Réclamer le dédommagement des peuples victimes de la traite négrière et du travail forcé imposé par les colons ; refuser de payer les dettes publiques illégitimes et odieuses ; exiger l’annulation des politiques d’austérité imposées par les Institutions financières internationales (IFI) ; synchroniser les luttes pour le bien-être et l’émancipation des peuples.
Les 22 et 23 mars derniers, des femmes et des hommes du Bénin, du Burkina, du Cameroun, du Mali, du Niger, du Maroc, de RD Congo, du Sénégal, de Tunisie et du Togo, toutes et tous membres d’organisations de leur sous-région, se sont retrouvés en Tunisie pour la première édition de l’Université du Réseau Afrique du CADTM (Comité pour l’Annulation de la Dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
du Tiers Monde). L’émotion était vive à Hammamet-Tunis. La dette publique, imposée aux citoyens du Sud depuis des décennies, n’est pas un propos d’intellectuels, c’est l’affaire de tous les citoyens. Chacun est contre la dette publique qui ne lui a apporté aucun bien-être, mais il ne le sait pas, pire il croit que c’est un devoir de rembourser cette dette.
Depuis 1980, par le « jeu » du « service » et de la « charge » de la dette, l’endettement du « Tiers monde » a quadruplé, alors que la dette elle-même a déjà été remboursée 6 fois. Le cercle vicieux de la dette n’est rien d’autre que l’esclavage moderne de l’Afrique. Les discours officiels, largement médiatisés, manipulent l’opinion pour lui faire accepter docilement le poids de la dette. Et pourtant, une immense part de la dette publique de chaque pays est odieuse ou illégitime. Elle est odieuse quand, au moment des indépendances, elle a été imposée aux jeunes États par les colons qui s’estimaient lésés par cette perte territoriale. Elle est odieuse lorsque l’emprunt a été contracté par un régime dictatorial au profit des seuls décideurs locaux et des gens qui leur étaient liés. Elle est illégitime quand l’emprunt n’est pas utilisé pour le développement humain des populations. Elle est illégitime lorsque, sous couvert « d’aide au développement » ou de « dons », les IFI accordent des prêts en imposant à l’État, donc aux citoyens, des plans d’ajustement structurel assortis de conditionnalités Conditionnalités Ensemble des mesures néolibérales imposées par le FMI et la Banque mondiale aux pays qui signent un accord, notamment pour obtenir un aménagement du remboursement de leur dette. Ces mesures sont censées favoriser l’« attractivité » du pays pour les investisseurs internationaux mais pénalisent durement les populations. Par extension, ce terme désigne toute condition imposée en vue de l’octroi d’une aide ou d’un prêt. draconiennes, qui n’améliorent en rien leur quotidien, au contraire, puisqu’ils ne visent qu’à améliorer le « climat des affaires, c’est-à-dire à privatiser les services publics et à libéraliser les secteurs stratégiques comme l’eau et l’énergie.
Décrypter les politiques du FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
Cliquez pour plus de détails.
et de la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
Cliquez pour plus de détails.
; comprendre les rouages de la dette ; faire le bilan historique du pillage des ressources naturelles ; analyser les agissements des multinationales ; s’opposer à l’accaparement des terres ; dénoncer les « éléphants blancs
Éléphant blanc
éléphants blancs
L’expression « éléphant blanc » désigne un mégaprojet, souvent d’infrastructure, qui amène plus de coûts que de bénéfices à la collectivité.
Pour la petite histoire, la métaphore de l’éléphant blanc provient de la tradition des princes indiens qui s’offraient ce cadeau somptueux. Cadeau empoisonné, puisqu’il entraînait de nombreux coûts et qu’il était proscrit de le faire travailler. Ce terme est généralement utilisé pour désigner des mégaprojets développés dans les pays du Sud.
» ; refuser le micro-crédit institutionnalisé pour le remplacer par le micro-crédit autogéré. Voilà les thèmes qui ont été débattus lors de l’Université du Réseau CADTM Afrique.
La dette n’est pas une question d’argent, c’est une question éminemment politique, car mettre la main sur les caisses d’un État via la dette, c’est prendre le pouvoir. Les Pays pauvres très endettés
PPTE
Pays pauvres très endettés
L’initiative PPTE, mise en place en 1996 et renforcée en septembre 1999, est destinée à alléger la dette des pays très pauvres et très endettés, avec le modeste objectif de la rendre juste soutenable.
Elle se déroule en plusieurs étapes particulièrement exigeantes et complexes.
Tout d’abord, le pays doit mener pendant trois ans des politiques économiques approuvées par le FMI et la Banque mondiale, sous forme de programmes d’ajustement structurel. Il continue alors à recevoir l’aide classique de tous les bailleurs de fonds concernés. Pendant ce temps, il doit adopter un document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP), parfois juste sous une forme intérimaire. À la fin de ces trois années, arrive le point de décision : le FMI analyse le caractère soutenable ou non de l’endettement du pays candidat. Si la valeur nette du ratio stock de la dette extérieure / exportations est supérieure à 150 % après application des mécanismes traditionnels d’allégement de la dette, le pays peut être déclaré éligible. Cependant, les pays à niveau d’exportations élevé (ratio exportations/PIB supérieur à 30 %) sont pénalisés par le choix de ce critère, et on privilégie alors leurs recettes budgétaires plutôt que leurs exportations. Donc si leur endettement est manifestement très élevé malgré un bon recouvrement de l’impôt (recettes budgétaires supérieures à 15 % du PIB, afin d’éviter tout laxisme dans ce domaine), l’objectif retenu est un ratio valeur nette du stock de la dette / recettes budgétaires supérieur à 250 %. Si le pays est déclaré admissible, il bénéficie de premiers allégements de son service de la dette et doit poursuivre avec les politiques agréées par le FMI et la Banque mondiale. La durée de cette période varie entre un et trois ans, selon la vitesse de mise en œuvre des réformes clés convenues au point de décision. À l’issue, arrive le point d’achèvement. L’allégement de la dette devient alors acquis pour le pays.
