Tanger sera à 2h de Casablanca mais les enfants continueront à marcher 4h pour aller à l’école… Enfin, le coût du projet est faramineux : il était annoncé à 2 milliards d’euros, aujourd’hui, on a déjà atteint les 4 milliards. En réalité, ce projet répond à d’autres objectifs que de servir la population : augmenter le prestige du Maroc qui sera ainsi le 1er pays africain à avoir un TGV ; maintenir de bonnes relations avec la France et, bien entendu, permettre aux entreprises de faire du profit.
Malheureusement, aujourd’hui les campagnes de mobilisation se sont éteintes sans doute parce qu’elles ont été noyautées par des ONG liées au régime.
Le second cas est celui des centrales solaires Noor. Il était au départ lié à un projet d’installation de panneaux solaires dans le désert du Sahara pour fournir de l’électricité à la moitié du monde, le projet DESERTEC. Ce projet impliquait de nombreux pays et a été abandonné, car jugé trop pharaonique.
Mais le Maroc n’a pas renoncé à construire sa part et continue ce projet : 4 énormes centrales solaires sont prévues, une première existe déjà. Il s’agit de la plus grande centrale solaire d’Afrique : 500 000 panneaux solaires. Or, le coût est exorbitant : 9 milliards rien que pour cette première tranche.
Certains pays européens devaient être les principaux destinataires de cette énergie, mais le kilowatt étant trop cher, ils se sont désistés.
De nombreux autres problèmes se posent :
Accaparement des terres : pour placer les panneaux, il faut des terres, or, sur ces terres il y avait des tribus berbères qui ont été expulsées.
Accaparement de l’eau :le choix s’est porté sur la technologie la plus gourmande en eau, dans une région qui connaît un stress hydrique permanent (2 à 3 millions de m3 par an seront utilisés).
S’ajoute à cela l’agriculture irriguée qui implique un surpompage en amont et une sécheresse structurelle en aval ainsi que l’eau utilisée pour l’entretien des golfs et des piscines pour les touristes. Aujourd’hui les villages en bout de vallée ne reçoivent pas d’eau, et la Centrale Noor va aggraver dramatiquement la situation.
Endettement : le projet est financé par la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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, la Banque africaine de développement, l’AFD etc... Emprunts qu’il faudra rembourser alors que la viabilité économique du projet n’est pas assurée.
Il faut encore ajouter que ce projet se fait dans le dans le cadre d’un PPP dont la tendance est de privatiser les profits et socialiser les coûts et les pertes.
Enfin, ce projet risque d’avoir un impact négatif sur le réchauffement climatique. En effet, « les centrales thermo solaires agissent comme des pièges à énergie solaire et comme de gigantesques radiateurs. Une centrale thermo solaire est un gigantesque four qui fonctionne en permanence, 24H sur 24 et 365 jours sur 365 ». [2]
Le troisième exemple est un projet qui est pour l’instant seulement annoncé mais qui, lui aussi, est pharaonique : il s’agit d’un pipeline long de 5000 km qui alimenterait en gaz 12 à 15 pays Ouest africains, entre le Nigeria et le Maroc, avec une extension possible vers l’Europe. …
Le coût annoncé est de 20 milliards de dollars, quand on sait que ce coût est toujours dépassé, cela donne une idée de l’ampleur du problème.
Un tronçon de 678 km existe déjà, desservant le Bénin, le Ghana et le Togo.
Le comble est que ce projet a été annoncé au moment de la Cop22 et présenté comme « propre » alors qu’il s’agit de sortir davantage d’énergie fossile du sol...
D’autre part, on justifie ce projet en avançant qu’il donnerait de l’électricité à la population. Or, aujourd’hui, le Nigeria, qui est le 5e exportateur mondial de gaz, et le 1er exportateur africain, ne fournit de l’électricité qu’à 41% de sa population. Il n’y aura pas davantage d’électrification si les choix politiques anti-populaires se poursuivent.
Il faut ajouter à cela que ce projet demande une surveillance très coûteuse (par drone et satellite), et qu’un pipeline trop près des côtes et en eau pas assez profonde peut entraîner des risques importants...
On le voit avec ces trois exemples, ces projets ont des impacts en termes de dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
écologique [3] et de dépendance. Il s’agit toujours de préserver la logique des marchés contre celle du service public ; le profit avant l’intérêt des populations et la préservation de la planète.
