La crise économique a fait éclater au grand jour les contradictions de la construction européenne. Au lieu d’être un espace de coopération, l’Union européenne (UE) a fait de la concurrence entre les Etats membres l’axe central de sa construction. Elle s’est érigée sur un dumping fiscal et social. L’euro est donc pris dans une contradiction fondamentale : il est la monnaie unique d’Etats qui sont en guerre économique.
L’UE s’est mise volontairement dans les mains des marchés financiers
Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
. Le financement des déficits budgétaires s’est opéré par le recours aux banques privées et autres institutions financières, la Banque centrale européenne
BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
(BCE) ne voulant, ni ne pouvant, les financer. Nous assistons à l’aberration qui consiste à ce que les banques privées puissent se refinancer auprès de la BCE à un taux d’intérêt
Taux d'intérêt
Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
très faible (1 %) et prêtent aux Etats à des taux plus élevés, pouvant même aller jusqu’à plus de 10 % pour la Grèce.
Cette situation est la cause immédiate de la phase actuelle de la crise, celle de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
publique. La zone euro, censée être un havre de stabilité monétaire, est devenue une proie pour les marchés financiers. Après la Grèce et l’Irlande, quelle sera la prochaine victime ? Le Portugal et l’Espagne font figure de favoris, mais déjà des rumeurs courent sur l’Italie et la France et certains « analystes » indiquent que même l’Allemagne pourrait être touchée. « Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés ». Frappés, car d’un côté l’UE tolère que des taux d’intérêt élevés continuent d’être exigés des pays endettés, et de l’autre elle garantit aux créanciers qu’elle honorera la dette en cas de défaillance. Les banques gagnent donc à tous les coups.
La mise en place, suite à la crise grecque, du Fonds européen de stabilité financière (FESF) n’a donc rien changé au problème. Outre que ce fonds serait probablement insuffisant en cas d’attaques contre les dettes publiques de plusieurs Etats, les gouvernements continuent à se livrer aux marchés. Les déficits publics, qui ont explosé à cause de la crise financière déclenchée par les marchés financiers, vont continuer à être financés par un recours à ces mêmes marchés. La BCE peut certes acheter des dettes publiques, mais elle ne finance pas directement les Etats. Elle rachète, en cas de nécessité, des obligations
Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
d’Etat aux institutions financières sur le « marché secondaire ». Il s’agit, en fait, de leur donner l’assurance que ces obligations seront ainsi garanties
Garanties
Acte procurant à un créancier une sûreté en complément de l’engagement du débiteur. On distingue les garanties réelles (droit de rétention, nantissement, gage, hypothèque, privilège) et les garanties personnelles (cautionnement, aval, lettre d’intention, garantie autonome).
quelle que soit la situation. Les banques pourront continuer à se refinancer à 1 % auprès de la BCE et à prêter aux Etats à des taux nettement supérieurs. Les gouvernements n’ont même pas fixé de taux d’intérêt maximum au-delà duquel le Fonds de stabilisation interviendrait automatiquement, ce qui aurait au moins limité la spéculation
Spéculation
Opération consistant à prendre position sur un marché, souvent à contre-courant, dans l’espoir de dégager un profit.
Activité consistant à rechercher des gains sous forme de plus-value en pariant sur la valeur future des biens et des actifs financiers ou monétaires. La spéculation génère un divorce entre la sphère financière et la sphère productive. Les marchés des changes constituent le principal lieu de spéculation.
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Pire, la création du FESF s’est accompagnée d’un engagement des gouvernements européens à mettre en place des plans d’austérité drastique. C’est une véritable purge sociale qui est en train d’être avalée par les populations du continent. La réduction des déficits publics est le prétexte, et l’occasion, pour les gouvernements, la Commission et le Fonds monétaire international
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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(FMI) d’imposer un recul considérable des droits sociaux en Europe. Réductions massives des dépenses publiques, baisse des salaires des fonctionnaires, attaques contre le droit du travail, tout cela rappelle les orientations mises en œuvre pendant la crise de 1929 et qui avaient conduit à la Grande dépression des années 1930. Un scénario de ce type n’est aujourd’hui pas exclu, ce d’autant plus que les économies européennes sont totalement imbriquées.