Le coût de cette initiative est estimé par le FMI en 2019 à 76,2 milliards de dollars, soit environ 2,54 % de la dette extérieure publique du Tiers Monde actuelle. Les PPTE sont au nombre de 39 seulement, dont 33 en Afrique subsaharienne, auxquels il convient d’ajouter l’Afghanistan, la Bolivie, le Guyana, Haïti, le Honduras et le Nicaragua. Au 31 mars 2006, 29 pays avaient atteint le point de décision, et seulement 18 étaient parvenus au point d’achèvement. Au 30 juin 2020, 36 pays ont atteint le point d’achèvement. La Somalie a atteint le point de décision en 2020. L’Érythrée et le Soudan n’ont pas encore atteint le point de décision.
Alors qu’elle devait régler définitivement le problème de la dette de ces 39 pays, cette initiative a tourné au fiasco : leur dette extérieure publique est passée de 126 à 133 milliards de dollars, soit une augmentation de 5,5 % entre 1996 et 2003.
Devant ce constat, le sommet du G8 de 2005 a décidé un allégement supplémentaire, appelée IADM (Initiative d’allégement de la dette multilatérale), concernant une partie de la dette multilatérale des pays parvenus au point de décision, c’est-à-dire des pays ayant soumis leur économie aux volontés des créanciers. Les 43,3 milliards de dollars annulés via l’IADM pèsent bien peu au regard de la dette extérieure publique de 209,8 milliards de dollars ces 39 pays au 31 décembre 2018.
(PPTE) sont, en fait, sous perfusion des IFI. Les fonctionnaires internationaux viennent deux fois par an vérifier que le ministère des Finances local applique correctement les conditionnalités des prêts.
Peu de citoyens sont conscients de la toile d’araignée qui les maintient dans le sous-développement. Ils ont la naïveté de croire leurs dirigeants quand ils leur disent qu’ils ont obtenu de « l’aide » de l’Occident ou des pays émergents
Pays émergents
Les pays émergents désignent la vingtaine de pays en développement ayant accès aux marchés financiers et parmi lesquels se trouvent les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Ils se caractérisent par un « accroissement significatif de leur revenu par habitant et, de ce fait, leur part dans le revenu mondial est en forte progression ».
, ou des « dons » de la Communauté internationale. Ils ont la naïveté de se réjouir de l’installation d’entreprises étrangères sur leur territoire, alors que lorsque la majorité des secteurs privés, des travailleurs actifs
Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
, des exportations sont aux mains des capitaux internationaux, cela signifie que l’économie nationale est aux mains des étrangers et que leur pays ne leur appartient plus.
Quand un mouvement populaire renverse un régime autoritaire, « l’Internationale » se précipite au chevet des forces démocratiques pour apporter « soutien » et « facilités » financières. Personne ne doit être dupe. Les contrats, les prêts, l’aide « liée », tout est fait pour que « l’Internationale », via ses IFI et ses multinationales, récupère, le plus vite possible, les avantages qui existaient du temps du régime précédent. Tout est fait pour rétablir l’impérialisme financier et pour assurer la continuité du néocolonialisme libéral. C’est exactement ce qui s’est passé après le printemps tunisien.
Les gouvernements et les Institutions financières internationales redoutent les organisations qui luttent contre la dette. Ils craignent, en effet, que les citoyens, comprenant la supercherie dont ils sont victimes, s’élèvent contre ce dictat, et mettent en place des alternatives, convaincus que personne ne doit plus venir s’occuper de leur pays à leur place. Des alternatives, il y en a. Elles ont montré leur efficacité. Les citoyens doivent d’abord imposer un moratoire
Moratoire
Situation dans laquelle une dette est gelée par le créancier, qui renonce à en exiger le paiement dans les délais convenus. Cependant, généralement durant la période de moratoire, les intérêts continuent de courir.
Un moratoire peut également être décidé par le débiteur, comme ce fut le cas de la Russie en 1998, de l’Argentine entre 2001 et 2005, de l’Équateur en 2008-2009. Dans certains cas, le pays obtient grâce au moratoire une réduction du stock de sa dette et une baisse des intérêts à payer.
, c’est-à-dire une suspension du paiement de la dette, afin de procéder à un audit de l’endettement et en répudier les parts odieuses et illégitimes. Ils doivent participer à la révision des contrats publics et privés existants, en imposer de nouveaux, refuser toute conditionnalité abusive, afin que le bien-être des populations en soit le seul objectif.
Soulignons que la première Université du Réseau Afrique du CADTM a été un haut lieu d’échange et d’information sur les luttes menées dans les sous-régions contre les redoutables prédateurs sans scrupules que sont les requins de la finance internationale. Une convergence d’actions
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
est en effet nécessaire, car les Africains n’acceptent plus le système qui, depuis la fin de la Conférence de Berlin, en février 1885, fait de l’Afrique la source du développement de l’Occident.
L’Afrique en a marre !
29 août 2016, par Françoise Wasservogel
25 février 2015, par Renaud Vivien , Françoise Wasservogel
10 avril 2014, par Françoise Wasservogel
Cameroun
L’audit de la dette publique camerounaise, une nécessité démocratique5 mars 2014, par Jean-Marc Bikoko , Françoise Wasservogel
11 octobre 2013, par Françoise Wasservogel , Mohamed Diarra
Université d’été du CADTM
La souveraineté des peuples face au rouleau compresseur d’une minorité9 juillet 2013, par Françoise Wasservogel