Fonds vautours : Une espèce méconnue de la jungle financière

8 décembre 2017 par CADTM


Comment reconnaître un fonds vautour parmi tous les prédateurs du « système-dette » ? D’où viennent-ils ? En quoi sont-ils différents des autres et en même temps si proches des autres créanciers voraces ?



1. Quel est leur plan de bataille ?

Les fonds vautours Fonds vautour
Fonds vautours
Fonds d’investissement qui achètent sur le marché secondaire (la brocante de la dette) des titres de dette de pays qui connaissent des difficultés financières. Ils les obtiennent à un montant très inférieur à leur valeur nominale, en les achetant à d’autres investisseurs qui préfèrent s’en débarrasser à moindre coût, quitte à essuyer une perte, de peur que le pays en question se place en défaut de paiement. Les fonds vautours réclament ensuite le paiement intégral de la dette qu’ils viennent d’acquérir, allant jusqu’à attaquer le pays débiteur devant des tribunaux qui privilégient les intérêts des investisseurs, typiquement les tribunaux américains et britanniques.
sont des sociétés privées appelées « vautours » en raison de leur mode opératoire qui consiste à :

Étape 1 : Cibler des États en difficulté financière pour racheter à bas prix des créances Créances Créances : Somme d’argent qu’une personne (le créancier) a le droit d’exiger d’une autre personne (le débiteur). sur ces États. Ces rachats se font principalement sur le marché secondaire des dettes (voir l’encadré) sans que l’État débiteur soit informé du changement de créancier. Plus le pays est en difficulté financière (proche du défaut de paiement ou ayant déjà fait défaut sur sa dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
) et plus le prix de rachat de la créance sur ce pays est bas.

Étape 2 : Refuser systématiquement de participer aux restructurations de dettes (voir l’encadré sur les restructurations). La position des fonds vautours est renforcée par les difficultés que l’État débiteur peut rencontrer lorsqu’il s’efforce d’accéder à nouveau aux marchés financiers Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
. Dans de telles circonstances, la menace de devoir faire face à une procédure longue et coûteuse contre un fonds vautour accentue la pression que subit l’État en question, ce qui peut l’inciter à accepter un règlement à l’amiable qui lui est défavorable.

Étape 3 : Dès que la situation financière du pays s’améliore un peu (suite à un allègement de sa dette par exemple), poursuivre cet État en justice afin d’obtenir le remboursement de la valeur totale de la dette, majorée des intérêts et de pénalités de retard, et parfois même de ses frais de justice. Comme en témoigne un gestionnaire de la dette de la République démocratique du Congo (RDC), « le fonds vautour, il achète, et quand il vous annonce qu’il a acheté directement il vous attaque. Ou bien il vous annonce qu’il a acheté et il n’écrit plus. Pendant ce temps, il fait couler le temps. Il ne vous agresse pas, mais pendant ce temps il fait ses calculs. Et dès qu’il surgit, il va directement en justice » [1].

Étape 4 : Partir à la recherche du pays où faire appliquer le jugement qui les reconnaît créanciers à hauteur de ce qu’ils ont demandé. Ce jugement appelé « titre exécutoire » permet de saisir ou faire peser une menace de saisie sur les actifs Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
du pays qui se trouvent à l’extérieur de son territoire, qu’il s’agisse d’actifs physiques ou bancaires. L’État endetté préfère alors souvent les payer pour récupérer ses actifs car les fonds vautour peuvent dans le cas contraire liquider l’actif et se rembourser par le produit de sa vente.

Les fonds vautours rachètent en priorité les titres de la dette Titres de la dette Les titres de la dette publique sont des emprunts qu’un État effectue pour financer son déficit (la différence entre ses recettes et ses dépenses). Il émet alors différents titres (bons d’état, certificats de trésorerie, bons du trésor, obligations linéaires, notes etc.) sur les marchés financiers – principalement actuellement – qui lui verseront de l’argent en échange d’un remboursement avec intérêts après une période déterminée (pouvant aller de 3 mois à 30 ans).
Il existe un marché primaire et secondaire de la dette publique.
régis par le droit des États-Unis et du Royaume-Uni car ils sont particulièrement protecteurs des créanciers (voir l’encadré). Munis de jugements (le titre exécutoire généralement rendu aux États-Unis et au Royaume-Uni), ils saisissent ensuite toutes les juridictions où se trouvent des actifs de l’État condamné pour faire exécuter le jugement.

