En France aussi, le fléau de la dette

5 décembre 2005 par Damien Millet




Les chiffres publiés dans la presse récemment indiquent que la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
publique française atteint 2 000 milliards d’euros, si l’on prend en compte les engagements de l’Etat sur les retraites dans la fonction publique. Cette publication cache mal de sombres calculs politiciens, dans le but de nourrir les attaques contre le corps des fonctionnaires, mais tel n’est pas ici le propos. Si la classe politique et médiatique française s’est émue de ce chiffre retentissant, personne n’a pris soin de le replacer dans le contexte international et historique approprié.

Tous les pays riches ont une dette publique gigantesque : 6 800 milliards d’euros pour les Etats-Unis, 6 500 milliards d’euros pour le Japon, au moins autant pour l’Union européenne. Au total, les pays les plus industrialisés ont une dette publique qui dépasse 20 000 milliards d’euros. C’est dire à quel point le modèle économique actuel est construit autour de la dette.

La raison en est qu’au-delà d’un chiffre tout rond, la dette est surtout, tant au Nord qu’au Sud, un mécanisme très subtil de captation des richesses et de domination. D’une part, son remboursement permet le transfert de sommes colossales provenant des salariés et des petits producteurs vers les principaux détenteurs de capitaux (notamment les grands investisseurs et les institutions financières privées) par l’intermédiaire de l’impôt qui porte de plus en plus sur les couches les moins favorisées. D’autre part, les politiques imposées dans la plupart des pays concernés servent l’intérêt des créanciers : libéralisation de l’économie, ouverture des marchés, privatisations des services publics, réduction des budgets sociaux, aggravation des inégalités, etc. Ici, on parle de « rigueur », d’ « austérité », de « Pacte de stabilité et de croissance ». La dette permet l’attaque contre des acquis sociaux que la France peut tout à fait continuer de financer si la volonté politique existe. Au Sud, on parlait de « Programmes d’ajustement structurel », de sinistre mémoire car les populations les ont subis de plein fouet. La dette y avait auparavant laminé toute forme de protection efficace.

Le montant de la dette publique française dépasse la dette extérieure publique des 165 pays dits « en développement » (où vivent 5,5 milliards d’individus), estimée à 1 350 milliards d’euros. Depuis plusieurs décennies, ces pays sont pris dans la spirale d’un endettement public croissant, qui est l’un des principaux mécanismes par lequel s’exercent les diktats de la finance mondialisée, des entreprises multinationales, du Fonds monétaire international FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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(FMI), de la Banque mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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et de l’Organisation mondiale du commerce OMC
Organisation mondiale du commerce
Créée le 1er janvier 1995 en remplacement du GATT. Son rôle est d’assurer qu’aucun de ses membres ne se livre à un quelconque protectionnisme, afin d’accélérer la libéralisation mondiale des échanges commerciaux et favoriser les stratégies des multinationales. Elle est dotée d’un tribunal international (l’Organe de règlement des différends) jugeant les éventuelles violations de son texte fondateur de Marrakech.

L’OMC fonctionne selon le mode « un pays – une voix » mais les délégués des pays du Sud ne font pas le poids face aux tonnes de documents à étudier, à l’armée de fonctionnaires, avocats, etc. des pays du Nord. Les décisions se prennent entre puissants dans les « green rooms ».

Site : www.wto.org
(OMC). Cette dette a organisé un nouvel esclavage, et de nombreux réseaux militants, comme le CADTM, en réclament l’annulation totale et inconditionnelle. Les citoyens du village planétaire ne devraient pas abandonner ce terrain aux experts financiers : leurs conditions de vie quotidienne en dépendent fortement.

Au Nord comme au Sud, ce mécanisme du surendettement délibéré est clairement une source majeure de domination des populations, d’appauvrissement massif, de corruption exponentielle et de perte de souveraineté, le tout au profit de riches créanciers et de dirigeants complices. Ainsi les failles dans le développement humain sont béantes. Chaque jour, plus de 30 000 enfants décèdent dans le monde pour des raisons qui auraient pu être évitées. En France, près de sept millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, dont un million d’enfants.

Contrairement à ce qu’a déclaré Thierry Breton, ministre français de l’Economie et des Finances, il n’y a pas que trois solutions envisageables, à savoir « baisser les dépenses, augmenter la croissance et vendre des actifs Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
non stratégiques ». Il faut rejeter en bloc à la fois le bradage de richesses appartenant à tous, l’imposture d’une croissance profondément inégalitaire et destructrice de l’environnement, et un Etat réduit au strict minimum alors qu’il doit être en mesure de protéger efficacement les citoyens.

En fait, la vraie question porte sur la voie à suivre en vue de l’instauration d’un autre modèle économique, basé sur la garantie des droits humains fondamentaux. Dans ce but, il faut exiger un audit complet de cette dette qui a profité aux seuls individus les plus fortunés, ainsi qu’une redistribution massive des richesses afin d’inverser la tendance à la réduction de l’effort fiscal des plus riches. De plus, un impôt exceptionnel sur les grosses fortunes permettrait de diminuer radicalement le poids de la dette. Complétées par une taxe de type Tobin et une taxation internationale des bénéfices des sociétés transnationales, ces mesures enclencheraient un changement de direction salutaire.

A bien des égards, le tiers-monde a été un laboratoire des politiques profondément néfastes pour les populations, sous le strict contrôle du FMI. La dette en a été le vecteur. La victoire du non au référendum sur le traité constitutionnel européen est un signe encourageant dans la lutte contre le renforcement de cette même logique en Europe. Mais prenons garde que le mécanisme de la dette est toujours solidement en place. Nous devons tourner nos regards vers les pays du Sud, non pour y lire notre propre avenir, mais pour tirer des enseignements précieux dans le combat pour un autre monde.

Damien Millet est président du CADTM France (Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde), auteur de L’Afrique sans dette, CADTM/Syllepse, 2005.


Damien Millet

professeur de mathématiques en classes préparatoires scientifiques à Orléans, porte-parole du CADTM France (Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde), auteur de L’Afrique sans dette (CADTM-Syllepse, 2005), co-auteur avec Frédéric Chauvreau des bandes dessinées Dette odieuse (CADTM-Syllepse, 2006) et Le système Dette (CADTM-Syllepse, 2009), co-auteur avec Eric Toussaint du livre Les tsunamis de la dette (CADTM-Syllepse, 2005), co-auteur avec François Mauger de La Jamaïque dans l’étau du FMI (L’esprit frappeur, 2004).

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