11 mars 2014 par CADTM Belgique
À partir de l’automne 2008, une vaste opération de socialisation de dettes privées a eu lieu en Belgique : 33 milliards d’euros ont été empruntés par l’Etat sur les marchés financiers pour sauver les institutions financières privées Fortis, Dexia, KBC et Ethias. Ces sauvetages bancaires ont entraîné une augmentation importante de la dette publique de la Belgique, équivalente à 1/10e de la totalité de la dette publique de l’époque. Cette dette issue des sauvetages bancaires est illégitime car elle n’a pas profité à la majorité de la population et ce, pour au moins quatre raisons.
1) L’Etat a payé trop cher ces sauvetages bancaires
Yves Leterme et Didier Reynders, qui occupaient au moment du sauvetage des banques les postes respectifs de Premier Ministre et de Ministre des Finances, déclaraient en 2013 que « nous avons sauvé les banques de la meilleure façon qu’il nous était donné de faire et dans l’intérêt de la population » [1]. Or, la Commission Européenne a estimé quelques mois après cette annonce que l’État avait déboursé entre 1 et 2 milliards de trop pour racheter Belfius [2] (la branche belge du groupe Dexia). Ces propos ont ensuite été confirmés par le Ministre des Finances actuel, Koen Geens. Depuis, le même Didier Reynders déclara à propos de Fortis qu’ « on aurait aussi pu se demander si au lieu de payer 4,7 milliards on n’aurait pas dû payer 1 euro symbolique » [3] !
2) L’Etat ne récupérera jamais la totalité de l’argent injecté dans ces sauvetages
Didier Reynders (toujours) a affirmé à maintes reprises que ces sauvetages constituaient des investissements qui, à terme, bénéficieraient à la population.... Or, en 2014 seulement la moitié de l’argent injecté en prêts ou en recapitalisations [4] dans ces banques a été remboursé aux pouvoirs publics [5]. Nous sommes donc loin du compte. Mais surtout ces chiffres bruts n’incluent pas les intérêts que l’État va devoir payer sur ces 33 milliards empruntés, ni les futures sommes qu’il risque d’encore devoir dégager, notamment pour recapitaliser Dexia S.A. (qui a déjà été recapitalisée trois fois).
Ne perdons pas de vue non plus que les banques sont à l’origine de la crise et que cette crise a pour effet d’augmenter la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
publique du fait notamment de la baisse des recettes fiscales et de la récession
Récession
Croissance négative de l’activité économique dans un pays ou une branche pendant au moins deux trimestres consécutifs.
. La dette publique est ainsi passée de 84 % du PIB
PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
(soit 285 milliards d’euros) au début de la crise à plus ou moins 100 % aujourd’hui (soit 395 milliards d’euros).
3) Ces sauvetages n’étaient pas démocratiques
Il faut souligner que les partis membres du gouvernement se sont présentés devant l’électeur en affirmant qu’ils mettraient fin aux comportements inacceptables des banques (y compris le MR et le VLD). Ils ont affirmé qu’une nouvelle discipline serait imposée. Ces partis ont donc clairement abusé de la confiance de l’électorat. Dans une démocratie, les représentant-e-s une fois sorti-e-s des urnes n’ont pas le mandat de faire n’importe quoi...
Le fait que des parlementaires valident ces sauvetages ne change en rien leur caractère illégitime. Il ne faut pas confondre « dette illégale
Dette illégale
Les dettes illégales sont les dettes qui ont été contractées en violation des procédures légales en vigueur (par exemple en contournant les procédures parlementaires), celles qui ont été marquées par une faute grave du créancier (par exemple par recours à la corruption, à la menace ou à la coercition) ou issues de prêts assortis de conditions violant le droit national (du pays débiteur ou créancier) et/ou international, dont les principes généraux du droit.
» et « dette illégitime ».