Une spirale dépressive ne permettrait en aucun cas l’amélioration des finances publiques avec des déficits qui, au mieux, se stabiliseraient à leur niveau actuel, voire qui s’approfondiraient si les recettes fiscales chutaient plus vite que la réduction de dépenses… avec, à la clef, de nouvelles attaques spéculatives contre les Etats les plus fragiles et un risque de défaut de paiement. Une nouvelle crise financière, qui toucherait les banques possédant des obligations de ces Etats, n’est donc pas à exclure avec de nouvelles attaques contre l’euro… Les gouvernements sont obsédés par l’idée qu’il faut rassurer les marchés financiers, mais les politiques d’austérité, censés les rassurer, créent l’affolement en creusant les déficits, et plus les Etats sont en situation financière difficile, et plus les banques accroissent leurs difficultés en leur imposant des taux prohibitifs.
LES GRIFFES DE LA FINANCE
L’UE est donc à la croisée des chemins. Deux voies s’offrent à elle : soit continuer sur la trajectoire actuelle et c’est l’approfondissement de la récession Récession Croissance négative de l’activité économique dans un pays ou une branche pendant au moins deux trimestres consécutifs. , le chacun pour soi, avec le risque de montée de la xénophobie et des nationalismes et, en bout de course, l’éclatement de l’Union, soit se saisir de la crise pour changer radicalement d’orientation.
Il faut, pour commencer, sortir l’UE des griffes de la finance. Le financement des déficits publics ne doit plus être laissé aux marchés financiers. La BCE doit pouvoir prêter de l’argent aux Etats à un très faible taux. Il s’agit donc de monétiser, au moins en partie, les déficits publics. De plus, une annulation partielle de la dette (restructuration) doit être envisagée, ne serait-ce que parce la plus grande part des déficits accumulés est due à la crise financière et à la diminution des impôts des riches et non à l’augmentation des dépenses publiques, rendant de ce fait la dette assez illégitime. Il faut taxer les transactions financières afin de casser les mouvements spéculatifs et interdire un certain nombre de produits financiers Produits financiers Produits acquis au cours de l’exercice par une entreprise qui se rapportent à des éléments financiers (titres, comptes bancaires, devises, placements). et d’opérations boursières qui ne sont que spéculation.
Les banques doivent, a minima, être soumises à un contrôle public strict et leurs activités centrées sur l’économie productive, ce qui suppose une séparation entre banques de dépôt
Banques de dépôt
Banque de dépôt
Banque de dépôt ou banque commerciale : Établissement de crédit effectuant des opérations de banque avec les particuliers, les entreprises et les collectivités publiques consistant à collecter des fonds pour les redistribuer sous forme de crédit ou pour effectuer à titre accessoire des opérations de placements. Les dépôts du public bénéficient d’une garantie de l’État. Une banque de dépôt (ou banque commerciale) se distingue d’une banque d’affaires qui fait essentiellement des opérations de marché. Pendant plusieurs décennies, suite au Glass Steagall Act adopté pendant l’administration Roosevelt et aux mesures équivalentes prises en Europe, il était interdit aux banques commerciales d’émettre des titres, des actions et tout autre instrument financier.
et banques d’investissement
Banques d’investissement
Banque d’investissement
Société financière dont l’activité consiste à effectuer trois types d’opérations : du conseil (notamment en fusion-acquisition), de la gestion de haut de bilan pour le compte d’entreprises (augmentations de capital, introductions en bourse, émissions d’emprunts obligataires) et des placements sur les marchés avec des prises de risque souvent excessives et mal contrôlées. Une banque d’affaires ne collecte pas de fonds auprès du public, mais se finance en empruntant aux banques ou sur les marchés financiers.
. Enfin, il faut mettre fin au dumping fiscal par une harmonisation de la fiscalité. Au-delà, la construction européenne doit être tournée vers la satisfaction des besoins sociaux, la réduction des inégalités et la mise en œuvre des impératifs écologiques. Il s’agit fondamentalement d’organiser une nouvelle répartition de la richesse produite en engageant au niveau européen un processus d’harmonisation par le haut des droits sociaux, avec la mise en place de critères de convergence sociaux.
Il est peu probable que les classes dirigeantes acceptent une telle perspective. C’est donc aux peuples européens de l’imposer. La mobilisation citoyenne et sociale est alors la condition même de la sortie de la crise actuelle.
Pierre Khalfa, porte-parole de l’union syndicale Solidaires, membre du conseil scientifique d’Attac
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