8 mars 2021 par Cristina Quintavalla
(Mario Draghi - CC Wikimedia)
Avant même que Draghi n’entame les consultations, le journal de la Confindustria a posé la véritable question de fond : réécrire le plan de relance et mettre en œuvre les réformes structurelles, le travail, les retraites, l’administration publique, la fiscalité, la concurrence.
Obnubilé par le nouveau gotha de la Confindustria, Il Sole a fondu comme neige au soleil ; les faibles objections du théâtre politique se sont déplacées vers le gouvernement Conte 2, et ont laissé émerger en filigrane le véritable complot qui a produit le coup d’État mis en place. 223,9 milliards d’euros (dont 15,9 milliards de ressources supplémentaires) sont vraiment trop pour être gaspillés en mille ruisseaux ou « secours » sans aucun but significatif, comme donner un souffle d’air frais à ceux qui se battent sans aucune occupation, ou remettre sur pied un tissu économique, constitué de milliers de petites entreprises, de petits commerces, de petits métiers, épuisés par la fermeture d’urgence prolongée. « Le texte du plan de relance est immédiatement apparu comme un chevauchement de dépenses sans une conception unifiée de la politique industrielle » (Il Sole 24 ore, 4 février 2021).
La politique industrielle est le zénith et le nadir.
Après tout, le vieil adage du marché est toujours valable : qui n’est pas capable de résister aux défis de la concurrence, qu’il périsse, avec la tranquillité d’esprit de ceux qui ont investi des ressources, des compétences, du temps de vie.
L’enjeu - nos peuples le disent toujours - doit présupposer une vision à long terme, capable de saisir le sens des grandes contradictions intra-capitalistes : ici, si l’État ne fait rien, l’industrie italienne succombera ! En vérité, l’industrie italienne est arrivée déjà très éprouvée au rendez-vous avec la pandémie : baisse de la production, réduction des exportations, diminution des investissements en capital constant et augmentation de ceux en spéculation financière et immobilière, valeurs gonflées, capital fictif, augmentation du poids des capitaux étrangers dans les entreprises italiennes.
Dans son rapport à la réunion annuelle de la Confindustria en septembre 2020, Bonomi a déclaré que, dans le contexte de l’intensification de la concurrence internationale, l’intervention de l’État, avec la collaboration des partenaires sociaux, est impérative, car « les défis mondiaux ne se jouent pas au niveau des entreprises individuelles ou des pays, mais à celui des plateformes continentales qui se disputeront le leadership technologique dans un avenir proche ». Ce n’est que si la participation de toutes les composantes du système économique et social est garantie que les entreprises italiennes pourront « participer en tant que protagonistes aux chaînes de valeur stratégiques européennes et mondiales ». (Confindustria, Le courage de l’avenir, p. 134).
Il n’est pas nécessaire de déranger Foucault pour comprendre que l’autonomie et l’indépendance du marché, fondées sur le principe du laissez faire, ne sont pas des concessions de la politique. C’est plutôt le contraire qui est vrai : c’est le marché qui décide de la politique. « C’est le mécanisme naturel du marché [...] qui permet de falsifier et de vérifier la pratique du gouvernement, si l’on évalue sur la base de ces éléments ce que fait un gouvernement, les mesures qu’il prend, les lois qu’il impose » (M. Foucault, Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de France 1978-79, Milan 2005, p.39)
Que devrait faire le nouveau gouvernement pour pouvoir enfin résoudre les problèmes urgents du pays, alors qu’il sera constitué de la même majorité politique qui, en une semaine, est passée du soutien au gouvernement Conte au soutien au gouvernement Draghi ? Elle garantira l’alignement le plus efficace des institutions publiques sur les exigences du système financier et celles du système de production, avec l’appui de l’Union européenne.
Le futur gouvernement sera un « allié précieux pour la poussée propulsive vers la concurrence du marché ». L’aiguille de la boussole de Draghi, pour ses déclarations expresses, a toujours indiqué la « compétitivité des entreprises » comme point de référence d’une stratégie, dont les coordonnées sont l’expansion des processus de financiarisation et de privatisation.
Dans le célèbre article publié dans le Financial Times au plus fort de la pandémie, Draghi, très apprécié urbi et orbi, est allé jusqu’à affirmer, contrairement à toutes les déclarations qu’il avait faites pendant des années, qu’il était nécessaire pour les États, pour faire face à la pandémie, de s’endetter. Le pacte de stabilité et de croissance, et donc l'obligation imposée aux gouvernements d’évoluer vers un budget en équilibre, a certainement été suspendu jusqu’en 2021. Mais à y regarder de plus près, l’article en question a ouvert la porte à la nécessité pour les États d’absorber les pertes du secteur privé dans leur budget, au point de les annuler : « Les pertes du secteur privé - et la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
pour combler le déficit - doivent être absorbées, en tout ou en partie, par les budgets publics. L’augmentation de la dette publique deviendra une caractéristique permanente de nos économies et s’accompagnera de l’annulation de la dette privée ».
Le même vieux mantra : si les entreprises redémarrent, l’emploi reprendra. Elle ne correspond pas à la vérité. Comme l’a dénoncé Oxfam dans un récent rapport intitulé « The profits pandemic », au niveau mondial, en pleine pandémie, des dizaines de milliards de dollars de profits stratosphériques ont été distribués aux actionnaires par les grandes entreprises et les multinationales, au détriment du niveau d’emploi, de la qualité du travail, des activités de recherche et de développement, des technologies respectueuses du climat, de la reconversion des processus de production, ainsi que du paiement d’une part équitable des taxes, qui génèrent les ressources publiques nécessaires à la reprise. L’excédent, même en milliards, n’est pas réinvesti dans l’emploi, dans des emplois stables, protégés et permanents.
