Krach de Dexia : un effet domino en route dans l’UE ? *

4 octobre 2011 par Eric Toussaint


En ce début du mois d’octobre 2011, la faillite virtuelle de la banque franco-belge Dexia est un signe supplémentaire de l’ampleur de la crise qui amène les pouvoirs publics à se mettre entièrement au service des intérêts privés en abusant des finances publiques. Cette faillite de Dexia montre que le maillon faible de la chaîne de la crise de la dette est constitué par les banques privées alors que les gouvernants et les médias dominants mettent l’accent sur la crise de la dette publique [1].



En septembre 2011, devant l’ampleur des menaces qui pèsent sur l’ensemble du secteur financier privé confronté aux effets de sa politique aventuriste, les banques centrales d’Europe occidentale (la Banque centrale européenne BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
- BCE, la Banque d’Angleterre et la Banque de Suisse) et la Réserve fédérale des Etats-Unis ont pris une mesure d’une exceptionnelle importance : elles mettent à disposition des banques privées toutes les liquidités Liquidité
Liquidités
Capitaux dont une économie ou une entreprise peut disposer à un instant T. Un manque de liquidités peut conduire une entreprise à la liquidation et une économie à la récession.
nécessaires en dollars et en euros pour une période supérieure à trois mois afin de permettre aux organismes financiers de passer le cap de l’année 2011. C’est dire à quel point les gouvernants et les grands argentiers publics ont peur de ce qui peut arriver au dernier trimestre 2011. Les banques européennes qui empruntaient à court terme en dollars auprès des money market funds Money Market Funds
MMF
Les Money Market Funds (MMF) sont des sociétés financières des États-Unis et d’Europe, très peu ou pas du contrôlées ni réglementées car elles n’ont pas de licence bancaire. Ils font partie du shadow banking. En théorie, les MMF mènent une politique prudente mais la réalité est bien différente. L’administration Obama envisage de les réglementer car, en cas de faillite d’un MMF, le risque de devoir utiliser des deniers publics pour les sauver est très élevé. Les MMF suscitent beaucoup d’inquiétude vu les fonds considérables qu’ils gèrent et la chute depuis 2008 de leur marge de profit. En 2012, les MMF états-uniens maniaient 2 700 milliards de dollars de fonds, contre 3 800 milliards en 2008. En tant que fonds d’investissement, les MMF collectent les capitaux des investisseurs (banques, fonds de pension…). Cette épargne est ensuite prêtée à très court terme, souvent au jour le jour, à des banques, des entreprises et des États.
Dans les années 2000, le financement par les MMF est devenu une composante importante du financement à court terme des banques. Parmi les principaux fonds, on trouve Prime Money Market Fund, créé par la principale banque des États-Unis JP.Morgan, qui gérait, en 2012, 115 milliards de dollars. La même année, Wells Fargo, la 4e banque aux États-Unis, gérait un MMF de 24 milliards de dollars. Goldman Sachs, la 5e banque, contrôlait un MMF de 25 milliards de dollars.
Sur le marché des MMF en euros, on trouve de nouveau des sociétés états-uniennes : JP.Morgan (avec 18 milliards d’euros), Black Rock (11,5 milliards), Goldman Sachs (10 milliards) et des européennes avec principalement BNP Paribas (7,4 milliards) et Deutsche Bank (11,3 milliards) toujours pour l’année 2012. Certains MMF opèrent également avec des livres sterling. Bien que Michel Barnier ait annoncé vouloir réglementer le secteur, jusqu’à aujourd’hui rien n’a été mis en place. Encore des déclarations d’intention...
1. L’agence de notation Moody’s a calculé que pendant la période 2007-2009, 62 MMF ont dû être sauvés de la faillite par les banques ou les fonds de pensions qui les avaient créés. Il s’est agi de 36 MMF opérant aux États-Unis et 26 en Europe, pour un coût total de 12,1 milliards de dollars. Entre 1980 et 2007, 146 MMF ont été sauvés par leurs sponsors. En 2010-2011, toujours selon Moody’s, 20 MMF ont été renfloués.
2 Cela montre à quel point ils peuvent mettre en danger la stabilité du système financier privé.
états-uniens ont vu se fermer le robinet. Il a fallu que les banques centrales prennent la relève sous peine d’assister à un possible krach bancaire d’organismes comme BNP Paribas, Dexia, la Société générale, le Crédit Agricole, Natixis pour ne parler que de quelques banques françaises et belges. Ce nouveau krach de Dexia [2] montre que cette mesure ne suffit pas à résoudre le problème perçu à tort comme un problème simple de liquidités. Dexia n’est peut-être que le premier domino à tomber en ce quatrième trimestre 2011.

