Généalogie du CADTM et des luttes contre les dettes illégitimes

Frais d’envoi

10 mai 2017 par Eric Toussaint , Stathis Kouvelakis , Benjamin Lemoine

Entretien avec Éric Toussaint, porte-parole et co-fondateur du réseau international du Comité pour l’abolition des dettes illégitimes (CADTM).
Propos recueillis par Benjamin Lemoine.

Disponible en pdf sur ce lien ou en bas de cet article.

Cet entretien fait la généalogie de la lutte anti-dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
, des plaidoyers pour son annulation, comme de la création empirique, au service des combats politiques, des concepts d’« illégitimité », « d’illégalité », ou du caractère « odieux » des dettes publiques. Ou comment il apparaît nécessaire au Comité pour l’Abolition des Dettes Illégitimes (CADTM) - connu autrefois comme Comité pour l’annulation de la dette du Tiers Monde - de s’allier avec les forces de l’opposition et les mouvements sociaux, dont les idées et les individus, une fois parvenu(e)s au gouvernement, pourront contester et renverser la dette et son « système ». Néanmoins pour le CADTM, la priorité absolue va au renforcement de l’action de ceux d’en bas plutôt qu’au lobbying.

De l’Afrique à l’Amérique latine, les audits à participation citoyenne sont source d’espoir, la plupart du temps déçus car oubliés par les opposants devenus des gouvernants. Où le comportement des dirigeants vis-à-vis de l’ordre financier se fait décisif… Mais parfois les audits rencontrent de grands succès. Retour sur l’expérience, faite d’intrigues et de dénouements inattendus se jouant à très peu de choses, d’un audit de la dette souveraine grecque. Quand le rêve d’espoir d’une nouvelle coopération internationale (une nouvelle conférence de Londres pour la dette grecque telle que demandée par Aléxis Tsípras) paraît naïf et où s’imposent, selon Éric Toussaint, des actes souverains unilatéraux, conditions sine qua non pour renverser le rapport de force.

Benjamin Lemoine : Comment vous êtes-vous investi dans les combats contre la dette illégitime Dette illégitime C’est une dette contractée par les autorités publiques afin de favoriser les intérêts d’une minorité privilégiée.

Comment on détermine une dette illégitime ?

4 moyens d’analyse

* La destination des fonds :
l’utilisation ne profite pas à la population, bénéficie à une personne ou un groupe.
* Les circonstances du contrat :
rapport de force en faveur du créditeur, débiteur mal ou pas informé, peuple pas d’accord.
* Les termes du contrat :
termes abusifs, taux usuraires...
* La conduite des créanciers :
connaissance des créanciers de l’illégitimité du prêt.
 ?

Éric Toussaint : J’ai enseigné dans le secondaire (dans des établissements d’enseignement public, technique et professionnel) l’histoire et les sciences sociales entre 1975 et 1994. En enseignant à Liège, j’ai été confronté, dès les années 1980, à la crise de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
de cette municipalité de 200 000 habitants, qui avait atteint un niveau catastrophique et impliquait un plan d’austérité extrêmement dur pour l’époque. Et cela m’a amené, avec toute une série de collègues et de différentes catégories de travailleurs, à analyser les origines de la dette qui était réclamée à la ville de Liège. Dans le même temps, avait éclaté la crise de la dette du Tiers monde : le Mexique en 1982 s’était déclaré en défaut de paiement. En Amérique latine en particulier, plusieurs initiatives pour s’opposer au paiement de la dette impayable ont été prises dans les années 1980. De même, en Afrique, la thématique de la dette était portée par le jeune président burkinabè, Thomas Sankara, à partir de 1985. Cela m’a amené à considérer, avec d’autres qui ont fondé avec moi le Comité pour l’annulation de la dette du Tiers monde (CADTM) en 1990 en Belgique, que c’était une thématique transversale, nouvelle, et qui justifiait la création d’une organisation spécifique, à l’image d’autres organisations bien connues comme Greenpeace ou Amnesty International. L’idée était de partir d’une thématique spécifique pour ensuite aborder les problèmes de la société et du système capitaliste global. Ce comité, qui était au départ une structure essentiellement belge, a connu grâce à ses publications en français un écho important en France, en Suisse romande, en Afrique francophone et à Haïti, au point que cette organisation est maintenant implantée dans plus de 30 pays.

Les organisations derrière la fondation du CADTM

En Belgique, les personnes morales qui ont contribué à la fondation en 1990 du CADTM sont issues d’horizons divers et témoignent du caractère pluriel du CADTM : des mouvements d’éducation populaire (Équipes Populaires — mouvement d’éducation permanente lié au Mouvement ouvrier chrétien —, Fondation Joseph Jacquemotte, Fondation Léon Lesoil, Union des Progressistes juifs de Belgique), des syndicats (deux régionales de la CGSP, Centrale générale des Services publics — celle de Liège et celle du Limbourg —, l’ensemble du secteur Enseignement de la CGSP, la régionale d’Anvers de l’ACOD Onderwijs, la Fédération des métallurgistes de la Province de Liège) des ONG (Peuples solidaires, GRESEA, Forum Nord-Sud, Centre Tricontinental, Socialisme sans Frontières, FCD Solidarité Socialiste, Oxfam Solidarité, Centre national de Coopération au Développement), de comités de solidarité (Comité Mennan Men-Haïti, Comité Amérique centrale de Charleroi), des mouvements de la paix (Coordination nationale d’action pour la paix et la démocratie — CNAPD —, VREDE), des partis (Parti ouvrier socialiste, Parti communiste), et une association féminine “ Refuge pour femmes battues et leurs enfants ”. Le Parti ouvrier socialiste (devenu plus tard, la LCR ), section belge de la Quatrième internationale, a joué un rôle important dans la création et l’impulsion du CADTM le tout dans une démarche plurielle très claire.

Sur le plan de l’enseignement, tout en donnant cours à temps complet dans le secondaire, j’ai poursuivi des études et j’ai fait un doctorat en sciences politiques aux universités de Liège et de Paris 8 en 2004. Ma thèse portait sur les enjeux politiques de l’intervention de la Banque mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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et du FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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dans les pays en développement [1].


B. L. : Avant l’expérience de Liège, étiez-vous engagé politiquement ?

E. T. : Je me suis engagé très précocement dans la politique. En mai 1968, je n’avais pas encore 14 ans et j’étais déjà actif dans mon lycée depuis 1967. Je vivais dans un village de mineurs de charbon en très grande majorité d’origine immigrée (Polonais, Italiens, Espagnols, Grecs…). Je précise que mes parents, instituteurs de village, n’étaient pas du tout marxistes. Dans la bibliothèque familiale, il n’y avait pas un seul livre marxiste. Mon père était un membre très actif du parti socialiste. Mes parents étaient antiracistes, pacifistes et internationalistes. J’étais mobilisé par l’antiracisme et très sensibilisé par les luttes menées aux États-Unis par Malcolm X ou Martin Luther King (j’étais plus attiré par la position radicale de Malcolm X). Je me sentais tout à fait solidaire des travailleurs qui luttaient pour leurs droits par les grèves et les manifestations de rue. Je participais aux manifestations contre les armes nucléaires et contre la guerre du Vietnam. En mai 1968, j’ai suivi de très près ce qui se passait à Paris. Je lisais énormément : de Mao à Guevara, en passant par le Manifeste communiste et beaucoup de lectures politiques marxistes de différents courants. Cela m’a amené, dès 1970, à rejoindre le courant trotskiste, la IVe internationale. En France, l’organisation membre de la IVe internationale était la Ligue communiste (devenue plus tard la Ligue communiste révolutionnaire) animée par Alain Krivine et Daniel Bensaïd. Je suis allé en autostop à Paris à la rencontre de cette organisation avec un ami de mon âge, en juin 1970. J’allais avoir 16 ans. Je me suis mis à lire les principales analyses de Léon Trotsky qui m’ont permis de comprendre la dégénérescence de l’Union soviétique et pourquoi il fallait une politique mondiale et la révolution permanente.


Au sein de la IVe internationale, il y avait une sensibilité à la question de la dette ou, au contraire, était-ce une position isolée ?

Le CADTM a été créé en 1990. Ernest Mandel, un des dirigeants principaux de la IVe internationale, avec lequel je collaborais activement, s’était prononcé dès 1986 pour l’annulation de la dette du Tiers monde [2]. De plus, en 1989, à l’initiative de la Ligue Communiste Révolutionnaire en France, s’était mise en place une coalition avec des personnalités comme le chanteur Renaud ou l’écrivain Gilles Perrault. La coalition s’appelait « Ça suffat comme ci » et c’était une réponse unitaire large à l’initiative prise par François Mitterrand de convoquer pour le bicentenaire de la Révolution française une réunion du G7 G7 Groupe informel réunissant : Allemagne, Canada, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie, Japon. Leurs chefs d’État se réunissent chaque année généralement fin juin, début juillet. Le G7 s’est réuni la première fois en 1975 à l’initiative du président français, Valéry Giscard d’Estaing. , ce qui était pris par la gauche au sens large comme une provocation. Renaud, qui avait un attachement et une certaine admiration à l’égard de Mitterrand, entrait alors en conflit et en crise de confiance à l’occasion de ce bicentenaire. Un énorme concert gratuit a été donné à Bastille par Renaud, son copain sud-africain Johnny Clegg et la Mano Negra. Il y a eu des dizaines de milliers de personnes et, à la manifestation de rue, environ 10 000 personnes. Cette coalition avait comme thème principal la revendication de l’annulation de la dette du Tiers monde. Le texte fondateur du CADTM en Belgique est un texte, l’Appel de la Bastille pour l’annulation de la dette du Tiers monde [3], qui a été rédigé en 1989 par des militants de la Ligue Communiste Révolutionnaire et Gilles Perrault. Il y a donc une filiation assez claire, au niveau de ce courant politique, à propos de la problématique de la dette, en particulier de la dette des pays du Tiers monde. Cette énorme campagne de 1989 a été cependant marginalisée en France par le succès de SOS Racisme. La place qu’occupait « Ça suffat comme ci » a été prise, quelques années plus tard, par SOS Racisme et Harlem Désir. Ce dernier avait à l’époque, dans les années 1990, des rapports réguliers avec le CADTM. C’était aussi le cas d’Arnaud Montebourg, qui s’occupait comme député PS à l’Assemblée nationale de l’évasion fiscale mais aussi de l’aide au développement. Quand SOS Racisme a été lancé, ils ont repris la formule des grands concerts gratuits et des rassemblements, et ont cherché à occuper ce terrain-là. Il y a eu un renouveau du thème de la dette en France au moment du G7 à Lyon en 1996. Il y avait là Bill Clinton, Jacques Chirac, Tony Blair, etc. Le collectif qui s’est mis en place à Lyon s’est appelé « Les autres voix de la planète », qui était le titre de la revue du CADTM. Dans ce contre-G7, le CADTM a joué un rôle clé dans les analyses et dans le contenu de la déclaration finale. C’est aussi le CADTM qui a financé le seul permanent de la coalition « Les Autres Voix de la Planète » chargé sur place à Lyon de préparer le contre-sommet unitaire.

Dettes du Sud, dettes du Nord

Pendant ces années, a-t-on fait une nette différence, dans la lutte, entre la dette des pays du Nord et la dette des pays du Sud ?

Oui, la dette des pays du Nord n’était pas considérée en 1990 comme une thématique clé. Pour moi, ça l’était pourtant déjà. Pour en venir à la situation actuelle, quand la crise bancaire qui a éclaté aux États-Unis en 2006-2007 a gagné l’Europe vers 2007-2008 et que, pour sauver les banques, une série de pays ont socialisé les pertes bancaires, la dette publique s’est envolée. J’ai été convaincu immédiatement, avec d’autres membres du CADTM, qu’il fallait prendre en compte la nouvelle dimension que prenait la question de la dette publique dans les pays du Nord. On l’a fait avant que cela ne devienne manifeste pour beaucoup. Parce qu’en 2008-2009, il faut se rappeler que José Manuel Barroso, qui dirigeait la Commission européenne, a proposé comme première réaction une politique qui a fait penser à un tournant néo-keynésien. En fait, il ne s’agissait que d’amortisseurs sociaux tout à fait momentanés car les gouvernements du Nord ont eu très peur qu’une remise en cause du système ne prenne un caractère massif et actif. En France, Nicolas Sarkozy a lancé des primes pour soutenir l’industrie automobile. Une partie du mouvement altermondialiste, ou de la gauche dans ses différentes composantes, n’a pas compris que très vite, sous le prétexte de l’augmentation de la dette publique, on verrait se développer une offensive extrêmement brutale d’austérité. Elle n’a été réellement perçue qu’à partir de 2010 et de la fameuse crise grecque, avec ce que les grands médias ont appelé la « crise des dettes souveraines ». Elle n’était en fait qu’une vaste opération de communication pour cacher l’essentiel, à savoir la poursuite de la crise bancaire et toute une série d’initiatives de la Banque centrale européenne BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
, des gouvernements des pays de l’Union européenne et également des États-Unis pour, à l’aide des finances publiques, venir en aide aux banques. Dans un article d’octobre 2008 [4], j’annonçais très clairement ce qui s’est passé en 2010, comment allaient se dérouler les évènements. Bref, nous étions, en tant que CADTM, préparés à ce qui s’est produit effectivement. Nous avons d’ailleurs produit deux livres qui témoignent parfaitement de cela : La crise, quelles crises ? paru en décembre 2009 et La Dette ou la Vie paru en 2011, qui a reçu le prix du livre politique à la foire du livre politique de Liège la même année. Nous avons réalisé également des séminaires et nous avons tenté de convaincre une série de mouvements de mettre en place à partir de 2010 un front européen pour la remise en cause du paiement de la dette.


Entre les années 1980 avec « Ça suffat comme ci » et 2007-2008, une vingtaine d’années se sont écoulées. Or la différence de perception entre dette du Nord et dette du Sud persiste. Comment l’expliquer ?

Il y a un lien fort entre le CADTM et ce qu’on a appelé le courant tiers-mondiste. Le courant tiers-mondiste correspond aux années 1960 et 1970 [5]. Le CADTM s’est lié à des personnalités engagées dans le courant tiers-mondiste et j’ai personnellement eu des contacts très étroits avec des figures du tiers-mondisme comme Ahmed Ben Bella (le premier président de l’Algérie indépendante, renversé en 1967 par Boumedienne) [6], François Houtart, Gus Massiah, André Gunder Franck, Theotonio dos Santos… Le CADTM a également collaboré avec Susan George qui a beaucoup écrit sur la dette au cours des années 1990, ainsi qu’avec l’écrivain Gilles Perrault à partir de son engagement dans l’Appel de la Bastille en 1989. Gilles Perrault s’est beaucoup engagé avec la parution de Notre ami le roi et la défense d’Abraham Serfaty, qui était prisonnier politique dans les geôles de Hassan II. À ces contacts et ces thèmes, j’ajoute René Dumont, qui était une figure emblématique du tiers-mondisme. Il y amenait la dimension de l’écologie. Parmi les filiations dans lesquelles s’inscrit le CADTM, on trouve donc des personnes qui au début des années 1990 atteignaient soixante, voire soixante-dix ans, et qui s’étaient mobilisés dans la solidarité avec le tiers-monde ou y avaient joué un rôle de leader. Le CADTM s’est aussi lié à des réseaux internationaux issus des luttes des années 1990, par exemple la Via Campesina qui est née en 1993, la Marche Mondiale des Femmes qui est née à la fin des années 1990, Jubilé Sud qui est né en 1999, ATTAC à partir de 1998-1999… Ces mouvements ont convergé dans la création en 2001 du Forum social mondial dont le CADTM est un des fondateurs.

Au cours de son évolution, le CADTM a donc connu une mutation : il est passé d’une organisation du Nord solidaire avec le Sud à un réseau Nord-Sud d’action sur le thème des alternatives au système-dette.

Lors de son assemblée mondiale de fin avril 2016 tenue à Tunis, le CADTM tout en gardant son sigle a décidé à l’unanimité d’en changer le libellé en s’appelant dorénavant « Comité pour l’Abolition des Dettes illégiTiMes ». La motion adoptée argumentait le changement de libellé avec les arguments suivants : « L’adaptation que nous proposons est justifiée par l’évolution du travail réalisé par le CADTM sur le plan international et sur le plan national. Le CADTM est né en 1990 en pleine crise de la dette du Tiers monde pour réclamer l’annulation de la dette des pays dits du tiers-monde. A partir des années 1990, le terme Tiers monde a été de moins en moins utilisé notamment à cause de la disparition du Deuxième monde (=le bloc du socialisme réel) et suite aux évolutions différentes à l’intérieur de la catégorie Tiers monde – pays dits en développement (pays émergents Pays émergents Les pays émergents désignent la vingtaine de pays en développement ayant accès aux marchés financiers et parmi lesquels se trouvent les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Ils se caractérisent par un « accroissement significatif de leur revenu par habitant et, de ce fait, leur part dans le revenu mondial est en forte progression ». , BRIC, PMA Pays moins avancés
PMA
Notion définie par l’ONU en fonction des critères suivants : faible revenu par habitant, faiblesse des ressources humaines et économie peu diversifiée. En 2020, la liste comprenait 47 pays, les derniers pays admis étant le Timor oriental et le Soudan du Sud. Elle n’en comptait que 26 il y a 40 ans.
, PPTE PPTE
Pays pauvres très endettés
L’initiative PPTE, mise en place en 1996 et renforcée en septembre 1999, est destinée à alléger la dette des pays très pauvres et très endettés, avec le modeste objectif de la rendre juste soutenable.

Elle se déroule en plusieurs étapes particulièrement exigeantes et complexes.

Tout d’abord, le pays doit mener pendant trois ans des politiques économiques approuvées par le FMI et la Banque mondiale, sous forme de programmes d’ajustement structurel. Il continue alors à recevoir l’aide classique de tous les bailleurs de fonds concernés. Pendant ce temps, il doit adopter un document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP), parfois juste sous une forme intérimaire. À la fin de ces trois années, arrive le point de décision : le FMI analyse le caractère soutenable ou non de l’endettement du pays candidat. Si la valeur nette du ratio stock de la dette extérieure / exportations est supérieure à 150 % après application des mécanismes traditionnels d’allégement de la dette, le pays peut être déclaré éligible. Cependant, les pays à niveau d’exportations élevé (ratio exportations/PIB supérieur à 30 %) sont pénalisés par le choix de ce critère, et on privilégie alors leurs recettes budgétaires plutôt que leurs exportations. Donc si leur endettement est manifestement très élevé malgré un bon recouvrement de l’impôt (recettes budgétaires supérieures à 15 % du PIB, afin d’éviter tout laxisme dans ce domaine), l’objectif retenu est un ratio valeur nette du stock de la dette / recettes budgétaires supérieur à 250 %. Si le pays est déclaré admissible, il bénéficie de premiers allégements de son service de la dette et doit poursuivre avec les politiques agréées par le FMI et la Banque mondiale. La durée de cette période varie entre un et trois ans, selon la vitesse de mise en œuvre des réformes clés convenues au point de décision. À l’issue, arrive le point d’achèvement. L’allégement de la dette devient alors acquis pour le pays.

Le coût de cette initiative est estimé par le FMI en 2019 à 76,2 milliards de dollars, soit environ 2,54 % de la dette extérieure publique du Tiers Monde actuelle. Les PPTE sont au nombre de 39 seulement, dont 33 en Afrique subsaharienne, auxquels il convient d’ajouter l’Afghanistan, la Bolivie, le Guyana, Haïti, le Honduras et le Nicaragua. Au 31 mars 2006, 29 pays avaient atteint le point de décision, et seulement 18 étaient parvenus au point d’achèvement. Au 30 juin 2020, 36 pays ont atteint le point d’achèvement. La Somalie a atteint le point de décision en 2020. L’Érythrée et le Soudan n’ont pas encore atteint le point de décision.

Alors qu’elle devait régler définitivement le problème de la dette de ces 39 pays, cette initiative a tourné au fiasco : leur dette extérieure publique est passée de 126 à 133 milliards de dollars, soit une augmentation de 5,5 % entre 1996 et 2003.

Devant ce constat, le sommet du G8 de 2005 a décidé un allégement supplémentaire, appelée IADM (Initiative d’allégement de la dette multilatérale), concernant une partie de la dette multilatérale des pays parvenus au point de décision, c’est-à-dire des pays ayant soumis leur économie aux volontés des créanciers. Les 43,3 milliards de dollars annulés via l’IADM pèsent bien peu au regard de la dette extérieure publique de 209,8 milliards de dollars ces 39 pays au 31 décembre 2018.
, etc.). Avec la crise financière de 2008 et ses répercussions, le travail du CADTM s’est progressivement étendu aux dettes publiques des pays du Nord sans rien lâcher en ce qui concerne l’exigence d’annulation des dettes des pays du « Tiers monde ». Nous avons montré comment l’ensemble du « système dette » soumet tant les peuples au Sud que les peuples au Nord de la planète. Pour s’attaquer à l’ensemble de ce « système dette », le CADTM a en plus développé depuis environ 5 ans un nouveau volet d’action et de réflexion sur la problématique des dettes privées illégitimes comme les dettes liées au micro-crédit au Sud dont les femmes sont les premières victimes, les dettes des paysans, des étudiants, des familles expulsées de leur logement par les banques, etc. Le concept de ‘dettes illégitimes’ permet d’englober à la fois les dettes au Sud et au Nord, publiques et privées. »

Je rappelle que le CADTM est en majorité implanté dans les pays dits « en développement » : 15 pays d’Afrique, 6 pays d’Amérique latine et Caraïbe, 2 pays d’Asie du Sud. En ce qui concerne les pays les plus industrialisés, le CADTM est présent dans 6 pays d’Europe et au Japon.


 Les premiers terrains d’expérimentation de la méthode CADTM pour combattre les dettes illégitimes : les exemples du Rwanda et de la République démocratique du Congo.

L’audit de la dette : un précédent avorté

Quels ont été les premiers terrains d’expérimentation de la méthode CADTM pour combattre les dettes illégitimes ?