Une autre caractéristique des fonds vautours est d’être souvent enregistrés dans des paradis fiscaux Paradis fiscaux
Paradis fiscal
Territoire caractérisé par les cinq critères (non cumulatifs) suivants :
(a) l’opacité (via le secret bancaire ou un autre mécanisme comme les trusts) ;
(b) une fiscalité très basse, voire une imposition nulle pour les non-résidents ;
(c) des facilités législatives permettant de créer des sociétés écrans, sans aucune obligation pour les non-résidents d’avoir une activité réelle sur le territoire ;
(d) l’absence de coopération avec les administrations fiscales, douanières et/ou judiciaires des autres pays ;
(e) la faiblesse ou l’absence de régulation financière.

La Suisse, la City de Londres et le Luxembourg accueillent la majorité des capitaux placés dans les paradis fiscaux. Il y a bien sûr également les Iles Caïmans, les Iles anglo-normandes, Hong-Kong, et d’autres lieux exotiques. Les détenteurs de fortunes qui veulent échapper au fisc ou ceux qui veulent blanchir des capitaux qui proviennent d’activités criminelles sont directement aidés par les banques qui font « passer » les capitaux par une succession de paradis fiscaux. Les capitaux généralement sont d’abord placés en Suisse, à la City de Londres ou au Luxembourg, transitent ensuite par d’autres paradis fiscaux encore plus opaques afin de compliquer la tâche des autorités qui voudraient suivre leurs traces et finissent par réapparaître la plupart du temps à Genève, Zurich, Berne, Londres ou Luxembourg, d’où ils peuvent se rendre si nécessaires vers d’autres destinations.
où il n’est pas obligatoire de fournir des renseignements sur les bénéfices ou les propriétaires, et où il est possible de cacher ses gains afin d’éviter ou d’éluder l’impôt.


2. L’ampleur du racket

En septembre 2016, un rapport consacré aux fonds vautours était présenté à l’ONU. Ce rapport a été élaboré par un Comité consultatif dont Jean Ziegler, ancien Rapporteur des Nations unies sur le droit à l’alimentation, est le vice-président. S’appuyant sur une étude de la Banque africaine de développement (BAD), ce rapport onusien indique que le taux de rendement obtenu par les fonds vautours est situé entre 300 % et 2000 %, frais de justice mis à part [2].

Le taux de rendement obtenu par les fonds vautours est situé entre 300 % et 2000 %

Comme le souligne ce rapport, « les fonds vautours relèvent, par définition, de l’exploitation, car ils s’emploient à obtenir des gains disproportionnés et exorbitants au détriment de la pleine réalisation des droits de l’homme, en particulier des droits économiques, sociaux et culturels, et du droit au développement. Le fait de chercher à obtenir auprès d’un pays en défaut de paiement, ou proche du défaut de paiement, le remboursement en totalité d’une dette souveraine ne constitue pas une aspiration légitime. »

Le nombre de procès lancés par les fonds vautours n’est pas connu avec précision. La plupart du temps, les différents cas sont donc traités dans le plus grand secret, à l’abri de la couverture médiatique. En outre, ces créanciers n’opèrent aucune communication sur leurs opérations. Lorsqu’ils possèdent une page internet, les fonds vautours présentent uniquement leurs autres activités lorsqu’ils en ont : placement, gestion de biens immobiliers, etc.

Malgré ces obstacles, quelques études existantes ont tenté d’évaluer l’ampleur de ce phénomène de « finance procédurière ». Depuis 2002, le FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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réalise une étude annuelle au sein de la trentaine d’États africains et sud-américains qu’il a labellisés comme « très endettés ». Il s’agit d’un questionnaire auquel répondent tous les ans les institutions en charge des finances pour ces États dans le cadre des programmes d’allègement de dette dont ils bénéficient. Entre autres questions, il leur est demandé s’ils sont en procédure contentieuse contre un ou plusieurs de leurs créanciers commerciaux. Pour chaque procédure, ils doivent indiquer le nom du créancier, son pays d’implantation, la juridiction devant laquelle ils sont poursuivis, l’état actuel de la procédure (examen en cours, règlement à l’amiable, jugement prononcé), le montant initial de la créance, le montant réclamé par le fonds et le montant accordé par le juge. Les résultats sont inclus dans les rapports annuels d’avancement des programmes d’allègement de dette du FMI et de la Banque mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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. Selon ces recensements, treize pays classés « Pays pauvres très endettés PPTE
Pays pauvres très endettés
L’initiative PPTE, mise en place en 1996 et renforcée en septembre 1999, est destinée à alléger la dette des pays très pauvres et très endettés, avec le modeste objectif de la rendre juste soutenable.