 Les pouvoirs publics comme le prêteur principal en premier et en dernier ressort

On assiste une fois de plus à une belle démonstration : dans l’UE, les banques centrales des pays membres et la BCE ne peuvent pas prêter d’argent aux pouvoirs publics qui doivent donc se financer auprès des banques et autres investisseurs institutionnels. Le secteur privé est donc supposé capable de financer seul et sans soutien étatique les besoins des pouvoirs publics, des entreprises et des ménages. Or voici que les banquiers centraux, c’est-à-dire les pouvoirs publics, apparaissent de plus en plus clairement comme le prêteur principal en premier et en dernier ressort. Les banques privées européennes se financent de cinq manières :
- 1 elles empruntent aux autres banques sur le marché interbancaire Marché interbancaire Marché réservé aux banques pour échanger entre elles des actifs financiers et emprunter/prêter à court terme. C’est également sur le marché interbancaire que la Banque centrale européenne (BCE) intervient pour apporter ou reprendre des liquidités (gestion de la masse monétaire pour contrôler l’inflation).  ;
- 2 elles empruntent aux ménages qui déposent en banque leurs liquidités –leur salaire en début de mois et leur épargne ;
- 3 elles empruntent aux entreprises non financières ;
- 4 elles empruntent en dollars aux money market funds des Etats-Unis (qui empruntent eux-mêmes auprès de la Réserve fédérale) ;
- 5 elles empruntent aux banques centrales.

Or, le marché interbancaire s’est rétréci comme peau de chagrin car les banques doutent les unes des autres tant elles ont d’actifs Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
toxiques dans leur bilan ; les dépôts des ménages, en période de crise, ne sont pas extensibles et, plus grave, si les ménages perdent confiance dans une ou plusieurs banques, ils risquent de se ruer vers les guichets pour retirer leur argent et tenter de le mettre en sécurité (ce qui fait paniquer les banquiers, les banques centrales et les gouvernements dont certains, comme en France, ont limité les retraits de fonds par les particuliers) ; des entreprises non financières retirent leurs liquidités des banques (en septembre le Financial Times a révélé que la transnationale allemande Siemens avait retiré 500 millions d’€ de la banque française Société Générale pour les déposer à la BCE) [3] ; les money market funds ont largement fermé le robinet de leur crédit à partir de juin 2011. Du coup, les banques privées se financent essentiellement auprès des banques centrales.

 Rachat massif sur le marché secondaire de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
par la BCE

Ce n’est pas tout. La BCE a poursuivi sa politique de rachat massif, sur le marché secondaire de la dette, de titres italiens, espagnols, grecs, portugais et irlandais. Entre le 8 août 2011 et le 12 septembre 2011, elle en a acheté pour 77 milliards d’euros, dont 40 milliards de titres italiens [4]. L’objectif est double :
1. délester les banques privées d’Europe occidentale qui jusqu’en 2010 ont acheté à tour de bras des titres de la dette Titres de la dette Les titres de la dette publique sont des emprunts qu’un État effectue pour financer son déficit (la différence entre ses recettes et ses dépenses). Il émet alors différents titres (bons d’état, certificats de trésorerie, bons du trésor, obligations linéaires, notes etc.) sur les marchés financiers – principalement actuellement – qui lui verseront de l’argent en échange d’un remboursement avec intérêts après une période déterminée (pouvant aller de 3 mois à 30 ans).
Il existe un marché primaire et secondaire de la dette publique.
de ces pays considérés aujourd’hui à plus ou moins haut risque ;
2. essayer d’éviter que l’Italie et l’Espagne ne se retrouvent dans la situation de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal qui, à cause des taux d’intérêt Taux d'intérêt Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
qui ont explosé, ne peuvent plus emprunter sur les marchés au-delà d’un an. Les besoins d’emprunts de l’Italie d’ici juillet 2012 s’élèvent à 300 milliards d’euros et ceux de l’Espagne à 80 milliards.

