Et pendant ce temps-là, en Grèce

5 février 2016 par Michel Husson


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En août dernier, un troisième MoU (memorandum of understanding) a été signé entre le gouvernement grec et les créanciers [1]. Sur les 86 milliards d’euros d’aide prévus sur trois ans, 16 milliards ont déjà été versés en 2015 : 13 milliards à la signature du programme, 2 milliards fin novembre et 1 milliard en décembre, auxquels il faut ajouter 10 milliards d’euros destinés à la recapitalisation des banques. Ces versements sont conditionnés à la mise en œuvre d’un vaste programme de réformes structurelles, édicté par les créanciers, qui porte sur de nombreux domaines : énergie, budget, santé, retraites, marché du travail, justice, privatisations, marchés publics, salaires [2]. 20 milliards d’euros sont programmés pour 2016, mais aucun versement ne sera effectué avant la première revue du programme, qui devrait avoir lieu au premier trimestre.



Un échec annoncé

Ce troisième MoU fait le même pari (perdu) que les précédents, à savoir concilier une forte restriction budgétaire avec une reprise de la croissance. L’excédent budgétaire primaire (hors intérêts) passerait progressivement à 3,5 % en 2018, et le taux de croissance redeviendrait positif en 2017, pour atteindre 3,1 % en 2018. Ce miracle sans précédent repose sur le postulat selon lequel les réformes structurelles peuvent à elles seules stimuler le potentiel de croissance. C’est oublier que la Grèce a déjà fait des réformes, saluées par le Fonds monétaire international FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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(FMI) [3] ou par l’OCDE OCDE
Organisation de coopération et de développement économiques
Créée en 1960 et basée au Château de la Muette à Paris, l’OCDE regroupait en 2002 les quinze membres de l’Union européenne auxquels s’ajoutent la Suisse, la Norvège, l’Islande ; en Amérique du Nord, les USA et le Canada ; en Asie-Pacifique, le Japon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande. La Turquie est le seul PED à en faire partie depuis le début pour des raisons géostratégiques. Entre 1994 et 1996, deux autres pays du Tiers Monde ont fait leur entrée dans l’OCDE : le Mexique qui forme l’ALENA avec ses deux voisins du Nord ; la Corée du Sud. Depuis 1995 et 2000, se sont ajoutés quatre pays de l’ancien bloc soviétique : la République tchèque, la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie. Puis d’autres adhésions se sont produites : en 2010, le Chili, l’Estonie, Israël et la Slovénie, en 2016 la Lettonie, en 2018 la Lituanie et, en 2020, la Colombie est devenue le trente-septième membre.

Site : www.oecd.org
, qui signalait en 2013 que « la Grèce a le taux le plus élevé de l’OCDE de réponse aux réformes structurelles recommandées » [4]. Cela n’a pas empêché le pays de plonger dans une terrible récession Récession Croissance négative de l’activité économique dans un pays ou une branche pendant au moins deux trimestres consécutifs. , et on voit mal comment le troisième plan pourrait avoir d’autres effets.

« La dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
de la Grèce est devenue insoutenable. »
Ce n’est pas la Commission pour la vérité sur la dette grecque [5] qui l’affirme mais Christine Lagarde, la directrice générale du FMI (« Statement by Christine Lagarde on Greece », IMF Press Release n° 15/381, August 14, 2015). Cette prise de position s’appuie sur un récent document, dont le message est encore plus clair : « La dette de la Grèce ne peut maintenant être rendue soutenable que par des mesures d’allégement qui vont bien au-delà de ce que l’Europe a accepté d’envisager jusqu’ici. » [6] Cette lucidité du FMI s’accompagne toutefois d’exigences encore plus drastiques, si bien que le gouvernement grec voudrait le voir exclu du club des créanciers.


L’Europe interdit un programme d’urgence humanitaire

Les résultats économiques pour 2015 apparaissant moins mauvais que prévu, Alexis Tsipras avait alors préparé un programme d’urgence humanitaire (couverture médicale, soupes populaires, « facture sociale » d’électricité, classes de soutien) [7]. Mais le mémorandum stipule qu’aucune mesure budgétaire ne peut être prise sans l’accord des créanciers, et ce projet de « programme parallèle » a été retiré sous la pression de l’eurogroupe, qui menaçait de ne pas assurer son dernier versement d’un milliard d’euros.

