Atterré par l’idéologie économique ambiante, atterré par le chaos qui gagne en profondeur et en gravité toute l’Europe, excédé par les serial killers qui nous gouvernent, sidéré par le tournis dont sont saisis nombre de citoyens qui s’abandonnent à la moindre idée diffusée à la cantonade, je prends le risque de faire quelques propositions à la hache et de les soumettre à la discussion.
1. Le mode opératoire des serial killers
Qu’est ce qu’un serial killer ?
C’est un tueur en série qui utilise généralement le même mode opératoire. C’est d’ailleurs ce qui finit par le perdre, car on arrive ainsi à le coincer.
Tous les gouvernements européens sont en train de tuer la protection sociale. Le gouvernement français vient de donner un coup potentiellement mortel à la retraite par répartition
Retraite par capitalisation
par répartition
Le système de retraite par répartition est basé sur la solidarité inter-générationnelle garantie par l’État : les salariés cotisent pour financer la retraite des pensionnés.
Le système de retraite par capitalisation est basé sur l’épargne individuelle : les salariés cotisent dans un fonds de pension qui investit sur les marchés internationaux et est chargé de leur verser leur retraite à la fin de leur carrière.
, à la demande expresse de tous les financiers, spéculateurs, assureurs, patronats…
À peine la besogne est-elle accomplie que le serial killer tisse les fils de sa toile dans laquelle il prendra l’assurance maladie pour l’assassiner. Ne doutons pas que l’affaire sera rondement menée. Et selon un scénario connu : on tarit les ressources de la Sécurité sociale, on la met en déficit chronique et croissant, on la déclare incapable de répondre aux besoins, on limite la prise en charge de ces derniers abandonnés aux assureurs, qui guignent d’un œil vorace les centaines de milliards d’euros par an que constitue la protection sociale.
Les serial killers à la tête des États ne commettent pas leurs forfaits sans un réseau de complicités dont les fils s’étendent du monde de la finance – banques, institutions financières de toutes sortes et agences de notation
Agences de notation
Les agences de notation (Standard and Poor’s, Moody’s et Fitch en tête) sont des agences privées qui évaluent la solvabilité et la crédibilité d’un émetteur d’obligations (État, entreprise). Jusqu’aux années 1970 elle étaient payées par les acheteurs potentiels d’obligations, depuis la libéralisation financière la situation s’est inversée : ce sont les émetteurs d’obligations qui rémunèrent les agences pour qu’elles les évaluent... Reconnaissons leur qualité de travail : c’est ainsi que Lehman Brothers se voyait attribuer la meilleure note juste avant de faire faillite.
– à celui de la presse bien-pensante, sans oublier la mafia des paradis fiscaux
Paradis fiscaux
Paradis fiscal
Territoire caractérisé par les cinq critères (non cumulatifs) suivants :
(a) l’opacité (via le secret bancaire ou un autre mécanisme comme les trusts) ;
(b) une fiscalité très basse, voire une imposition nulle pour les non-résidents ;
(c) des facilités législatives permettant de créer des sociétés écrans, sans aucune obligation pour les non-résidents d’avoir une activité réelle sur le territoire ;
(d) l’absence de coopération avec les administrations fiscales, douanières et/ou judiciaires des autres pays ;
(e) la faiblesse ou l’absence de régulation financière.
La Suisse, la City de Londres et le Luxembourg accueillent la majorité des capitaux placés dans les paradis fiscaux. Il y a bien sûr également les Iles Caïmans, les Iles anglo-normandes, Hong-Kong, et d’autres lieux exotiques. Les détenteurs de fortunes qui veulent échapper au fisc ou ceux qui veulent blanchir des capitaux qui proviennent d’activités criminelles sont directement aidés par les banques qui font « passer » les capitaux par une succession de paradis fiscaux. Les capitaux généralement sont d’abord placés en Suisse, à la City de Londres ou au Luxembourg, transitent ensuite par d’autres paradis fiscaux encore plus opaques afin de compliquer la tâche des autorités qui voudraient suivre leurs traces et finissent par réapparaître la plupart du temps à Genève, Zurich, Berne, Londres ou Luxembourg, d’où ils peuvent se rendre si nécessaires vers d’autres destinations.