Si l’Italie et l’Espagne devaient renoncer à emprunter sur les marchés financiers Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
à cause de taux d’intérêt trop élevés, le Fonds européen de stabilité financière (FESF) ne disposerait pas des moyens suffisants pour répondre aux besoins de financement de ces deux pays, d’autant qu’il devra aussi acheter des titres grecs, portugais, irlandais, et peut-être d’autres pays membres de la zone euro… [5] De plus, le FESF est un instrument très peu pratique créé par les pays de la zone euro en mai 2010 pour répondre à la tourmente dans laquelle la Grèce se trouvait. Preuve du peu de maniabilité du FESF : la décision d’augmenter son volume d’intervention et de lui permettre de racheter des titres sur le marché secondaire ou d’injecter du capital dans des banques défaillantes prise par les gouvernements européens, la Commission européenne et la BCE le 21 juillet 2011 doit être ratifiée par chacun des 17 parlements de la zone euro. Dix semaines plus tard, le processus de ratification par les parlements n’est pas terminé.

Depuis le 21 juillet, la crise s’est encore accentuée : les Bourses ont continué à être très instables avec une très forte tendance à la baisse en particulier pour la capitalisation des banques ; la croissance économique a fléchi partout, même en Allemagne qui jusqu’en juin 2011 affichait des résultats supérieurs à la moyenne européenne ; la chute de la production et de la consommation en Grèce s’est aggravée ; le chômage augmente presque partout ; les recettes fiscales baissent partout, ce qui réduit les ressources des Etats pour rembourser la dette ; la possibilité de nouvelles faillites d’institutions financières privées est dans tous les esprits.

 Les gouvernements européens sont pris à leur propre piège

Les gouvernements européens sont pris à leur propre piège : lors de la création de l’UE et de la BCE, ils ont décidé que la Banque centrale Banque centrale La banque centrale d’un pays gère la politique monétaire et détient le monopole de l’émission de la monnaie nationale. C’est auprès d’elle que les banques commerciales sont contraintes de s’approvisionner en monnaie, selon un prix d’approvisionnement déterminé par les taux directeurs de la banque centrale. européenne et les banques centrales des Etats membres de l’UE n’avaient pas le droit de prêter directement aux Etats. Ceux-ci doivent s’en remettre aux institutions financières privées (banques, assurances, fonds de pensions…) pour se financer. Si la BCE et les banques centrales des Etats membres pouvaient prêter aux pouvoirs publics comme le fait la Réserve fédérale des Etats-Unis, la crise de l’UE serait atténuée. Sans prendre les Etats-Unis pour modèle, loin de là, il faut signaler que la Fed a acheté au Trésor des titres de la dette publique (Treasury bonds) pour un peu plus de 1700 milliards de dollars, dont 900 milliards depuis la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008 [6].

D’autres caractéristiques de l’UE renforcent la crise. Le budget de l’Union est minuscule et les transferts fiscaux en faveur des économies les plus faibles sont très limités. A titre de comparaison, si les Etats-Unis étaient régis par les mêmes contraintes et que les transferts du budget fédéral états-unien vers les Etats membres étaient aussi faibles que dans l’UE, une dizaine d’Etats seraient dans la même situation que la Grèce ou le Portugal : la Virginie, le Maryland, le Nouveau Mexique, la Floride…

Les économies faibles de la zone euro qui accusent un déficit commercial par rapport aux pays les plus forts (Allemagne, France, Pays-Bas, Belgique, Autriche…) n’ont pas la possibilité de jouer sur leur taux de change afin d’augmenter leurs exportations. L’appartenance à la zone euro s’est transformée en une camisole de force. C’est pourquoi l’éventualité d’une sortie de la zone euro fait partie du débat sur la sortie de la crise tant à gauche qu’à droite de l’échiquier politique.