Cette passe d’armes révèle le degré de mainmise des créanciers sur les décisions du Parlement grec, qui est en pratique contraint de ratifier les lois rédigées par leur soin. Comme le souligne le juriste Michel Miné : « Obligée d’appliquer ces décisions en application de mémorandums imposés par ses créanciers, la Grèce se trouve en situation de violation de ses engagements internationaux en matière de droits de l’homme dans le travail. » [8]

A cause de l’Europe, la Grèce se trouve en situation de violation de ses engagements internationaux en matière de Droits de l’Homme

C’est aussi le point de vue de Juan Pablo Bohoslavsky, l’expert indépendant du Conseil des droits de l’homme des Nations unies qui considère dans son rapport que les mesures d’austérité ne devraient pas s’appliquer « au détriment des droits humains » [9]. Il énonce trois grandes limites qui recoupent largement les définitions de la Commission pour la vérité sur la dette publique. Dans son compte rendu de mandat [10], le rapporteur a d’ailleurs fait explicitement référence à la Commission en déclarant : « Même si cette Commission vient d’être formellement dissoute, je pense qu’il est nécessaire de poursuivre ce genre de travail et de tirer les leçons du passé. »


Bras de fer sur la réforme des retraites

L’une des conditions mises par les créanciers au versement de la prochaine tranche d’aide (dont le montant n’est d’ailleurs pas déterminé) est une refonte du système des retraites. Le 3 janvier dernier, le Premier ministre grec a prévenu qu’il ne cèderait pas à des « exigences déraisonnables et injustes », rappelant que le mémorandum laissait en principe cette réforme à l’appréciation du gouvernement grec. [11] Puis geórgios Katroúgalos, le ministre du Travail, présentait le projet de réforme qui envisage notamment une réduction du minimum vieillesse baptisé « pension nationale » à 384 euros par mois, soit le seuil de pauvreté. Du côté des recettes, les cotisations seraient augmentées d’un point pour les employeurs et de 0,5 point pour les salariés [12].

Les créanciers veulent retirer à la Grèce toute possibilité de se faire le garant d’une application moins brutale de l’ajustement

Le soutien des plus grands employeurs du pays a été obtenu sur ce plan, mais pas celui du gouverneur de la Banque de Grèce, Ioánnis Stournáras, qui s’est fait une nouvelle fois le porte-parole des créanciers en brandissant la menace d’un échec qui « ramènerait aux souvenirs de l’expérience négative de la première moitié de 2015 » Yannis Stournaras (voir « Backsliding is out of the Question », ekathimerini, 4 janvier 2016). Il se trouve que c’est aussi la position des créanciers qui privilégient une réduction uniforme des pensions. Une nouvelle période de confrontation est donc ouverte, qui risque de durer « des mois, et non des semaines », selon Jeroen Dijsselbloem, le président de l’eurogroupe (Eurobank, 8 janvier 2016). L’enjeu est clairement politique : en rappelant au gouvernement grec l’étroitesse – sinon l’absence – de marges de manœuvre, les créanciers veulent lui retirer toute possibilité de se faire le garant d’une application moins brutale du mémorandum.


Source : Alterecoplus

Notes

[1Memorandum Of Understanding Between The European Commission Acting On Behalf Of The European Stability Mechanism And The Hellenic Republic And The Bank Of Greece, August 19, 2015.

[2Pour un calendrier détaillé des objectifs d’action (actions-milestones), voir : Theodoros Stamatiou, « Update on the Structural Reforms’ Implementation Progress », Eurobank, December 15, 2015.

[3IMF, « Greece. Ex post Evaluation of Exceptional Access Under the 2010 Stand-by Arrangement », June 2013.

[4OECD, Economic Survey. Greece, OECD, November 2013.

[5voir Michel Husson, « La vérité sur la dette grecque : totalement insoutenable », Alter Eco Plus, 18 Juin 2015.

[6IMF, « An update of IMF staff’s preliminary public debt sustainability analysis », Greece Country Report No. 15/186, July 14, 2015.

[7Romaric Godin, « Grèce : Alexis Tsipras renonce à son plan anti-austérité », La Tribune, 17 Décembre 2015.

[8Michel Miné, « Le droit du travail en Grèce à l’épreuve du droit international et européen », Revue des droits et libertés fondamentaux, chronique n°21, 2015.

[9« Not at the cost of human rights », Nations Unies, Haut Commissariat aux Droits de l’Homme, 15 Juillet 2015.

[10Juan Pablo Bohoslavsky, « Human rights pose limits to adjustment », End of mission statement, Athens, December 8, 2015.

[12Romaric Godin, « Grèce : le gouvernement présente sa réforme des retraites », La Tribune, 5 Janvier 2015.

Michel Husson

statisticien et économiste français travaillant à l’Institut de recherches économiques et sociales, membre de la Commission d’audit pour la vérité sur la dette grecque depuis 2015.
http://hussonet.free.fr/fiscali.htm

Traduction(s)