15 avril 2014 par Renaud Vivien
CC - Schikhan9
Le 16 avril, le Parlement européen aura la possibilité de modifier le projet de prêt élaboré par la Commission européenne censé aider la Tunisie à faire face à ses difficultés économiques et sociales croissantes. Une occasion à ne pas rater pour ces parlementaires qui n’ont, en revanche, pas eu leur mot à dire sur le contenu de l’ « aide » de l’Union européenne (UE) à l’Ukraine. Comme pour l’Ukraine, l’ « aide » de 300 millions d’euros à la Tunisie telle que présentée dans la proposition de la Commission européenne est une imposture qui va à l’encontre des engagements de l’UE et qui s’aligne totalement sur les politiques néo-libérales du FMI.
Tout d’abord, cette « aide » aggrave l’endettement de ces pays car, contrairement à ce qu’elle prétend être, elle ne contient aucune part de don. Pourtant, le poids de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
étouffe déjà les populations tunisienne et ukrainienne. En 2013, le remboursement de la dette tunisienne représentait sept fois le budget pour la formation professionnelle et l’emploi et trois fois celui de la santé.
Ensuite, cette « aide » vise à ce que la Tunisie et l’Ukraine remboursent en priorité les dettes contractées par les gouvernements précédents. En Tunisie, près de 85% des nouveaux crédits contractés depuis l’insurrection révolutionnaire de 2011 ont été affectés au remboursement de la dette contractée par le régime de Ben Ali. Or, cette dette est « odieuse » selon les termes mêmes de deux résolutions adoptées par le Parlement européen. En Ukraine, les prêts du FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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, de l’UE et de la Banque européenne d’investissement (BEI) visent également à empêcher le défaut de paiement de ce pays qui doit rembourser rien que pour cette année 7,3 milliards d’euros à ses créanciers (principalement des banques privées). Alors que l’urgence est sociale, ces prêts n’aident en réalité que les créanciers et vont aggraver les conditions de vie des populations du fait du poids du remboursement de cette dette mais aussi en raison des conditionnalités
Conditionnalités
Ensemble des mesures néolibérales imposées par le FMI et la Banque mondiale aux pays qui signent un accord, notamment pour obtenir un aménagement du remboursement de leur dette. Ces mesures sont censées favoriser l’« attractivité » du pays pour les investisseurs internationaux mais pénalisent durement les populations. Par extension, ce terme désigne toute condition imposée en vue de l’octroi d’une aide ou d’un prêt.
dictées par le FMI.
En En contrepartie des prêts octroyés à l’Ukraine pour rembourser ses vieilles dettes, le gouvernement provisoire doit, en effet, respecter à la lettre les injonctions du FMI : augmenter de 50 % le prix du gaz dès le 1er mai 2014, geler les retraites et les salaires des fonctionnaires mais aussi supprimer 24 000 postes de fonctionnaires. Même chose en Tunisie où le gouvernement provisoire a conclu avec le FMI en avril 2013 un programme d’ajustement structurel de trois ans qui prévoit la recapitalisation des banques tunisiennes en vue de les privatiser, la révision du Code du travail pour réduire davantage les droits des travailleurs, la baisse des salaires et le gel de l’emploi dans la fonction publique, la réforme du système de couverture sociale et l’allongement de l’âge de départ à la retraite. Le FMI exige également l’arrêt progressif de toute subvention aux produits alimentaires et aux sources d’énergie de consommation populaire alors que le quart de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Dans le même temps, le programme du FMI prévoit de baisser l’impôt sur les profits des sociétés et de renforcer le système d’exonérations fiscales dont bénéficient les transnationales opérant en Tunisie.
Alors que ces mesures anti-sociales correspondent aux recettes classiques de l’austérité imposées par le FMI aux pays du Sud depuis plus de trente ans et à plusieurs pays européens depuis la crise de 2008, le FMI continue à imposer cette voie qui conduit à la fois à l’augmentation de la pauvreté, des inégalités et de la dette publique. Rappelons que le FMI a reconnu lui-même dans un rapport récent l’échec de cette politique d’austérité menée conjointement avec l’UE et la Banque centrale européenne
BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
en Grèce. Force est donc de constater que ses propres rapports n’ont aucun effet sur la direction de cette institution ni sur la Commission européenne puisque cette dernière n’accepte d’accorder des prêts que si les pays se soumettent préalablement au diktat du FMI. C’est notamment le cas de l’Ukraine et de la Tunisie.
Toutefois, le 16 avril, le Parlement européen a le pouvoir de s’y opposer en votant pour l’élimination de toutes les conditionnalités du FMI attachées au prêt de l’UE à la Tunisie. C’est le minimum que les parlementaires puissent faire s’ils veulent réellement aider le peuple tunisien et s’ils sont vraiment soucieux de la démocratie et respectueux de la souveraineté de la Tunisie.
En effet, les mesures du FMI reprises dans la proposition de la Commission européenne n’ont aucune légitimité démocratique. D’une part, l’accord avec le FMI qui engage la Tunisie sur trois ans a été conclu en 2013 par un gouvernement en « affaires courantes » qui n’avait donc aucune légitimité pour prendre une telle décision. Le FMI le sait mais son objectif n’est pas de soutenir la transition démocratique. Son but est de maintenir ce pays sous sa tutelle quel que soit le résultat des élections législatives prévues cette année. Cette stratégie a également été utilisée en Ukraine car le prêt empoisonné du FMI intervient moins de deux mois avant les prochaines élections présidentielles.
D’autre part, les mesures dictées par le FMI ne bénéficient pas de l’appui de la population tunisienne. Pour preuve : l’application de ces mesures a entraîné en janvier dernier un mouvement de contestation populaire qui a gagné toute la Tunisie, faisant reculer (provisoirement) l’actuel gouvernement composé de technocrates.
Enfin, le projet de prêt de l’UE est dénoncé par plusieurs mouvements sociaux et partis politiques tunisiens qui le qualifient de « toxique » du fait des conditionnalités du FMI [1]. Ils appellent les parlementaires européens à supprimer ces mesures d’austérité ainsi qu’à annuler la dette odieuse
Dette odieuse
Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.
Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).
Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.
Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».
Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »
Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
de la Tunisie héritée de l’ère Ben Ali. C’est seulement à ces conditions que l’UE pourra prétendre aider le peuple tunisien.
membre du CADTM Belgique, juriste en droit international. Il est membre de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015. Il est également chargé de plaidoyer à Entraide et Fraternité.
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