La crise de la zone euro et, au-delà, de l’UE est patente. C’est bien connu, le poisson pourrit en commençant par la tête. La crise traverse toutes les instances de centralisation de l’UE et de la zone euro, les gouvernements des principaux pays s’opposent sur les politiques à suivre. Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ne s’entendent pas sur les mesures à prendre. Le gouvernement allemand est favorable a une réduction plus importante de la valeur des titres grecs dans les bilans des banques privées qui les détiennent tandis que le gouvernement français fait pression pour qu’on s’en tienne à la décote de 21% acceptée le 21 juillet sur proposition de l’Institut international de la finance (IIF), le cartel des principales banques créancières de la Grèce. En claire opposition au gouvernement allemand, Josef Ackermann, président de ce cartel et directeur exécutif de la Deutsche Bank, a affirmé lors de la réunion annuelle de la Banque mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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et du FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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tenue à Washington fin septembre 2011 qu’il était opposé à toute révision de l’accord sur une décote limitée à 21%. Il a martelé : « Si on commence à rouvrir cette boîte de Pandore, on va perdre beaucoup de temps… » [7]. Il y a donc une mésentente franco-allemande sur le sujet au niveau gouvernemental [8] tandis que le front entre banquiers tient bon pour le moment. La crise de l’UE et de la zone euro se répercute aussi directement dans les institutions : Jürgen Stark, l’administrateur allemand de la BCE, a démissionné avec fracas en septembre 2011 et a exprimé publiquement son désaccord avec la politique suivie par l’institution sous la conduite de Jean-Claude Trichet. Il a dénoncé le rachat par la BCE des titres grecs, italiens…

De son côté, le gouvernement britannique campe sur des positions autonomes. Trop heureux de ne pas être entré dans la zone euro, il peut jouer sur le taux de change de la livre sterling. Alors que la dette publique de la Grande Bretagne est bien plus élevée que celle de l’Espagne, le gouvernement britannique, grâce à la livre sterling, dispose d’une marge de manœuvre beaucoup plus importante que le gouvernement espagnol. Le gouvernement britannique s’oppose par ailleurs à la majorité de ses collègues européens en ce qui concerne la proposition d’une taxe sur les transactions financières. Si elle voit le jour, il est probable qu’elle ne sera appliquée que par les Etats membres de la zone euro [9]. La résistance du gouvernement britannique ne s’arrête pas là : il envisage sérieusement de porter plainte contre la BCE pour entrave à la libre circulation des capitaux ! En effet, la BCE veut que les entreprises financières par lesquelles passent d’importantes transactions en euro (notamment sur les produits dérivés Produits dérivés
Produit dérivé
Famille de produits financiers qui regroupe principalement les options, les futures, les swaps et leurs combinaisons, qui sont tous liés à d’autres actifs (actions, obligations, matières premières, taux d’intérêt, indices...) dont ils sont par construction inséparables : option sur une action, contrat à terme sur un indice, etc. Leur valeur dépend et dérive de celle de ces autres actifs. Il existe des produits dérivés d’engagement ferme (change à terme, swap de taux ou de change) et des produits dérivés d’engagement conditionnel (options, warrants…).
comme les CDS CDS
Credit Default Swap
Le CDS est un produit financier dérivé qui n’est soumis à aucun contrôle public. Il a été créé par la banque JPMorgan dans la première moitié des années 1990 en pleine période de déréglementation. Le Credit Default Swap signifie littéralement “permutation de l’impayé”. Normalement, il devrait permettre au détenteur d’une créance de se faire indemniser par le vendeur du CDS au cas où l’émetteur d’une obligation (l’emprunteur) fait défaut, que ce soit un pouvoir public ou une entreprise privée. Le conditionnel est de rigueur pour deux raisons principales. Premièrement, l’acheteur peut utiliser un CDS pour se protéger d’un risque de non remboursement d’une obligation qu’il n’a pas. Cela revient à prendre une assurance contre le risque d’incendie de la maison d’un voisin en espérant que celle-ci parte en flammes afin de pouvoir toucher la prime. Deuxièmement, les vendeurs de CDS n’ont pas réuni préalablement des moyens financiers suffisants pour indemniser les sociétés affectées par le non remboursement de dettes. En cas de faillite en chaîne d’entreprises privées ayant émis des obligations ou du non remboursement de la part d’un Etat débiteur important, il est très probable que les vendeurs de CDS seront dans l’incapacité de procéder aux indemnisations qu’ils ont promises. Le désastre de la compagnie nord-américaine d’assurance AIG en août 2008, la plus grosse société d’assurance internationale (nationalisée par le président George W. Bush afin d’éviter qu’elle ne s’effondre) et la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008 sont directement liés au marché des CDS. AIG et Lehman s’étaient fortement développées dans ce secteur.