. Les pièges sont tendus.
L’organisation du chaos
Comment surmonter la contradiction née d’une exigence de rentabilité des capitaux de plus en plus élevée et la dégradation de la condition des salariés qui sont pourtant choyés par une publicité envahissante pour les transformer en oies gavées de gadgets ? Le système bancaire a inventé le crédit aux pauvres, moyennant des hypothèques aussitôt transformées en titres financiers qui vont se mélanger à la pyramide de multiples produits dérivés
Produits dérivés
Produit dérivé
Famille de produits financiers qui regroupe principalement les options, les futures, les swaps et leurs combinaisons, qui sont tous liés à d’autres actifs (actions, obligations, matières premières, taux d’intérêt, indices...) dont ils sont par construction inséparables : option sur une action, contrat à terme sur un indice, etc. Leur valeur dépend et dérive de celle de ces autres actifs. Il existe des produits dérivés d’engagement ferme (change à terme, swap de taux ou de change) et des produits dérivés d’engagement conditionnel (options, warrants…).
, lesquels font les délices d’opérateurs financiers fascinés par la martingale du casino mondial. Toutes les institutions dont le métier est de spéculer sur le dos des entreprises restructurées utilisent à fond la caisse le crédit bancaire pour bénéficier de l’effet de levier
Effet de levier
L’effet de levier désigne l’effet sur la rentabilité des capitaux propres d’une entité (entreprise, banque, etc.) qu’aura son recours à l’endettement (elle augmentera lorsque le coût de l’endettement sera inférieur à l’augmentation des bénéfices obtenus grâce à lui, et inversement). Le ratio de levier calcule le rapport entre les fonds propres d’une telle entité et le volume de ses dettes. Les banques ont progressivement augmenté cet effet de levier avec la libéralisation financière, c’est-à-dire que pour 1000 euros de capital le nombre d’euros qu’elles ont pu emprunter a considérablement augmenté.
, tout en recyclant les placements de rentiers aspergés de dividendes croissant à la vitesse de la dévalorisation des salaires et des prestations sociales.
La finance a cru pourvoir shunter le passage par la case « travail productif » pour garantir une accumulation infinie. Marx avait montré que ce n’était pas possible et le miracle des petits pains ne s’est pas produit. Une à une, les bulles ont explosé. La montagne de dettes privées a été refilée à la collectivité. Celle-ci, par le truchement des banques centrales et par celui des budgets des États, a sauvé de l’effondrement les banques privées : des milliers de milliards injectés ou prêts à l’être sans aucune contrepartie exigée des bénéficiaires. Des milliers de milliards qui venaient soit de l’endossement par les banques centrales de créances Créances Créances : Somme d’argent qu’une personne (le créancier) a le droit d’exiger d’une autre personne (le débiteur). pourries dont personne ne voulait plus, soit d’emprunts par les États auprès de la partie des institutions financières encore debout ou qui venaient d’être relevées !
Puis vint la phase où les naufragés remis en selle se sont mis à mordre la main qui les avait sauvés. Avec une arrogance inimitable, des agences privées s’étant auto-désignées « de notation » ont distribué des triples A, des A– et des B+ pour évaluer les capacités des États à honore leur dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
dite souveraine. La Grèce a été la première victime des serial killers financiers. À cette occasion, le citoyen éberlué a appris que l’on pouvait spéculer sur des obligations
Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
d’État sans en posséder, par le mécanisme des ventes à découvert : les credit default swaps
Swap
Swaps
Vient d’un mot anglais qui signifie « échange ». Un swap est donc un échange entre deux parties. Dans le domaine financier, il s’agit d’un échange de flux financiers : par exemple, j’échange un taux d’intérêt à court terme contre un taux à long terme moyennant une rémunération. Les swaps permettent de transférer certains risques afin de les sortir du bilan de la banque ou des autres sociétés financières qui les utilisent. Ces produits dérivés sont très utilisés dans le montage de produits dits structurés.
assurent ce que vous n’avez pas et deviennent eux-mêmes l’objet de spéculation
Spéculation
Opération consistant à prendre position sur un marché, souvent à contre-courant, dans l’espoir de dégager un profit.