Il faut resituer cela dans la convergence entre le CADTM et différents mouvements actifs en France et ailleurs. Le CADTM, par exemple, s’est beaucoup investi dans la solidarité avec le mouvement néozapatiste qui est apparu publiquement le 1er janvier 1994 au Chiapas (Mexique) et s’est rendu à plusieurs reprises au Mexique. Le CADTM a également participé comme coorganisateur à la grande mobilisation d’octobre 1994 en Espagne contre la réunion de la Banque mondiale et du FMI pour fêter leur demi-siècle d’existence. Cette action faisait partie de la campagne mondiale « Fifty years, it’s enough ». En ce qui concerne les contacts en France, j’ai mentionné la LCR, la campagne « Ca suffat comme ci » de 1989, le collectif « Les Autres Voix de la planète » créé en 1996 pour organiser le contre-G7, il faut y ajouter AITEC [7] et le CEDETIM [8] animés par Gus Massiah [9]. Il y a aussi le mouvement Survie, animé à l’époque par François-Xavier Verschave [10], qui lutte contre la Françafrique et a bien perçu l’importance de la thématique de la dette. Survie avait un rapport étroit avec le CADTM, y compris parce que Survie, comme le CADTM, a été très actif pour dénoncer le génocide au Rwanda en 1994, ainsi que « l’opération Turquoise » organisée par Mitterrand. En 1995, une délégation du CADTM s’est rendue au Rwanda et un rassemblement international CADTM a été organisé à Bruxelles avec la question du génocide et les responsabilités des créanciers au cœur du programme. Et à partir de 1996, le CADTM s’est lancé dans l’audit de la dette rwandaise avec, à ce moment-là, le nouveau régime à Kigali dirigé par Paul Kagamé, qui est toujours au pouvoir. Kagamé voulait faire la clarté sur la dette et une équipe de deux personnes qui travaillaient étroitement avec le CADTM s’est mise en place. Michel Chossudovsky, un Canadien, professeur d’université à Ottawa, qui écrivait beaucoup dans le Monde diplomatique, et Pierre Galand, alors secrétaire d’Oxfam en Belgique, se sont rendus à Kigali et ont mené l’enquête en étroite relation avec le CADTM. Je dialoguais beaucoup avec eux et j’ai écrit un article qui s’appelait « Les créanciers du génocide » qui a eu un certain écho [11].

<span lang='es'>El FMI tiene dos prioridades: la salud y la educación</span>

Cette initiative va inspirer la méthodologie CADTM sur l’audit de la dette ?

Effectivement, même si le dénouement a été frustrant. Peu de gens savent qu’une des missions de l’opération Turquoise consistait à mettre la main sur toute la documentation de Banque centrale Banque centrale La banque centrale d’un pays gère la politique monétaire et détient le monopole de l’émission de la monnaie nationale. C’est auprès d’elle que les banques commerciales sont contraintes de s’approvisionner en monnaie, selon un prix d’approvisionnement déterminé par les taux directeurs de la banque centrale. du Rwanda à Kigali et de transférer tout cela dans un container à Goma en RDC, afin d’empêcher que les nouvelles autorités aient accès aux traces écrites révélant à quel point la France avait soutenu le régime génocidaire de Juvénal Habyarimana. Quand Laurent-Désiré Kabila a lancé son offensive contre Mobutu en 1996, à partir de l’est du Congo, Kagamé a pu mettre la main sur ce container, le rapatrier à Kigali et a ouvert les archives, sur lesquelles ont travaillé Michel Chossudovsky et Pierre Galand [12].


En somme, on retrouve la boîte noire…

Absolument, et on a vu l’implication des banques françaises dans le financement des achats d’armes du général Habyarimana. L’Égypte et la Chine étaient également impliqués en fournissant beaucoup de machettes, tandis que les Français fournissaient du matériel plus sophistiqué pour l’armée génocidaire rwandaise. Alors au départ, et c’est un point commun pour la suite de nos expériences, des mouvements internationalistes rentrent en contact avec un chef d’État, Paul Kagamé, qui veut faire la clarté et qui met à la disposition d’experts une documentation qui d’habitude est secrète. Kagamé, fort de cette ressource, a menacé les USA, la France, la Banque mondiale (BM) et le FMI de mettre sur la place publique le financement du génocide. Washington et Paris tout comme la Banque mondiale et le FMI ont dit en gros : « Ne sors pas ça ! En échange de ton silence, on te propose de réduire la dette rwandaise, en t’ouvrant une ligne de crédit maximale à la BM et au FMI. On réduit ce qu’on te réclame comme remboursement, on te le préfinance par de nouveaux prêts ». Et Kagamé est rentré dans le jeu. Ça a été une expérience tout à fait frustrante, non seulement pour l’énergie et l’éthique, mais aussi par rapport à ce que cela aurait pu constituer comme précédent. En effet, avant le régime d’Habyarimana, le niveau de dette du Rwanda était extrêmement faible, toute la dette réclamée au Rwanda était une dette contractée par un régime despotique, et donc tombait typiquement sous le coup de la doctrine de la dette odieuse Dette odieuse Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.

Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).

Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.

Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».

Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »

Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
, un peu comme la dette réclamée à la RDC.

En République démocratique du Congo, après le renversement du dictateur Mobutu en 1996-1997, Pierre Galand et moi travaillions en relation avec les nouvelles autorités de Kinshasa (c’est Pierre Galand qui entretenait les véritables contacts) et surtout avec les mouvements sociaux. Plusieurs membres et sympathisants congolais du CADTM qui avaient passé 20 ans en exil en Belgique étaient rentrés dans leur pays après la chute de Mobutu et occupaient des postes à Kinshasa [13]. Nous avions aussi des contacts de longue date avec Jean-Baptiste Sondji, ex-militant maoïste congolais, qui était devenu ministre de la santé dans le gouvernement de Kabila.


Dans ces cas-là, quels sont les soutiens ou les alliances que vous recherchez ?

Personnellement je donnais l’absolue priorité aux relations avec les mouvements sociaux (syndicats, organisations paysannes, étudiantes…). Je n’avais pas une grande confiance dans le nouveau gouvernement de RDC sauf en partie en la personne de Jean Baptiste Sondji. Il s’agissait de remettre en cause le paiement de la dette réclamée à la RDC par des régimes et des institutions qui avaient soutenu Mobutu et lui avaient permis de rester au pouvoir pendant plus de 30 ans. Laurent Désiré Kabila avait mis en place un « Office des biens mal acquis » et il y avait un lien évident entre enrichissement lié à la corruption et endettement du pays. Là aussi, d’ailleurs, il y a eu une déconvenue parce que Kabila a négocié avec les banquiers suisses une transaction alors qu’il y avait une possibilité pour la RDC d’obtenir de la justice helvète qu’elle force les banquiers suisses complices des détournements opérés par Mobutu de restituer ce que celui-ci avait déposé dans leurs coffres. Scandaleusement, LD Kabila a accepté une transaction secrète avec les banquiers suisses et a abandonné la procédure juridique en cours.

Je me suis rendu à Kinshasa durant l’été 2000 pour travailler avec les mouvements sociaux et les ONG congolaises sur la question de la dette odieuse réclamée à la RDC. Mon livre La Bourse ou la Vie avait beaucoup de succès dans les milieux universitaires et dans la gauche congolaise [14]. En Belgique, l’ex-métropole coloniale, le CADTM avait développé une forte campagne pour l’annulation de la dette odieuse de la RDC et pour le gel des avoirs du clan Mobutu en Belgique [15]. Nous avions collaboré à la rédaction d’une brochure commune à l’ensemble des ONG et des organisations de solidarité Nord/Sud actives en Belgique afin de réclamer l’annulation des dettes congolaises [16]. Dans la foulée de ces activités menées par le CADTM, des organisations de RDC ont adhéré au réseau international CADTM (à Kinshasa, au Bakongo, à Lubumbashi et à Mbuji-Mayi). La leçon à tirer des tentatives de dénonciation de la dette odieuse au Rwanda et en RDC est qu’il ne faut pas faire confiance aux gouvernements. Il faut donner la priorité absolue au travail avec les organisations citoyennes à la base, avec les mouvements sociaux et avec les individus décidés à agir jusqu’au bout pour que la clarté soit faite et que des décisions soient prises par les gouvernements.

 Le CADTM à la manifestation de Blockupy à Francfort en 2012


La ligne du temps du CADTM
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 L’Argentine : la poursuite de l’action contre la dette illégitime

Sur quel autre terrain étiez-vous plus directement engagés ?

En Argentine, j’étais en contact avec Alejandro Olmos, un journaliste très courageux, qui en 1982, alors que la dictature ne s’était pas encore effondrée, a porté plainte devant la justice argentine pour endettement illégal et odieux. Il a donc déposé une plainte contre la junte militaire avant la fin de la dictature. On a beaucoup travaillé ensemble, et le CADTM l’a invité en 1997 à une grande conférence internationale en Belgique. Là, c’est un autre type de méthodologie qui s’est développé grâce à A. Olmos. Suite à sa plainte, la justice argentine a ouvert une instruction et deux magistrats ont été chargés d’enquêter sur les responsables de l’endettement de l’Argentine entre 1976 et 1982. Cela a donné lieu en juillet 2000 à une sentence de 195 pages rendue par le Tribunal fédéral [17]. Cette sentence est donc le résultat d’un audit de la dette argentine mené par le pouvoir judiciaire. Et cela malgré d’énormes pressions qui ont été exercées sur la justice par le FMI et par la classe dirigeante argentine pour que l’instruction ne soit pas menée à terme. À partir de 1998, j’ai été en contact avec un des deux magistrats en charge de l’instruction, il m’a décrit les pressions auxquelles il était soumis par d’autres magistrats, par le Congrès argentin et par l’exécutif afin qu’aucune sentence ne soit prononcée. Alejandro Olmos est décédé en avril 2000 tout à fait déprimé, persuadé que l’instruction n’aboutirait jamais. Elle a été rendue quelques mois après son décès.


Des concepts de combat qui émergent en action

Malgré la fin de la dictature, il y a une sorte de continuité des puissances d’argent ?

Oui parce que l’audit montrait très clairement que le Fonds monétaire international dirigé à l’époque par le Français Jacques de Larosière [18], avait apporté son aval au régime dictatorial afin que les banques américaines financent la dictature de Videla. [19] Il faut se rappeler aussi qu’après la chute de la dictature, l’amnistie avait été octroyée aux différents personnages de la junte militaire, elle n’a été abrogée que dans les années 2000 sous le gouvernement de Nestor Kirchner. Dans les années 1990, le FMI, directement complice de la dictature militaire, mais aussi le régime de Carlos Menem appliquant des politiques néolibérales applaudies par le FMI, ou encore les personnages de la dictature qui bénéficiaient de l’amnistie, sans oublier les hommes d’affaires et de grandes entreprises privées se sont coalisées pour qu’on ne fasse pas la clarté sur ce qui s’était passé.

Depuis 1998, le CADTM est également en contact étroit en Argentine avec Adolfo Perez Esquivel, prix Nobel de la paix pour sa contribution à la défense des droits humains, avec Beverly Keene, animatrice de Dialogo 2000 et de Jubilé Sud, ainsi qu’avec Nora Cortinas, une des Mères de la place de Mai qui luttent inlassablement pour l’annulation des dettes odieuses.

Entre le début de la dictature (mars 1976) et l’année 2001, la dette a été multipliée par 20 ou presque (passant de moins de 8 milliards de dollars à près de 160 milliards de dollars). Pendant cette même période, l’Argentine a remboursé environ 200 milliards de dollars, soit près de 25 fois ce qu’elle devait en mars 1976. Les capitalistes argentins se sont allègrement endettés pendant la dictature et ont simultanément placé une bonne partie de cet argent à l’étranger (via la fuite des capitaux). La somme des capitaux placés par les capitalistes argentins dans les pays les plus industrialisés et dans les paradis fiscaux Paradis fiscaux
Paradis fiscal
Territoire caractérisé par les cinq critères (non cumulatifs) suivants :
(a) l’opacité (via le secret bancaire ou un autre mécanisme comme les trusts) ;
(b) une fiscalité très basse, voire une imposition nulle pour les non-résidents ;
(c) des facilités législatives permettant de créer des sociétés écrans, sans aucune obligation pour les non-résidents d’avoir une activité réelle sur le territoire ;
(d) l’absence de coopération avec les administrations fiscales, douanières et/ou judiciaires des autres pays ;
(e) la faiblesse ou l’absence de régulation financière.

La Suisse, la City de Londres et le Luxembourg accueillent la majorité des capitaux placés dans les paradis fiscaux. Il y a bien sûr également les Iles Caïmans, les Iles anglo-normandes, Hong-Kong, et d’autres lieux exotiques. Les détenteurs de fortunes qui veulent échapper au fisc ou ceux qui veulent blanchir des capitaux qui proviennent d’activités criminelles sont directement aidés par les banques qui font « passer » les capitaux par une succession de paradis fiscaux. Les capitaux généralement sont d’abord placés en Suisse, à la City de Londres ou au Luxembourg, transitent ensuite par d’autres paradis fiscaux encore plus opaques afin de compliquer la tâche des autorités qui voudraient suivre leurs traces et finissent par réapparaître la plupart du temps à Genève, Zurich, Berne, Londres ou Luxembourg, d’où ils peuvent se rendre si nécessaires vers d’autres destinations.
pendant la dictature a dépassé les montants empruntés. Rien qu’en 1980-1982 au cours des deux dernières années de dictature, les fuites de capitaux ont atteint, selon la Banque mondiale, plus de 21.000 millions de dollars. Cadeau suprême fait aux capitalistes argentins (et étrangers) : leurs dettes ont été reprises par l’État à la fin de la dictature. Dès lors, la dette de l’État s’est alourdie du fardeau de la dette des entreprises privées car il a assumé leurs obligations à l’égard des créanciers. Et depuis cette époque, les capitalistes argentins ont maintenu cette politique d’évasion de capitaux. La dette argentine constituait clairement un cas emblématique de dette odieuse.

Tu te rends en Argentine pour poursuivre l’enquête ?

Oui je me suis rendu en Argentine, et j’ai aussi réalisé un travail d’analyse à distance, puisque A. Olmos et le magistrat argentin dont j’ai parlé m’ont fait parvenir une série de documents. J’ai étudié en profondeur l’accumulation de la dette odieuse puis son processus frauduleux de blanchiment [20]. C’est le président Raoul Alfonsin, qui a succédé à la dictature, qui a permis que l’opération de blanchiment soit réalisée. Or si une dette est odieuse, une restructuration ne met pas fin au délit. Le blanchiment ne met pas fin au délit antérieur. Si le FMI, qui a prêté de l’argent à la dictature, restructure la dette argentine alors qu’il est parfaitement au courant de ce qu’il a fait auparavant, on a clairement une culpabilité ininterrompue. Le FMI ne peut pas simplement dire « le refinancement de la dette s’opère avec un régime, celui d’Alfonsin, qui est un régime démocratique ».

Cela, pour nous au CADTM, vaut aussi pour la dette du Rwanda et pour la dette de la RDC. Finalement la justice argentine a rendu un verdict important en juillet 2000 mais n’a procédé à aucune condamnation. Elle a transmis la patate chaude au Parlement argentin dominé par la droite néolibérale qui a décidé de ne rien décider. Ce n’est qu’en septembre 2014 que le Parlement a décidé de créer une commission d’audit de la dette accumulée par l’Argentine depuis le début de la dictature (mars 1976) jusqu’à 2014. J’ai été invité au Parlement afin d’émettre des recommandations en octobre 2014 [21], mais, en pratique, la commission n’a pas accompli sa tâche et la droite qui a gagné les élections en 2015 a enterré l’affaire. ATTAC Argentine qui est membre du réseau international CADTM est très actif sur la problématique de la dette et a contribué à la création de l’« Assemblée pour la suspension du paiement de la dette et l’audit de la dette en défense du patrimoine national et des biens communs » [22].


Pendant plusieurs années l’Argentine a été en suspension de paiement et n’a plus eu accès au financement externe via les marchés financiers Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
, que s’est-il passé ?

Le contexte était le suivant : fin décembre 2001, dans un contexte de grandes mobilisations populaires, les autorités argentines, en l’occurrence le président intérimaire Adolfo Rodríguez Saá, a suspendu unilatéralement le paiement de la dette argentine sous la forme de titres pour un montant de 80 milliards de dollars à l’égard des créanciers privés et du Club de Paris Club de Paris Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.

Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.

Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
(6,5 milliards de dollars). Signalons qu’il n’a toutefois pas suspendu le paiement de la dette à l’égard du FMI, de la Banque mondiale et d’autres organismes financiers multilatéraux. Cette suspension est intervenue dans un contexte de crise économique et de soulèvement populaire contre les politiques menées depuis des années par une succession de gouvernements néolibéraux, le dernier en date étant celui de Fernando De la Rua. C’est donc sous la pression populaire et alors que les caisses de l’État étaient quasiment vides que les autorités argentines ont suspendu le paiement de la dette.

La suspension de paiement de la dette sous forme de titres souverains a duré de décembre 2001 à mars 2005. Cette suspension a été bénéfique pour l’économie et pour le peuple argentin. De 2003 à 2009, l’Argentine a enregistré chaque année un taux de croissance de 7 à 9 %. Certains économistes affirment que la croissance argentine ne s’explique que par l’augmentation des prix des matières premières qu’elle exporte. Or il est clair que si l’Argentine avait continué les remboursements les gains réalisés par l’État grâce aux exportations (c’est-à-dire les impôts qu’ils prélèvent sur les bénéfices des exportateurs privés) auraient été absorbés par le remboursement de la dette. Les autorités n’auraient pas été en mesure de réaliser des dépenses publiques pour venir en aide aux chômeurs, pour augmenter les retraites et généraliser le droit à celle-ci, pour stimuler l’activité économique dans d’autres domaines que le secteur exportateur.

Entre 2002 et 2005, les autorités argentines ont mené des négociations intenses avec les créanciers en vue de convaincre une majorité d’entre eux d’accepter un échange de titres. Les autorités argentines proposaient d’échanger les titres en suspension de paiement contre des nouveaux, avec une réduction de plus de 60 % de la valeur faciale. En contrepartie de la forte réduction de valeur, les autorités s’engageaient à honorer le remboursement de ces nouveaux titres et à garantir un taux d’intérêt Taux d'intérêt Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
intéressant qui, de plus, serait indexé à la croissance du PIB PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
de l’Argentine. Il s’est donc agi d’une restructuration de la dette par échange de titres : 76 % des titres ont été échangés en mars 2005. Ceci était alors considéré comme une majorité suffisante pour se protéger contre les 24 % qui n’avaient pas participé à l’échange. Les autorités avaient annoncé à l’époque que ceux qui ne participeraient pas perdraient tous droits à une restructuration ultérieure de dette.


Mais alors pourquoi l’Argentine a-t-elle opéré une autre restructuration de dette en 2010 ?

En effet, en contradiction avec ces propos, et sous les protestations de Roberto Lavagna, l’ancien ministre de l’économie qui avait participé activement à la restructuration de 2005, le gouvernement argentin a ouvert à nouveau la négociation avec les 24 % des créanciers restants. Le réseau CADTM et de nombreuses organisations ont dénoncé cette nouvelle restructuration. Celle-ci a abouti à un nouvel échange de titres en 2010 avec 67 % d’entre eux. Au total, 8 % des titres qui étaient en suspension de paiement depuis 2001 sont restés en dehors de ces deux échanges successifs (2005 et 2010), c’est ce qu’on appelle les « hold out ». Dans ces deux restructurations, outre les caractéristiques des bons échangés citées précédemment, les nouveaux bons de 2005 et de 2010 comportaient une clause dans laquelle l’Argentine acceptait qu’en cas de litige, la juridiction compétente soit celle des États-Unis [23].


Cette restructuration peut-elle être considérée comme une réussite ?

Cette restructuration a été présentée par les autorités argentines comme une réussite puisque la réduction de la dette (en matière de stock par rapport au montant réclamé au pays) était importante, de l’ordre de 50 à 60 %. Mais en échange, l’Argentine a octroyé de très fortes concessions aux créanciers : des taux d’intérêt importants ; une indexation sur la croissance du PIB, ce qui signifie que le pays acceptait lui-même de perdre une partie des bénéfices de sa croissance puisqu’il en faisait profiter les créanciers ; la renonciation à l’exercice de sa souveraineté en cas de litige.

En réalité, la voie argentine n’est pas celle à suivre, mais elle constitue néanmoins une source d’inspiration. Elle montre l’intérêt de la suspension de paiement et les limites d’une restructuration négociée en faisant d’importantes concessions aux créanciers. On peut en prendre pour preuve la situation d’aujourd’hui. 1° : les montants à rembourser aux créanciers qui ont accepté l’échange sont tout à fait considérables ; les autorités argentines reconnaissent elles-mêmes qu’elles ont remboursé l’équivalent de 190 milliards de dollars de 2003 à 2013. 2° : la dette argentine a certes diminué en 2005 et 2010, mais elle dépassait en 2014 le montant de 2001. 3° : l’Argentine a été mise sous pression pour rembourser de manière tout à fait abusive les fonds vautours Fonds vautour
Fonds vautours
Fonds d’investissement qui achètent sur le marché secondaire (la brocante de la dette) des titres de dette de pays qui connaissent des difficultés financières. Ils les obtiennent à un montant très inférieur à leur valeur nominale, en les achetant à d’autres investisseurs qui préfèrent s’en débarrasser à moindre coût, quitte à essuyer une perte, de peur que le pays en question se place en défaut de paiement. Les fonds vautours réclament ensuite le paiement intégral de la dette qu’ils viennent d’acquérir, allant jusqu’à attaquer le pays débiteur devant des tribunaux qui privilégient les intérêts des investisseurs, typiquement les tribunaux américains et britanniques.
qui ont refusé de participer à l’échange, suite aux verdicts de la justice américaine - c’est-à-dire pas seulement un juge de New York mais également la Cour suprême des États-Unis - qui a donné raison aux fonds vautours [24].


En quoi a consisté votre participation au combat de l’Argentine contre ses créanciers procéduriers et récalcitrants, les fonds vautours, pour une restructuration de la dette du pays ?