Le CDS donne l’illusion à la banque qui en achète qu’elle est protégée contre des risques ce qui l’encourage à réaliser des actions de plus en plus aventureuses. De plus, le CDS est un outil de spéculation. Par exemple en 2010-2011, des banques et d’autres sociétés financières ont acheté des CDS pour se protéger du risque d’une suspension de paiement de la dette qui aurait pu être décrétée par la Grèce. Elles souhaitaient que la Grèce fasse effectivement défaut afin d’être indemnisées. Qu’elles soient ou non en possession de titres grecs, les banques et les sociétés financières détentrices de CDS sur la dette grecque avaient intérêt à ce que la crise s’aggrave. Des banques allemandes et françaises (les banques de ces pays étaient les principales détentrices de titres grecs en 2010-2011) revendaient des titres grecs (ce qui alimentait un climat de méfiance à l’égard de la Grèce) tout en achetant des CDS en espérant pouvoir être indemnisées au cas de défaut grec.1

Le 1er novembre 2012, les autorités de l’Union européenne ont fini par interdire la vente ou l’achat de CDS concernant des dettes des États de l’UE qui ne sont pas en possession du candidat acheteur du CDS.2 Mais cette interdiction ne concerne qu’une fraction minime du marché des CDS (le segment des CDS sur les dettes souveraines*) : environ 5 à 7 %. Il faut également noter que cette mesure limitée mais importante (c’est d’ailleurs à peu près la seule mesure sérieuse qui soit entrée en vigueur depuis l’éclatement de la crise) a entraîné une réduction très importante du volume des ventes des CDS concernés, preuve que ce marché est tout à fait spéculatif.

Enfin, rappelons que le marché des CDS est dominé par une quinzaine de grandes banques internationales. Les hedge funds et les autres acteurs des marchés financiers n’y jouent qu’un rôle marginal. D’ailleurs la Commission européenne a menacé en juillet 2013 de poursuivre 13 grandes banques internationales pour collusion afin de maintenir leur domination sur le marché de gré à gré* (OTC) des CDS.3
) soient domiciliées dans la zone euro, ce qui va à l’encontre des intérêts du paradis fiscal Paradis fiscaux
Paradis fiscal
Territoire caractérisé par les cinq critères (non cumulatifs) suivants :
(a) l’opacité (via le secret bancaire ou un autre mécanisme comme les trusts) ;
(b) une fiscalité très basse, voire une imposition nulle pour les non-résidents ;
(c) des facilités législatives permettant de créer des sociétés écrans, sans aucune obligation pour les non-résidents d’avoir une activité réelle sur le territoire ;
(d) l’absence de coopération avec les administrations fiscales, douanières et/ou judiciaires des autres pays ;
(e) la faiblesse ou l’absence de régulation financière.

La Suisse, la City de Londres et le Luxembourg accueillent la majorité des capitaux placés dans les paradis fiscaux. Il y a bien sûr également les Iles Caïmans, les Iles anglo-normandes, Hong-Kong, et d’autres lieux exotiques. Les détenteurs de fortunes qui veulent échapper au fisc ou ceux qui veulent blanchir des capitaux qui proviennent d’activités criminelles sont directement aidés par les banques qui font « passer » les capitaux par une succession de paradis fiscaux. Les capitaux généralement sont d’abord placés en Suisse, à la City de Londres ou au Luxembourg, transitent ensuite par d’autres paradis fiscaux encore plus opaques afin de compliquer la tâche des autorités qui voudraient suivre leurs traces et finissent par réapparaître la plupart du temps à Genève, Zurich, Berne, Londres ou Luxembourg, d’où ils peuvent se rendre si nécessaires vers d’autres destinations.
qu’est la City de Londres [10].