Activité consistant à rechercher des gains sous forme de plus-value en pariant sur la valeur future des biens et des actifs financiers ou monétaires. La spéculation génère un divorce entre la sphère financière et la sphère productive. Les marchés des changes constituent le principal lieu de spéculation.
. La Grèce est passée sous les fourches caudines de la finance : 110 milliards d’euros lui ont été accordés à un taux de 5,8 %, deux fois plus élevé que celui que doivent payer les pays les mieux « classés ». L’obligation de réduire son déficit de moitié en cinq ans est vouée à l’échec dans un contexte de récession
Récession
Croissance négative de l’activité économique dans un pays ou une branche pendant au moins deux trimestres consécutifs.
sciemment organisée.
Le cas de l’Irlande est lui aussi éloquent : considéré comme modèle du libéralisme conquérant pendant la montée de la bulle immobilière, ce pays est jeté à bas par le basculement des banques trop impliquées dans cette frénésie spéculative. Qu’a fait l’État irlandais ? Il a garanti les créances pourries de ses banques et, pour cela, l’endettement public a explosé de 25 % du PIB
PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
à plus de 100 %, parce qu’il n’est pas question pour l’Irlande d’en finir avec son statut de quasi-paradis fiscal avec un taux d’imposition sur les sociétés dérisoire. Dans un sursaut d’indépendance, le gouvernement irlandais a tenté de résister aux injonctions qui lui commandaient de demander de l’aide. En vain, il a été « obligé d’appeler au secours ».
Les cas grec et irlandais sont des cas d’école qui mettent au jour la rouerie des discours des gens de pouvoir censés réguler cette monstrueuse machinerie financière et celle des bonimenteurs chargés de vendre la purge de l’austérité aux populations : il faut avaler la purge sinon vous serez sanctionnés par la vente des bons de votre Trésor, donc on vous impose la déflation ; puis, quand la déflation est là à cause de la rigueur, vous devez payer les conséquences de celle-ci, qui se traduit notamment par une nouvelle explosion de la dette publique, et vous serez sanctionnés par la vente des bons de votre Trésor. Autrement dit : face les marchés financiers
Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
gagnent, et pile, les populations perdent. Cela signifie que, malgré ou à cause de la liberté d’établissement des banques dans toute l’UE, un État s’engage implicitement à renflouer les banques étrangères qui sont venues tirer parti des largesses et facilités locales. Il est hors de question d’appliquer un principe de « spéculateur-payeur » analogue à celui de pollueur-payeur.
Mais cette partie « à tous les coups la finance gagne » est minée par une contradiction qui devient de plus en plus flagrante et que Keynes avait déjà en son temps bien repérée : les rentiers ont de l’argent à ne pas savoir qu’en faire et ils veulent le placer à tout prix (entendez au meilleur prix) mais ils s’émeuvent de l’endettement trop élevé de leurs vaches à lait ; dans le même temps, les emprunteurs, sommés de s’acquitter de taux d’intérêt
Taux d'intérêt
Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
qui s’élèvent au fur et à mesure qu’ils s’endettent, sont pris dans l’étau que resserrent les banques. Il arrive donc aujourd’hui aux États devenus structurellement emprunteurs par la faute du système financier ce qui était arrivé dans les années 1980 aux pays appelés encore à l’époque du tiers-monde : étranglés par l’endettement et des taux qui voltigeaient, ils avaient dû subir la double peine avec les ajustements structurels que le FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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et la BM
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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leur infligeaient. Monsieur DSK connaît ses classiques.