La loi adoptée par la Belgique contre les fonds vautours en 2015 est un des résultats de notre travail [25]. Nous ne pratiquons pas d’habitude le lobbying – à la différence d’Eurodad, autre organisation mobilisée sur la question de la dette. Néanmoins, nous avons travaillé avec des parlementaires belges, surtout des socialistes, des écologistes, évidemment pas avec les néolibéraux. Cela a fini par donner des résultats et permis de constituer une majorité.

S’agissant de l’Argentine, j’ai critiqué l’orientation de la présidente du pays, Cristina Kirchner, qui voulait absolument restructurer sa dette avec le Club de Paris. Ils ont fini par le faire, et ça leur coûte très cher. Ils ont une stratégie de bon élève. Même si, au niveau du discours, Cristina Kirchner a adopté une stratégie d’affrontement avec le FMI, parce qu’il est très mal vu par la population argentine.

Ils ont aussi pensé que François Hollande allait vraiment les aider parce que la France a accepté d’être amicus curiae dans le procès intenté contre l’Argentine par les fonds vautours aux États-Unis. Ils ont pensé à tort que Hollande allait se mouiller. Cela n’a pas été le cas.

En ce qui concerne la stratégie à suivre en Argentine, les deux questions centrales sur lesquelles le CADTM est intervenu sont les suivantes. Premièrement, l’Argentine a démontré à partir de 2001 qu’il était possible de se passer du financement via les marchés financiers [26]. L’Argentine n’a émis aucun emprunt traditionnel sur les marchés financiers internationaux entre 2001 et début 2016. Pourtant elle a connu un taux de croissance particulièrement élevé en particulier entre 2002 et 2009, l’année de la grande crise économique internationale. Si elle avait eu un gouvernement d’une autre nature, l’Argentine aurait pu renforcer réellement les liens avec des pays comme le Venezuela, la Bolivie, l’Équateur et d’autres pour mettre en place une banque du Sud (voir plus loin) et se passer du financement via les marchés financiers. L’enjeu était de réaliser une intégration régionale différente de celle réalisée en Europe, une intégration des peuples au lieu d’une intégration du capital. L’Argentine aurait pu également mettre en place une autre politique fiscale mettant à contribution les secteurs privilégiés afin de renforcer ses sources endogènes de financement. Par ailleurs, il s’agissait de s’éloigner du modèle extractiviste-exportateur.

Deuxièmement, il aurait fallu mettre en œuvre un processus d’audit à participation citoyenne et répudier la dette identifiée comme odieuse, illégitime, illégale.

L’Argentine a perdu une occasion historique.

Finalement, au cours des élections de la fin 2015, la droite pure et dure est revenue au pouvoir avec Mauricio Macri comme président. Il a sans vergogne fait le jeu des fonds vautours et de tous les autres créanciers, a satisfait toutes leurs demandes et s’est lancé dans une nouvelle vague d’attaques néolibérales contre les droits économiques et sociaux et contre les biens communs. En Belgique, en 2016, le CADTM s’est engagé dans une bataille juridique afin d’empêcher le fonds vautour NML de Paul Singer (basé aux États-Unis), très actif contre l’Argentine, de faire annuler la loi belge mentionnée plus haut [27].


Denise Comanne (1949 - 2010) Féministe engagée dans les luttes locales et internationales contre le capitalisme, le racisme et le patriarcat, Denise Comanne a participé à la création du CADTM en 1990 et y a joué un rôle très actif jusqu’à la fin de sa vie.

Le renforcement volontariste et structurel de l’engagement féministe
du CADTM



Pour le CADTM, la lutte contre la dette est un moyen de parvenir à la libération des êtres humains des différentes formes d’oppression. Dans notre charte politique, nous indiquons parmi nos objectifs celui de « garantir l’égalité entre les femmes et les hommes dans toutes les sphères de la vie ». En effet, la défense des droits humains fondamentaux implique nécessairement la lutte pour les droits des femmes et la défense de ceux-ci. Le CADTM défend cette égalité au sein même de l’organisation du réseau afin d’atténuer et, à terme, de faire disparaître de ses pratiques toute reproduction du modèle patriarcal (telle que la division sexuelle du travail). Le CADTM garantit dans sa charte de fonctionnement la parité entre les femmes et les hommes au sein de ses instances, et cherche à favoriser l’implication des femmes membres du réseau dans l’écriture d’articles et d’analyses, dans les interventions lors de formations et de conférences, ou encore dans la représentation du réseau auprès du public. De plus, toute organisation membre peut se voir exclue du réseau à travers un processus démocratique en cas de comportement sexiste.
Le système capitaliste a intégré le patriarcat à son fonctionnement, soumettant ainsi plus de la moitié de la population mondiale à une oppression de genre. Les femmes continuent à prendre en charge l’écrasante majorité du travail domestique (qui est dévalorisé, invisible et gratuit), elles constituent la majorité de la force de travail précaire et sont utilisées par les capitalistes comme une variable d’ajustement sur le marché du travail. Elles sont les premières victimes de l’austérité.

En effet, la destruction de l’État social, cible privilégiée de l’austérité, touche prioritairement les femmes. Désormais, c’est sur leurs épaules que reposent – via une augmentation de leur travail gratuit et invisible – les tâches de soins et de protection sociale délaissées par la fonction publique. On assiste à une véritable substitution des obligations Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
sociales fondamentales de l’État vers le privé et donc vers les femmes : soins aux enfants, aux malades, aux personnes âgées et handicapées, ou encore aux jeunes en détresse et au chômage. Ces tâches sont assurées par les femmes au détriment de leurs temps de repos, de loisirs, de travail salarié, et de leur participation aux affaires publiques. Cette situation conduit à une dégradation de la santé physique et psychique des femmes.

De plus, ce retour en arrière est accompagné de mesures qui mettent en danger les droits les plus fondamentaux des femmes, conquis dans leurs luttes. Les coupes budgétaires imposées par les mesures d’austérité entravent les droits à la santé sexuelle et reproductive, fondamentaux pour la promotion effective de l’égalité des sexes. En effet, moins de ressources financières sont attribuées à la prévention du VIH, aux centres d’IVG, aux plannings familiaux, aux maternités et aux soins de santé préventive des femmes.

Au vu des innombrables reculs qu’imposent la dette et l’austérité aux droits et à l’émancipation des femmes, notre lutte est nécessairement une lutte féministe.

Depuis sa création, le CADTM renforce constamment son engagement dans les combats féministes. Pour nous, la libération des femmes passe par les femmes elles-mêmes : nous nous inscrivons ainsi pleinement dans le mouvement autonome des femmes auquel il nous semble indispensable de contribuer non seulement à l’échelle nationale, mais aussi aux échelles régionale et internationale. C’est pourquoi le CADTM travaille avec des réseaux féministes partageant cette vision, tel que la Marche mondiale des femmes (MMF Money Market Funds
MMF
Les Money Market Funds (MMF) sont des sociétés financières des États-Unis et d’Europe, très peu ou pas du contrôlées ni réglementées car elles n’ont pas de licence bancaire. Ils font partie du shadow banking. En théorie, les MMF mènent une politique prudente mais la réalité est bien différente. L’administration Obama envisage de les réglementer car, en cas de faillite d’un MMF, le risque de devoir utiliser des deniers publics pour les sauver est très élevé. Les MMF suscitent beaucoup d’inquiétude vu les fonds considérables qu’ils gèrent et la chute depuis 2008 de leur marge de profit. En 2012, les MMF états-uniens maniaient 2 700 milliards de dollars de fonds, contre 3 800 milliards en 2008. En tant que fonds d’investissement, les MMF collectent les capitaux des investisseurs (banques, fonds de pension…). Cette épargne est ensuite prêtée à très court terme, souvent au jour le jour, à des banques, des entreprises et des États.
Dans les années 2000, le financement par les MMF est devenu une composante importante du financement à court terme des banques. Parmi les principaux fonds, on trouve Prime Money Market Fund, créé par la principale banque des États-Unis JP.Morgan, qui gérait, en 2012, 115 milliards de dollars. La même année, Wells Fargo, la 4e banque aux États-Unis, gérait un MMF de 24 milliards de dollars. Goldman Sachs, la 5e banque, contrôlait un MMF de 25 milliards de dollars.
Sur le marché des MMF en euros, on trouve de nouveau des sociétés états-uniennes : JP.Morgan (avec 18 milliards d’euros), Black Rock (11,5 milliards), Goldman Sachs (10 milliards) et des européennes avec principalement BNP Paribas (7,4 milliards) et Deutsche Bank (11,3 milliards) toujours pour l’année 2012. Certains MMF opèrent également avec des livres sterling. Bien que Michel Barnier ait annoncé vouloir réglementer le secteur, jusqu’à aujourd’hui rien n’a été mis en place. Encore des déclarations d’intention...
1. L’agence de notation Moody’s a calculé que pendant la période 2007-2009, 62 MMF ont dû être sauvés de la faillite par les banques ou les fonds de pensions qui les avaient créés. Il s’est agi de 36 MMF opérant aux États-Unis et 26 en Europe, pour un coût total de 12,1 milliards de dollars. Entre 1980 et 2007, 146 MMF ont été sauvés par leurs sponsors. En 2010-2011, toujours selon Moody’s, 20 MMF ont été renfloués.
2 Cela montre à quel point ils peuvent mettre en danger la stabilité du système financier privé.
) qui agit au niveau mondial et aux niveaux nationaux.

Démêlons la dette publique - bande dessinée réalisée par Titom
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 Des espoirs déçus au succès en Équateur

L’histoire des audits serait-elle l’histoire des espoirs déçus et des renversements avortés ?

Pour revenir aux années 1990, à cette époque, nous travaillions beaucoup avec la gauche sud-africaine. La transition post-apartheid commence véritablement en 1994. Une grande partie du mouvement anti-apartheid international et à l’intérieur de l’Afrique du Sud portait la revendication de l’annulation de la dette de l’apartheid, c’était présent d’ailleurs à la Bastille en 1989, avec Johnny Clegg qui était un chanteur sud-africain anti-apartheid. Là aussi, il en est sorti une déception car Nelson Mandela, au lieu de mettre en pratique ce qu’il revendiquait lorsqu’il était emprisonné, à savoir l’annulation de la dette de l’apartheid, a reconnu la dette contractée par le régime qu’il avait combattu. Cela a produit une grande frustration dans la gauche sud-africaine, au sein de l’ANC, du parti communiste sud-africain, de la Cosatu, le grand syndicat qui s’était constitué dans la lutte contre l’apartheid. Le fossé a grandi entre le secteur qui n’acceptait pas ce renoncement à exiger l’annulation de la dette de l’apartheid et le secteur qui appliquait la real politik et renonçait à ses principes en disant « si nous voulons attirer les investisseurs étrangers, il ne faut pas rentrer en conflit avec les créanciers ».

Bref, l’histoire des audits qui ont avorté est en effet plus longue que l’histoire des audits menés à bien : le Rwanda, la RDC, le Brésil, les Philippines [28], le Paraguay, le Zimbabwe [29], sans oublier l’audit grec dont nous parlerons plus loin.


Quels sont les facteurs qui expliquent selon vous ces échecs ?

Prenons le cas du Brésil. Avant d’accéder au pouvoir en 2003, le Parti des Travailleurs dirigé par Lula était favorable à la réalisation d’un audit. En septembre 2000, il avait d’ailleurs soutenu la réalisation d’un référendum populaire afin de mettre la pression sur le gouvernement de l’époque. Sur les 6 millions de participants à ce référendum, plus de 90% demandaient la réalisation de l’audit de la dette qui était d’ailleurs prévu dans la Constitution brésilienne depuis 1988. Plus de 90% se prononçaient également pour la suspension du paiement de la dette pendant la durée de l’audit.

Personnellement, j’entretenais des contacts étroits avec Lula et de nombreux membres du PT depuis 1990. Je suis allé une dizaine de fois au Brésil au cours des années 1990. Le CADTM a invité Lula en Belgique en 1991. En 1996, le CADTM a invité au contre-sommet du G7, à Lyon, José Dirceu, un des principaux dirigeants du PT à l’époque, ex-guerrillero qui a très mal tourné à partir de 2003. Une fois arrivé au pouvoir grâce aux élections de fin 2002, le PT et le président Lula ont bloqué toute possibilité de réaliser l’audit et ont reconduit les accords avec le FMI tout en le remboursant de façon anticipée. La dernière fois que j’ai rencontré Lula, c’était à Genève en juin 2003 lors du G8 G8 Ce groupe correspond au G7 plus la Fédération de Russie qui, présente officieusement depuis 1995, y siège à part entière depuis juin 2002. tenu à Evian. Lula, qui était président du Brésil depuis le 1er janvier 2003, m’a invité à le rencontrer en compagnie de deux autres personnes, un dirigeant d’ATTAC France et une représentante du Forum social italien. Nous n’avons pu que constater nos divergences sur la question de la dette qu’il refusait dorénavant de remettre en cause, de même que vis-à-vis de la réforme néolibérale des retraites qu’il venait d’entreprendre (c’était à la même époque que la réforme Fillon des retraites en France). L’organisation brésilienne qui est membre du CADTM s’appelle « Audit citoyen de la dette » ; elle est très active depuis 2000-2001 et a obtenu en 2009 la mise en place d’une commission parlementaire d’audit de la dette. Mais, en son sein les parlementaires du PT se sont alliés à d’autres parlementaires conservateurs afin d’empêcher que les travaux n’aboutissent à une remise en cause de la légitimité de la dette brésilienne. Vu la dégradation grave de la situation économique du Brésil depuis 2 ans, la question de la dette externe et interne reviendra tôt au tard sur le devant de la scène.

Prenons maintenant le cas du Paraguay, pays enclavé entre le Brésil, l’Argentine et la Bolivie. En décembre 2008, le président progressiste Fernando Lugo, en place depuis 6 mois, m’a invité à l’aider à créer une commission d’audit de la dette paraguayenne. Je me suis rendu à Asunción pour une entrevue en tête à tête avec le président suivi d’une réunion avec le gouvernement paraguayen [30].

Éric Toussaint y Fernando Lugo

Il était évident que l’essentiel de la dette paraguayenne pouvait être qualifiée d’odieuse car elle était le résultat (c’est d’ailleurs toujours le cas) d’un contrat léonin passé au début des années 1970 entre deux dictatures militaires : la junte militaire brésilienne et la dictature paraguayenne du général Stroessner [31]. Le traité incriminé portait sur la construction et le fonctionnement du plus grand barrage mondial de l’époque, le barrage d’Itaipu. J’avais bien étudié la question sur la base d’une excellente documentation élaborée par des experts paraguayens. De plus, un ancien permanent de l’équipe CADTM en Belgique, le juriste paraguayen Hugo Ruiz Diaz Balbuena, était devenu conseiller du président Lugo, ce qui facilitait les contacts [32]. L’initiative d’audit international avec participation citoyenne a avorté sous la pression du gouvernement brésilien pendant la présidence de Lula. Il faut préciser que des grandes entreprises brésiliennes sont les principales créancières du Paraguay qu’elles exploitent. Alors qu’il devait signer le décret présidentiel de création de la commission d’audit, Fernando Lugo a finalement cédé devant la pression de Lula et de son gouvernement qui protégeaient les entreprises brésiliennes créancières. Lula, pour convaincre le gouvernement paraguayen de renoncer à réaliser l’audit international et de remettre en cause la dette réclamée par les entreprises brésiliennes, a fait quelques concessions marginales et a augmenté la somme payée annuellement au Paraguay par le Brésil pour l’électricité fournie par le barrage d’Itaipu [33]. Ceci dit, malgré les pressions du Brésil, un audit a quand même été réalisé par la Cour des comptes en 2010 et 2011 [34] et je suis retourné à cette époque au Paraguay à l’invitation du président Fernando Lugo. En juin 2012, il a finalement été renversé par un « coup d’État parlementaire », selon une formule qui avait été utilisée en 2009 au Honduras et qui a été appliquée récemment au Brésil pour renverser Dilma Rousseff, la présidente brésilienne qui a succédé à Lula à partir de 2010 [35].

Le fait que la droite ait pu utiliser cette forme de coup d’État institutionnel tant au Brésil qu’au Paraguay tient en partie à l’incapacité de ces deux gouvernements de gauche d’affronter avec force les créanciers et de réaliser des réformes structurelles. Le soutien populaire dont ils ont bénéficié fortement au début de leur mandat a fini par s’émousser très profondément à cause des déceptions qu’entraînait la politique conciliatrice à l’égard du grand capital local et international. Quand la droite a décidé de passer à l’action, le peuple de gauche était trop désenchanté et désorienté pour se mobiliser et défendre les gouvernants en place.

Il y a un cas où les tentatives de sabotage de l’audit de la part des pouvoirs nationaux, du FMI, etc. n’ont pas marché, c’est l’Équateur (voir plus loin). Oui, véritablement, c’est le seul car, sur la base des résultats de l’audit, le gouvernement a suspendu le paiement et obtenu un important succès contre les créanciers [36].


Rapports aux contre-pouvoirs et pouvoirs : le succès équatorien

Si on s’attarde sur ce cas de l’Équateur, comment les contacts ont-ils été pris avec les opposants, qui sont devenus les futurs dirigeants ?

La règle générale que le CADTM applique, ce n’est pas la collaboration avec des autorités, mais plutôt le travail avec des mouvements d’opposition. Essentiellement des mouvements sociaux ou des forces politiques radicales ancrées dans les couches populaires. Au cours de l’évolution de la situation politique d’un pays donné, des gens qui étaient dans l’opposition peuvent arriver au gouvernement. C’est typiquement le cas de l’Équateur. Le CADTM y avait des contacts depuis 1999. En Équateur, une campagne en faveur de l’annulation de la dette s’était mise en place à partir de 1997-1998, lorsqu’au niveau international a été lancée la campagne Jubilé 2000. L’année 2000 devait être une année jubilaire pour le monde chrétien, et toute une série d’organisations chrétiennes – ce qui n’est pas le cas du CADTM – qui ont des relations avec les pays du Tiers Monde se sont engagées sur le thème : « L’année 2000 doit être une année du pardon des dettes. » L’Équateur est un pays chrétien et des chrétiens de gauche se sont lancés dans cette campagne. J’avais été invité en Équateur, en 1999 et en 2000, par ce mouvement chrétien pour l’annulation de la dette et surtout par le Centre de défense des droits économiques et sociaux (CDES), qui lui n’est pas dans la famille chrétienne. À l’initiative du CDES et en contact étroit avec des organisations chrétiennes de Norvège, nous avons soutenu une campagne précise pour dénoncer les créances Créances Créances : Somme d’argent qu’une personne (le créancier) a le droit d’exiger d’une autre personne (le débiteur). réclamées par la Norvège à l’Équateur et à quatre autres pays en développement (Sierra Leone, Pérou, Jamaïque, Égypte). La Norvège avait endetté ces pays à partir des années 1980 pour leur vendre des bateaux de pêche et sauver des chantiers navals norvégiens. Cette campagne très bien argumentée a amené le gouvernement norvégien à annuler en 2006 les dettes qu’il réclamait. C’était une victoire concrète d’une campagne d’audit des dettes illégitimes [37].

Rafaël Correa, l’actuel président du pays, est issu de la petite bourgeoisie, du mouvement chrétien et du mouvement scout, influencé aussi par la théologie de la libération. En 2007, quand Correa a commencé son mandat, il a pris comme ministre des Finances Ricardo Patino [38], le dirigeant du mouvement contre la dette avec qui je travaillais depuis des années. En avril 2007, j’ai été invité par Ricardo Patino à une réunion du « mouvement dette » pour contribuer à la rédaction de décret présidentiel qu’allait adopter, en juillet, Rafael Correa et visant à instituer une commission d’audit de la dette. J’ai également conseillé fin avril – début mai 2007 le président équatorien et son ministre des Finances en ce qui concerne la création d’une Banque du sud entre l’Argentine, le Brésil, la Bolivie, l’Équateur, le Venezuela, le Paraguay et l’Uruguay [39]. Parallèlement aux conseils présentés aux autorités équatoriennes, le CADTM a participé à la rédaction de plusieurs lettres ouvertes des mouvements sociaux latino-américains aux présidents des 7 pays concernés afin qu’ils mettent en place une Banque du sud réellement alternative à des institutions comme la Banque mondiale et le FMI afin de soutenir une intégration des peuples et non celle du Capital [40]. Enfin à partir de juillet, en représentation du CADTM, j’ai participé très activement à la commission d’audit créée par le président Rafael Correa afin d’identifier les dettes illégitimes contractées pendant la période 1976-2006. Nos travaux remis au gouvernement en septembre 2008 et rendus publics en novembre 2008 [41] ont abouti à la suspension du paiement d’une importante partie de la dette réclamée à l’Équateur sous forme de titres souverains détenus principalement par des banques des États-Unis. Cette suspension unilatérale de paiement a abouti à une grande victoire. L’Équateur a imposé aux créanciers une réduction de 70% des dettes concernées. Cela a permis une forte augmentation des dépenses sociales à partir de 2009-2010.

Nous ne nous disons pas nécessairement que les mouvements avec lesquels nous travaillons vont arriver au pouvoir. Mais de fait, à certains moments, des gens avec qui on travaillait depuis un certain temps y arrivent… Par exemple, quand j’ai rencontré en 2007 Diego Borja, le ministre de l’Économie équatorien de 2008, devenu président de la Banque centrale du pays en 2010, il m’a dit : « Tu ne te souviens pas de moi, mais je suis venu aux réunions du CADTM en 1992 en Belgique. Je faisais mes études d’économie à l’université catholique de Louvain et je suis venu à des séances du CADTM. ». C’est bien sûr aussi le cas avec la Grèce, j’y reviendrai...

Campagne CADTM - FGTB - CEPAG pour l’audit de la dette publique belge réalisée par Pierre Gottiniaux, 2012

Le travail du CADTM dans le monde Arabe



Le développement du réseau CADTM à l’international a permis d’établir de nombreux contacts dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, qui n’est pas épargnée par le fardeau de la dette publique et par les politiques d’ajustement structurel des institutions financières internationales. En Tunisie, l’association RAID (Rassemblement pour une alternative internationale au développement), membre des réseaux ATTAC et CADTM, a vu le jour en 1999, mais a dû faire face à la répression du régime de Ben Ali jusqu’à la révolution de 2011 qui a enfin permis sa reconnaissance officielle. L’association ATTAC Maroc a quant à elle été créée en 2000, et est devenue membre du réseau CADTM en 2006. ATTAC-CADTM Maroc se partage aujourd’hui avec le CADTM Belgique les responsabilités du Secrétariat international du réseau. Ses activités doivent également faire face à la répression des autorités.