Les questions que nous devons nous poser sont les suivantes : Quel développement voulons-nous ? Faut-il encore réfléchir en terme de développement ?Quel type de projets voulons-nous ? Pour qui ? Pour répondre à quels besoins ? A quel prix ?
Jérôme Pelenc a présenté une analyse générale du phénomène des GPNI et des luttes qui s’y opposent qui donne un prolongement à ces questions. Géographe à l’ULB, il travaille sur le mouvement européen contre les grands projets : mouvement allant de la Zone à défendre (ZAD) de Notre Dame des Landes à la lutte contre la méga-prison de Haren en passant par l’opposition au TGV Lyon-Turin.
Jérôme a commencé par rappeler que les GPNI sont une conséquence logique du capitalisme.
GPNI sont une conséquence logique du capitalisme
En effet, le capitalisme ayant besoin de croissance pour poursuivre son accumulation, il lui faut dégager du profit par tous les moyens et créer la plus-value
Plus-value
La plus-value est la différence entre la valeur nouvellement produite par la force de travail et la valeur propre de cette force de travail, c’est-à-dire la différence entre la valeur nouvellement produite par le travailleur ou la travailleuse et les coûts de reproduction de la force de travail.
La plus-value, c’est-à-dire la somme totale des revenus de la classe possédante (profits + intérêts + rente foncière) est donc une déduction (un résidu) du produit social, une fois assurée la reproduction de la force de travail, une fois couverts ses frais d’entretien. Elle n’est donc rien d’autre que la forme monétaire du surproduit social, qui constitue la part des classes possédantes dans la répartition du produit social de toute société de classe : les revenus des maîtres d’esclaves dans une société esclavagiste ; la rente foncière féodale dans une société féodale ; le tribut dans le mode de production tributaire, etc.
Le salarié et la salariée, le prolétaire et la prolétaire, ne vendent pas « du travail », mais leur force de travail, leur capacité de production. C’est cette force de travail que la société bourgeoise transforme en marchandise. Elle a donc sa valeur propre, donnée objective comme la valeur de toute autre marchandise : ses propres coûts de production, ses propres frais de reproduction. Comme toute marchandise, elle a une utilité (valeur d’usage) pour son acheteur, utilité qui est la pré-condition de sa vente, mais qui ne détermine point le prix (la valeur) de la marchandise vendue.
Or l’utilité, la valeur d’usage, de la force de travail pour son acheteur, le capitaliste, c’est justement celle de produire de la valeur, puisque, par définition, tout travail en société marchande ajoute de la valeur à la valeur des machines et des matières premières auxquelles il s’applique. Tout salarié produit donc de la « valeur ajoutée ». Mais comme le capitaliste paye un salaire à l’ouvrier et à l’ouvrière - le salaire qui représente le coût de reproduction de la force de travail -, il n’achètera cette force de travail que si « la valeur ajoutée » par l’ouvrier ou l’ouvrière dépasse la valeur de la force de travail elle-même. Cette fraction de la valeur nouvellement produite par le salarié, Marx l’appelle plus-value.
La découverte de la plus-value comme catégorie fondamentale de la société bourgeoise et de son mode de production, ainsi que l’explication de sa nature (résultat du surtravail, du travail non compensé, non rémunéré, fourni par le salarié) et de ses origines (obligation économique pour le ou la prolétaire de vendre sa force de travail comme marchandise au capitaliste) représente l’apport principal de Marx à la science économique et aux sciences sociales en général. Mais elle constitue elle-même l’application de la théorie perfectionnée de la valeur-travail d’Adam Smith et de David Ricardo au cas spécifique d’une marchandise particulière, la force de travail (Mandel, 1986, p. 14).
, autrement dit, extraire de la « valeur » à partir de l’exploitation des humains et de la nature. Bétonner la terre fait partie de cet objectif : une terre urbanisable ou urbanisée vaut mieux qu’une terre naturelle ou agricole : elle a une valeur d’échange plus élevée et le passage de l’une à l’autre permet de dégager du profit. Ainsi, après la crise de 2008, les projets d’infrastructure sont définis comme « first class asset », en effet leur taux d’intérêt
Taux d'intérêt
Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
est énorme et les profits sont garantis par l’État même si le projet ne fonctionne pas. Ceci explique l’intérêt de la finance pour ce type d’investissement. Ainsi, à titre d’exemple, un fond d’investissement australien (Macquerie) est impliqué dans le projet de la mega-prison de Haren ainsi que dans la construction de la plus grande prison d’Australie et d’une méga-prison de presque 1000 détenus en Nouvelle-Zélande, toujours à tavers la formule des partenariats public-privés (PPP).