L’Union européenne est nue
La promesse d’une Union européenne îlot de stabilité dans un océan déchaîné grâce à un euro protecteur s’est évanouie. La preuve est faite, s’il en fallait une, que la « concurrence libre et non faussée » débouche immanquablement sur un accroissement des disparités de développement, de productivité, et cela d’autant plus important que l’élargissement de l’UE s’est fait à budget européen constant. Le bridage de la politique budgétaire était renforcé par celui de la politique monétaire et la zone euro, présentée comme modèle à l’ensemble du monde, devint en réalité la seule zone du monde privée de garant « en dernier ressort ». Il n’est pas étonnant que, flairant la bonne affaire, les spéculateurs se soient mis à parier à outrance sur l’effondrement de chaque maillon de la zone, en commençant la curée par le plus faible.
Et apparaît alors le vice fondamental, intrinsèque, inexpugnable de la finance capitaliste mondiale : le marché financier ne peut, par définition, s’équilibrer. En effet, plus la confiance en un emprunteur se dégrade, la baisse de la demande de titres émis par celui-ci devrait entraîner la baisse du prix exigée en rémunération des prêts. Or, c’est le contraire qui se produit : le taux d’intérêt grimpe à toute allure, ce qui signifie que la fameuse loi de l’offre et de la demande est contredite par l’exigence de primes de risque plus fortes.
Le traité de Lisbonne, reprenant textuellement les traités antérieurs, interdit à l’UE de venir en aide à un État en difficulté et à l’un des membres de se porter au secours de son voisin malade. De même, il interdit à la Banque centrale européenne
BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
de monétiser les déficits publics et la dette publique. En langage clair, cela signifie que les États ne peuvent pas faire appel à la banque centrale
Banque centrale
La banque centrale d’un pays gère la politique monétaire et détient le monopole de l’émission de la monnaie nationale. C’est auprès d’elle que les banques commerciales sont contraintes de s’approvisionner en monnaie, selon un prix d’approvisionnement déterminé par les taux directeurs de la banque centrale.
et sont obligés d’emprunter auprès des opérateurs privés qui n’attendent que ça, bien qu’ils glapissent après les déficits publics pour justifier la restriction des dépenses publiques.
Mais, ce traité, que l’on nous disait intouchable, est passé à la trappe. La Banque centrale européenne a racheté des obligations d’État douteuses. L’Allemagne, suivie par la France, a exigé que les conditions de l’aide soient aggravées. Ce ne sont plus seulement les sanctions du Pacte de stabilité, ce sont celles d’un Plan de stabilité au carré.
Un Fonds européen de stabilisation financière a été créé par l’Ecofin de mai 2010 qui prévoit plusieurs centaines de milliards d’euros mobilisables (440 milliards + 310 ajoutés par le FMI) pour sauver les États menacés de faillite selon les critères des agences de notation. L’Irlande va recevoir 85 milliards de ce fonds, dont 35 destinés directement aux banques par qui le scandale est arrivé.
Cela ressemble à un gag de mauvais goût : les Irlandais que l’on oblige à revoter chaque fois qu’ils disent non (en 2001 et 2008) à une saloperie qu’on leur prépare sont soumis à une potion amère pour colmater les brèches ouvertes par la saloperie en question.
Que se passera-t-il si, tour à tour, les maillons de la chaîne européenne lâchent ? Le Fonds de stabilité financière ne peut sauver qu’un ou quelques États. Qui sauvera les derniers ? Derrière la dernière banque centrale, il n’y a plus rien.
En novembre 2008, le G20 réuni à Washington décide de l’ordre du jour du G20 suivant.En avril 2009, le G20 de Londres amuse la galerie avec les paradis fiscaux.
En septembre 2009, le G20 de Pittsburgh se félicite que les banques aient été sauvées… par l’argent public.
En juin 2010, le G20 de Toronto réforme le FMI qui pourra mieux imposer l’austérité partout. Les Grecs, les Hongrois, les Irlandais disent merci. Les Portugais, les Espagnols… piaffent pour remercier leurs bienfaiteurs
En novembre 2010 le G20 de Séoul regarde se mettre en place les germes de la guerre des monnaies. [1].