Elle se déroule en plusieurs étapes particulièrement exigeantes et complexes.

Tout d’abord, le pays doit mener pendant trois ans des politiques économiques approuvées par le FMI et la Banque mondiale, sous forme de programmes d’ajustement structurel. Il continue alors à recevoir l’aide classique de tous les bailleurs de fonds concernés. Pendant ce temps, il doit adopter un document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP), parfois juste sous une forme intérimaire. À la fin de ces trois années, arrive le point de décision : le FMI analyse le caractère soutenable ou non de l’endettement du pays candidat. Si la valeur nette du ratio stock de la dette extérieure / exportations est supérieure à 150 % après application des mécanismes traditionnels d’allégement de la dette, le pays peut être déclaré éligible. Cependant, les pays à niveau d’exportations élevé (ratio exportations/PIB supérieur à 30 %) sont pénalisés par le choix de ce critère, et on privilégie alors leurs recettes budgétaires plutôt que leurs exportations. Donc si leur endettement est manifestement très élevé malgré un bon recouvrement de l’impôt (recettes budgétaires supérieures à 15 % du PIB, afin d’éviter tout laxisme dans ce domaine), l’objectif retenu est un ratio valeur nette du stock de la dette / recettes budgétaires supérieur à 250 %. Si le pays est déclaré admissible, il bénéficie de premiers allégements de son service de la dette et doit poursuivre avec les politiques agréées par le FMI et la Banque mondiale. La durée de cette période varie entre un et trois ans, selon la vitesse de mise en œuvre des réformes clés convenues au point de décision. À l’issue, arrive le point d’achèvement. L’allégement de la dette devient alors acquis pour le pays.

Le coût de cette initiative est estimé par le FMI en 2019 à 76,2 milliards de dollars, soit environ 2,54 % de la dette extérieure publique du Tiers Monde actuelle. Les PPTE sont au nombre de 39 seulement, dont 33 en Afrique subsaharienne, auxquels il convient d’ajouter l’Afghanistan, la Bolivie, le Guyana, Haïti, le Honduras et le Nicaragua. Au 31 mars 2006, 29 pays avaient atteint le point de décision, et seulement 18 étaient parvenus au point d’achèvement. Au 30 juin 2020, 36 pays ont atteint le point d’achèvement. La Somalie a atteint le point de décision en 2020. L’Érythrée et le Soudan n’ont pas encore atteint le point de décision.

Alors qu’elle devait régler définitivement le problème de la dette de ces 39 pays, cette initiative a tourné au fiasco : leur dette extérieure publique est passée de 126 à 133 milliards de dollars, soit une augmentation de 5,5 % entre 1996 et 2003.

Devant ce constat, le sommet du G8 de 2005 a décidé un allégement supplémentaire, appelée IADM (Initiative d’allégement de la dette multilatérale), concernant une partie de la dette multilatérale des pays parvenus au point de décision, c’est-à-dire des pays ayant soumis leur économie aux volontés des créanciers. Les 43,3 milliards de dollars annulés via l’IADM pèsent bien peu au regard de la dette extérieure publique de 209,8 milliards de dollars ces 39 pays au 31 décembre 2018.
 » (PPTE) ont été poursuivis en justice au cours de la première décennie des années 2000, lors de 54 procès [3].

Le fonds vautour FG Hemisphere a poursuivi la RDC devant les juridictions des États-Unis, de Belgique, d’Afrique du Sud, de Hong Kong, et du Royaume-Uni à propos de la même dette

En 2016, on comptait au moins 13 procès en cours contre huit PPTE [4]. Selon la Banque mondiale, plus d’un tiers des pays admis à bénéficier d’un allègement de leur dette à son égard ont déjà été la cible d’actions Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
en justice de la part d’au moins 38 créanciers, avec des jugements totalisant, pour 26 de ces cas, 1 milliard de dollars.

