ING montre une voie sans issue

Article publié dans La Libre du 8 octobre 2016

10 octobre 2016 par Jérémie Cravatte , Frank Vanaerschot


Crédits : Pierre Gottiniaux

Dans un courriel envoyé à ses clients mardi 4 octobre 2016, ING Belgique écrit : « Vous l’avez sans doute entendu ou lu dans les médias, nous avons annoncé l’intention de procéder à d’importants changements. […] Rien ne change pour vous. Vos choix dans la manière de gérer vos affaires bancaires vous appartiennent, que ce soit en agence, en ligne ou par téléphone. »



Parmi ces« importants changements » annoncés par ING Belgique, notons la fermeture de près de la moitié des agences et la suppression de plus de 3.000 emplois. En réalité, le nombre de pertes d’emplois est plus élevé si l’on prend également en compte les centaines d’emplois qui vont être supprimés via la fermeture d’agences « franchisées » gérées par des indépendants (un tiers des agences ING Belgique actuelles).

Les fausses raisons du bain de sang social

La banque ne justifie pas ce bain de sang social par un manque de bénéfices (Caterpillar non plus, pour rappel) ; ces bénéfices sont d’ailleurs en hausse. Elle explique ces choix par la nécessité de moderniser ses services et par les taux bas actuels du marché qui limiteraient ses rendements.

La banque ne justifie pas ce bain de sang social par un manque de bénéfices

Les taux du marché sont en effet actuellement très bas puisque la Banque centrale européenne BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
(BCE) a fixé son taux directeur à 0% depuis mars 2016. Mais cette politique monétaire de la BCE favorise précisément les grandes banques comme ING (ou AXA) qui peuvent ainsi lui emprunter d’énormes quantités de liquidités Liquidité
Liquidités
Capitaux dont une économie ou une entreprise peut disposer à un instant T. Un manque de liquidités peut conduire une entreprise à la liquidation et une économie à la récession.
gratuitement.

Celles-ci, au lieu d’utiliser cet accès facile aux liquidités pour prêter davantage aux entreprises et aux ménages, profitent de cette manne providentielle pour spéculer [1].

Précisons aussi que les grandes banques comme ING dépendent moins des taux d’intérêts pour constituer leurs bénéfices que les petites banques qui n’ont presque pas d’autres marges de manœuvre. En fait, ING Belgique retire une partie conséquente de ses revenus (un tiers) sur d’autres sources que ses taux d’intérêts : sur des commissions et sur des opérations de marché (spéculation Spéculation Opération consistant à prendre position sur un marché, souvent à contre-courant, dans l’espoir de dégager un profit.
Activité consistant à rechercher des gains sous forme de plus-value en pariant sur la valeur future des biens et des actifs financiers ou monétaires. La spéculation génère un divorce entre la sphère financière et la sphère productive. Les marchés des changes constituent le principal lieu de spéculation.
).

« Rien ne change pour vous », vraiment ?

« Du service en agence à nos solutions digitales, ING a toujours accordé une très grande importance à vos besoins » rajoute la banque dans son courriel aux clients et clientes. Mais accorde-t-elle cette très grande importance aux clients des petits quartiers qui voient leurs agences promises à la fermeture ou à leurs plus gros clients qui gardent un accès privilégié à des agences qui leur sont dédiées et avec une personne de contact en permanence ?

Rappelons que le recours à une banque est obligatoire, ne serait-ce que pour percevoir des allocations ou un revenu. Que l’on soit « connecté » ou non, que l’on soit à l’aise avec les outils digitaux ou non, que l’on en possède ou non. Or, les tarifs des services non digitalisés vont augmenter et ce sont précisément les personnes les plus précaires (personnes âgées, analphabètes, etc.) qui en auront le plus besoin au quotidien.

ING – en plus de licencier massivement, de ne payer que très peu d’impôts, de faire à nouveau prendre des risques à la population entière en spéculant – participe activement de l’exclusion financière en Belgique. Rajoutons que si la banque a été sauvée par l’argent des contribuables aux Pays-Bas en 2008 [2], elle vient également d’y annoncer le licenciement de 2.300 personnes.

ING montre une voie sans issue

Il n’y a aucune raison pour que les banques répondent aux besoins de la population si on les laisse être gérées dans l’intérêt de leurs d’actionnaires. Ces entreprises ne sont pas méchantes en soi, elles répondent simplement à la gestion capitaliste. Dans ce cadre, la course à la compétition entre entreprises qui recherchent le plus haut niveau de profit ne peut que s’accélérer. Le groupe ING se donne pour objectif un taux de profit dix fois plus élevé que la croissance [3]. Cela contraste très clairement avec les services dont la société a besoin.

Le groupe ING se donne pour objectif un taux de profit dix fois plus élevé que la croissance

Cette compétition n’est pas une force naturelle, mais le résultat du choix politique d’opter pour un secteur bancaire largement contrôlé par des grandes banques privatisées. Il n’y a aucune raison de croire que le personnel travaillant dans les autres banques privées ne subira pas le même sort. Le cas d’ING Belgique et de ses « importants changements » n’est qu’une preuve de plus que la collectivité devrait – et pourrait – reprendre le contrôle des banques.

Les dividendes d’ING Belgique sont en grande partie transférés à la maison mère à l’étranger [4], comme dans le cas de BNP-Paribas Fortis – une autre des quatre plus grandes banques belges.

La banque a bénéficié de milliards de réduction d’impôts ces dernières années [5]. Cette somme devrait être rendue à l’État qui pourrait l’utiliser comme participation publique dans ING Belgique et commencer à infléchir la gestion catastrophique de la banque [6]. Une participation qui pourrait être utilisée pour commencer à donner au personnel, aux clients et à la collectivité en général l’opportunité de défendre leurs intérêts.

Cette somme devrait être rendue à l’État qui pourrait l’utiliser comme participation publique dans ING Belgique

La situation actuelle démontre que la société a besoin de beaucoup plus de contrôle sur ses banques.


Notes

[1Et, pour répondre à l’exigence du ratio entre fonds propres et actifs, elles prêtent à des États en leur achetant des titres souverains. Puisque ces actifs comptent pour zéro dans leur bilan grâce à la pondération par les risques (au contraire des prêts aux ménages ou aux petites entreprises), elles augmentent donc ce ratio sans avoir augmenté leurs fonds propres.

[2Plus ou moins 10 milliards d’euros

[3ING se donne pour objectif de faire 10 %-13 % de profit (return on equity), dans une période où la croissance économique flirte avec les 1,5 % . Voir le communiqué de presse du groupe ING daté du 3 octobre 2016 : https://www.ing.com/Newsroom/All-news/Press-releases/ING-strategy-update-Accelerating-Think-Forward.htm

[4Lire « En dix ans, ING Belgique a versé 7,2 milliards d’euros au groupe », l’Echo, 3 octobre 2016.

[52,3 milliards d’euros sur les dix dernières années selon une étude du PTB. Voir : http://ptb.be/articles/depuis-10-ans-ing-belgique-deduit-19-milliard-d-interets-notionnels

[6Les fonds propres de la banque étaient de 9,8 milliards fin 2015. Voir le rapport annuel 2015 d’ING Belgique : https://about.ing.be/A-propos-dING/Press-room/Resultats-financiers.htm

Jérémie Cravatte

Militant du CADTM Belgique et membre d’ACiDe

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Frank Vanaerschot

Permanent chez FairFin

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