2. Après le chaos, le refus de l’abîme
Le mouvement social français de cet automne a montré la capacité de la population à faire les connexions entre tous les dégâts qui lui tombent sur la tête. Le ras-le-bol vis-à-vis des serial killers est à son comble. Ainsi s’explique la rapidité avec laquelle la proposition d’Éric Cantona s’est répandue sur internet, en appelant à la révolution contre les banques en retirant en espèces tous les dépôts. Mais peut-on s’écarter du chaos en sautant dans l’abîme ?
La difficulté tient au fait que la finance nous mène inexorablement à l’abîme, puisque, dès lors que la règle « socialisation des pertes et privatisation des bénéfices » est devenue le trait d’union de toutes les politiques économiques, la crise en un point entraîne obligatoirement la crise au point le plus proche économiquement et financièrement parlant. On pourrait donc être tenté de dire : cela ne peut pas être pire. Il faut pourtant y réfléchir à deux fois. En admettant que les épargnants se précipitent aux guichets des banques pour réclamer leurs avoirs, il faut pouvoir répondre aux questions suivantes.
- Qui réussira à obtenir des espèces ? Les premiers arrivés et encore !
- Et que demander aux banques ? Des billets, c’est-à-dire des bouts de papier ? Tant qu’à faire, pourquoi pas de l’or, du platine, de l’argent, du vrai… ?
- Que faire des billets retirés emplissant de gros sacs pour les épargnants les plus riches et de maigres enveloppes pour les plus pauvres ? Augmenter la consommation ? Mais si le système de crédit s’effondre, l’économie fait de même et il faudra peu de temps pour qu’il n’y ait plus rien à acheter.
- Que devient la souveraineté populaire si le peuple se suicide en même temps qu’il cherche à trucider les banques ?
Au fond, la proposition de Cantona surfe sur l’illusion que les banques prêtent ce que leurs clients ont préalablement déposé. Or c’est exactement l’inverse. C’est parce que les banques font crédit que des dépôts sont effectués. On pourrait même imaginer le scénario à la Cantona suivant : les banques distribuent tous les billets qu’elles détiennent aux épargnants qui font la queue devant ses guichets ; l’activité de prêt continue puisque les crédits sont accordés en monnaie scripturale et les emprunteurs règlent leurs achats et investissements en ordonnant des virements de compte à compte. Où serait la révolution de Cantona ?
S’emparer des banques
Détruire les banques revient à se tirer une balle dans le pied. En revanche, le temps est venu de s’en emparer radicalement. Cela signifie :
la collectivisation-socialisation de tout le système bancaire à l’échelle européenne ;
la reconnaissance officielle de ce qui est devenu la pratique incontournable : la possibilité d’achat par la BCE des bons du Trésor à taux zéro ;
en d’autres termes, la réappropriation publique de la création monétaire ;
l’interdiction des ventes à découvert.
Cette mise au pas du système bancaire et financier sera d’autant plus efficace qu’elle sera accompagnée :
de la mise en place d’une taxation des transactions financières, à l’échelle européenne pour démarrer le processus ;
du renforcement très important de la fiscalité sur les revenus financiers, en réintroduisant une forte progressivité afin de parvenir à un plafonnement des hauts revenus.
Annuler la dette publique qui est illégitime
Tout le monde sait que la montée des déficits publics et donc de l’endettement public n’est pas due à une dérive des dépenses publiques. Elle est due à deux facteurs. L’un qui est à l’œuvre de manière rampante depuis plusieurs décennies, le cas français étant exemplaire à cet égard : la fiscalité a été réduite par tous les bouts, et particulièrement la fiscalité progressive, sans que les gouvernements successifs ne réussissent à rogner proportionnellement les dépenses publiques et sociales dont une grande part est incompressible. Le second facteur est récent et le plus violent : il s’agit de l’endossement des dettes privées par les collectivités publiques à la suite de la crise bancaire et financière.
