Depuis une vingtaine d’années, le Forum Social Mondial (FSM) a ébauché une démarche stratégique en soulignant la nécessaire résistance (propositions contre la financiarisation et la mondialisation néolibérale) et en mettant en avant la recherche d’alternatives et de ruptures autour de nouvelles notions (les communs, le buen vivir, la propriété sociale, la démocratisation de la démocratie). Dans la période à venir, nous pourrons actualiser ces questions : les mouvements émergents, l’écologie, la démarche stratégique, en interrogeant, notamment les rapports entre les formes-mouvements et les formes partis et celle des rapports entre les mouvements et les gouvernements et de la place des rapports aux États.
Aujourd’hui, le Forum reste un outil important même si plusieurs mouvements sociaux (écologistes, syndicaux, coalitions en lutte contre le néolibéralisme, féministes, anti-racistes) ont construit leurs propres mécanismes d’échange à l’échelle locale et internationale.
Les nouveaux mouvements n’ont pas rejeté les forums sociaux mondiaux, mais ils ne s’y sont pas reconnus et ne les ont pas rejoints. Une hypothèse (à vérifier) est que le décrochage a été profondément culturel. Les mouvements qui se sont retrouvés dans les FSM partagent une culture qui fait référence au mouvement ouvrier et aux mouvements de libération nationale. Les nouveaux mouvements et les nouvelles générations ne rejettent pas cette culture, mais ils ne s’y reconnaissent pas totalement dans ses présupposés et dans ses modes d’action. Le débat porte notamment sur les formes de représentation et de délégation. Certains mouvements peuvent faire le lien, notamment le mouvement des femmes, les peuples autochtones, les mouvements antiracistes. C’est pourquoi l’intersectionnalité (classe, genre, origine) est à approfondir et ouvre des perspectives. La prise de conscience de l’apport porté par le mouvement de l’écologie et de l’urgence climatique est essentielle. Le FSM doit être l’espace des nouveaux mouvements.
Depuis les dernières années, le changement de période est brutal. À la montée des luttes succède une période de reprise en main par les classes dirigeantes du capitalisme mondial. Le néolibéralisme devient austéritaire et les répressions se durcissent. Les idéologies sécuritaires, identitaires et racistes se renforcent et s’imposent dans plusieurs pays avec des poussées fascisantes. Plusieurs gouvernements progressistes, notamment en Amérique Latine, ont été renversés ou se sont épuisés. Les mouvements marquent le coup du changement de période. Les mobilisations continuent, mais les résistances deviennent prédominantes. L’absence d’un projet commun issu des mouvements et porté par eux se traduit par un repli vers le niveau national, parfois vers les grandes régions. L’opposition Nord-Sud se complexifie, mais elle reste très présente.
La crise de la pandémie et du climat renforce cette tendance de reprise en main par des États autoritaires. Elle bouleverse les situations et les équilibres ; elle interroge la solidarité internationale, l’internationalisme et l’altermondialisme. A une crise par définition mondiale, les réponses sont surtout nationales et étatiques. Les institutions internationales sont peu écoutées et marginalisées. Les mouvements répondent par des actions de solidarité locale et par la résistance à leurs États. Les contradictions s’accentuent. Les affrontements opposent dans beaucoup de pays des alliances sécuritaires et de droite populiste, aux mouvements qui revendiquent les libertés démocratiques, la défense des droits sociaux, l’urgence écologique.
Le débat actuel au sein du FSM doit permettre de tirer les leçons pour l’avenir des Forums sociaux mondiaux. La crise de la pandémie et du climat prolonge les tendances de la période ouverte depuis 2015. Mais elle introduit beaucoup de discontinuités dont doivent tenir compte les mouvements pour définir leur stratégie ; elle pèse sur les évolutions possibles du FSM. Parmi ces questions : Quelle sera l’évolution de la mondialisation
Mondialisation
(voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.
Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».
La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
et du néolibéralisme ? Comment répondre à l’évolution des politiques étatiques sécuritaires ? Comment les institutions internationales réagiront-elles à leur marginalisation ? Comment évoluera la bataille contre l’hégémonie culturelle du néolibéralisme à partir d’une prise de conscience de la nécessaire égalité pour l’accès aux droits fondamentaux ? En résumé, comment comprendre les évolutions possibles des luttes de classes dans leurs différentes dimensions sociales, politiques, idéologiques, culturelles ?
Après un moment d’interrogations, de nombreuses initiatives sont lancées pour reconstruire des réseaux internationaux de mouvements. Elles démontrent la résilience du mouvement altermondialiste et internationaliste. Tout en recherchant une ouverture internationale, les initiatives ont des assises plus fortes dans les grandes régions géopolitiques et géoculturelles. La question est posée de la place des Forums sociaux mondiaux dans cette situation. Il y a un accord sur la nécessité d’un profond renouvellement des FSM et même d’une nouvelle phase du mouvement altermondialiste. En rappelant que le mouvement altermondialiste ne se résume pas aux Forums sociaux mondiaux. Il faut féliciter les mouvements encore actifs dans le Conseil International du FSM qui ont décidé de poser la question de la situation du FSM et de son renouvellement.
Les dernières consultations animées par le Conseil international du FSM démontrent l’intérêt et la vitalité du Forum en tant que réseau international altermondialiste. Elles montrent la volonté des mouvements de construire des réponses communes par rapport à la mondialisation capitaliste néolibérale aggravée par la crise pandémique et climatique. Elles permettent de vérifier que le Forum Social Mondial reste une des références importantes du mouvement altermondialiste. Concrètement dans le Conseil international du FSM, 77 associations liées à plus d’une trentaine de grands réseaux internationaux ou continentaux s’activent à aborder les grandes questions qui devraient faire l’objet des grands débats dans les années à venir. Lesquels doivent tenir compte des faiblesses et des limites du FSM du fait des questions d’organisation interne et de l’insuffisance du débat politique. Ces faiblesses ne sont, par ailleurs, pas réservées au Forum. Avec les changements et les conséquences de l’évolution mondiale et de ses ruptures, tous les réseaux internationaux subissent le choc et sont interpellés. Le débat porte notamment sur les formes d’organisation qui sont essentielles pour faire évoluer le processus.
Le processus du Forum Social Mondial continue avec les rencontres et les actions des forums sociaux thématiques, nationaux, régionaux et des réseaux internationaux qui lui sont associés. Des rendez-vous importants sont prévus avec le Forum Social Mondial virtuel et présentiel du 25 au 31 janvier 2021, les mobilisations contre le Forum de Davos en mai 2021 et, plus tard, avec la tenue d’un nouveau FSM, probablement à Mexico en 2022.
12 décembre 2020
Source : ESSF
est une des personnalités centrales du mouvement altermondialiste. Ingénieur et économiste, né en 1938 au Caire, a présidé le CRID (Centre de recherche et d’information pour le développement), galaxie d’associations d’aide au développement et de soutien aux luttes des pays du Sud, et a été vice-président d’Attac-France de 2003 à 2006.
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