Ces chiffres donnés par les IFI ne rendent pas compte de l’ampleur du phénomène puisque sont exclus d’office tous les pays qui ne sont pas classés PPTE. Il s’agit, d’une part, de pays d’Amérique latine comme le Brésil, l’Argentine, le Mexique, le Pérou, le Paraguay, l’Équateur. Plus récemment, cela a aussi concerné des États européens : la Pologne, la Bulgarie, la Grèce, l’Espagne, l’Irlande, le Portugal [5] (voir la partie II). En outre, la forme même du questionnaire que le FMI adresse aux participants fausse d’une autre manière les résultats. En effet, les PPTE ne peuvent indiquer dans leur réponse qu’une seule juridiction devant lesquels ils sont poursuivis. Or, l’une des caractéristiques des fonds procéduriers est bien de multiplier les procédures devant plusieurs juridictions à travers le monde. Ce phénomène est appelé « forum shopping ».

Par exemple, le fonds vautour FG Hemisphere, enregistré dans l’État du Delaware (un paradis fiscal au cœur des États-Unis), a poursuivi la RDC devant des juridictions des États-Unis, de Belgique, d’Afrique du Sud, de Hong Kong, du Royaume-Uni, à propos de la même dette. Voir également la partie III sur ce litige.

Le fonctionnement des marchés primaires et secondaires de la dette

Les marchés primaires et secondaires sont des marchés où sont achetées et vendues des actions et des obligations Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
(dits aussi « instruments négociables ») par des investisseurs. Ces actions ou ces obligations peuvent être des titres de créance ou des titres de propriété.

Sur le marché primaire de la dette, les acheteurs (institutionnels ou particuliers) se procurent des titres auprès d’émetteurs, titres qu’ils peuvent par la suite céder sur un marché secondaire.

Le marché secondaire de la dette a vu le jour après la crise mexicaine, dans le milieu des années 80, quand les créanciers internationaux des pays endettés ont commencé à échanger et revendre les dettes difficilement recouvrables. Aujourd’hui, les banques et autres investisseurs expliquent qu’ils l’utilisent pour équilibrer leur portefeuille de créances, par exemple, en évitant que leurs risques ne soient trop concentrés sur un seul pays.

Toutefois, la récente crise financière a surtout démontré l’impact déstabilisateur de la titrisation Titrisation Technique financière qui permet à une banque de transformer en titres négociables des actifs illiquides, c’est-à-dire qui ne sont pas (ou pas facilement) vendables. Initialement, cette technique a été utilisée par les établissements de crédit dans le but de refinancer une partie de leurs prêts à la clientèle. Les prêts sont cédés à un véhicule juridique qui émet en contrepartie des titres (généralement des obligations) placés sur les marchés financiers. Avec la titrisation, les risques afférents à ces crédits sont transférés des banques aux acheteurs. Cette pratique s’étend aujourd’hui à d’autres types d’actifs et d’acteurs (portefeuilles d’assurances, immobilier, créances commerciales).

(extrait de Adda, p. 101, t. 1, 1996, p. 101-102)
Cette notion décrit la prépondérance nouvelle des émissions de titres (obligations internationales classiques émises pour le compte d’un emprunteur étranger sur la place financière et dans la monnaie du pays prêteur, euro-obligations libellées dans une monnaie différente de celle de la place où elles sont émises, actions internationales) dans l’activité des marchés. A quoi s’ajoute la transformation d’anciennes créances bancaires en titres négociables, technique qui a permis aux banques d’accélérer leur désengagement à l’égard des pays en voie de développement après l’irruption de la crise de la dette.
La caractéristique principale de cette logique de titrisation est la diffusion du risque qu’elle permet. Diffusion numérique tout d’abord, puisque le risque de défaut des emprunteurs cesse d’être concentré sur un petit nombre de banques transnationales en relation étroites les unes avec les autres. Diffusion qualitative ensuite, puisque chacune des composantes du risque afférent à un titre particulier peut donner lieu à la création d’instruments spécifiques de protection négociables sur un marché : contrats à terme pour se prémunir du risque de change, contrats de taux d’intérêt pour faire face au risque de variation des taux, marchés d’option négociables, etc. Cette prolifération des instruments financiers et des marchés dérivés donne aux marchés internationaux l’allure d’une foire aux risques, selon l’expression de Charles Goldfinger.
des prêts. Sur le marché secondaire, la dette est toujours vendue en dessous de sa valeur d’émission, sans quoi elle ne trouverait pas d’acheteur. La dette extérieure de la plupart des pays en développement, elle, est souvent bradée. Les créances négociables sont cotées en pourcentage de leur valeur nominale, pour tenir compte des probabilités de remboursement des différents gouvernements débiteurs. En fait, la cotation de la dette reflète le degré de confiance des investisseurs quant au recouvrement des créances, à une date donnée. Plus le prix est bas, moins le pays est considéré comme capable d’honorer ses engagements. Lorsqu’un spéculateur se procure un titre, il compte sur le fait que celui-ci va prendre de la valeur. Les investisseurs espèrent en tirer des bénéfices importants lorsque l’économie du pays débiteur se redressera. Ils sont rarement perdants car après une décote importante sur le prix d’émission initial, les paiements d’intérêt, même partiels, offrent un rendement final conséquent. Les opérations des fonds vautours ont principalement lieu sur le marché secondaire de la dette, non réglementé, où les montants des transactions ne sont pas rendus publics.