Il est donc impossible de justifier que les populations soient obligées d’absorber toutes les conséquences d’une situation dont elles ne sont nullement responsables. La quasi-totalité de la dette publique est illégitime.
Les facteurs d’évolution de la dette publique en France depuis 2002 (en % du PIB)
Voir le graphique ici
N.B. : L’effet baissier des flux de créances de 2006 s’explique par le volume exceptionnel des produits de cessions d’actifs
Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
affectés au désendettement de l’État (13 milliards d’euros) et par les mesures d’optimisation de la trésorerie publique (en particulier la réduction de l’encours du compte du Trésor en fin d’année de près de 26 milliards d’euros).
Source : Rapport de l’Assemblée nationale, par Gilles Carrez, n° 1967, mai 2010, http://www.assemblee-nationale.fr/1...
Il ressort du graphique que l’aggravation du déficit public provient bien surtout de deux facteurs. Le déficit primaire est dû aux effets de la récession et aux allègements fiscaux qui privent les administrations publiques de ressources. Et l’effet boule de neige renforce les éléments précédents en aggravant l’écart entre le taux de croissance et le taux d’intérêt.
L’explosion de l’endettement public est imputable d’une part aux cadeaux fiscaux faits aux classes sociales les plus riches et d’autre part à la crise due essentiellement aux pratiques financières qui, in fine, servent les intérêts desdites classes.
Il est donc possible de soumettre au débat public l’idée de répudier la dette illégitime. Le Conseil européen du 29 octobre 2010 a modifié les règles d’attribution de l’aide par le Fonds européen de stabilisation financière : à partir de 2013, les aides seraient accompagnées d’une restructuration partielle de la dette, c’est-à-dire une annulation partielle de celle-ci. C’est cette annonce qui a d’ailleurs précipité l’angoisse de créanciers angoissés par nature. DSK, qui a toujours ses classiques en tête, vient de déclarer qu’il fallait une autorité budgétaire européenne indépendante. Le serial killer du FMI entre en scène pour mettre les politiques monétaire et maintenant budgétaire hors de tout contrôle souverain. Et la serial killer qui dirige l’Allemagne joue sa propre partition : à une dislocation de la zone euro qui priverait l’économie allemande de l’avantage que lui procure la surévaluation de l’euro subie par ses partenaires commerciaux européens, et à une possible défection générale des débiteurs qui ruinerait les créanciers allemands, elle préfère prendre les devants en imposant le principe d’une répartition du risque de restructuration partielle des dettes publiques sur l’ensemble des créanciers européens et internationaux. Mme Merkel veut le beurre des excédents et l’argent du beurre des déficits des autres.
L’idée d’annuler la dette publique n’est donc pas saugrenue. Elle est bien sûr politiquement abrupte puisqu’elle porte le fer dans le flanc de la rente, de la finance et, pour abandonner les euphémismes, dans celui de la classe bourgeoise aux dimensions internationales.
Que faire de l’euro ?
La question de la survie de l’euro est posée. Si la crise s’approfondit, et elle ne peut que le faire si les structures de la finance ne sont pas réorganisées fondamentalement, l’éclatement de la zone euro est hautement probable. Cet éclatement peut venir de l’éviction des pays jugés trop « lourds » à supporter, d’un choix de leur part ou au contraire d’un départ d’un pays qui, comme l’Allemagne, veut des excédents mirifiques tout en ne tolérant pas les déficits des autres !
Dans tous les cas, ce serait la mort des velléités de coopération au sein de feue l’Union européenne. L’option préférée ici n’est pas de sortir de l’euro unilatéralement, mais de faire éclater les carcans dans lesquels il est enfermé et qui en font un instrument d’asservissement au lieu de coopération.