Une dette illégitime, qui a été contractée au nom de l’ensemble de la population alors qu’elle ne lui a pas profité, n’a aucune raison d’être remboursée par celle-ci
Une dette illégitime, qui a été contractée au nom de l’ensemble de la population alors qu’elle ne lui a pas profité, n’a aucune raison d’être remboursée par celle-ci. En effet, l’obligation
Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
de rembourser une dette publique n’est pas absolue et ne vaut que pour des dettes contractées dans l’intérêt général de la collectivité [6].
Pour illustrer la différence entre « illégal » et « illégitime » prenons l’exemple de la garantie de l’Etat apportée aux créanciers de Dexia S.A. Pour rappel, le Parlement fédéral a validé en mai 2013 de manière rétroactive l’arrêté royal pris illégalement par le gouvernement (en affaires courantes) de 2011, complété par un autre arrêté en 2012, qui engagent l’État à garantir les dettes de Dexia S.A à hauteur de 43,7 milliards d’euros (soit 11% du PIB de la Belgique, sans compter les intérêts et les accessoires) jusqu’en 2031. La violation de la Constitution belge était flagrante car les parlementaires n’avaient même pas été consultés sur ces garanties Garanties Acte procurant à un créancier une sûreté en complément de l’engagement du débiteur. On distingue les garanties réelles (droit de rétention, nantissement, gage, hypothèque, privilège) et les garanties personnelles (cautionnement, aval, lettre d’intention, garantie autonome). alors que cette matière relève de leur compétence. C’est ce que le CADTM a démontré devant le Conseil d’Etat dans sa requête en annulation de ces deux arrêtés royaux introduite avec ATTAC Liège, ATTAC Bruxelles 2 et deux députées fédérales, Zoé Genot et Meyrem Almaci.
Depuis le vote du Parlement en 2013, cette garantie est donc légale. Cependant, elle reste illégitime. En effet, cette garantie porte sur une « bad bank Bad bank Une bad bank est une structure créée pour isoler et recueillir les actifs à haut risque d’une banque en difficulté. » qui ne contient aucun dépôt d’épargnant et elle est extrêmement dangereuse pour la population. Si la garantie est activée, les dettes de Dexia S.A. deviendront automatiquement des dettes de l’Etat belge. Ce qui entraînera le renforcement des mesures d’austérité contre la population pour rembourser les dettes léguées par les activités de Dexia S.A. On sera alors en présence de nouvelles dettes illégitimes. Ce risque est aggravé par le fait que l’octroi de garanties n’a été soumis à aucune condition de la part du gouvernement belge. Ce qui encourage les banques, se sachant protégées par l’État, à continuer à prendre des risques financiers au détriment de la collectivité. C’est ce qu’on appelle l’ « aléa moral ».
4) Rien n’a changé et d’autres sauvetages bancaires sont à prévoir
Rien de sérieux n’a été fait en terme de régulation bancaire depuis la crise. Malgré les promesses de changements de la part des dirigeants politiques, les réformes tant attendues n’ont jamais vu le jour. L’Etat n’a pas profité de ses prises de participations dans ces banques pour changer les règles du jeu et rendre le secteur bancaire plus sûr et au service de la population
L’Etat n’a pas profité de ses prises de participations dans ces banques pour changer les règles du jeu et rendre le secteur bancaire plus sûr et au service de la population. En effet, la séparation des activités bancaires (banque de dépôt
Banques de dépôt
Banque de dépôt
Banque de dépôt ou banque commerciale : Établissement de crédit effectuant des opérations de banque avec les particuliers, les entreprises et les collectivités publiques consistant à collecter des fonds pour les redistribuer sous forme de crédit ou pour effectuer à titre accessoire des opérations de placements. Les dépôts du public bénéficient d’une garantie de l’État. Une banque de dépôt (ou banque commerciale) se distingue d’une banque d’affaires qui fait essentiellement des opérations de marché. Pendant plusieurs décennies, suite au Glass Steagall Act adopté pendant l’administration Roosevelt et aux mesures équivalentes prises en Europe, il était interdit aux banques commerciales d’émettre des titres, des actions et tout autre instrument financier.