Du côté des gouvernements des pays membres de la zone euro, certains comme les Slovaques et les Finnois ont manifesté leurs doutes concernant les décisions du 21 juillet, ce qui fait planer un climat d’incertitude quant à la ratification de l’accord par leur parlement.

La crise de la dette dans la zone euro a fait en juillet 2011 une nouvelle victime dont la grande presse internationale et les dirigeants de l’UE ont très peu parlé. Il s’agit de Chypre dont les banques sont touchées directement par la crise grecque. Une raison majeure du silence autour de Chypre, c’est que le gouvernement de ce pays échaudé par les politiques d’austérité imposées à la Grèce, à l’Irlande et au Portugal essaye de se passer de l’aide de la Troïka (Commission européenne, BCE et FMI) et est en négociation avec la Russie pour un prêt de 2 milliards d’euros. Le gouvernement italien cherche d’ailleurs lui aussi à éviter de passer sous les Fourches caudines de la Troïka : les autorités de Rome font la cour à la Chine pour qu’elle augmente ses achats de titres italiens.

L’expérience de 2007-2008 n’a absolument pas amené les gouvernements à imposer des règles prudentielles strictes. Au contraire, il s’agit de prendre des mesures pour empêcher les institutions financières, banques, assurances, fonds de pension Fonds de pension Fonds d’investissement, appelé aussi fonds de retraite, qui a pour vocation de gérer un régime de retraite par capitalisation. Un fonds de pension est alimenté par l’épargne des salariés d’une ou plusieurs entreprises, épargne souvent complétée par l’entreprise ; il a pour mission de verser des pensions aux salariés adhérents du fonds. Les fonds de pension gèrent des capitaux très importants, qui sont généralement investis sur les marchés boursiers et financiers. et autres hedge funds Hedge funds Les hedge funds, contrairement à leur nom qui signifie couverture, sont des fonds d’investissement non cotés à vocation spéculative, qui recherchent des rentabilités élevées et utilisent abondamment les produits dérivés, en particulier les options, et recourent fréquemment à l’effet de levier (voir supra). Les principaux hedge funds sont indépendants des banques, quoique fréquemment les banques se dotent elles-mêmes de hedge funds. Ceux-ci font partie du shadow banking à côté des SPV et des Money market funds.

Un Hedge funds (ou fonds spéculatif) est une institution d’investissement empruntant afin de spéculer sur les marchés financiers mondiaux. Plus un fonds aura la confiance du monde financier, plus il sera capable de prendre provisoirement le contrôle d’actifs dépassant de beaucoup la richesse de ses propriétaires. Les revenus d’un investisseur d’un Hedge funds dépendent de ses résultats, ce qui l’incite à prendre davantage de risques. Les Hedge funds ont joué un rôle d’éclaireur dans les dernières crises financières : spéculant à la baisse, ils persuadent le gros du bataillon (les zinzins des fonds de pension et autres compagnies d’assurance) de leur clairvoyance et crée ainsi une prophétie spéculative auto-réalisatrice.
de continuer à nuire. Il est nécessaire de traduire en justice les autorités publiques et les patrons d’entreprises responsables directs ou complices actifs des débâcles boursières et bancaires. Dans l’intérêt de l’écrasante majorité de la population, il est urgent d’exproprier les banques et de les mettre au service du bien commun en les nationalisant et en les plaçant sous le contrôle des travailleurs et des citoyens. Non seulement il faut se refuser à une quelconque indemnisation des grands actionnaires, mais il convient en outre de récupérer sur leur patrimoine global le coût de l’assainissement du système financier. Il s’agit également de répudier les créances Créances Créances : Somme d’argent qu’une personne (le créancier) a le droit d’exiger d’une autre personne (le débiteur). illégitimes que les banques privées réclament aux pouvoirs publics. Il faut bien sûr adopter une série de mesures complémentaires : contrôle des mouvements de capitaux, interdiction de la spéculation Spéculation Opération consistant à prendre position sur un marché, souvent à contre-courant, dans l’espoir de dégager un profit.
Activité consistant à rechercher des gains sous forme de plus-value en pariant sur la valeur future des biens et des actifs financiers ou monétaires. La spéculation génère un divorce entre la sphère financière et la sphère productive. Les marchés des changes constituent le principal lieu de spéculation.
, interdiction des transactions avec les paradis fiscaux et judiciaires, mise en place d’une fiscalité qui a pour objectif l’établissement de la justice sociale… Dans le cas de l’Union européenne, il convient d’abroger différents traités dont ceux de Maastricht et de Lisbonne. Il faut aussi modifier radicalement les statuts de la Banque centrale européenne. Alors que la crise n’a pas encore atteint son apogée, il est grand temps de prendre un tournant radical afin de donner une issue anticapitaliste aux convulsions bancaires et boursières.


