La manœuvre actuelle des idéologues du capitalisme pour tenter de verdir leurs discours n’aura pas échappé à grand monde. On est passé de la fièvre pour le billet vert à la fièvre verte tout court. Aujourd’hui, tout est « green ». En façade, en tous cas. Car, en grattant la mince couche de peinture (verte bien sur) qui recouvre la communication, on s’aperçoit vite qu’il y a supercherie.
Dans le discours publicitaire contemporain, une voiture qui rejette 95g de CO² au km est bonne pour la nature. Puisque le kilométrage moyen est de 15 000 Km/an, cela donne à l’arrivée près d’une tonne et demi de CO²/an. Vu comme cela, c’est déjà beaucoup moins « green ».
Sans compter en amont de l’achat, l’ensemble des sources de pollution issues des filières extractives, chimiques et pétrolières nécessaire à la construction de ce pseudo bijou écologique. Et quand on sait que le parc automobile belge est composé de près de 5 millions de voitures familiales, cela donne en moyenne la quantité colossale de 7 125 000 tonnes (sept millions cent vingt cinq mille tonnes) de CO² /an. Cette simple mise en perspective de quelques chiffres pourrait-elle éveiller la conscience des automobilistes invétéré-e-s ? Ce serait un bon début pour envisager la préservation de la vie sur notre Terre mais, maintenant, entrons dans la cour des grands.
Critiquée depuis des décennies pour son orientation néo-libérale et néo-coloniale, elle qui prétend dans ses statuts ne pas faire de politique, la Banque surfe actuellement sur la vague « green » et prétend œuvrer pour la préservation de l’environnement [1]. C’est fort à propos. Cependant, ces déclarations de bonnes intentions ne résistent pas à une analyse chiffrée. Alors qu’elle ne consacre que 16% de son portefeuille énergétique aux énergies renouvelables (hors barrages géants), elle a doublé ses financements aux projets fossiles en 2008 [2]. Et elle ne semble pas vouloir changer de cap, malgré la critique internationale et la contestation massive lors du sommet de Copenhague. Elle s’entête dans ce modèle destructeur comme elle s’est entêtée à poursuivre les politiques d’austérité imposées au Sud, détaillées dans le Consensus de Washington et mieux connues hier sous le nom de plans d’ajustement structurel et aujourd’hui, d’initiative PPTE
PPTE
Pays pauvres très endettés
L’initiative PPTE, mise en place en 1996 et renforcée en septembre 1999, est destinée à alléger la dette des pays très pauvres et très endettés, avec le modeste objectif de la rendre juste soutenable.
Elle se déroule en plusieurs étapes particulièrement exigeantes et complexes.
Tout d’abord, le pays doit mener pendant trois ans des politiques économiques approuvées par le FMI et la Banque mondiale, sous forme de programmes d’ajustement structurel. Il continue alors à recevoir l’aide classique de tous les bailleurs de fonds concernés. Pendant ce temps, il doit adopter un document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP), parfois juste sous une forme intérimaire. À la fin de ces trois années, arrive le point de décision : le FMI analyse le caractère soutenable ou non de l’endettement du pays candidat. Si la valeur nette du ratio stock de la dette extérieure / exportations est supérieure à 150 % après application des mécanismes traditionnels d’allégement de la dette, le pays peut être déclaré éligible. Cependant, les pays à niveau d’exportations élevé (ratio exportations/PIB supérieur à 30 %) sont pénalisés par le choix de ce critère, et on privilégie alors leurs recettes budgétaires plutôt que leurs exportations. Donc si leur endettement est manifestement très élevé malgré un bon recouvrement de l’impôt (recettes budgétaires supérieures à 15 % du PIB, afin d’éviter tout laxisme dans ce domaine), l’objectif retenu est un ratio valeur nette du stock de la dette / recettes budgétaires supérieur à 250 %. Si le pays est déclaré admissible, il bénéficie de premiers allégements de son service de la dette et doit poursuivre avec les politiques agréées par le FMI et la Banque mondiale. La durée de cette période varie entre un et trois ans, selon la vitesse de mise en œuvre des réformes clés convenues au point de décision. À l’issue, arrive le point d’achèvement. L’allégement de la dette devient alors acquis pour le pays.
Le coût de cette initiative est estimé par le FMI en 2019 à 76,2 milliards de dollars, soit environ 2,54 % de la dette extérieure publique du Tiers Monde actuelle. Les PPTE sont au nombre de 39 seulement, dont 33 en Afrique subsaharienne, auxquels il convient d’ajouter l’Afghanistan, la Bolivie, le Guyana, Haïti, le Honduras et le Nicaragua. Au 31 mars 2006, 29 pays avaient atteint le point de décision, et seulement 18 étaient parvenus au point d’achèvement. Au 30 juin 2020, 36 pays ont atteint le point d’achèvement. La Somalie a atteint le point de décision en 2020. L’Érythrée et le Soudan n’ont pas encore atteint le point de décision.
Alors qu’elle devait régler définitivement le problème de la dette de ces 39 pays, cette initiative a tourné au fiasco : leur dette extérieure publique est passée de 126 à 133 milliards de dollars, soit une augmentation de 5,5 % entre 1996 et 2003.
Devant ce constat, le sommet du G8 de 2005 a décidé un allégement supplémentaire, appelée IADM (Initiative d’allégement de la dette multilatérale), concernant une partie de la dette multilatérale des pays parvenus au point de décision, c’est-à-dire des pays ayant soumis leur économie aux volontés des créanciers. Les 43,3 milliards de dollars annulés via l’IADM pèsent bien peu au regard de la dette extérieure publique de 209,8 milliards de dollars ces 39 pays au 31 décembre 2018.