Le CADTM soutient activement les processus révolutionnaires enclenchés en décembre 2010 dans la région. En 2011, RAID lance en Tunisie une importante campagne pour l’annulation de la dette odieuse accumulée par le clan Ben Ali. Cette campagne est activement soutenue par le CADTM en Belgique et en France, établissant alors un travail en commun avec le collectif ACET (Auditons les créances européennes sur la Tunisie). De même, est lancée fin 2011 en Égypte la Campagne populaire pour l’abolition de la dette, également soutenue en Europe par le CADTM. Ces campagnes aboutissent à plusieurs victoires. En juillet 2011 est adoptée une résolution du Sénat belge reconnaissant le caractère odieux de la dette tunisienne et réclamant un moratoire Moratoire Situation dans laquelle une dette est gelée par le créancier, qui renonce à en exiger le paiement dans les délais convenus. Cependant, généralement durant la période de moratoire, les intérêts continuent de courir.

Un moratoire peut également être décidé par le débiteur, comme ce fut le cas de la Russie en 1998, de l’Argentine entre 2001 et 2005, de l’Équateur en 2008-2009. Dans certains cas, le pays obtient grâce au moratoire une réduction du stock de sa dette et une baisse des intérêts à payer.
sur son remboursement ainsi qu’un audit des créances belges sur la Tunisie (cette résolution est cependant restée lettre morte). En septembre 2011 est rendue publique une pétition signée par plus de 120 eurodéputés et parlementaires nationaux de pays européens en faveur d’une « suspension immédiate du remboursement des créances européennes sur la Tunisie (avec gel des intérêts) et [d’une] mise en place d’un audit de ces créances ». En mai 2012, le parlement européen adopte une résolution dans laquelle il « juge odieuse la dette extérieure publique des pays d’Afrique du Nord et du Proche-Orient » et « demande dès lors un réexamen de la dette, et notamment de celle liée aux dépenses d’armement » (comme la résolution du Sénat belge, celle-ci n’a toujours pas été suivie d’effet).

En décembre 2015, RAID/ATTAC-CADTM Tunisie a lancé une nouvelle campagne pour l’audit de la dette publique tunisienne. Celle-ci a conduit en juin 2016 à une proposition de loi pour un audit de la dette depuis 1986 (date du premier plan d’ajustement structurel Plan d'ajustement structurel En réaction à la crise de la dette, les pays riches ont confié au FMI et à la Banque mondiale la mission d’imposer une discipline financière stricte aux pays surendettés. Les programmes d’ajustement structurel ont pour but premier, selon le discours officiel, de rétablir les équilibres financiers. Pour y parvenir, le FMI et la Banque mondiale imposent l’ouverture de l’économie afin d’y attirer les capitaux. Le but pour les États du Sud qui appliquent les PAS est d’exporter plus et de dépenser moins, via deux séries de mesures. Les mesures de choc sont des mesures à effet immédiat : suppression des subventions aux biens et services de première nécessité, réduction des budgets sociaux et de la masse salariale de la fonction publique, dévaluation de la monnaie, taux d’intérêt élevés. Les mesures structurelles sont des réformes à plus long terme de l’économie : spécialisation dans quelques produits d’exportation (au détriment des cultures vivrières), libéralisation de l’économie via l’abandon du contrôle des mouvements de capitaux et la suppression du contrôle des changes, ouverture des marchés par la suppression des barrières douanières, privatisation des entreprises publiques, TVA généralisée et fiscalité préservant les revenus du capital. Les conséquences sont dramatiques pour les populations et les pays ayant appliqué ces programmes à la lettre connaissent à la fois des résultats économiques décevants et une misère galopante. imposé par le FMI dans le pays, tandis que Ben Ali arrive au pouvoir en 1987), initiée par le Front populaire et co-signée par 73 parlementaires tunisiens. La proposition de loi réclame une suspension de paiement de la dette jusqu’à ce que soient rendus les résultats de l’audit qui permettront de formuler les arguments nécessaires à la répudiation des dettes odieuses, illégales, illégitimes et insoutenables.

ATTAC-CADTM Maroc milite notamment contre l’arnaque du micro-crédit, dont les impacts sur des populations déjà précaires (et notamment des femmes) sont désastreux. Au Maroc, 99 % des prêts accordés dans le cadre du micro-crédit sont soumis à des taux d’intérêt à deux chiffres, avec un taux d’intérêt moyen oscillant entre 30 et 35 %. Le micro-crédit mène à des situations de surendettement privé illégitime. Mais les secteurs d’intervention d’ATTAC-CADTM Maroc vont au-delà de cette question. Par exemple, en 2016, l’association a été au centre de la campagne contre la mascarade de la conférence sur le climat de Marrakech (COP 22) et pour une véritable alternative sociale et écologique. Cette campagne a abouti, quelques jours avant l’ouverture de la COP 22, à l’organisation d’un contre-sommet à Safi.

Le travail du CADTM dans la région n’est pas prêt de s’arrêter ! En décembre 2016, les associations marocaine et tunisienne ont organisé une rencontre avec des militants égyptiens et algériens (des militants libanais ont dû annuler leur venue en dernière minute) afin d’élargir et de renforcer le réseau dans la région, les militants égyptiens ayant d’ores et déjà annoncé leur volonté d’adhérer au CADTM. Dettes odieuses, micro-crédit, politiques d’ajustement structurel… il y a fort à faire et les groupes des différents pays vont initier un travail en commun !


 Grèce : L’ambivalence des dirigeants vis-à-vis de l’ordre financier et de la dette malgré des débuts prometteurs de lutte

Introduction par Stathis Kouvélakis

L’examen approfondi des causes qui ont mené à la capitulation du gouvernement grec en juillet 2015 et à la signature d’un troisième Mémorandum permet de tracer l’une des principales lignes de clivage de la période en cours, un clivage qui n’est pas simplement une affaire de bilan historique, mais qui revêt un caractère directement politique.

Il est évident qu’un tel désastre ne saurait s’expliquer en termes de psychologie, ni en termes de simples erreurs, ni uniquement en termes de personnes - sans que soient pour autant effacées les responsabilités personnelles, énormes, de ceux qui ont assumé un rôle dirigeant dans cette entreprise.

Le témoignage d’Éric Toussaint constitue une précieuse contribution à cet impérieux réexamen critique. Le public grec a fait la connaissance de Toussaint quand celui-ci s’est vu confier la coordination scientifique de la Commission de Vérité sur la Dette Publique, formée en avril 2015 sous les auspices de la Présidente du Parlement grec de l’époque, Zoé Konstantopoulou.

Eric Toussaint compte à son actif Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
plusieurs décennies de travail et d’action militante autour des questions de dette publique et, avant la Grèce, il avait pris part aux travaux d’audit citoyen de la dette dans plusieurs pays d’Amérique Latine (Équateur, Paraguay, Brésil), d’Asie (Timor Oriental) ainsi que dans le cadre d’organismes tels que l’Union Africaine.

Cette riche expérience internationale lui conférait naturellement une position privilégiée, non seulement pour contribuer à l’enquête sur les causes qui ont mené la Grèce droit dans les griffes de la « debtocratie » européenne et internationale [42], mais aussi pour évaluer les stratégies politiques qu’ont choisi de suivre, sur cette question capitale, les protagonistes de l’actuelle tragédie grecque.

C’est précisément en cela que son témoignage s’avère si précieux. A partir de sa position particulière, celle d’un acteur « étranger » qui s’est cependant retrouvé dès le début en première ligne dans la bataille qui s’est déroulée autour de la crise grecque, Toussaint a acquis une connaissance de première main de la façon dont Syriza, la force politique qui est rapidement devenue le principal protagoniste des événements qui ont suivi, a abordé la question de la dette.

Ce qu’il révèle dans le texte qui suit - extrait d’une série d’entretiens à lire dans leur intégralité - c’est la dérive d’Alexis Tsipras et de ses proches précisément sur cette question fondamentale. Partis d’une position réclamant l’annulation de la dette illégitime et la réalisation d’un audit citoyen, les dirigeants de Syriza se sont ralliés à une logique de solutions « consensuelles », tout aussi irréalisables qu’aveugles aux enseignements de l’histoire. Leur modèle est devenu l’accord de Londres de 1953 par lequel, en pleine guerre froide, les vainqueurs de la seconde guerre mondiale ont annulé la majeure partie de la dette de l’Allemagne, qu’il s’agissait de reconstruire (et de réarmer) à marche forcée. Or cette dérive ne s’est pas produite au moment où Syriza a gagné les élections, en janvier 2015, mais bien plus tôt, et très précisément au lendemain des élections du printemps 2012, au moment où il accède au rang de première force d’opposition et que ses cadres dirigeants s’autonomisent par rapport aux instances collectives de leur parti et commencent à fonctionner, de fait, en tant que « cabinet fantôme », dans l’attente de l’exercice effectif des fonctions gouvernementales.

Éric Toussaint est on ne peut plus clair quant aux raisons de cette dérive. Comme il le souligne dans cet entretien, « le noyau autour de Tsipras – je ne parle pas du bureau politique de Syriza, car les membres du bureau politique n’ont pas été inclus dans des décisions capitales, de même que les membres du comité central ont été tenus à l’écart –, avec Yannis Dragasakis, le vice-Premier ministre actuel qui joue un rôle clé, a pris dans les moments décisifs l’orientation suivante : ‘Il faut éviter à tout prix l’affrontement avec le grand capital grec, les banquiers grecs et les armateurs’. Les intérêts des deux derniers sont liés, totalement interpénétrés. De même, ce noyau considérait qu’il fallait éviter l’affrontement avec les institutions européennes ».

Comme nous le savons, l’engagement de non-rupture avec l’euro et l’UE, quel qu’en soit le prix, et la soumission absolue aux cadres fixés par l’OTAN OTAN
Organisation du traité de l’Atlantique Nord
Elle assure aux Européens la protection militaire des États-Unis en cas d’agression, mais elle offre surtout aux États-Unis la suprématie sur le bloc occidental. Les pays d’Europe occidentale ont accepté d’intégrer leurs forces armées à un système de défense placé sous commandement américain, reconnaissant de ce fait la prépondérance des États-Unis. Fondée en 1949 à Washington et passée au second plan depuis la fin de la guerre froide, l’OTAN comprenait 19 membres en 2002 : la Belgique, le Canada, le Danemark, les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne, l’Islande, l’Italie, le Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas, le Portugal, auxquels se sont ajoutés la Grèce et la Turquie en 1952, la République fédérale d’Allemagne en 1955 (remplacée par l’Allemagne unifiée en 1990), l’Espagne en 1982, la Hongrie, la Pologne et la République tchèque en 1999.
faisaient également partie intégrante de ce choix.

Éric Toussaint, afin de conserver la possibilité d’intervenir de façon aussi efficace que possible dans son propre champ, celui de la dette publique, s’est très judicieusement gardé d’entrer, à ce moment-là, dans le débat sur l’euro. Aujourd’hui, comme il le souligne dans la suite de cet entretien, il considère la sortie de l’euro comme une étape nécessaire pour tout pays de la périphérie européenne qui voudrait renverser la politique d’austérité et rompre les chaînes de la dettocratie.

Cette relative prise de distance vis-à-vis de la confrontation autour de la question de l’euro, centrale dans les clivages au sein de Syriza à l’époque, confère à son témoignage un poids encore plus grand. Elle démontre que l’abandon de la position initiale de Syriza « aucun sacrifice pour l’euro », survenu exactement au même moment, à savoir au lendemain des doubles élections de 2012, n’était ni un mouvement tactique, ni le produit d’une simple obsession européiste – même si ce fut bien le cas, indéniablement, pour une grande partie des cadres mais aussi pour des militants de base de Syriza.

Les serments d’allégeance à l’euro et le refus obsessionnel de tout plan alternatif en cas d’échec des négociations n’étaient que l’autre facette d’un choix stratégique de non-confrontation, tant avec la bourgeoise intérieure qu’avec classes dominantes de l’Europe et les mécanismes politiques de leur domination, c’est-à-dire l’Union Européenne et ses appendices (BCE, Fonds de Stabilité Monétaire etc.).

C’est précisément ce choix, qui bien entendu n’a jamais été publiquement présenté comme tel à l’époque, qui a déterminé le cadre intangible dans lequel le gouvernement Syriza a évolué entre janvier et juillet 2015, à l’exception du référendum de juillet, lequel ne pouvait constituer, dans ce cadre-là, qu’une dernière convulsion avant la capitulation.

L’issue de cette séquence est connue, et ses conséquences ressenties jour après jour par le peuple grec, mais aussi par l’ensemble des forces de la « gauche de gauche » en Europe (et au-delà), aux yeux desquelles la Grèce s’est muée, en l’espace de quelques mois, de phare d’espérance en plaie ouverte.
Au lendemain d’une telle défaite historique, tout nouveau départ requiert impérativement que soient tirées les conclusions qui s’imposent.

Tout au long de ces années, Éric Toussaint s’est révélé être un participant actif et un soutien précieux de la lutte du peuple grec. Aujourd’hui, par sa prise de parole, il prouve que sa contribution tout autant que ce combat se poursuivent et se poursuivront jusqu’à ce que justice soit obtenue. [43]

Comment l’idée de l’audit a-t-elle réussi à faire son chemin en Grèce ? Quels étaient vos appuis et comment êtes-vous entrés en contact avec les potentiels porteurs de la revendication de l’audit en Grèce ?

Le CADTM a agi tant au niveau européen qu’en Grèce même. Afin de tenter de créer un mouvement unitaire européen anti-austérité réunissant des forces sociales et politiques, le CADTM a convoqué une réunion européenne à Bruxelles le 29 septembre 2010 à l’occasion d’une manifestation européenne appelée par la Confédération européenne des syndicats (CES) [44].

Avant cela, début juillet 2010, à l’initiative de Moisis Litsis, Sonia et Giorgos Mitralias, avait été créé à Athènes le Comité contre la dette, membre du CADTM international [45]. Giorgos Mitralias se mit à traduire le manuel d’audit citoyen édité par le CADTM international. Une édition en grec est parue en 2011 chez l’éditeur Alexandria.

Les positions du CADTM commencent à être connues en Grèce à partir de 2010. Plusieurs interviews sont publiées dans la presse grecque. Par exemple, la revue grecque Epikaira publie une longue interview de moi réalisée par Leonidas Vatikiotis, journaliste et militant politique d’extrême-gauche très actif [46]. J’y explique les causes de l’explosion de la dette publique grecque et en quoi l’expérience de l’Équateur peut être une source d’inspiration pour la Grèce en terme de commission d’audit et de suspension du paiement de la dette. En guise de conclusion, à la question « Que doit faire la Grèce ? », je répondais : « On devrait constituer très vite une Commission d’audit avec des personnalités prestigieuses et expérimentées. Mon conseil est catégorique : ouvrez les livres de compte ! Examinez dans la transparence et en présence de la société civile tous les contrats de l’Etat – des plus grands comme par exemple ceux des récents Jeux Olympiques jusqu’aux plus petits – et découvrez quelle partie de la dette est le fruit de la corruption, et par conséquent est illégale et odieuse selon le jargon international, et dénoncez-la ! » [47].

De son côté, dans plusieurs articles largement diffusés en Grèce, l’économiste Costas Lapavitsas [48], défendait également activement la nécessité de créer une commission d’audit. Dans l’un d’eux, il affirme : « La Commission internationale d’audit pourrait jouer le rôle de catalyseur contribuant à la transparence requise. Cette commission internationale, composée d’experts de l’audit des finances publiques, d’économistes, de syndicalistes, de représentants des mouvements sociaux, devra être totalement indépendante des partis politiques. Elle devra s’appuyer sur de nombreuses organisations qui permettront de mobiliser des couches sociales très larges. C’est ainsi que commencera à devenir réalité la participation populaire nécessaire face à la question de la dette [49] ».

Le 9 janvier 2011, le troisième quotidien grec en terme de tirage (à l’époque), Ethnos tis Kyriakis, m’interviewe et titre : « Ce n’est pas normal de rembourser les dettes qui sont illégitimes. Les peuples de l’Europe ont aussi le droit de contrôler leurs créanciers » [50]. Le quotidien explique que « le travail du Comité en Équateur a été récemment mentionné au Parlement grec par la députée Sofia Sakorafa ».

Effectivement, en décembre 2010, la députée Sofia Sakorafa était intervenue au Parlement grec pour affirmer qu’une Commission d’audit de la dette, inspirée de ce qui s’était passé en Équateur, était nécessaire. Le parlement alors dominé par le Pasok et Nouvelle Démocratie n’avait aucun intérêt à faire la clarté sur la dette, et cette proposition a donc été rejetée. Néanmoins, le combat a été mené sur d’autres terrains que celui des professionnels de la politique. En mars 2011, était lancé le comité grec d’audit de la dette (ELE). C’est le résultat de gros efforts de convergence entre des personnes qui se connaissaient à peine ou pas du tout quelques semaines auparavant. Le processus de création a été catalysé par l’ampleur de la crise en Grèce. Pour lancer ce comité, Costas Lapavitsas a diffusé un appel international, soutenu par le CADTM, qui a connu un très large écho.

Costas Lapavitsas m’a consulté sur le contenu de l’appel international de soutien à la constitution du comité, j’ai fait quelques amendements. Après quoi, nous avons commencé à chercher des appuis parmi des personnalités susceptibles de nous aider à augmenter l’écho et la crédibilité de cette initiative. Je me suis chargé de collecter un maximum de signatures de personnalités internationales en faveur de la mise en place du comité d’audit. Je connaissais plusieurs d’entre elles depuis des années comme Noam Chomski (États-Unis) avec qui j’étais en contact sur la thématique de la dette depuis 1998, Jean Ziegler (Suisse), à l’époque rapporteur des Nations Unies sur le droit à l’alimentation, Tariq Ali (Royaume-Uni) ainsi que de nombreux économistes.


Capa da edição grega do livro {Uma Breve História do Neoliberalismo} (de Éric Toussaint)

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Dans ma recherche de signatures, je n’ai essuyé qu’un seul refus, celui de l’économiste nord-américain James Galbraith. Je dialoguais avec lui depuis plusieurs années à l’occasion de conférences sur la globalisation Globalisation (voir aussi Mondialisation) (extrait de Chesnais, 1997a)

Origine et sens de ce terme anglo-saxon. En anglais, le mot « global » se réfère aussi bien à des phénomènes intéressant la (ou les) société(s) humaine(s) au niveau du globe comme tel (c’est le cas de l’expression global warming désignant l’effet de serre) qu’à des processus dont le propre est d’être « global » uniquement dans la perspective stratégique d’un « agent économique » ou d’un « acteur social » précis. En l’occurrence, le terme « globalisation » est né dans les Business Schools américaines et a revêtu le second sens. Il se réfère aux paramètres pertinents de l’action stratégique du très grand groupe industriel. Il en va de même dans la sphère financière. A la capacité stratégique du grand groupe d’adopter une approche et conduite « globales » portant sur les marchés à demande solvable, ses sources d’approvisionnement, les stratégies des principaux rivaux oligopolistiques, font pièce ici les opérations effectuées par les investisseurs financiers, ainsi que la composition de leurs portefeuilles. C’est en raison du sens que le terme global a pour le grand groupe industriel ou le grand investisseur financier que le terme « mondialisation du capital » plutôt que « mondialisation de l’économie » m’a toujours paru - indépendamment de la filiation théorique française de l’internationalisation dont je reconnais toujours l’héritage - la traduction la plus fidèle du terme anglo-saxon. C’est l’équivalence la plus proche de l’expression « globalisation » dans la seule acceptation tant soit peu scientifique que ce terme peut avoir.
Dans un débat public, le patron d’un des plus grands groupes européens a expliqué en substance que la « globalisation » représentait « la liberté pour son groupe de s’implanter où il le veut, le temps qu’il veut, pour produire ce qu’il veut, en s’approvisionnant et en vendant où il veut, et en ayant à supporter le moins de contraintes possible en matière de droit du travail et de conventions sociales »
financière où nous nous retrouvions. Plus tard, j’ai reçu une partie de l’explication de ce refus. James Galbraith, comme il le confirme dans un livre publié en 2016, avait apporté son soutien à Georges Papandréou, le Premier ministre du gouvernement qui avait introduit le premier mémorandum en mai 2010. James Galbraith critiquait ce mémorandum mais il acceptait la narration mensongère de Papandréou à propos de la crise comme l’indique l’introduction qu’il a écrite pour le livre Crise grecque. Tragédie européenne, publié en 2016 [51].

La deuxième raison qui a poussé James Galbraith à ne pas signer cet appel, c’est l’avis que lui a donné Yannis Varoufakis. Celui-ci a expliqué publiquement en 2011 pourquoi il refusait de souscrire à l’appel à la création de la commission d’audit. Il déclare qu’il a été contacté par Galbraith qui lui demandait s’il fallait signer ou pas cet appel et qu’il lui a recommandé de ne pas le faire. Ce refus de Yannis Varoufakis permet de mieux comprendre son attitude distante à l’égard de la Commission pour la vérité sur la dette grecque quand il est devenu ministre des Finances dans le premier gouvernement d’Alexis Tsipras en 2015 [52].

Dans une longue lettre publique publiée au printemps 2011, Y. Varoufakis justifie son refus de soutenir la création du comité citoyen d’audit (ELE). Il déclare que si la Grèce suspendait le paiement de la dette, elle devrait sortir de la zone euro et se retrouverait du coup à l’âge néolithique (sic !). Y. Varoufakis explique que, par ailleurs, les personnes qui ont pris cette initiative sont bien sympathiques et bien intentionnées et qu’en principe, il est favorable à l’audit mais que, dans les circonstances dans lesquelles la Grèce se trouve, celui-ci n’est pas opportun [53].