Comment faire sauter ces carcans ? C’est le problème, dont la solution dépend surtout, d’une part, de la coordination des luttes sociales à l’échelle européenne alors que pour l’instant les peuples entrent en lutte contre les politiques anti-sociales de leurs gouvernements respectifs de manière séparée, et, d’autre part, d’accords conclus entre États qui accepteraient de rompre avec les injonctions des institutions européennes. En particulier, ces États décideraient de mécanismes de transferts budgétaires
L’exemple est venu d’en haut : il n’y a plus de contraintes tyranniques qui tiennent et, déjà, bruissent les rumeurs de révision du traité de Lisbonne. Un groupe d’États qui s’exonéreraient de ce dernier seraient-ils mis au ban de la communauté ? Pas sûr, car l’Allemagne est empêchée de jouer les justiciers par l’arrêt de la cour de Karlsruhe qui, en juin 2009, a considéré que les traités et directives européens ne pouvaient contrevenir aux dispositions de sa Loi fondamentale.
Faut-il transformer la monnaie unique en monnaie commune cohabitant avec des monnaies nationales restaurées ? Ce serait une position de repli in extremis en cas d’échec des stratégies de coopération renforcée. Il y aurait un avantage immédiat, celui de faire retrouver à chaque pays des marges de manœuvre par le biais du taux de change.
Mais la manœuvre comporterait deux risques élevés. Le premier est de remplacer la « concurrence libre et non faussée », façon Commission européenne, par une concurrence obligée et faussée par les écarts de productivité. Le second risque est de déclencher une spéculation encore plus forte contre les pays les plus fragiles, à l’image des ravages provoqués par les spéculations de 1992 et 1993, dans le cadre du système monétaire européen au sein duquel l’écu fonctionnait pour les marchés financiers comme une sorte de monnaie commune.
Relancer la croissance ou bifurquer ?
Beaucoup de voix, notamment parmi la toute jeune communauté des « économistes atterrés », appellent de leurs vœux des politiques de relance de la croissance économique pour desserrer l’étau de l’effet boule de neige. Il ne fait pas de doute qu’il y a là une potentialité d’alléger le poids de la dette au fur et à mesure que les rentrées fiscales augmentent avec la croissance et que l’écart entre le taux de croissance et le taux d’intérêt se réduit. Et l’avantage de cette potentialité est qu’elle peut se manifester dans un terme assez court.
Mais peut-on aujourd’hui séparer le court et le long terme ? La réponse dépend du diagnostic que l’on porte sur la crise qui a éclaté en 2007 ? S’agit-il d’une péripétie financière analogue à toutes celles que le capitalisme a connues dans le passé, suivies de récessions temporaires ? Ou bien s’agit-il d’une crise systémique à deux niveaux : une crise systémique parce que le régime d’accumulation financière développé depuis plus une bonne trentaine d’années est à bout de souffle, et une crise systémique parce que le capitalisme mondial rencontre une limite dont il avait cru s’affranchir jusqu’ici qui tient à la finitude de la planète et des ressources naturelles. On retient ici la seconde hypothèse et on en conclut que la seule relance envisageable est celle qui irait vers les investissements de reconversion écologique de l’industrie et de l’agriculture et celle qui ferait le choix des services non marchands de qualité.
On ne peut donc se contenter de prôner des politiques économiques de relance pour contrer les politiques de déflation mises en œuvre par les serial killers. Parce qu’il faut craindre que ces derniers n’y trouvent matière à faire de nouvelles victimes qui s’appelleraient populations déplacées à cause du réchauffement climatique, et chômeurs et précaires condamnés à la mendicité ou l’assistance tandis que les actionnaires se goinfreraient.
Un serial killer, ou bien où il continue de tuer avec une violence toujours croissante, ou bien on le coince.
[1] Voir Attac, « Le G20 face à la crise financière : les éléphants, la souris et les peuples », novembre 2010
ancien Professeur agrégé de sciences économiques et sociales et Maître de conférences d’économie à l’Université Bordeaux IV.
Jean-Marie Harribey est chroniqueur à Politis. Il anime le Conseil scientifique d’Attac France, association qu’il a co-présidée de 2006 à 2009, il a co-présidé les Économistes atterrés de 2011 à 2014 et il est membre de la Fondation Copernic.
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