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La Banque envisage d’accorder un prêt de 3.75 milliards de dollars à la compagnie publique d’électricité Eskom Holdings Ltd en Afrique du Sud. Cette somme sera allouée à trois objets précis [3] :
3.05 milliards de dollars pour la construction de la centrale à charbon de Medupi qui émettra 25 millions de tonnes de CO²/an. Cette centrale utilisera la technologie « propre » dite supercritique, qui permet, de réduire la quantité de charbon utilisée et donc, les émissions de gaz polluants [4]. Ou plus simplement : On utilise la pire énergie fossile, mais on en met un peu moins. Pourquoi se plaindre ?
260 millions de dollars pour des projets d’énergies renouvelables, soit seulement 8.5% de la somme allouée au projet charbonnier, mais en jouant la carte verte.
485 millions de dollars pour du matériel à basse consommation d’énergies fossiles incluant un train servant à transporter le charbon de la mine à la centrale.
Machiavélique ! On pille les ressources naturelles d’un pays pour les mettre au service de multinationales (telles que Anglo American Corporation ou encore BHP Billiton) et on le présente comme un projet écologique au service des populations locales.
Les populations deux fois perdantes
Le cout de l’électricité est largement supporté par les populations locales, sachant que 138 multinationales implantées dans la région bénéficient, elles, d’un prix très réduit. Or ces multinationales rapatrient leurs bénéfices vers leurs maisons-mères (souvent implantées dans des paradis fiscaux
Paradis fiscaux
Paradis fiscal
Territoire caractérisé par les cinq critères (non cumulatifs) suivants :
(a) l’opacité (via le secret bancaire ou un autre mécanisme comme les trusts) ;
(b) une fiscalité très basse, voire une imposition nulle pour les non-résidents ;
(c) des facilités législatives permettant de créer des sociétés écrans, sans aucune obligation pour les non-résidents d’avoir une activité réelle sur le territoire ;
(d) l’absence de coopération avec les administrations fiscales, douanières et/ou judiciaires des autres pays ;
(e) la faiblesse ou l’absence de régulation financière.
La Suisse, la City de Londres et le Luxembourg accueillent la majorité des capitaux placés dans les paradis fiscaux. Il y a bien sûr également les Iles Caïmans, les Iles anglo-normandes, Hong-Kong, et d’autres lieux exotiques. Les détenteurs de fortunes qui veulent échapper au fisc ou ceux qui veulent blanchir des capitaux qui proviennent d’activités criminelles sont directement aidés par les banques qui font « passer » les capitaux par une succession de paradis fiscaux. Les capitaux généralement sont d’abord placés en Suisse, à la City de Londres ou au Luxembourg, transitent ensuite par d’autres paradis fiscaux encore plus opaques afin de compliquer la tâche des autorités qui voudraient suivre leurs traces et finissent par réapparaître la plupart du temps à Genève, Zurich, Berne, Londres ou Luxembourg, d’où ils peuvent se rendre si nécessaires vers d’autres destinations.
comme la City de Londres ou le Luxembourg), et donc ne payent quasiment pas d’impôts en Afrique du Sud.
De plus, au-delà du prix du kWh, le coût du remboursement de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
associée à ce funeste projet pèsera pendant plusieurs décennies sur les populations sud-africaines. Imposant appauvrissement et dégradation des conditions de vie.
Alors que le projet est conçu pour servir le secteur industriel, la société publique Eskom a déjà pris la décision d’augmenter ses tarifs pour la distribution d’électricité aux ménages, qui seront triplés entre 2009 et 2012. Les populations les plus pauvres risquent fort de ne plus avoir accès à ce service de base. Voilà comment la Banque mondiale envisage la lutte contre la pauvreté.
Un mouvement mondial de résistance au projet Eskom
Sans ces multinationales prédatrices, il n’y aurait aucunement besoin de construire de nouvelles centrales dans cette région. De plus le potentiel en énergies renouvelables y est considérable.
Il est grand temps que la Banque mondiale se retire du jeu et laisse définitivement la place aux acteurs/trices progressistes pour mettre en place un cadre populaire international de suppression de la pauvreté et de gestion écologique de la planète.
Nous sommes des centaines d’associations et citoyen-ne-s du monde entier a avoir entamé un bras de fer pour empêcher ce projet d’un autre age. Nous faisons pressions sur les gouvernement et/ou sur les administrateurs/trices de la Banque pour qu’ils ne votent pas ce projet mortifère. L’enjeu est énorme car en cas de victoire, cela ouvrirait une voie nouvelle dans la prise de décisions sur des projets qui touchent à l’humanité entière, présente et à venir.
[1] Cf l’article : http://www.amisdelaterre.org/La-Banque-mondiale-veut-sauver-le.html
[2] Voir le rapport : http://www.amisdelaterre.org/IMG/pdf/LaGrandeHypocrise.pdf
[3] http://siteresources.worldbank.org/INTSOUTHAFRICA/Resources/Eskom_Power_Investment_Support_Project_Fact_Sheet.pdf
[4] Nous omettons ici volontairement les autres pollutions liées à l’exploitation du charbon, comme les pollutions au soufre et au mercure, la pollution de l’eau, etc.
était membre du CADTM Belgique et co-auteur avec Renaud Duterme de La dette cachée de l’économie, Les Liens qui Libèrent, 2014.
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