Le documentaire Debtocracy diffusé à partir d’avril 2011 a permis de donner un très grand écho à la proposition d’audit citoyen de la dette et à la nécessité d’annulation de sa partie illégitime et odieuse [54]. Aris Chatzistefanou et Katerina Kitidi, qui ont réalisé ce documentaire avec la collaboration de Leonidas Vatikiotis, m’ont associé activement au contenu dès le début du mois de février 2011 et, sur ma proposition, sont venus réaliser une partie du documentaire à Dakar à l’occasion du Forum social mondial qui s’y est déroulé du 6 au 11 février 2011. Le film bouclé en un temps record a commencé à circuler sur internet et a été téléchargé en Grèce par plus de 1,5 million de personnes en 6 semaines au printemps 2011. Pour une population de 10 millions, c’est une proportion importante, mais aucune chaîne de TV ne l’a diffusé à l’époque.

La conférence internationale d’appui à l’audit citoyen de la dette grecque qui s’est tenue à Athènes en mai 2011 a remporté un franc succès, avec l’affluence de près de 3000 personnes réparties sur les 3 jours. Le CADTM faisait partie des organisations qui ont convoqué cette réunion. Pendant cette conférence, j’ai coordonné le premier panel de discussion auquel ont participé notamment Nadia Valavani [55], qui est devenue plus tard vice-ministre des Finances du gouvernement Tsipras 1, et Leonidas Vatikiotis. Le CADTM avait contribué avec les organisateurs grecs et d’autres mouvements non grecs à convaincre un nombre significatif d’organisations d’Europe à soutenir la conférence et à adopter collectivement une déclaration qui garde toute sa valeur (voir encadré ci-dessous).

Déclaration de la Conférence d’Athènes sur la dette et l’austérité adoptée en mai 2011

Nous, représentant-e-s de mouvements et activistes venant de différents endroits du globe, nous sommes réuni-e-s à Athènes pour tirer les leçons des différentes crises économiques internationales précédentes, pour mettre en cause la dette illégitime et se mobiliser pour son annulation, pour apporter notre solidarité aux peuples européens en lutte contre l’injustice des programmes d’austérité qui leur sont imposés par leur gouvernement, l’UE et le FMI, et dont les “protocoles d’accord” (“Memoranda of Understanding”) sont l’illustration, ainsi que pour formuler un plan d’action économique qui satisfasse les besoins des peuples au lieu de servir les intérêts d’une toute petite élite sociale.

De nombreux pays en développement traversent des crises de la dette depuis les années 1970. Après des années pendant lesquelles la finance internationale a pris des risques inconsidérés en ouvrant grand les vannes du crédit, le FMI, en contrepartie du sauvetage des banques et de la finance, a imposé aux populations parmi les plus pauvres du monde des politiques d’austérité brutales qui ont réduit leurs revenus et la protection sociale. Ces politiques injustes n’ont pas permis une reprise économique. Au contraire, elles ont accru la dépendance des pays endettés à la loi des marchés financiers, rendant les gouvernements de moins en moins responsables devant leurs citoyen-ne-s. Ce n’est que lorsqu’une poignée de pays ont revendiqué leurs droits et se sont élevés contre l’imposition de l’austérité, contre le sauvetage de la finance, et contre le poids écrasant de la dette que la reprise a été possible, au moins pour une courte période. C’est ce qui s’est passé en Argentine en 2001. Cette expérience doit servir à d’autres pays, comme l’Égypte, la Tunisie et le monde arabe dans son ensemble qui luttent aujourd’hui pour la démocratie et font face aux dettes odieuses de régimes dictatoriaux.

Aujourd’hui, dans le sillage de la crise économique mondiale, les pays périphériques de l’UE sont confrontés à une sévère crise de la dette. Ils y ont été poussés par les opérations du système financier mondial mais aussi par le cadre institutionnel et les politiques économiques de l’UE, qui favorisent systématiquement les intérêts du capital. Le Pacte de Croissance et de Stabilité a fait pression sur le travail dans tous les pays de la zone euro, tandis que la Banque centrale européenne a soutenu les intérêts des grandes banques. L’UE s’est divisée entre un centre puissant et une périphérie faible. Les dettes accumulées par la périphérie sont le résultat du fossé qui les sépare du centre mais aussi du creusement des inégalités entre les très riches et le reste de la société. Les travailleurs/euses et les chômeurs/euses, les petit-e-s agriculteurs/trices, les petites et moyennes entreprises, sont désormais obligé-e-s de porter le poids de ces dettes, et ce bien qu’ils/elles n’en aient pas bénéficié.

L’austérité et les mesures de privatisation vont pressurer en premier lieu les plus pauvres, alors que ceux et celles qui sont à l’origine de la crise sont secourus. Le Pacte pour l’euro va exacerber la pression sur le travail. Les riches et les grandes entreprises vont continuer à échapper à des impôts qui pourraient être utilisés pour construire une société plus juste. Si ces mesures ne sont pas mises en cause, elles auront un impact considérable en Europe, en modifiant de manière drastique le rapport de forces en faveur du capital et au détriment du travail pour de nombreuses années.

Ceux qui sont en première ligne s’opposent à cette tentative de faire payer les coûts de la crise aux travailleurs/euses et aux pauvres et d’épargner les très riches. Les peuples de Grèce, d’Irlande et du Portugal, mais aussi de Pologne, de Hongrie, de Slovénie et d’autres pays d’Europe centrale et orientale remettent en cause les politiques d’austérité de l’UE et du FMI, s’opposent au pouvoir de la finance internationale, et rejettent l’esclavage de la dette. Nous appelons les peuples du monde entier à manifester leur solidarité avec les mouvements dans ces pays qui se battent contre la dette et les politiques pernicieuses qu’elle engendre.

Plus particulièrement, nous appelons à soutenir :

  • L’audit démocratique des dettes comme un pas concret en direction de la justice en matière d’endettement. Les audits de la dette avec participation de la société civile et du mouvement syndical, tels que l’Audit citoyen de la dette au Brésil, permettent d’établir quelle part de la dette publique sont illégales, illégitimes, odieuses ou simplement insoutenables. Ils offrent aux travailleurs/euses les connaissances et l’autorité nécessaires au refus de payer la dette illégitime. Ils encouragent également la responsabilité, la reddition de comptes et la transparence dans l’administration du secteur public. Nous exprimons notre solidarité avec les audits en Grèce et en Irlande et nous tenons prêts à y apporter notre aide en termes pratiques.



  • Des réponses souveraines et démocratiques à la crise de la dette. Les gouvernements doivent répondre en premier lieu à leur peuple, et non aux institutions de l’UE ou au FMI. Les peuples de pays comme la Grèce doivent décider quelles politiques sont à même d’améliorer leurs chances de reprise et de satisfaire leurs besoins sociaux. Les Etats souverains ont le pouvoir d’imposer un moratoire sur le remboursement si la dette détruit les moyens de subsistance des travailleurs/euses. L’expérience de l’Equateur en 2008-9 et de l’Islande en 2010-11 montre qu’il est possible de donner des réponses radicales et souveraines au problème de la dette, y compris en répudiant sa part illégitime. La cessation de paiements justifiée par l’état de nécessité est même reconnue légale par des résolutions de l’ONU.



  • Une restructuration économique et une redistribution, pas d’endettement. La domination des politiques néolibérales et le pouvoir de la finance internationale ont mené à une croissance faible, des inégalités croissantes, et à des crises majeures tout en sapant les processus démocratiques. Il est impératif de changer les fondements des économies par des programmes de transition qui comprennent le contrôle sur les capitaux, une régulation stricte des banques et même leur transfert au secteur public, des politiques industrielles qui reposent sur des investissements publics, le contrôle public des secteurs stratégiques de l’économie et le respect de l’environnement. Le premier objectif doit être de protéger et d’augmenter l’emploi. Il est aussi crucial que les pays adoptent des politiques redistributives radicales. La base d’imposition doit être étendue et devenir plus progressive en taxant le capital et les riches, permettant ainsi la mobilisation de ressources internes comme alternative à l’endettement. La redistribution doit aussi inclure la restauration des services publics de santé, d’éducation, de transport et des retraites ainsi que renverser la pression à la baisse sur les salaires.



Il s’agit là des premiers pas vers la satisfaction des besoins et aspirations des travailleurs/euses, mesures qui par ailleurs renverseraient le rapport de forces au détriment du grand capital et des institutions financières. Elles permettraient aux peuples d’Europe, et plus largement du monde entier, de maîtriser davantage leurs moyens de subsistance, leurs vies et le processus politique. Elles offriraient également de l’espoir à la jeunesse d’Europe dont l’avenir semble aujourd’hui bien sombre, avec peu d’emplois, des salaires bas et l’absence de perspectives. Pour ces raisons, soutenir la lutte contre la dette en Grèce, en Irlande, au Portugal et dans d’autres pays d’Europe est dans l’intérêt des travailleurs/euses, où qu’ils/elles se trouvent.

Athènes, le 8 mai 2011

La déclaration est signée par :
Initiative pour une Commission d’Audit Grecque (ELE)
European Network on Debt and Development (Eurodad)
Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde (CADTM)
The Bretton Woods Project, Grande-Bretagne
Research on Money and Finance, Grande-Bretagne
Debt and Development Coalition Irlande
Afri - Action from Ireland
WEED - World Economy Environment Development, Allemagne
Jubilee Debt Campaign, Grande-Bretagne
Observatorio de la Deuda en la Globalización, Espagne

Source

Traduit par Stéphanie Jacquemont


L’initiative d’audit citoyen de la dette a-t-elle rencontré du succès et Syriza en a-t-elle tenu compte ?

Le comité ELE mis en place en Grèce a connu un écho très important à la faveur de la version grecque du mouvement des Indignés en 2011. En juin-juillet, des centaines de milliers de personnes ont occupé des places publiques dans des grandes villes non seulement comme Athènes et Thessalonique mais aussi dans de multiples villes moyennes. Les membres du comité qui ont tenu des stands sur les places occupées, surtout sur la place Syntagma, ont rencontré un écho impressionnant. Cette campagne a eu un effet positif sur Syriza malgré les réticences d’une série de ses dirigeants.

L’audit a fait partie du cœur du programme de Syriza lors des deux tours d’élections de mai-juin 2012. Dans le programme de 2012, Syriza proposait la « suspension du paiement de la dette pendant les travaux d’une commission d’audit internationale et tant que la reprise économique n’a pas redémarré », ce qui signifie que la suspension peut durer longtemps…

Je considère que, de ce point de vue, l’évolution de Syriza entre 2009 et les élections de mai-juin 2012 a été positive sur le plan politique. Ce n’était pas gagné d’avance. Je me souviens très bien d’une grande conférence à laquelle le principal courant politique au sein de Syriza m’avait invité, il s’agit du courant Synaspismos qui était dirigé par Alexis Tsipras. Elle s’est tenue début mars 2011 au moment où naissait le comité d’audit citoyen de la dette grecque (ELE) dans les circonstances que je viens de résumer.

Quelques mots sur cette conférence. Elle a donc eu lieu début mars 2011 à Athènes. J’y ai été invité comme intervenant par Synaspismos (la composante principale de Syriza) et par le Parti de la Gauche européenne. Au cours de cette conférence ont pris la parole Alexis Tsipras, Yanis Varoufakis, Oskar Lafontaine (un des fondateurs de Die Linke), Pierre Laurent (dirigeant du PCF et du Parti de la Gauche Européenne), Mariana Mortagua du Bloc de Gauche au Portugal, Euclide Tsakalotos (qui est devenu ministre des Finances après la démission de Yanis Varoufakis), Yannis Dragazakis (qui est devenu vice-Premier ministre dans les gouvernements Tsipras 1 et 2), moi-même et plusieurs autres invités.
À cette conférence, ma communication a porté sur les causes de la crise, l’importance vitale de réduire radicalement la dette par des mesures d’annulation liées à la réalisation d’un audit de la dette avec participation citoyenne [56]. Yanis Varoufakis a présenté ce qu’il a appelé une modeste proposition qu’il a reprise lors de la première phase de négociation avec les créanciers en février 2015, soit 4 années plus tard.

Il y avait 600 ou 700 participants et plusieurs des communications dont celles de Tsipras, Varoufakis et la mienne ont été rassemblées dans un livre publié en anglais par l’institut Nikos Poulanzas sous le titre The Political Economy of Public Debt and Austerity in the EU [57].

J’ai été frappé par le contenu d’une réaction que ma communication a suscitée. Un des organisateurs, qui dirigeait l’Institut Nikos Poulantzas, a expliqué qu’il était étonné de m’entendre plaider en faveur de l’annulation de la dette grecque considérée comme illégitime ou odieuse alors que j’avais été invité pour présenter l’expérience de l’audit de la dette. Cette intervention choquante m’indiquait clairement que la proposition de suspension ou/et d’annulation de dette était rejetée (ou n’allait pas de soi) tout au moins pour un secteur important de Syriza. Cela a été confirmé par la suite.

À l’occasion de cette conférence, j’ai pu discuter longuement avec Costas Isychos, responsable à l’époque des relations internationales de Syriza (il est devenu plus tard vice-ministre de la Défense dans le gouvernement Tsipras 1, et fait partie actuellement de l’Unité populaire) et plusieurs responsables syndicaux membres également de Syriza.

J’ai pu constater qu’il y avait entre le CADTM et eux un accord sur la nécessité de recourir à l’acte unilatéral de suspension de paiement et de réaliser un audit de la dette.

Pour rappel, Syriza avait obtenu 4 % aux élections de 2009, elle réussit en mai 2012 à réunir 16 % des voix, puis 26,5 % un mois plus tard lors des élections de juin 2012, juste 2 points en-dessous de Nouvelle démocratie, le grand parti de droite. Syriza est ainsi devenu le deuxième parti en Grèce. Entre les deux tours, Tsipras avance 5 propositions concrètes pour entamer des négociations avec les partis opposés à la Troïka Troïka Troïka : FMI, Commission européenne et Banque centrale européenne qui, ensemble, imposent au travers des prêts des mesures d’austérité aux pays en difficulté. (sauf Aube dorée qui, bien qu’opposé au mémorandum, est exclu) :

  1. l’abolition de toutes les mesures antisociales (y compris les réductions des salaires et des retraites) ;
  2. l’abolition de toutes les mesures qui ont réduit les droits des travailleurs en matière de protection et de négociation ;
  3. l’abolition immédiate de l’immunité des parlementaires et la réforme du système électoral ;
  4. un audit des banques grecques ;
  5. la mise sur pied d’une commission internationale d’audit de la dette combinée à la suspension du paiement de la dette jusqu’à la fin des travaux de cette commission.

Mais, en l’espace de quelques mois, l’engagement à réaliser un audit de la dette et à suspendre le paiement pendant sa réalisation a progressivement disparu du discours d’Alexis Tsipras et des autres dirigeants de Syriza [58]. Cela s’est fait discrètement et la cinquième mesure proposée par Tsipras en mai 2012 a été remplacée par la proposition de réunir une conférence européenne pour, notamment, réduire la dette grecque.


Selon toi, Alexis Tsipras a pris un tournant modéré après le succès électoral de mai-juin 2012 ?

Alexis Tsipras et Éric Toussaint, octobre 2012, au Festival de SYRIZA de la Jeunesse à Athènes

Au cours d’une entrevue avec Tsipras, en octobre 2012, mes doutes sur son changement d’orientation ont été confirmés. Deux jours avant, le Wall Street Journal avait publié les notes secrètes de la réunion du FMI du 9 mai 2010 qui indiquait explicitement qu’une dizaine de membres de la direction du FMI (comprenant 24 membres) était contre le Mémorandum en assumant que cela n’allait pas marcher, parce que c’était un sauvetage des banques françaises et allemandes et non un plan d’aide à la Grèce. J’ai dit à Tsipras et à son conseiller économique : « Vous avez là un argument en béton pour aller contre le FMI, parce que si on a la preuve que le FMI savait que son programme ne pouvait pas marcher et savait que la dette ne serait pas soutenable, on a le matériau permettant de porter le fer sur l’illégitimité et l’illégalité de la dette. » Tsipras m’a répondu : «  Mais écoute… le FMI prend ses distances par rapport à la Commission européenne. » J’ai bien vu qu’il avait en tête que le FMI pourrait être un allié de Syriza au cas où Syriza accéderait au gouvernement. Le lendemain, le 6 octobre 2012, A. Tsipras et moi avons donné une conférence publique devant 3000 personnes lors du premier festival de la jeunesse de Syriza. Je me suis rendu compte que mon discours qui insistait sur la nécessité d’adopter une orientation radicale à l’échelle européenne n’était pas appréciée par lui [59].

Il est évident que cette expérience grecque a été particulièrement marquante, même si elle a finalement avorté... Comment l’expliquez-vous ?

La capitulation grecque est aussi une capitulation devant les intérêts financiers dominants liés au système-dette. Cette expérience a aussi été l’occasion d’une recomposition inédite du champ politique grec. Elle s’est jouée également dans les changements d’orientation politique du petit cercle de conseillers et d’élus gravitant autour d’Alexis Tsípras. Mon hypothèse est claire : le noyau autour de Tsipras – je ne parle pas du bureau politique de Syriza, car les membres du bureau politique n’ont pas été inclus dans des décisions capitales, de même que les membres du comité central ont été tenus à l’écart –, avec Yannis Dragasakis, le vice-Premier ministre actuel qui joue un rôle clé, a pris dans les moments décisifs l’orientation suivante : « Il faut éviter à tout prix l’affrontement avec le grand capital grec, les banquiers grecs et les armateurs. » Les intérêts des deux derniers sont liés, totalement interpénétrés. De même, ce noyau considérait qu’il fallait éviter l’affrontement avec les institutions européennes. Toute une série de renoncements en chaîne en ont découlé : « Si on veut éviter l’affrontement avec ces deux ennemis-là, il faut donner des garanties Garanties Acte procurant à un créancier une sûreté en complément de l’engagement du débiteur. On distingue les garanties réelles (droit de rétention, nantissement, gage, hypothèque, privilège) et les garanties personnelles (cautionnement, aval, lettre d’intention, garantie autonome). aux banquiers grecs et leur dire qu’en cas d’accession de Syriza au gouvernement, on n’affectera pas leurs intérêts. Donc pas de nationalisation ou de mesure contraignante à l’égard des banques. » Par rapport à l’Union européenne, afin de ne pas l’affronter, il fallait mettre de côté l’audit et la suspension des paiements. Il fallait aussi promettre qu’un gouvernement Syriza respectera la discipline budgétaire demandée par les instances européennes. C’est pour cela que Syriza a affirmé dans le programme de Thessalonique, avec lequel elle s’est présentée aux élections du 25 janvier 2015, que les mesures pour aller contre l’austérité seraient contre-balancées par des recettes fiscales capables de garantir le respect du budget prévu pour 2015 par le gouvernement précédent. Le noyau autour de Tsipras et Dragazakis tenait le raisonnement suivant : « Si on ne touche pas aux banquiers et si on respecte la discipline budgétaire demandée par Bruxelles, ils vont nous laisser arriver au gouvernement et on va pouvoir gouverner ».


Est-il possible de préciser la composition de ce noyau dur autour de Tsipras et son évolution ? Comment l’avez-vous perçu au prisme de la question de l’audit ?

Avant la victoire électorale de Syriza, j’ai eu deux tête-à-tête importants avec Alexis Tsipras. La première fois, c’était en octobre 2012 comme je l’ai indiqué plus haut [60]. Alexis Tsipras était accompagné de John Milios [61] qui à l’époque était son conseiller spécial sur les questions économiques. John Milios n’était pas partisan de l’audit de la dette et de la suspension de paiement. John Milios a été éloigné par Tsipras, à partir de la fin 2014, pour des raisons d’orientation politique, et bien qu’il fût pourtant fort modéré… L’autre conseiller économique qui a imprimé ses choix au sein de l’équipe de Tsipras n’est autre que Yannis Dragasakis [62], un personnage très influent. Il était vice-premier ministre dans le premier gouvernement de Tsipras, il l’est encore aujourd’hui et mène la politique économique. Dragasakis avait depuis des années des liens avec les banquiers. Lui-même a été administrateur d’une banque commerciale Banques commerciales
Banque commerciale
Banque commerciale ou banque de dépôt : Établissement de crédit effectuant des opérations de banque avec les particuliers, les entreprises et les collectivités publiques consistant à collecter des fonds pour les redistribuer sous forme de crédit ou pour effectuer à titre accessoire des opérations de placements. Les dépôts du public bénéficient d’une garantie de l’État. Une banque de dépôt (ou banque commerciale) se distingue d’une banque d’affaires qui fait essentiellement des opérations de marché. Pendant plusieurs décennies, suite au Glass Steagall Act adopté pendant l’administration Roosevelt et aux mesures équivalentes prises en Europe, il était interdit aux banques commerciales d’émettre des titres, des actions et tout autre instrument financier.
de taille moyenne. Il fait en quelque sorte le pont entre Tsípras et les banquiers. Syriza est une formation nouvelle, et donc ses leaders politiques ont relativement peu d’enracinement dans les sphères étatiques – contrairement, par exemple, au Parti socialiste français dont l’histoire est liée à la République et à la gestion des affaires de l’État. À ce titre, le profil du nouveau proche conseiller économique de Tsipras détonne. Alors qu’en 2012 et 2013, parmi les dirigeants de Syriza aucun n’avait occupé une fonction dans l’État, le seul à avoir été ministre à un moment donné, pendant quelques mois en 1989, c’est... Dragasakis [63]. Il s’agissait d’un gouvernement de coalition entre le parti de droite Nouvelle Démocratie et le Parti Communiste (KKE) dont Dragazakis faisait partie. Dragazakis était clairement opposé à l’audit de la dette et à une suspension de paiement.

 Une nouvelle « conférence de Londres » ? L’espoir de coopération internationale versus « l’action souveraine unilatérale »


Comment s’est manifestée cette frilosité nouvelle de Syriza avec les puissances d’argent ? Quelles étaient les divergences de vue sur la question de la dette ?