Ensuite, il a montré en quoi ces luttes dépassaient rapidement le NIMBY. Ces luttes construisent en effet un réseau social horizontal, une capacité de contre expertise, un attachement au territoire mais aussi un capital politique (remise en question de la manière dont l’État définit l’intérêt général). Au delà de la contestation du projet, on est donc face à une contestation de projet de société (qui recoupe quatre lignes de fracture quant à l’intérêt général : croissance versus décroissance ; mondialisation
Mondialisation
(voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.
Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».
La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
versus relocalisation ; compensation versus conservation ; technophilie versus techocritique). Cela explique la répression que subissent ces mouvements : il s’agit de remettre en cause l’hégémonie de l’État.
Cette contestation est portée par le mouvement pour la justice environnementale. Ce mouvement cherchant à réunir le Nord et le Sud est né dans les années 1970 aux États-Unis. Il faut souligner ici que l’unité du mouvement n’est pas à chercher dans une structure organisationnelle mais dans la formulation des enjeux et le sens que les résistant-e-s donnent à ces combats, sens qui dépasse de loin les seules préoccupations locales et établit le lien avec la mécanique capitaliste de l’accumulation par la dépossession environnementale.
Les revendications du mouvement sont sans doute ce qui en fait l’unité, celui-ci revendique un accès équitable aux biens et services environnementaux ; le droit aux moyens de subsistance, aux valeurs culturelles locales, et au territoire ; il conteste le cercle vicieux et insatiable de la production capitaliste mais aussi le langage d’évaluation (compensation) et lutte contre l’appropriation des terres et la spéculation.
A l’inverse de l’imaginaire révolutionnaire traditionnel, qui affronte et cherche à remplacer une structure de pouvoir globale, la politique révolutionnaire territoriale est un combat continu pour transformer les subjectivités, les lieux et les conditions de vie. Mais, ces espaces libérés ou contestés, en lutte contre l’ordre dominant, jouent un rôle crucial dans la possibilité de changement social parce qu’ils représentent d’autres façons d’être au monde et dans le monde.
Terminons en soulignant que si toutes ces luttes ne sont pas victorieuses, certaines le sont : en Argentine, la construction d’une usine a été annulée grâce à la lutte ; l’occupation de NDDL empêche la construction de l’aéroport, prévue depuis 40 ans ; en Tasmanie, des actions
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
délocalisées empêchent la déforestation ; le barrage de l’eau noire n’a pas été construit grâce à la mobilisation ; le Larzac reste aussi dans les mémoires comme une victoire...
La carte des mobilisations contre des GPNI montre que, même s’il y a des échecs, celles-ci sont nombreuses. Or, sans elles, nous ne serions même pas au courant de ces projets. Il faut d’ailleurs noter qu’il s’agit toujours de luttes longues : les promoteurs des projets comptent sur l’essoufflement et reviennent ailleurs lorsqu’ils ont échoué quelque part.
Ce constat ne doit pourtant pas nous décourager. En effet, outre les exemples de victoires, il faut insister sur le fait que ces luttes d’occupation, si elles ont un aspect défensif (qui consiste à empêcher le projet), ont aussi un aspect offensif qui consiste à s’approprier le territoire : il s’agit de « vivre et lutter » . On expérimente des pratiques agricoles, de vie collective, de relocalisation de l’économie… Bref, on emporte nos luttes avec nous : nos subjectivités en sont transformées.
Merci à Jérôme Pelenc pour sa relecture
[1] L’expression « grands projets nuisibles et imposés », qui fait suite à l’expression plus connue de « grands projets inutiles et imposés », désigne également des mégaprojets qui parfois n’ont même pas été terminés ou se sont avérés par la suite inutiles et coûteux. « Inutiles »… Vraiment ? Ces projets servent en fait des intérêts bien particuliers, ceux des firmes grassement payées pour leur construction et/ou par l’usage qui en sera fait. Il sont donc bien utiles pour une poignée de privilégiéEs, même s’ils sont nuisibles pour la majorité de la population et l’environnement.
[3] La dette écologique est la dette contractée par les pays industrialisés envers les autres pays à cause des spoliations passées et présentes de leurs ressources naturelles, auxquelles s’ajoutent la délocalisation des dégradations et la libre disposition de la planète afin d’y déposer les déchets de l’industrialisation.
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