* Cet article complète la série : « Dans l’œil du cyclone : la crise de la dette dans l’Union européenne » publiée en sept parties sur le www.cadtm.org . Une version unifiée de la série est également disponible : http://www.cadtm.org/Dans-l-oeil-du-cyclone-la-crise-de

Éric Toussaint, docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, président du CADTM Belgique, membre de la Commission présidentielle d’audit intégral de la dette (CAIC) de l’Équateur et du Conseil scientifique d’ATTAC France. A dirigé avec Damien Millet le livre collectif La Dette ou la Vie, Aden-CADTM, 2011. A participé au livre d’ATTAC : Le piège de la dette publique. Comment s’en sortir, édition Les liens qui libèrent, Paris, 2011.

Notes

[1Bien sûr, la crise de la dette publique est très grave et nécessite des solutions radicales mais il est important d’insister sur la crise des banques privées qui n’est pas le résultat de la crise de la dette publique des États. C’est le contraire qui est largement vrai.

[2Dexia en failllite début octobre 2008 a été renflouée par l’action conjointe des gouvernements français, luxembourgeois et belge. Ce sauvetage coûteux pour les Etats et les collectivités locales a laissé intacte la structure de direction et le fonctionnement de cette banque privatisée au cours des années 1990.

[4Voir le Financial Times « Central banks walk a monetary tightrope », 23 septembre 2011, voir aussi dans la même édition : « Italy : Fight for credibility continues ». Le montant total des rachats effectués par la BCE entre mai 2010, date du début des rachats de titres grecs sur le marché secondaire, et le 12 septembre 2011 s’élève à 143 milliards d’€. En mai 2010 et mars 2011, la BCE avait acheté des titres grecs pour 66 milliards €. Ensuite, elle n’a, selon ses propres dires, plus acheté de titres jusqu’au 8 août 2011. Voir à ce sujet : Eric Toussaint « La BCE, fidèle serviteur des intérêts privés »

[5En septembre 2011, près de la moitié de la dette publique de l’eurozone (qui totalise 6500 milliards €) est passée dans la catégorie à risque élevé. La nouveauté c’est que la dette publique de la Belgique est dorénavant considérée par les marchés financiers comme à risque élevé. La dette publique belge représente 5% de la dette publique de l’eurozone, la Grèce représente 4%, le Portugal 2%, l’Irlande 1%, l’Espagne 9% et l’Italie… 26% ! (Voir Martin Wolf, « Fear and loathing in the eurozone », Financial Times, 28 septembre 2011).

[6Financial Times, « Central banks walk a monetary tightrope », 23 septembre 2011. Un des gros défauts de la politique de la Fed est d’avoir acheté aux institutions financières privées des actifs toxiques (liés au marché des subprime) pour un montant de 1250 milliards de dollars et d’avoir prêté des montants astronomiques à ces mêmes institutions afin de les maintenir à flot alors que l’Etat aurait dû les exproprier.

[7Voir le Financial Times, « IMF/World Bank meetings : Debt talks fail to agree solution », 26 septembre 2011.

[8Voir le Financial Times, « Splits over Greek bail-out », 28 septembre 2011.

[9Ce qui représente néanmoins une masse critique suffisante. Le défaut de cette taxe est sa timidité.

[10Voir le Financial Times, 14 septembre 2011.

Eric Toussaint

Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.

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