Une des initiatives que souhaitait prendre Alexis Tsipras était de convoquer une grande conférence internationale sur la réduction de la dette à Athènes en mars 2014. Tsipras, sous la pression de Sofia Sakorafa, qui était députée Syriza depuis 2012, m’a rencontré une nouvelle fois en octobre 2013 et m’a demandé de contribuer à la tenue d’une telle conférence en convaincant une série de personnalités internationales de répondre positivement à l’invitation. J’ai dressé une liste de participants et nous en avons discuté avec Alexis Tsipras, Sofia Sakorafa et Dimitri Vitsas, secrétaire général de Syriza à l’époque. J’avais proposé d’inviter à cette conférence des personnalités comme Rafael Correa, Diego Borja (ex-directeur de la Banque centrale de l’Equateur), Joseph Stiglitz, Noam Chomsky, Susan George, David Graeber, Naomi Klein… ainsi que des membres de la commission d’audit de la dette équatorienne qui avaient travaillé avec moi en 2007 et 2008. J’ai remarqué que sur la liste que j’avais dressée, Rafael Correa ne l’intéressait pas du tout. Par contre, il aurait voulu l’ex-président du Brésil, Lula, et la présidente de l’Argentine, Cristina Fernandez. Pour lui, l’Équateur, c’était trop radical. Et bien sûr, il voulait Joseph Stiglitz et James Galbraith, ce qui était justifié. Mais dans sa tête, ce n’était pas du tout pour créer une commission d’audit, c’était pour convoquer les différents pays membres de l’Union européenne à une conférence européenne sur la dette, à l’image de l’accord de Londres de 1953, lorsque les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale ont concédé une réduction de dette très importante à l’Allemagne de l’Ouest. Je lui ai dit qu’il n’y avait aucune chance que cela se réalise.

Comme dirigeant de Syriza, il avait parfaitement la légitimité d’avancer ce plan A, mais il était impensable que Draghi, Hollande, Merkel, Rajoy y consentent. Je lui ai dit qu’il fallait un plan B, dans lequel il devait y avoir la commission d’audit. Je l’ai également déclaré dans la presse grecque. Voici un extrait d’une interview de moi que le Quotidien des Rédacteurs, proche de Syriza, a publié en octobre 2014. Le journaliste m’avait demandé ce que je pensais de la conférence européenne sur la dette que proposait Alexis Tsipras en se basant sur la conférence de Londres de 1953 et j’ai répondu : « Il s’agit donc d’une demande légitime (…) mais vous ne pourrez pas convaincre les gouvernements des principales économies européennes et les institutions de l’UE de le faire. Mon conseil est le suivant : la dernière décennie nous a montré qu’on peut arriver à des solutions équitables en appliquant des actes souverains unilatéraux. Il faut désobéir aux créanciers qui réclament le paiement d’une dette illégitime et imposent des politiques qui violent les droits humains fondamentaux, lesquels incluent les droits économiques et sociaux des populations. Je pense que la Grèce a de solides arguments pour agir et pour former un gouvernement qui serait soutenu par les citoyens et qui explorerait les possibilités dans ce sens. Un tel gouvernement populaire et de gauche pourrait organiser un comité d’audit de la dette avec une large participation citoyenne, qui permettrait de déterminer quelle partie de la dette est illégale et odieuse, suspendrait unilatéralement les paiements et répudierait ensuite la dette identifiée comme illégitime, odieuse et/ou illégale [64]. »

Finalement, Alexis Tsipras m’a proposé de préparer avec lui et Pierre Laurent, président à l’époque du Parti de la Gauche européenne, une conférence européenne dont un des thèmes serait la dette. Elle devait se tenir en mars 2014 à Athènes. Cela ne s’est pas concrétisé car, lors d’une réunion tenue en décembre 2013 à Madrid, le Parti de la Gauche européenne a décidé de convoquer une conférence à Bruxelles, à la place d’Athènes, au printemps 2014. Lors de cette conférence de Bruxelles qui a eu très peu de répercussion et où étaient présents entre autres Alexis Tsipras, Pierre Laurent ainsi que Gabi Zimmer (membre de Die Linke et présidente du groupe parlementaire de la GUE/NGL au parlement européen), j’ai participé comme conférencier à un panel avec Euclide Tsakalotos qui allait devenir le ministre des Finances d’Alexis Tsipras à partir de juillet 2015 [65]. Je me suis rendu compte dès ce moment qu’il n’était absolument pas favorable à un plan B portant sur la dette, les banques, la fiscalité. Le plan d’Euclide Tsakalotos était de négocier à tout prix avec les institutions européennes pour obtenir une réduction de l’austérité sans recourir à la suspension de paiement de la dette et à l’audit. Lors de cette conférence, j’ai de nouveau argumenté en faveur d’un plan B qui devait inclure l’audit et la suspension de paiement de la dette.

La discussion sur la nécessité d’un plan B ne date donc pas de 2015, elle remonte clairement à 2013-2014. Le noyau dirigeant autour de Tsipras a décidé d’exclure la préparation d’un plan B et s’est accroché à un plan A irréalisable.

Manifestation « Avec les grecs », Bruxelles, 21 juin 2015

 Grèce : l’audit de la dette, la capitulation de Tsípras et les perspectives internationales de lutte

Comment l’audit a-t-il pu, malgré le tournant modéré de Syriza en 2013-2014, être lancé après la victoire électorale du 25 janvier 2015 ?

Tout d’abord, certaines personnalités qui avaient soutenu le projet d’audit dès le départ étaient devenues des membres du nouveau gouvernement Syriza fin janvier 2015. Nikolaos Chountis, qui avait mandaté début janvier 2015 avec l’accord d’Alexis Tsipras, un fonctionnaire européen grec à la retraite – Georges Caravelis – pour travailler avec moi à la préparation d’un audit, avait été nommé vice-ministre en charge des Relations avec les institutions européennes. Panagiotis Lafazanis, l’un des six « super ministres » dans la hiérarchie protocolaire du premier gouvernement Tsipras, avait soutenu dès 2011 l’audit citoyen de la dette et était pour une suspension du paiement [66]. Nadia Valavani, que j’avais connue en 2011, était devenue vice-ministre des Finances. Rania Antonopoulos, une professeure à l’institut Lévy à New York, était devenue vice-ministre en charge de la Lutte contre le chômage [67]. Elle m’avait écrit quelques jours avant les élections du 25 janvier pour me dire qu’elle était d’accord avec ma proposition d’audit. Dimitris Stratoulis était vice-ministre en charge des Retraites et Costas Isychos, que je connaissais depuis mars 2011 et avec lequel j’avais des contacts réguliers, était vice-ministre en charge de la Défense. Enfin, le juriste Georges Katroúgalos [68], membre actif de l’audit citoyen de la dette (ELE) et avec qui j’entretenais des échanges très régulièrement depuis mai 2011, avait été nommé vice-ministre de la Réforme administrative. Je l’ai rencontré dès mon arrivée à Athènes le 13 février 2015, je lui ai demandé à être mis en contact avec la nouvelle présidente du Parlement grec afin d’installer une commission d’audit. Zoé Konstantopoulou venait d’être élue présidente du Parlement avec 290 voix, soit plus de 90 % des députés. Par l’intermédiaire de G. Katroúgalos, elle a répondu immédiatement de façon positive.

Je l’ai rencontrée le 16 février 2015 pour lui proposer de réunir une équipe d’audit afin de se mettre au travail bénévolement. Elle m’a dit qu’elle comptait sur moi, cela s’est fait en une heure. À la fin de notre rencontre, elle a convoqué la presse du Parlement et publié un communiqué sur le site du Parlement dans l’heure qui a suivi, où elle a dit qu’elle m’avait rencontré et qu’elle avait discuté de la mise en place d’une commission d’audit… [69] En tant que présidente du Parlement, elle occupait un poste important dans la hiérarchie (le troisième, après le président et le Premier ministre), et surtout elle avait la confiance de Tsipras avec qui elle s’entendait très bien. Néanmoins, tout cela semblait encore reposer sur un édifice fragile : en mars-avril, Zoé Konstantopoulou et Georges Katroúgalos étaient les bêtes noires de la presse et de la droite grecques. Zoé Konstantopoulou était dépeinte comme une irresponsable. Katroúgalos m’a confié le 3 avril 2015 : « Écoute, à la réunion publique de démarrage de l’audit qui va avoir lieu au Parlement demain, je crains qu’il n’y ait aucun ministre à part moi, et qu’il n’y ait pas de soutien véritable à cette initiative. » Je vois Zoé au milieu de la nuit, elle me dit : « Alexis Tsipras sera là demain matin, le président de la République sera là demain matin, et une majorité de ministres seront là demain matin… ». Après une mauvaise nuit, je découvre qu’effectivement sont en séance le président de la République, la présidente du Parlement, le Premier ministre et une dizaine de ministres, y compris le ministre de la Défense Panos Kamenos, le président des Grecs indépendants. La présidente du Parlement grec avait obtenu un soutien officiel pour la commission d’audit ! Il est clair que Zoé Konstantopoulou a joué un rôle décisif concernant la décision de réaliser l’audit. Elle a obtenu le feu vert d’Alexis Tsipras avec qui, à ce moment-là, elle entretenait d’excellentes relations et elle a appuyé constamment nos travaux.

Eric Toussaint et Alexis Tsipras au lancement officiel des travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette au parlement grec le 4 avril 2015. Juste à gauche de A. Tsipras, Panos Kamenos, président des Grecs indépendants et ministre de la Défense


Vous vous mettez donc au travail, quelles sont vos urgences ?

La commission était composée de 15 étrangers (provenant de 10 pays différents répartis sur 3 continents) et de 15 Grecs. Zoé Konstantopoulou m’avait confié la tâche de définir la composition de la commission en ce qui concerne les membres étrangers et j’ai fait des propositions concernant 7 ou 8 membres grecs que je connaissais depuis des années pour leur engagement dans le travail d’audit citoyen. Zoé Konstantopoulou et moi avons fait le maximum pour réunir des personnes capables d’assumer pleinement et bénévolement la lourde charge qui incombait à la commission. Différentes compétences et expériences étaient réunies dans plusieurs domaines importants pour notre travail : droit international, droit constitutionnel, droits humains, audit des comptes publics, finances privées dont banques, économie internationale, banque centrale, statistiques, etc. Plus de la moitié des membres combinaient une de ces compétences avec une expérience en matière de mouvements sociaux. Pendant deux mois et demi, nous avons tenu des réunions de travail. Dans un premier temps, il s’est agi d’élaborer les termes de référence de l’audit et de se partager le travail de recherche. Nous avons défini les critères – tirés du droit national et international – que nous allions utiliser pour identifier les dettes illégitimes, illégales, insoutenables ou odieuses [70]. Vu la diversité des points de vue et des compétences au sein de la commission, ce travail d’élaboration de la méthodologie et d’adoption des définitions a été mené avec un très grand soin afin d’arriver à un consensus. Ensuite, nous nous sommes répartis en plusieurs sous- groupes chargés d’auditer les dettes réclamées à la Grèce et de produire les différents chapitres du rapport que nous voulions présenter à la mi-juin 2015.

Nous avons réalisé des auditions publiques. Par exemple, nous avons fait venir Panagiotis Roumeliotis [71], le représentant de la Grèce au FMI pour la période 2010-2011, et Philippe Legrain [72], qui, de 2011 à 2014, a été conseiller de J. M. Barroso, l’ancien président de la Commission européenne. Nous nous sommes également déplacés au ministère de la Défense afin d’analyser avec le ministre et ses conseillers les cas les plus manifestes de dettes illégitimes et illégales. De même, nous nous sommes rendus à la Banque centrale. Lors de nos séances publiques, une douzaine de ministres, le président de la République, le Premier ministre, le responsable du service scientifique du Parlement ont pris la parole.
Pour la période 2000-2015, nous avons étudié toutes les dettes telles qu’elles sont réclamées par les créanciers actuels de la Grèce, dans quelles conditions elles ont été contractées, etc.

Nous avons rédigé en deux mois et demi en anglais un rapport composé de 9 chapitres. Cela représente plus de 1500 heures de travail réalisées gratuitement sur une période de 10 semaines si l’on prend en compte les contributions des différents membres. Le rapport a été adopté par la commission début juin et a été traduit en grec en une semaine afin de pouvoir être présenté lors d’une séance publique les 17 et 18 juin 2015. Lors de cette séance publique, présidée par Zoé Konstantopoulou, étaient présents le Premier ministre, une douzaine de membres du gouvernement, des parlementaires d’Europe, deux parlementaires argentins, un parlementaire tunisien, des délégués des mouvements sociaux européens et grecs.

Plus d’un an après la publication du rapport, il est tout à fait évident que nos conclusions sont corroborées par de multiples révélations, par l’évolution de la situation en Grèce et dans l’eurozone, par des études publiées par différentes institutions internationales, que ce soit le bureau indépendant d’évaluation du FMI [73] ou l’European School of Management and Technology de Berlin [74].


Quelles étaient vos relations avec le gouvernement ?

Au cours de nos travaux, un fossé grandissait entre ce que nous faisions et ce à quoi consentait, de son côté, le gouvernement à l’égard des créanciers et des institutions européennes. Alors que 7 milliards d’euros étaient utilisés pour rembourser la dette au FMI, à la BCE et aux banques privées, le gouvernement dépensait à peine 200 millions d’euros pour résoudre les problèmes de la crise humanitaire : les problèmes de santé, les problèmes posés aux retraités, les 300 000 familles qui n’avaient plus de raccordement électrique.

Yanis Varoufakis témoigne dans un livre publié en 2016 qu’il trouvait répugnant d’accorder une garantie de 50 milliards aux banques grecques, garantie exigible à tout moment, alors que les dépenses sociales étaient très réduites. Il écrit : « À tout moment, mes signatures garantissaient plus de 50 milliards d’euros de dettes aux banques privées, alors que notre État ne pouvait gratter quelques centaines de millions d’euros pour financer nos hôpitaux publics, nos écoles ou les pensions des retraités grecs » [75]. Il est clair qu’il fallait faire d’autres choix. Personnellement, j’étais convaincu que l’orientation prise par Tsipras conduisait à l’échec.

J’exprimais régulièrement mes doutes auprès de la présidente du Parlement grec qui, de son côté, tentait en vain de convaincre Alexis Tsipras et d’autres dirigeants de Syriza de radicaliser leur position. J’en parlais également avec les membres de la commission, avec certains membres du gouvernement, avec des journalistes de confiance, avec toute une série de militants tant de Syriza que d’autres forces politiques de la gauche radicale notamment des camarades actifs dans Antarsya qui regroupe une douzaine de partis à la gauche de Syriza. Le 15 mai 2015, j’ai rendu visite à Dimitris Stratoulis, vice-ministre en charge des Retraites, pour apporter le soutien de la commission à son refus de céder aux pressions des créanciers et d’une partie du gouvernement. Voici un extrait de la déclaration publique que j’ai faite à l’issue de cette rencontre : « Il est clair qu’il y a une relation directe entre les conditions imposées par la Troïka et l’augmentation de la dette publique depuis 2010. Le comité pour la vérité sur la dette grecque va produire en juin 2015 un rapport préliminaire dans lequel le caractère illégitime et illégal de la dette réclamée à la Grèce sera évalué. Il y a des preuves évidentes de violations de la constitution grecque et des traités internationaux garantissant les droits humains. Le comité considère qu’il y a une relation directe entre les politiques imposées par les créanciers et l’appauvrissement d’une majorité de la population ainsi que la baisse de 25% du PIB depuis 2010. Par exemple, les fonds de pension Fonds de pension Fonds d’investissement, appelé aussi fonds de retraite, qui a pour vocation de gérer un régime de retraite par capitalisation. Un fonds de pension est alimenté par l’épargne des salariés d’une ou plusieurs entreprises, épargne souvent complétée par l’entreprise ; il a pour mission de verser des pensions aux salariés adhérents du fonds. Les fonds de pension gèrent des capitaux très importants, qui sont généralement investis sur les marchés boursiers et financiers. publics ont subi d’énormes pertes suite à la restructuration de la dette grecque organisée en 2012 par la Troïka. Celle-ci a imposé une perte de 16 à 17 milliards d’euros par rapport à leur valeur originale de 31 milliards d’euros. Les revenus du système de sécurité sociale ont aussi souffert directement à cause de l’augmentation du chômage et de la réduction des salaires comme conséquences des mesures imposées par la Troïka. La dette grecque n’est pas soutenable, pas seulement d’un point de vue financier, puisque c’est clair que la Grèce est par essence incapable de la rembourser, mais elle est aussi insoutenable du point de vue des droits humains. Plusieurs juristes spécialistes en matière de droit international considèrent que la Grèce peut se déclarer en état de nécessité. Selon le droit international, quand un pays est en état de nécessité il a la possibilité de suspendre le remboursement de sa dette de manière unilatérale (sans accumuler des arriérés d’intérêt) en vue de garantir à ses citoyens les droits humains fondamentaux, tels que l’éducation, la santé, la nourriture, des retraites décentes, des emplois... [76] » J’ai fait cette déclaration après en avoir parlé avec Dimitris Stratoulis, afin de soutenir comme je le pouvais ceux qui dans le gouvernement poussaient à la suspension de paiement. De son côté, Dimitris Stratoulis a donné un maximum d’écho à notre rencontre car il cherchait des soutiens face aux pressions qu’exerçait sur lui le noyau autour d’Alexis Tsipras.
Bien que cela n’apparaissait pas publiquement, le gouvernement était divisé : 6 ministres et vice ministres étaient pour la suspension du paiement de la dette (parmi lesquels se trouvaient P. Lafazanis, C. Isychos, D. Stratoulis, N. Valavani, N. Chountis,…), ils refusaient aussi les concessions en matière de privatisation (Lafazanis refusait de communiquer une série d’informations demandées par les créanciers et relayées par Tsipras et Varoufakis. Lafazanis en particulier s’opposait à la privatisation du secteur de l’énergie dont il avait la charge) et la volonté d’aller vers de nouvelles restrictions en matière de retraite. Zoe Konstantopoulou résistait également à certaines pressions de Tsipras. Un exemple : celui-ci lui avait demandé de transférer ce qui était disponible dans la caisse du parlement, à savoir 80 millions €. Tsipras lui a dit que c’était pour payer les retraites. Zoe Konstantopoulou a téléphoné séance tenante à Dimitris Stratoulis pour lui demander s’il avait besoin de cette somme pour assurer le paiement des pensions. Stratoulis lui a répondu que le problème était résolu et que les pensions seraient payées normalement. Du coup, Zoe Konstantopoulou s’est rendue compte que Tsipras avait utilisé ce prétexte afin de la convaincre d’alimenter la caisse qui servait en réalité à rembourser la dette. Elle a refusé de réaliser le transfert demandé.


Comment la popularité de l’audit s’est-elle construite ?

Un moment phare fut l’audition de Panayiotis Rouméliotis, l’ancien négociateur de la Grèce au FMI, qui est un des hommes de confiance de l’ancien Premier ministre du Pasok, Papandréou, et un ami personnel de Dominique Strauss-Kahn avec qui il a étudié à Paris. J’ai eu un contact en tête-à-tête avec lui et lui ai montré que j’avais des documents secrets du FMI, et notamment les notes d’une réunion, que j’avais obtenues grâce à la présidente du Parlement qui avait décidé de déclassifier ces documents. Trop explosifs, ils avaient été mis sous le boisseau par l’ancien président du Parlement grec alors qu’ils faisaient partie d’une enquête ouverte lors de la précédente législature sur des affaires criminelles en matière financière. Ces documents prouvaient qu’à la réunion du 9 mai 2010 au cours de laquelle le FMI a pris la décision de prêter 30 milliards d’euros à la Grèce (soit 32 fois le montant auquel le pays avait normalement le droit), plusieurs directeurs exécutifs considéraient que l’aide apportée par le FMI était avant tout une aide aux banques françaises et allemandes [77]. Cela a été très clairement dénoncé tant par le représentant du Brésil à la direction du FMI que par le représentant suisse ! Pour répondre à ces objections quant à la finalité réelle des prêts du FMI à la Grèce, les directeurs exécutifs français, allemand et hollandais ont répondu, en séance, que les banques de leur pays ne se désengageraient pas de la Grèce. Voici la déclaration faite par le directeur exécutif français lors de cette réunion : « Il y a eu une réunion plus tôt cette semaine entre les grandes banques françaises et mon ministre, Mme Lagarde [78]. Je voudrais insister sur la déclaration publiée à l’issue de cette réunion, selon laquelle les banques françaises s’engagent à maintenir leur exposition à la Grèce durant toute la durée du programme ». Le directeur exécutif allemand a affirmé : « (…) les banques [allemandes] ont l’intention de maintenir une certaine exposition aux banques grecques, ce qui signifie qu’elles ne vendront pas d’obligations grecques et maintiendront des lignes de crédit à la Grèce. Quand celles-ci arriveront à échéance, elles seront renouvelées, au moins en partie ». Le représentant hollandais a lui aussi fait des promesses : « Les banques hollandaises ont eu des discussions avec notre ministre des Finances et ont publiquement annoncé qu’elles joueraient leur rôle pour soutenir le gouvernement et les banques grecques ». Il est avéré que ces trois dirigeants ont menti délibérément à leurs collègues afin de les convaincre de voter en faveur du prêt du FMI à la Grèce [79]. Le prêt n’était pas destiné à redresser l’économie grecque ou à aider le peuple grec, l’argent a servi à rembourser les banques françaises, allemandes, hollandaises qui, à elles seules, détenaient plus de 70 % de la dette grecque au moment de la décision. Alors qu’elles se faisaient rembourser, les banques refusaient de continuer à prêter à la Grèce et elles revendaient les anciens titres qui n’étaient pas encore venus à échéance sur le marché secondaire. La BCE dirigée par le français Trichet les y aidait en leur achetant des titres grecs. Elles ont fait exactement le contraire de ce que les dirigeants allemand, français et hollandais au FMI avaient déclaré. Il faut ajouter qu’au cours de cette même séance de mai 2010, plusieurs directeurs exécutifs ont critiqué le fait que la direction du FMI a fait changer en catimini le règlement du FMI sur la conditionnalité des prêts [80] : jusque-là, le FMI ne pouvait octroyer un prêt à un pays que si, en prêtant à ce pays, la dette devenait soutenable. Comme la direction savait parfaitement qu’en prêtant 30 milliards d’euros à la Grèce sans réaliser de réduction de la dette, celle-ci ne deviendrait pas soutenable, voire deviendrait encore plus insoutenable, ce règlement a été modifié. Ils ont adopté un autre critère sans le soumettre à délibération : on prête à un pays si le fait de lui prêter de l’argent peut éviter une crise bancaire internationale. Ce qui constitue, à nos yeux, la preuve que la menace, c’était la faillite des banques françaises et allemandes qui avaient trop prêté tant au secteur privé qu’aux pouvoirs publics grecs, dans le but de faire des profits énormes, et sans appliquer des mesures de précaution qu’elles auraient dû appliquer, en limitant les prêts aux agents grecs qu’ils soient privés ou publics.