Les restructurations d’entreprises que les entreprises italiennes veulent pouvoir mener à bien sans aucune contrainte et qui doivent supposer le déblocage des licenciements et une flexibilité maximale du travail ; la bande ultra large fixe et la 5G ; la réforme des amortisseurs sociaux, trop coûteux pour la partie facturée aux entreprises ; la noyade des réformes des revenus de la citoyenneté et du décret sur la dignité des contrats à durée déterminée ; la création d’infrastructures de transport et de couloirs de transit ; les simplifications procédurales, qui favorisent l’assaut du territoire ; l’extension de l’économie 4.0 ; une réorientation du système éducatif en fonction des besoins de l’industrie ; ; la composition de la salle de contrôle qui doit décider de l’allocation des ressources, sont quelques-unes des mesures qui voient les intérêts des entreprises converger avec ceux du capital financier.
L’UE a mis le fardeau sur la table, en rappelant dans des lettres claires que le Programme que le gouvernement Conte avait préparé manquait d’objectifs mesurables pour chaque investissement prévu et, surtout, de réformes, c’est-à-dire d’engagements précis que le pays devra mettre en œuvre en échange des financements européens attendus. Sinon, pas de ressources. Bien sûr, les réformes en question ne sont pas des viatiques vers l’équité, la justice, la redistribution des richesses, comme le mot pourrait l’évoquer, mais vers le blindage du pays dans la cage d’acier européenne. Dans un discours sur Europe 2020 : quelles réformes structurelles pour l’Italie, la position de Draghi était très claire dans sa parfaite synthèse : « Un renforcement des mécanismes de gouvernance dans l’UE est aujourd’hui à l’ordre du jour. Elle s’oriente dans trois directions : une discipline plus stricte des politiques budgétaires ; la surveillance des déséquilibres macroéconomiques potentiellement pertinents pour la stabilité financière de la zone ; l’introduction d’un mécanisme permanent de gestion des crises ». Le travail des institutions européennes« , a souligné M. Draghi, »a toujours eu pour but d’établir une corrélation étroite entre la viabilité des finances publiques et la stabilité financière et celle de la compétitivité. En bref, la stabilité financière doit être une fonction de la concurrence.
Dans d’autres circonstances, il a évoqué la métaphore du « pilote automatique », afin de souligner l’impuissance de la politique par rapport aux processus de décision initiés par les grandes institutions économiques.
Que dire d’une communauté destinée à aider ses États membres en difficulté ! Le vidage irréversible de la démocratie par la main armée des marchés et de la concurrence a été remplacé par un « totalitarisme néolibéral » (Gallino, 2013), qui se configure comme une sorte de « coup d’État par étapes » (Ibid).
Le pouvoir que la grande finance en est venue à assumer sur les gouvernements européens, par l’intercession des institutions européennes, a atteint son apothéose en Grèce, où les gouvernements, les référendums populaires, les majorités politiques, du Pasok de Papandreou à Syriza de Tsipras, les ministres, les commissions d’enquête ont été balayés par l’agressivité du capital européen et des institutions qui le représentent.
Complicité dans la mainmise du « coup d’État par étapes », simplification, infrastructures, libéralisation du monde du travail sous le signe d’une précarité et d’une flexibilité accrues, réformes structurelles, privatisation, promotion des investissements, socialisation des pertes par l’État et les institutions publiques, soutien aux entreprises, afin qu’elles deviennent plus grandes et plus mondialisées, et aux banques afin que, laissant derrière elles leurs « soucis » historiques, elles puissent être les protagonistes des processus de domination du capital. Telles sont les attentes investies dans la cour de Draghi qui, avec compétence, mesure et fair-play, pourra définir comme « vocation européiste et atlantiste », « sortir le pays du marais de l’immobilité », « amorcer la reprise économique », « mettre enfin en œuvre les grandes réformes du pays », « assurer l’employabilité », accélérer les « investissements », « redonner du souffle et des perspectives aux banques et aux entreprises », « se concentrer sur les jeunes » et leur avenir.
Les mots font bouger les choses, dans les régimes néolibéraux. Car, pour reprendre les mots de Foucault, le pouvoir exerce son influence, établissant un régime de vérité - le sien - auquel nous croyons tous. Ou presque tout le monde.
Traduction CADTM avec l’aide de www.DeepL.com/Translator (version gratuite)
Version originale en italien : https://italia.cadtm.org/la-corte-delleurocrate-dai-guanti-di-velluto/
17 janvier, par Eric Toussaint , ATTAC/CADTM Maroc , Sushovan Dhar , Pauline Imbach , Daniel Tanuro , Christine Poupin , David Calleb Otieno , Cristina Quintavalla , Arturo Martinez , Hussein Muqbel
Appel
Pourquoi annuler les créances détenues par la Banque centrale européenne sur les pays de la zone euro ?7 décembre 2021, par Eric Toussaint , Sonia Mitralias , CADTM Europe , Paul Murphy , Miguel Urbán Crespo , Andrej Hunko , Cristina Quintavalla , Manon Aubry , Leïla Chaibi
3 avril 2020, par Cristina Quintavalla
28 juin 2019, par Cristina Quintavalla , Antonio De Lellis
28 juin 2019, par Eric Toussaint , DIRE- Agence de presse Rome , Cristina Quintavalla , Vittorio Lovera