d’un côté et banque d’investissement
Banques d’investissement
Banque d’investissement
Société financière dont l’activité consiste à effectuer trois types d’opérations : du conseil (notamment en fusion-acquisition), de la gestion de haut de bilan pour le compte d’entreprises (augmentations de capital, introductions en bourse, émissions d’emprunts obligataires) et des placements sur les marchés avec des prises de risque souvent excessives et mal contrôlées. Une banque d’affaires ne collecte pas de fonds auprès du public, mais se finance en empruntant aux banques ou sur les marchés financiers.
de l’autre) [7] n’est plus à l’ordre du jour tandis que le secret bancaire reste d’actualité. Les activités spéculatives ont repris de plus belle ainsi que les bonus et les salaires mirobolants. Le crédit aux ménages et aux petites et moyennes entreprises (PME) n’a pas augmenté et la banque Belfius (pourtant à 100% public) fonctionne comme n’importe quel banque privée sans prendre en compte l’intérêt du public. Soulignons également que les licenciements au sein de ces institutions se multiplient.
Parce que nous avons payé trop cher ces sauvetages et que nous sommes loin d’y avoir « gagné », parce que cela n’a pas servi à changer les règles du jeu et que, s’il fallait sauver l’épargne des citoyens et le secteur bancaire en Belgique, il fallait le faire autrement [8], parce que ces sauvetages ont profité à une minorité de gros détenteurs de capitaux et non à la majorité de la population qui en paie les frais, et risque de payer de nouveaux sauvetages, la dette de 33 milliards d’euros générée par les sauvetages bancaires est une dette illégitime. Il n’y a donc aucune raison à ce que la population la rembourse. L’annulation de cette dette doit viser les responsables de la crise : les banques et leurs gros actionnaires, qui sont à la fois les principaux créanciers de la Belgique et les bénéficiaires des sauvetages publics !
À l’occasion d’une annulation des dettes publiques, il conviendra de protéger les petits épargnants qui ont placé leurs économies dans des titres publics ainsi que les salariés et les retraités qui ont vu une partie de leurs économies (épargne pension, assurance groupe, assurance vie) placées par les institutions ou les organismes gestionnaires dans ce même type de titres.
L’annulation de la dette publique illégitime est une mesure nécessaire mais non suffisante pour sortir de la crise. Une des mesures complémentaires urgentes pour éviter de voir de nouvelles crises financières éclater est de socialiser le secteur bancaire.
Photo : CC - MathieuFranceMediafield
[1] Voir « Leur crise, 5 ans après... », septembre 2013.
[2] Voir « l’État a payé trop cher pour Belfius » de l’Echo du 30 janvier 2014.
[3] Voir le dossier « Inside Fortis » de l’Echo du 19 septembre 2013.
[4] 19,2 milliards en prises de participation dans le capital et 13,4 milliards par l’octroi de prêts, dont plus au moins 1/5e a été financé par les Régions.
[5] Pour plus de détails, lire « Sauvetages ou naufrages bancaires en Belgique ? », août 2013.
[6] Ruzié David, Droit international public, 17e édition, Dalloz, 2004, p. 93.
[7] À ce sujet, voir la campagne « Scindons les banques » sur www.scinderlesbanques.be/ ou encore la vidéo de Finance Watch « Pourquoi séparer les activités bancaires ? »
[8] Même s’il ne s’agit pas de modèles parfaits à suivre, d’autres manières de sauver les banques et l’épargne des citoyens ont été développées en Islande récemment ou dans la Finlande, Norvège et Suède des années 1990. Pour plus de détails, lire « Et si nous laissions les banques faire faillite ? » de Xavier Dupret, août 2012.
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