Concernant la critique de l’ensemble du programme imposé à la Grèce par le FMI, cela vaut la peine de citer partiellement l’intervention du représentant argentin lors de cette réunion de mai 2010. Le représentant argentin a expliqué que le type de politique que le FMI voulait imposer à la Grèce ne fonctionnerait pas. Pablo Pereira, le représentant argentin, critique sans ambages l’orientation passée et présente du FMI : « Les dures leçons de nos propres crises passées sont difficiles à oublier. En 2001, des politiques similaires ont été proposées par le Fonds en Argentine. Ses conséquences catastrophiques sont bien connues (...) Il y a une réalité qui ne fait aucun doute et qui ne peut être contestée : une dette qui ne peut pas être payée ne sera pas payée sans une croissance soutenue (...) Nous savons trop bien quels sont les effets des « réformes structurelles » ou des politiques d’ajustement qui finissent par déprimer la demande globale et, par conséquent, les perspectives de reprise économique (...) Il est très probable que la Grèce finisse plus mal en point après la mise en œuvre de ce programme. Les mesures d’ajustement recommandées par le Fonds vont réduire le bien-être de sa population et la capacité réelle de remboursement de la Grèce ». [81]

P. Rouméliotis a donc témoigné devant la commission sur toute cette affaire lors de la séance publique du 15 juin 2015. Je l’ai interrogé, la présidente du Parlement aussi, il nous a répondu… puis des membres de la commission l’ont interrogé, il leur a répondu. Cette audition publique, tout à fait exceptionnelle, a duré 8 heures. P. Roumeliotis a reconnu devant la Commission qu’ : « Il y a eu des rencontres secrètes, dans des hôtels, entre des représentants du FMI et des représentants français et allemands pour discuter de la participation des banques à une éventuelle restructuration. Ces discussions ont eu lieu avant la décision du premier mémorandum et elles ont abouti au choix de ne pas restructurer » [82]. C’était, comme toutes les séances importantes de la commission, retransmis en direct à la télévision, sur la chaîne du Parlement qui a vu exploser son taux d’audience. Les médias privés qui boycottaient au départ les travaux de la commission et nous traitaient comme des rigolos s’y sont intéressés parce que des annonceurs publicitaires les ont alertés. Le 17 juin 2015, lors de mon exposé introductif à la présentation publique des résultats des travaux de la commission, j’ai résumé l’analyse que nous faisions des raisons profondes de la mise en place du premier mémorandum imposé au peuple à partir de mai 2010. On peut voir cette intervention ici, elle a eu beaucoup d’écho.

Alexis Tsipras, Eric Toussaint et Zoe Konstantopoulou lors de la présentation du rapport de la Commission le 17 juin 2015 au parlement grec

 L’acte souverain : la fin du système-dette de privatisation des bénéfices et de socialisation des pertes


Quel est l’apport majeur de l’audit dans le cas de la Grèce ?

La commission pour la vérité sur la dette démontre que les dettes contractées par la Grèce auprès de la Troïka au cours des trois mémorandums successifs l’ont été à la condition expresse de violer des droits garantis par toute une série de pactes, de traités et de conventions internationales en matière de droits économiques, sociaux, culturels, civils et politiques. Le rapport de la commission énumère une série de violations précises (voir le chapitre 6).

Plus largement, l’apport principal de l’audit a été de rompre, preuve à l’appui, avec une narration politique dominante de la crise grecque élaborée par la Troïka, par les différents gouvernements de l’UE et par les médias dominants. L’explication qui a été donnée est totalement contraire à la vérité qu’a fait éclater l’audit. Selon la narration dominante, la dette publique aurait atteint un niveau insoutenable suite à l’excès de dépenses publiques, à cause d’un État social beaucoup trop développé, d’un système de retraites trop avantageux, ou encore en raison d’une incapacité, par essence, à collecter l’impôt. Or nous montrons dans le rapport d’audit que ce qui est frappant avant tout, c’est l’explosion de la dette privée, phénomène qui déborde largement le cas grec. Au début des années 2000, les grandes banques françaises, allemandes et d’autres pays dits du « centre économique » de l’Europe ont déversé des quantités énormes de flux financiers vers les pays de la Périphérie au sein de l’UE en général et en particulier au sein de la zone euro. Cela s’est accéléré avec l’entrée de la Grèce dans la zone euro, parce que les grandes banques françaises et allemandes avaient la certitude qu’en cas de problème, il n’y aurait pas de dévaluation Dévaluation Modification à la baisse du taux de change d’une monnaie par rapport aux autres. et pas de pertes. Les banquiers français et allemands étaient les plus intéressés à prêter à des agents grecs, privés principalement et non pas publics. Ils considéraient que leurs prêts seraient garantis ensuite par leur gouvernement, par la Banque centrale européenne et par la Commission européenne qui feraient le nécessaire, en cas de problème, pour venir en aide aux créanciers. Ce qui s’est effectivement passé. À noter que des flux massifs de capitaux financiers se sont également dirigés vers l’Espagne, le Portugal, la Slovénie, l’Irlande.


Y a-t-il ici une continuité avec le cas d’autres dettes odieuses, illégitimes de pays dits « en voie de développement » ?

Oui, et comme à d’autres moments de l’histoire, à un moment donné, les flux s’arrêtent, généralement pour des raisons propres aux pays du Centre et également liées à des circonstances dans les pays de la Périphérie. On avait donc une augmentation énorme de la dette privée. Alors qui s’endettait en Grèce ? Qui est derrière cette dette privée ? C’étaient les ménages grecs stimulés par les offres alléchantes des banques grecques, ou même des banques allemandes et des banques françaises qui leur prêtaient directement. C’étaient les entreprises non financières grecques qui empruntaient aussi massivement à l’étranger et à bon compte. C’étaient aussi les banques grecques qui s’endettaient auprès des banques françaises et allemandes pour ensuite faire des prêts aux ménages et aux entreprises. Bien sûr, il y a eu un endettement public qui a crû suite à des dépenses militaires trop élevées, notamment encouragées par les fournisseurs d’armes privés allemands, français et nord-américains. Ceci dit, il est très clair que la dette privée a augmenté beaucoup plus vite et beaucoup plus fort que la dette publique. La situation critique qu’a vécu la Grèce à la fin 2009, ce n’était pas le risque d’un défaut immédiat de la Grèce sur le paiement de sa dette souveraine. Le risque, c’était l’incapacité des différents agents grecs privés qui s’étaient endettés à continuer le remboursement. C’est ce contexte de la possibilité d’une crise majeure des banques grecques, et les conséquences négatives sur les banques françaises et allemandes (et même américaines !) qui a poussé la Troïka à intervenir.


En somme, on a une causalité financière et bancaire plutôt qu’une causalité budgétaire ou liée aux finances publiques ?

Oui, et c’est là qu’opère le récit, car pour expliquer la nécessité d’apporter 110 milliards d’euros à la Grèce, pour sauver les systèmes financiers grec, français et allemand, il fallait une narration acceptable pour l’opinion publique. Et il n’était pas possible de dire en 2010, de la part des autorités européennes et du FMI, qu’on allait sauver les banquiers. On l’avait déjà fait depuis 2007-2008, l’opinion publique en avait assez. Il fallait à la Troïka une autre explication centrée sur le fait que « les pouvoirs publics grecs ont trop dépensé ». Papandréou a falsifié les statistiques grecques en passant un accord avec la direction de l’Office de statistiques grecques pour exagérer le déficit de l’État grec, pour augmenter le montant de la dette publique grecque et le pourcentage de la dette par rapport au PIB, en intégrant dans la dette des éléments qui ne devaient pas y être et qui étaient en contradiction avec les normes comptables européennes d’Eurostat. Cela fait l’objet de procédures judiciaires encore en cours en Grèce, avec des preuves absolument claires et nettes.

Conférence de presse de la commission pour la vérité sur la dette du 25 septembre 2015


Quelles issues « par le haut » propose l’audit ?

Le droit international permet à des États confrontés à une attitude injuste ( unfair en anglais), malhonnête, des créanciers et des autorités qui réclament le paiement d’une dette, de recourir à des « contre-mesures », i.e. des mesures souveraines et unilatérales d’auto-défense : suspension de paiement, dénonciation des contrats de dette, mais aussi répudiation de la dette illégitime, illégale, insoutenable et/ou odieuse.


Quels soutiens vous ont manqué en Grèce à part ceux que tu as soulignés plus haut du côté du noyau autour d’Alexis Tsipras ?

En Grèce, une série de forces politiques radicales ont dit : « Pourquoi auditer la dette ? La dette il faut l’annuler, l’auditer c’est une forme de légitimation de la dette ». Et de ce fait, les représentants de ces forces ont quitté le mouvement dès 2011 ou ont tout simplement refusé de soutenir une initiative d’audit citoyen de la dette. La majorité de la gauche radicale a décidé de ne pas soutenir l’audit citoyen de la dette (que ce soit la coalition de gauche radicale Antarsya, une bonne partie de Syriza ou le parti communiste qui est allé jusqu’à nous traiter en ennemis). Heureusement, il y avait des militants et militantes de certaines organisations de gauche qui se sont engagés à fond dans le combat avec nous (une partie de Syriza, quelques militants du NAR membres d’Antarsya, des syndicalistes), mais la plupart des membres de la commission étaient des individus ou des organisations citoyennes se mobilisant sur la question de la dette, sans avoir le soutien d’organisations politiques. On attend toujours des organisations politiques qui ont refusé de soutenir l’audit de la dette en Grèce qu’elles nous disent, après avoir lu les rapports produits en juin (voir le Rapport Préliminaire de la Commission) et en septembre 2015 (voir Analyse de la légalité du mémorandum d’août 2015 et de l’accord de prêt en droit grec et international), si notre travail a servi à légitimer une partie de la dette ou non. Ce qui est certain c’est que si ces organisations, au lieu de nous critiquer ou de se contenter de rester au balcon, avaient participé à l’audit en présentant des arguments en faveur de l’annulation, cela aurait certainement renforcé celles et ceux qui voulaient mettre réellement en œuvre une politique alternative à la capitulation d’Alexis Tsipras et de son gouvernement. On attend également une explication de la part de Yanis Varoufakis : pourquoi à aucun moment en tant que ministre ne s’est-il publiquement appuyé sur le travail de la commission pour remettre en cause l’attitude des institutions européennes et du FMI ? Pourquoi a-t-il accepté de rembourser la dette et de vider les caisses de tout le secteur public ? Pourquoi n’a-t-il pas réellement collaboré avec la commission bien qu’il l’ait promis lorsqu’il est intervenu en séance publique le 4 avril 2015 lors du début des travaux de la commission ? Yanis Varoufakis s’est opposé à la capitulation et cela fait une grande différence par rapport à Alexis Tsipras, Y. Dragazakis, G. Katrougalos, E. Tsakalotos, etc., mais s’il avait adopté une autre attitude dès fin février 2015, les évènements auraient pu se dérouler autrement. La victoire du « Non » lors du référendum du 5 juillet 2015 montre que le peuple grec avait la volonté de s’opposer aux exigences des créanciers.


Quelles leçons après cette capitulation ?

Deux leçons principales pour l’avenir :

  1. La nécessité pour tout gouvernement populaire (ou pour toute force de gauche qui prétend participer à un gouvernement) de résister aux créanciers, de désobéir aux institutions et aux traités européens, de s’appuyer sur des mobilisations populaires et de respecter la volonté du peuple.
  2. La nécessité pour ceux et celles d’en bas de maintenir une pression maximale sur les gouvernements considérés comme amis afin qu’ils ne capitulent pas et qu’ils mettent réellement en œuvre un authentique programme alternatif.


Annuler la dette illégitime, est-ce suffisant ?

Résoudre le problème de la dette illégitime, c’est une des conditions sine qua non d’une rupture avec les politiques austéritaires, mais ce n’est pas la seule. Une alternative doit consister en un plan intégré et cohérent qui comprend l’audit et la suspension du paiement de la dette ; la résolution de la crise des banques, qui passe par leur socialisation (en Grèce, cela aurait dû passer par la mise en faillite des banques privées et la création d’un système bancaire public socialisé, sain, en protégeant les dépôts) ; le lancement d’une monnaie complémentaire afin d’atteindre plusieurs objectifs (réactiver l’économie locale, assurer une série de paiements qui ne nécessitent pas l’utilisation de l’euro, augmenter les retraites et les salaires, augmenter les aides financières aux victimes les plus affectées par la crise) ; des mesures fiscales très fortes pour faire payer les riches et diminuer le poids fiscal sur les pauvres ; l’abrogation des mesures injustes socialement ; l’arrêt des privatisations, la déprivatisation ; le renforcement des services publics ; la répartition du temps de travail ; des mesures pour avancer vers la transition écologique. S’il s’agit de sortir de l’euro, il faut combiner la sortie avec une réforme monétaire redistributive (voir la fin du texte Une alternative pour la Grèce). Il faut aussi se lancer dans un processus constituant pour modifier de manière démocratique la constitution du pays. Dans nos pays, il faut à la fois changer les constitutions nationales et il faut refonder l’Europe. Cela passe par l’abrogation des traités inacceptables. L’Union européenne n’est pas réformable. La question du processus constituant implique une grande participation populaire : les citoyens et citoyennes doivent redevenir maîtres de la question politique et des choix politiques ; et pour redevenir maîtres, il faut pouvoir redéfinir de fond en comble les Constitutions. Voilà une des leçons positives que l’on devrait aller chercher du côté de l’Amérique latine, ces processus constituants très riches, tant au Venezuela (1999), qu’en Bolivie (2006-2008) ou en Équateur (2007-2008), qui ont permis d’ailleurs d’intégrer dans les trois constitutions un mécanisme de révocation démocratique de tous les mandataires publics. Ajoutons que la nouvelle constitution équatorienne contient l’interdiction totale de socialiser des dettes privées.


Les actions contre les dettes illégitimes se poursuivent ?

Le CADTM réalise un effort de divulgation des résultats des travaux de la commission pour la vérité sur la dette grecque. Le CADTM a traduit le rapport en français et fait publier celui-ci sous forme de livre. Des traductions ont également été réalisées en espagnol (par des membres de la plateforme d’audit citoyen et du CADTM), en allemand (par des membres d’ATTAC Allemagne), en italien (par ATTAC Italie, membre du réseau CADTM), et, partiellement, en slovène, en portugais, etc. Plusieurs vidéos circulent et rencontrent un important écho [83].

Dans plusieurs pays, des initiatives sont prises pour agir contre les dettes illégitimes : à Puerto Rico, ce pays qui est dans un rapport quasi colonial avec les Etats-Unis, est en cours une initiative d’audit de la dette et plusieurs mouvements poussent à l’adoption de politiques de résistance face au paiement de la dette à l’égard des banques de l’oncle Sam ; en Espagne, dans plusieurs municipalités (Madrid, Barcelone, Oviedo, Cadix,…) et dans des communautés autonomes (Catalogne,…) des processus d’audit de la dette à participation citoyenne avancent (http://www.cadtm.org/Eric-Toussaint-En-Espagne-il-est) ; en Italie, un CADTM est créé en 2016 par plusieurs organisations qui unissent leurs efforts pour remettre en cause le paiement des dettes illégitimes ; en Tunisie, à l’initiative de Raid-ATTAC-CADTM Tunisie, 73 députés ont signé en juin 2016 une proposition de loi pour la mise en place d’une commission d’audit de la dette ; en Grèce, la commission pour la vérité sur la dette grecque poursuit ses travaux de manière tout à fait indépendante du gouvernement ; en Argentine, des actions sont menées par l’Assemblée pour la suspension de paiement et l’audit de la dette en défense du patrimoine national et des biens communs ; au Venezuela, a été créée par une série de forces et de personnalités de gauche une plateforme d’audit public et citoyen de la dette (http://www.cadtm.org/Venezuela-L-implosion-d-un-pays ; https://auditoria.org.ve ; http://www.cadtm.org/Que-pasa-si-Venezuela-no-paga-su ; http://www.cadtm.org/CADTM-AYNA-exhorta-y-ofrece-apoyo) ; des activités se poursuivent également en Ukraine, en Slovénie, au Portugal, etc.

En conclusion, il n’y a aucun doute sur notre volonté d’étendre les initiatives et les actions contre les dettes illégitimes.

Assemblée mondiale du réseau CADTM, Maroc 2013


Notes

[1Éric Toussaint, Thèse de doctorat en sciences politiques présentée en 2004 aux universités de Liège et de Paris VIII, Enjeux politiques de l’action de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international envers le tiers-monde, 2004. Téléchargeable sur http://www.cadtm.org/Enjeux-politiques-de-l-action-de. Voir aussi http://www.diffusiontheses.fr/50749-these-de-toussaint-eric.html

[2Voir Ernest Mandel, « La dynamique infernale de la spirale de l’endettement », Inprecor, avril 1986 Voir http://www.cadtm.org/1986-La-dynamique-infernale-de-la et http://www.ernestmandel.org/new/ecrits/article/la-dynamique-infernale-de-la

[6Eric Toussaint, « En souvenir d’Ahmed Ben Bella, 1er président de l’Algérie indépendante, décédé le 11 avril 2012 à l’âge de 96 ans », http://www.cadtm.org/En-souvenir-d-Ahmed-Ben-Bella-1er

[7Association Internationale de Techniciens, Experts et Chercheurs, http://aitec.reseau-ipam.org/spip.php?rubrique3

[8Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale, http://www.reseau-ipam.org/spip.php?page=rubrique&id_rubrique=47/

[11http://cadtm.org/Le-Rwanda-les-creanciers-du,5568 Article publié en 1997 : Eric Toussaint, « Rwanda : Les créanciers du génocide », 5 p., in Politique, La Revue, Paris, avril 1997.

[12Voir Chossudovsky Michel et Galand Pierre, L’usage de la dette extérieure du Rwanda (1990/1994). La responsabilité des bailleurs de fonds. La responsabilité des bailleurs de fond, Analyse et recommandations. Rapport préliminaire. Bruxelles - Ottawa, novembre 1996. http://www.cadtm.org/L-usage-de-la-dette-exterieure-du Voir aussi : CHOSSUDOVSKY, Michel et autres. 1995. « Rwanda, Somalie, ex Yougoslavie : conflits armés, génocide économique et responsabilités des institutions de Bretton Woods », 12 p., in Banque, FMI, OMC : ça suffit !, CADTM, Bruxelles, 1995, 182 p.

[13C’était notamment le cas de Genero Ollela du FLNC lumumbiste qui à son retour à Kinshasa a été intégré à l’Office des biens mal acquis (OBMA). Après un an, il s’est retrouvé en prison pour des raisons parfaitement injustes et, en tant que CADTM, on a fait pression pour obtenir sa libération.

[16CNCD-OPERATION 11.11.11, Pour une annulation des créances belges sur le République Démocratique du Congo, Bruxelles, 2002, 34 p.

[18Jacques de Larosière de Champfeu, né en 1929 à Paris, a été directeur général du Fonds monétaire international de 1978 à 1987. Ensuite, il a été gouverneur de la Banque de France (1987–1993). À partir de 1993, il a présidé la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD). La même année, le 3 mai 1993, il a été élu à la section générale de l’Académie des sciences morales et politiques, au fauteuil du cardinal Henri de Lubac. À partir de 1998, il a conseillé Michel Pébereau, président de BNP Paribas.

[19À propos de la complicité des firmes privées (dont des banques) des États-Unis voir Juan Pablo Bohoslavsky and Veerle Opgenhaffen, « The Past and Present of Corporate Complicity : Financing the Argentinean Dictatorship » http://harvardhrj.com/wp-content/uploads/2010/10/157-204.pdf Cette étude montre aussi l’implication du gouvernement des États-Unis dans le soutien à la dictature. A ce propos, l’administration Obama a commencé à dé-classifier une série de documents secrets en 2016, voir https://icontherecord.tumblr.com/post/148650765298/argentina-declassification-project

[23Ce renoncement à l’exercice de la souveraineté remonte à la dictature militaire mise en place à partir de 1976.

[24Sur l’Argentine et les fonds vautours, voir : Renaud Vivien, « Un vautour peut en cacher d’autres », carte blanche, Le Soir, 23 juin 2014 ; Jérôme Duval, Fatima Fafatale, « Les fonds vautours qui dépècent l’Argentine se jettent sur l’Espagne », 30 juillet 2014 ; Éric Toussaint, « Comment lutter contre les fonds vautours et l’impérialisme financier ? », 22 septembre 2014 ; Julia Goldenberg , Éric Toussaint, « Les fonds vautours sont une avant-garde », 7 octobre 2014

[25Voir le texte de la loi et de l’exposé des motifs : http://www.dekamer.be/FLWB/PDF/54/1057/54K1057001.pdf

[26Dans un autre contexte, Benjamin Lemoine montre de manière très convaincante que la France s’est financée durant plus de 20 ans après la seconde guerre mondiale sans recourir au marché. Voir : Benjamin Lemoine, L’ordre de la dette, Enquête sur les infortunes de l’État et la prospérité du marché (La Découverte, 2016). Voir également : http://www.cadtm.org/Refaire-de-la-dette-une-chose et http://www.cadtm.org/Livres-pour-l-ete-la-dette-pour

[28En 2004, le Parlement philippin a voté en faveur de la réalisation d’un audit mais la tentative a avorté.

[29En 2009, le ministre des Finances du gouvernement zimbabwéen, qui provenait de l’opposition de gauche au régime de Mugabe, a fait appel au CADTM pour lancer un audit de la dette. Le FMI a bloqué la concrétisation de ce projet.