Pourquoi le droit anglo-saxon est-il particulièrement prisé par les fonds vautours ?

Les fonds vautours tiennent leur victoire de l’application du droit anglo-saxon très favorable aux créanciers, qui régit la majorité des contrats de prêts internationaux. C’est pourquoi ils rachètent en priorité les titres de la dette régis par le droit des États-Unis et du Royaume-Uni. Ces contrats contiennent en effet des clauses dangereuses pour les pays débiteurs : la cession de la créance est totalement libre par le créancier, le droit applicable en cas de litige est le droit anglo-saxon qui ne tient pas compte des circonstances externes au contrat de prêt ; les tribunaux compétents sont situés aux États-Unis (à New-York principalement) ou au Royaume-Uni ; la levée d’immunité (sur les biens de l’État emprunteur ou garant) en cas d’impayés est prévue. Le juge ou l’arbitre saisi par un fonds vautour est donc obligé d’appliquer le droit anglo-saxon sans prendre en compte les principes généraux du droit international (l’équité, l’abus, la bonne foi...) ou encore la doctrine juridique de la dette odieuse Dette odieuse Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.

Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).

Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.

Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».

Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »

Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
. Ajoutons que, dans le droit new-yorkais, l’intérêt annuel à payer sur les paiements en retard est de 9 % par an !

Cependant, toutes les juridictions sont concernées puisqu’une fois le jugement obtenu, les fonds vautours saisissent ensuite tous les tribunaux qui sont à leur portée pour faire exécuter ce jugement afin de saisir les biens appartenant à l’État condamné. Par exemple, les tribunaux belges et français ont été saisis à plusieurs reprises par le fonds Elliott/NML pour faire exécuter les jugements rendus aux États-Unis. C’est pourquoi la loi belge du 12 juillet 2015 précise que les spéculateurs ne pourront obtenir plus que ce qu’ils ont payé pour racheter les créances litigieuses, même dans les cas où ils ont obtenu une sentence à l’étranger qui leur est favorable. Voir la partie III


Cet article est extrait du magazine du CADTM : Les Autres Voix de la Planète


Notes

[1Entretien avec M. Mambo, directeur du service juridique de la Direction générale de la dette publique de la RDC, lundi 31 mars 2014. Extrait du mémoire de Louise Abellard, Modes de production et de traitement de la finance procédurière. Le cas du contentieux FG Hemisphere contre la République démocratique du Congo (2013-2014)

[2Nations unies, Rapport du Comité consultatif du Conseil des droits de l’Homme, 20 juillet 2016, 33e sess., document n° A/HRC/33/54 disponible en ligne à l’adresse : http://www.cadtm.org/Fonds-vautours-le-Rapport-Ziegler

[3Il s’agit du Cameroun, de la République démocratique du Congo (RDC), de la République du Congo, du Guyana, de l’Éthiopie, du Honduras, du Liberia, du Nicaragua, de la Sierra Leone, de la Zambie, du Soudan et de l’Ouganda.

[4FMI, Heavily Indebted Poor Countries (HIPC) Initiative and Multilateral Debt Relief Initiative (MDRI) – Statistical Update, mars 2016, p. 46.

[5Page 4 du Rapport de l’expert indépendant chargé d’examiner les effets de la dette extérieure et des obligations financières internationales connexes des États sur le plein exercice de tous les droits de l’homme, en particulier des droits économiques, sociaux et culturels, M. Cephas Lumina, 2010

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