Fallait-il à nouveau injecter de l’argent dans Dexia ?

15 novembre 2012 par Eric Toussaint


La Belgique et la France avaient déjà sauvé Dexia en octobre 2008 et en octobre 2011. Les deux Etats actionnaires s’apprêtent à y aller d’une nouvelle rallonge de 5 à 7 milliards, le groupe ne disposant plus d’assez de capital pour fonctionner normalement. Est-ce bien normal ? Est-ce bien raisonnable ?

Quotidien Le Soir, vendredi 2 novembre 2012, p.13



« Non, il faut mettre Dexia en faillite » Eric Toussaint, Président du Comité pour l’annulation de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
du tiers-monde (CADTM)

Le Soir : Fallait-il décider de voler une nouvelle fois au secours de Dexia ?

Eric Toussaint : Non, il ne faut pas recapitaliser cette institution, il faut la mettre en faillite le plus vite possible et donc annuler les garanties Garanties Acte procurant à un créancier une sûreté en complément de l’engagement du débiteur. On distingue les garanties réelles (droit de rétention, nantissement, gage, hypothèque, privilège) et les garanties personnelles (cautionnement, aval, lettre d’intention, garantie autonome). que la Belgique et la France accordent à Dexia par rapport à ses créanciers. Il s’agit d’un montant de 54 milliards d’euros en ce qui concerne la Belgique, 15% de son Produit intérieur brut PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
.

Le Soir : Une faillite aurait des conséquences très importantes, y compris pour le contribuable…

Eric Toussaint : Dexia, société holding, n’est plus une banque en tant que telle : il n’y a pas de dépôts d’épargnants. Sa faillite ne provoquera donc pas de déboires pour des épargnants. La faillite implique de reconnaître que cette société est ce qu’elle est, à savoir une « bad bank Bad bank Une bad bank est une structure créée pour isoler et recueillir les actifs à haut risque d’une banque en difficulté.  » qui est en train de vendre tous ses actifs Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
valables – elle vient de vendre ses filiales en Turquie, au Luxembourg. Il faut savoir que le Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde, avec Attac, a déposé une requête en annulation des garanties d’État – le dossier est toujours en cours devant le Conseil d’État. Dans la réponse que nous ont opposée les avocats de Dexia, ceux-ci nous disent que Dexia avait une dette immédiatement exigible le 31 décembre 2011 de 411 milliards et des produits structurés Produits financiers structurés
Produits structurés
Produit structuré
Un produit structuré est un produit généralement conçu par une banque. C’est souvent une combinaison complexe d’options, de swaps, etc. Son prix est déterminé en utilisant des modèles mathématiques qui modélisent le comportement du produit en fonction du temps et des différentes évolutions du marché. Ce sont souvent des produits vendus avec des marges importantes et opaques.
pour une somme un peu supérieure. Les montants qui sont dus par Dexia et les montants qui sont dans son bilan en termes de produits toxiques représentent une somme tellement considérable que Dexia ne pourra pas y faire face. Il est plus que probable – on n’a jamais de certitudes là-dessus– qu’elle n’arrivera pas à ne pas demander l’activation des garanties que lui octroient la Belgique et la France. Il n’y a donc aucune raison pour les pouvoirs publics de maintenir en vie une telle institution de « défaisance ».

Le Soir : Pourquoi les pouvoirs publics la maintiennent-elle en vie, dans votre analyse ?

Eric Toussaint : Pour moi, c’est très clair : Dexia était une institution dont des pouvoirs publics étaient actionnaires – le holding communal, l’État belge, les entités fédérées, l’Etat français, et d’autres actionnaires comme le groupe belge Arco – et en refusant la faillite, on évite que les administrateurs désignés par les actionnaires soient obligés de rendre des comptes. Maintenir une société en vie, dans ce cas-là, permet à une série d’administrateurs importants de quitter la scène tranquillement, sans devoir s’expliquer sur leur gestion. Il y a des noms tout à fait précis, notamment celui de Jean-Luc Dehaene, qui représente une famille politique importante dans la vie politique belge, qui a été Premier ministre, et qui s’en est allé comme administrateur tout récemment.
La deuxième raison, c’est qu’il y a des autorités en Belgique qui étaient chargées de contrôler Dexia, comme toutes les institutions bancaires. C’est l’ex-CBFA (la Commission bancaire, financière et des assurances, remplacée depuis le 1er avril 2011 par l’Autorité des services et marchés financiers Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
et la Banque nationale de Belgique), c’est la Banque nationale, c’est le ministre des Finances et le gouvernement en général. Ce gouvernement et ces autorités de tutelle ont failli à leur rôle. En ne provoquant pas la faillite, ils évitent de prendre leurs responsabilités dans la dérive qu’a connue cette institution.

Propos recueillis par William Bourton


Eric Toussaint

Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.

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