[30Pour les échos de cette rencontre entre le président Lugo, son gouvernement et Eric Toussaint, des traductions en français d’articles parus dans la presse paraguayenne d’opposition en décembre 2008, voir : http://www.cadtm.org/Paraguay-Un-politologue-belge ; http://www.cadtm.org/Le-Belge-qui-s-est-reuni-avec-le ; http://www.cadtm.org/Paraguay-Le-pays-sera-touche-par. Voir aussi http://www.cadtm.org/Le-Paraguay-devrait-accelerer-les

[31Au moment de la signature du traité d’Itaipu en 1973, le Paraguay subissait la dictature du général Stroessner au pouvoir de 1954 à 1989, tandis que le Brésil était alors dirigé par la dictature de Garrastazú Medici (1969-1974).

[32Hugo Ruiz Diaz Balbuena et Eric Toussaint, « L’audit de la dette : un instrument dont les mouvements sociaux devraient se saisir », publié le 9 juillet 2004, http://cadtmtravaux.free.fr/?L-audit-de-la-dette-un-instrument Hugo Ruiz Diaz Balbuena est docteur en droit et a été responsable du département Droit du CADTM jusque 2005. A partir de 2008 et jusqu’au coup institutionnel qui a renversé le président Fernando Lugo en juin 2012, il a été un de ses proches conseillers. Voir aussi : Hugo Ruiz Diaz Balbuena, « La décision souveraine de déclarer la nullité de la dette » http://cadtmtravaux.free.fr/?La-decision-souveraine-de-declarer,3658 publié le 8 septembre 2008

[33Voir un commentaire sur l’accord signé entre le Paraguay et le Brésil en juillet 2009 : http://www.cadtm.org/Un-accord-historique-sur-Itaipu-ou

[37Voir CADTM, « Le CADTM salue l’initiative de la Norvège sur la dette et demande à tous les créanciers d’aller encore plus loin », http://www.cadtm.org/Le-CADTM-salue-l-initiative-de-la

[38Pour une biographie détaillée, voir en esp. : https://es.wikipedia.org/wiki/Ricardo_Pati%C3%B1o et en anglais : https://en.wikipedia.org/wiki/Ricardo_Pati%C3%B1o Cette biographie est fiable.

[39Eric Toussaint, Banque du Sud et nouvelle crise internationale, Liège-Paris, CADTM-Syllepse, 2008, Téléchargeable gratuitement : http://www.cadtm.org/Banque-du-Sud-et-nouvelle-crise

[401re Lettre ouverte aux Présidents de l’Argentine, de la Bolivie, du Brésil, de l’Équateur, du Paraguay, du Venezuela, http://www.cadtm.org/Lettre-ouverte-aux-Presidents-de-l , publiée le 26 juin 2007 et 2e lettre ouverte aux Présidents d’Argentine, de Bolivie, du Brésil, d’Équateur, du Paraguay, de l’Uruguay et du Venezuela, http://www.cadtm.org/2eme-lettre-ouverte-aux-Presidents , publiée le 11 janvier 2008

[41Voir le rapport final en anglais : CAIC, Final Report of the Integral Auditing of the Ecuadorian Debt - Executive Summary, 2008, http://www.cadtm.org/Final-Report-of-the-Integral
et en espagnol : http://www.cadtm.org/Informe-final-de-la-Auditoria
Voir aussi : Éric Toussaint, Hugo Arias Palacios, Aris Chatzistefanou - Vidéo : « L’audit de la dette en Équateur résumé en 7 minutes »

[42Cf. Le documentaire d’Aris Chatzistefanou « Debtocracy », dans lequel le témoignage de Toussaint occupe une place centrale.

[43Cette introduction a été traduite du grec par Marie-Laure Veilhan.

[44Voir le compte-rendu de la réunion du 29 septembre 2010, « Pour une coordination européenne de lutte contre la dette et les plans d’austérité ! », http://cadtm.org/Compte-rendu-de-la-reunion-du-29 et http://cadtm.org/Pour-une-coordination-europeenne.

[45Voir http://cadtm.org/Grece-Fondation-du-Comite-Grec. Il s’est doté d’un site en grec : http://www.contra-xreos.gr/

[46Cinq ans plus tard, Leonidas Vatikiotis a fait partie de la Commission pour la Vérité sur la dette grecque.

[47« Ouvrez les livres de compte de la dette publique ! », http://cadtm.org/Ouvrez-les-livres-de-compte-de-la

[48En janvier 2015, Costas Lapavitsas a été élu député au parlement grec sur la liste de Syriza. Suite à la capitulation, il a contribué à fonder l’Unité Populaire. Sa bio en anglais sur wikipedia : https://en.wikipedia.org/wiki/Costas_Lapavitsas

[49Article publié le 5 décembre 2010 par le quotidien Eleftherotypia, http://cadtm.org/Commission-Internationale-d-audit

[50En 2011, Ethnos tis Kyriakis, de centre-gauche, était le troisième quotidien grec en terme de tirage (100.000 exemplaires). Version en grec de l’interview publiée le 9 janvier 2011 : http://www.ethnos.gr/article.asp?catid=22770&subid=2&pubid=49752949 Version française : http://cadtm.org/Les-peuples-de-l-Europe-ont-aussi

[51James K. Galbraith, Crise grecque, tragédie européenne, Éditions du Seuil, Paris, 2016 http://www.seuil.com/ouvrage/crise-grecque-tragedie-europeenne-james-k-galbraith/9782021314847 Voir cet extrait de l’introduction : « Quand Georges Papandréou est devenu Premier ministre, en octobre 2009, j’ai été invité à lui rendre visite, à le conseiller et (surtout) à lui apporter mon soutien moral. Lors de ces multiples rencontres, mon rôle est resté limité. Papandréou avait fait campagne en promouvant un programme de protection sociale et de croissance économique que la crise du système financier et de la dette a rapidement mis à mal. Dès le mois de mai 2010, il est contraint d’accepter un plan d’austérité, en contrepartie d’un prêt colossal, pour éviter l’écroulement du système bancaire hellène, fortement exposé par ses investissements dans les dettes de l’État devenu insolvable » (p. 17). Cette dernière phrase présente une narration qui ne correspond pas à la réalité. Le système bancaire hellène n’était pas menacé d’écroulement à cause de son exposition aux dettes publiques grecques et l’État grec n’était pas devenu insolvable. Les banques grecques étaient principalement menacées par l’éclatement de la bulle du crédit privé qu’elles avaient contribué à générer avec les banques françaises, allemandes et hollandaises. Si les banques grecques s’effondraient, cela aurait entraîné de très grosses pertes pour les banques françaises, allemandes et hollandaises. Le plan dit de sauvetage que Papandréou a voulu, avec les autorités européennes et le FMI, était destiné à éviter au maximum de très lourdes pertes pour les banques françaises, allemandes, hollandaises et grecques. Au lieu du choix fait par Papandréou, les autorités européennes et le FMI, il aurait fallu imposer des pertes aux banques étrangères, socialiser le secteur et réduire radicalement la dette publique grecque. Ceci étant dit, malgré les critiques que j’adresse à la manière dont J. Galbraith présente ce qui s’est passé en 2010, je recommande la lecture de ce livre car il contient des informations tout à fait intéressantes

[52Dans un livre paru en 2016, Y. Varoufakis ne fait d’ailleurs aucune mention de la Commission pour la vérité sur la dette grecque. Il ne mentionne pas non plus l’action de la présidente du parlement grec, Zoé Konstantopoulou. Yanis Varoufakis, Et les faibles subissent ce qu’ils doivent ? Comment l’Europe de l’austérité menace la stabilité du monde, Les Liens qui Libèrent, Paris, 2016 http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-Et_les_faibles_subissent_ce_qu_ils_doivent__-481-1-1-0-1.html

[53Voir en grec : ΣχόλιαΓιάνης Βαρουφάκης Debtocracy : Γιατί δεν συνυπέγραψα http://www.protagon.gr/?i=protagon.el.article&id=6245, publié le 11 avril 2011.
Dans ce long texte, Varoufakis donne également son avis critique sur le documentaire Debtocracy.

[54Voir à propos de Debtocracy : « Dette : les Grecs et la Debtocracy ». http://cadtm.org/Dette-les-grecs-et-la-Debtocracy , publié le 13 juillet 2011. Dans le documentaire figurent notamment des interviews de Yanis Varoufakis, Costas Lapavitsas et de moi-même.

[55Nadia Valavani est une personnalité publique grecque respectée, notamment pour le courage dont elle a fait preuve dans la lutte contre la dictature des colonels, par exemple dans l’insurrection de l’institut polytechnique d’Athènes en 1973, durement réprimée par l’armée.

[56Voir le diaporama de mon exposé : Eric Toussaint, Greece : Symbol of Illegitimate Debt, publié le 12 mars 2011, http://www.cadtm.org/IMG/pdf/Debt_Crisis_Athens_SITE_March2011_EricToussaint.pdf Les principales propositions qui ressortaient de mon exposé sont exprimées dans ce texte : Eric Toussaint, Huit propositions urgentes pour une autre Europe, publié le 4 avril 2011, http://www.cadtm.org/Huit-propositions-urgentes-pour

[57Elena Papadopoulou and Gabriel Sakellaridis (eds.), The Political Economy of Public Debt and Austerity in the EU, Athens : Nissos Publications 2012, 290 p., ISBN : 9-789609-535465
Il est utile de reproduire la table des matières de ce livre intéressant car les noms d’acteurs clés de Syriza y apparaissent. Table des matières :
Elena Papadopoulou, Gabriel Sakellaridis (Gabriel S. a été porte-parole du groupe Syriza au parlement grec en 2015. Il a démissionné en décembre 2015 en désaccord avec l’application du 3e mémorandum. Il n’est plus membre de Syriza) : Introduction.
Section 1 - Understanding the European Debt Crisis in a Global Perspective
George Stathakis (George S. est ministre de l’économie dans le gouvernement Tsipras 2, il faisait partie de l’aile droite de Syriza et était totalement opposé à l’audit de la dette grecque. Fin 2015, la presse a révèlé qu’il aurait omis de déclarer au fisc 1,8 million d’euros et 38 biens immobiliers) : The World Public Debt Crisis. Brigitte Unger : Causes of the Debt Crisis : Greek Problem or Systemic Problem ?
Euclid Tsakalotos (ministre des finances depuis juillet 2015) : Crisis, Inequality and Capitalist Legitimacy. Dimitris Sotiropoulos : Thoughts on the On-going European Debt Crisis : A New Theoretical and Political Perspective
Section 2 - The Management of the Debt Crisis by the EU and the European Elites. Marica Frangakis : From Banking Crisis to Austerity in the EU - The Need for Solidarity. Jan Toporowski : Government Bonds and European Debt Markets. Riccardo Bellofiore : The Postman Always Rings Twice : The Euro Crisis inside the Global Crisis.
Section 3 - Facets of the Social and Political Consequences of the Crisis in Europe. Maria Karamessini : Global Economic Crisis and the European Union - Implications, Policies and Challenges
Giovanna Vertova : Women on the Verge of a Nervous Breakdown : The Gender Impact of the Crisis. Elisabeth Gauthier : The Rule of the Markets : Democracy in Shambles
Section 4 - The PIGS as (Scape)Goats. Portugal - Marianna Mortagua
Ireland - Daniel Finn
Greece - Eric Toussaint
Spain - Javier Navascues
Hungary - Tamas Morva
Section 5 - Overcoming the Crisis : The Imperative of Alternative Proposals. Yiannis Dragasakis (vice-premier minister des gouvernements Tsipras 1 et 2) : A Radical Solution only through a Common Left European Strategy. Kunibert Raffer : Insolvency Protection and Fairness for Greece : Implementing the Raffer Proposal. Pedro Páez Pérez : A Latin-American Perspective on Austerity Policies, Debt and the New Financial Architecture
Nicos Chountis (ex vice-ministre des relations avec les insitutions européennes dans le gouvernement Tsipras1, a été démissionné par Tsipras pour son refus de la capitulation et est eurodéputé de l’Unité Popualire depuis septembre 2015) : The Debt Crisis and the Alternative Strategies of the Left. Yanis Varoufakis (ministre des finances de janvier à juillet 2015) : A Modest Proposal for Overcoming the Euro Crisis.
Section 6 - The Crucial Role of the European Left - Political Interventions. Alexis Tsipras : A European Solution for a European Problem : The Debt Crisis as a Social Crisis.
Pierre Laurent : People Should Not Pay for the Crisis of Capitalism.
Le livre est disponible en PDF : http://www.cadtm.org/Public-Debt-and-Austerity-in-the

[58J’ai expliqué cela dans : « Grèce : pourquoi la capitulation ? Une autre voie est possible (texte de la vidéo avec notes explicatives) », publié le 27 août 2015 http://cadtm.org/Grece-pourquoi-la-capitulation-Une,12143

[59Voir Eric Toussaint : « Le peuple grec se trouve aujourd’hui à l’épicentre de la crise du capitalisme », http://www.cadtm.org/Eric-Toussaint-Le-peuple-grec-se

[60J’étais en compagnie d’Aris Vasilopoulos, militant de Kokkino, un courant dans Syriza, et de Yiorgos Mitralias, le responsable du Comité contre la Dette.

[63Sur Dragazakis et sur le bilan de Syriza, voir le point de vue de Stathis Kouvelakis dans la New Left Review de janvier-février 2016 : https://newleftreview.org/II/97/stathis-kouvelakis-syriza-s-rise-and-fall . Voir aussi le bilan tiré par Antonis Ntavanelos : http://www.anti-k.org/2015/12/19/premieres-reflexions-sur-un-bilan-de-notre-parcours-avec-syriza-i/

[64Voir « L’appel d’Alexis Tsipras pour une Conférence internationale sur la dette est légitime », http://www.cadtm.org/Eric-Toussaint-L-appel-d-Alexis, publié le 23 octobre 2014.

[65Eucide Tsakalotos, qui en 2014 était professeur d’économie au Royaume Uni, a remplacé à partir de juillet 2015 Varoufakis au poste de ministre des Finances. Il occupe toujours cette fonction en juillet 2016 dans le gouvernement Tsipras II.

[66P. Lafazanis est aujourd’hui le principal leader de l’Unité populaire, le mouvement qui a quitté Syriza fin août 2015. N. Chountis, membre lui aussi de l’Unité populaire, est devenu député européen en septembre 2015.

[67J’ai rencontré R. Antonopoulos pour la première fois en février 2015 alors qu’elle venait d’être intégrée au gouvernement d’A. Tsipras. Elle m’avait confirmé qu’elle appuierait le lancement d’un audit. Je l’ai rencontrée à nouveau en mai 2015. A cette occasion, elle m’a confié qu’elle était très déçue du fonctionnement du gouvernement car il n’y avait pas de véritable réunion de l’ensemble de celui-ci. Elle a ajouté qu’elle était en désaccord avec l’orientation trop modérée prise par le Premier ministre. Elle a affirmé soutenir le travail de la commission d’audit qui avait été créée par la présidente du Parlement en avril. Pourtant en juillet 2015, elle a accepté la capitulation. À la fin du moins de septembre, Tsipras l’a reconduite dans ses fonctions de vice-ministre en charge de la Lutte contre le chômage. Voir sa biographie en anglais : https://en.wikipedia.org/wiki/Rania_Antonopoulos et http://www.levyinstitute.org/scholars/rania-antonopoulos

[68G. Katroúgalos a accepté la capitulation de Tsipras et a été désigné ministre du Travail dans le gouvernement Tsipras II. Il a défendu la nouvelle contre-réforme des retraites adoptée en mai 2016. Voir l’article de Stathis Kouvelakis à propos de cette contre-réforme : http://www.cadtm.org/Grece-La-mort-sociale-des

[69Voir l’information en grec : http://www.antenna.gr/news/Politics/article/389448/synantisi-konstantopoyloy-me-eidiko-peri-tis-diagrafis-xreon-kraton Quatre jours plus tard, le 20 février 2015, lors d’une réunion du Bureau du Parlement Européen à Athènes, la présidente du parlement grec, Zoe Konstantopoulou a déclaré que « nous avons mis en route des initiatives pour auditer la dette grecque ». Étaient aussi présents Nikos Chountis (vice-ministre des affaires européennes), G. Papadimoulis (eurodéputé Syriza) et d’autres parlementaires européens. Voici la source de l’info en grec : http://left.gr/news/konstantopoyloy-dromologoyme-logistiko-elegho-toy-hreoys
Le 17 mars 2015, lors d’une conférence de presse organisée au parlement grec, Zoe Konstantopoulou, Sofia Sakorafa et moi-même annoncions la création de la commission d’audit http://www.cadtm.org/Annonce-officielle-de-la-creation

[70Rapport préliminaire de la Commission pour la vérité sur la dette publique grecque : http://cadtm.org/Rapport-preliminaire-de-la

[71Voir sa biographie en anglais sur Wikipedia : https://en.wikipedia.org/wiki/Panagiotis_Roumeliotis. Voir le compte-rendu de son audition par la commission : http://www.cadtm.org/Audition-de-Panagiotis-Roumeliotis

[72Voir sa biographie en anglais sur Wikipedia : https://en.wikipedia.org/wiki/Philippe_Legrain Voir le compte-rendu de son audition par la commission : http://www.cadtm.org/Audition-de-Philippe-Legrain-ex

[73Voir le rapport du « Bureau indépendant d’évaluation » du FMI (IEO, Independent Evaluation Office). Independent Evaluation Office, The IMF and the Crises in Greece, Ireland, and Portugal, July 2016. Voir également le document associé sur la Grèce : Charles Wyplosz et Silvia Sgherri, The IMF’s Role in Greece in the Context of the 2010 Stand-By Arrangement, IEO background paper, February 2016.

[74Rocholl, J., and A. Stahmer (2016). Where did the Greek bailout money go ? ESMT White Paper No. WP–16–02. https://www.esmt.org/where-did-greek-bailout-money-go

[75Yanis Varoufakis, Et les faibles subissent ce qu’ils doivent ? Comment l’Europe de l’austérité menace la stabilité du monde, Les Liens qui Libèrent, Paris, 2016, p. 225 http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-Et_les_faibles_subissent_ce_qu_ils_doivent__-481-1-1-0-1.html

[77Après que la Commission a rendu public les documents confidentiels les plus importants, tout a finalement été publié sur internet. Le verbatim : « Minutes of IMF Executive Board Meeting », May 9, 2010 ; le compte-rendu et le relevé de décisions : « Board meeting on Greece’s request for an SBA », Office memorandum, May 10, 2010. Grâce à notre travail d’enquête, ces documents sont devenus entièrement publics.

[78À l’époque, Christine Lagarde était encore ministre dans le gouvernement de Nicolas Sarkozy. C’est au cours de l’année 2011 qu’elle est devenue directrice générale du FMI suite à la démission forcée de Dominique Strauss Kahn.

[79Voir dans le résumé officiel de la réunion de la direction du FMI du 10 mai 2010, la fin du point 4 page 3, « The Dutch, French, and German chairs conveyed to the Board the commitments of their commercial banks to support Greece and broadly maintain their exposures.” http://gesd.free.fr/imfinter2010.pdf

[80Voir dans le résumé officiel de la réunion de la direction du FMI du 10 mai 2010, le point 7 page 3 qui indique très clairement que plusieurs membres de la direction du FMI reprochent à la direction générale d’avoir silencieusement changé les règles http://gesd.free.fr/imfinter2010.pdf

[81Source « Minutes of IMF Executive Board Meeting », May 9, 2010. Voir l’excellent article de Michel Husson sur toute cette affaire : Michel Husson, « Grèce : les « erreurs » du FMI » http://www.cadtm.org/Grece-les-erreurs-du-FMI

[82Emilie Paumard, « Audition de Panagiotis Roumeliotis du 15 juin 2015 », CADTM, 17 juin 2015. Ce témoignage de Roumeliotis est certes précieux, mais cela ne doit pas faire oublier ce qu’il écrivait en 2010 en tant que représentant de la Grèce : « Le programme comprend des mesures destinées à protéger les secteurs les plus vulnérables de la population. Mes autorités sont déterminées ą répartir le fardeau de l’ajustement de manière équitable et juste. La pression fiscale va augmenter pour les riches, tandis que les pensions et les allocations familiales minimales seront préservées (...) La forte implication des autorités dans la mise en œuvre du programme est soutenue par la grande majorité du peuple grec ». Source : « Statement by Panagiotis Roumeliotis, Alternate Executive Director for Greece » en annexe du document du staff du 9 mai 2010 cité dans la note 7.

[83La dernière en date a été réalisée par le CADTM en collaboration avec les productions du Pavé : http://www.cadtm.org/La-dette-grecque-une-tragedie,13738 Elle a été vue plus de 110 000 fois en 7 semaines. Voir aussi le documentaire réalisé par Philippe Menut, La tourmente grecque II – Chronique d’un coup d’État : www.cadtm.org/La-tourmente-grecque-II-Chronique

Eric Toussaint

Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.


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Stathis Kouvelakis

enseigne la philosophie politique au King’s College de l’université de Londres.
Membre de la rédaction de la revue Contretemps, il a dirigé l’ouvrage Y a t il une vie après le capitalisme ? (Le Temps des Cerises, 2008) et il est l’auteur de La France en révolte : Luttes sociales et cycles politiques (Textuel, 2007) et de Philosophie et révolution, De Kant à Marx (PUF, 2003). Il a été membre du comité central de SYRIZA jusqu’à l’été 2015 qu’il a quitté suite à la capitulation du gouvernement de Tsipras. Il a contribué à créer Unité Populaire.


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Benjamin Lemoine

est chercheur en sociologie au CNRS spécialisé sur la question de la dette publique et des liens entre les États et l’ordre financier.
Il est l’auteur de L’ordre de la dette, Enquête sur les infortunes de l’État et la prospérité du marché (La Découverte, 2016)


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Autres publications en français :

  • Afrique : le piège de la dette et comment en sortir
    9 décembre 2022 - CADTM
  • Nos vies valent plus que leurs crédits - Face aux dettes, des réponses féministes
    4 avril 2022 - Christine Vanden Daelen, Camille Bruneau
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    4 février 2022 - Eric Toussaint
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    14 août 2020 - ReCommons Europe