Iels sont 25 millions, à travers le monde, à travailler pour notre bien-être consumériste. Les États européens aiment à se rappeler qu’ils ont « aboli l’esclavage ». Si seulement c’était vrai. Il n’y a jamais eu autant d’esclaves qu’actuellement. Et il n’a jamais autant rapporté.
Selon l’Organisation Internationale du Travail
OIT
Organisation internationale du travail
Créée en 1919 par le traité de Versailles, l’Organisation internationale du travail (OIT, siège à Genève) est devenue, en 1946, la première institution spécialisée des Nations unies. L’OIT réunit les représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs, dans le but de recommander des normes internationales minimales et de rédiger des conventions internationales touchant le domaine du travail. L’OIT comprend une conférence générale annuelle, un conseil d’administration composé de 56 membres (28 représentants des gouvernements, 14 des employeurs et 14 des travailleurs) et le Bureau international du travail (BIT) qui assure le secrétariat de la conférence et du conseil. Le pouvoir du BIT (Bureau International du Travail) est très limité : il consiste à publier un rapport annuel et regroupe surtout des économistes et des statisticiens. Leurs rapports défendent depuis quelques années l’idée que le chômage provient d’un manque de croissance (de 5% dans les années 60 a 2% aujourd’hui), lui-même suscité par une baisse de la demande. Son remède est celui d’un consensus mondial sur un modèle vertueux de croissance économique, ainsi que sur des réflexions stratégiques au niveau national (du type hollandais par exemple). L’OIT affirme qu’il est naïf d’expliquer le chômage par le manque de flexibilité et que les changements technologiques n’impliquent pas une adaptation automatiquement par le bas en matière de salaires et de protection sociale.
(OIT), il s’agit du troisième trafic mondial illicite le plus prolifique après les armes et les drogues. En moyenne, un.e esclave seul.e, rapporte 3.978 dollars par an. La rentabilité annuelle de ces personnes dépasserait les 150 milliards de dollars. L’esclavage n’a probablement jamais été aussi lucratif.
Le travail forcé est défini comme suit par l’OIT : « Tout travail ou service exigé d’un individu sous la menace d’une peine quelconque et pour lequel ledit individu ne s’est pas offert de plein gré ».
Qui sont les esclaves L’OIT distingue trois catégories d’esclavage : le travail forcé imposé par le secteur privé, le travail forcé imposé par l’État et l’exploitation sexuelle. C’est dans le secteur privé que l’on retrouve le plus grand nombre d’esclaves (16 millions en 2016) ; la moitié de ces esclaves sont dans cette situation suite à l’obligation de remboursement d’une dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement. Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur. Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics. . |
Pour l’exploitation sexuelle, on dénombre quelque 3,8 millions d’adultes victimes et 1 million d’enfants à travers le monde. Et dans ces quasi 5 millions d’esclaves sexuels : 99 % sont des femmes ou des petites filles.
Enfin, on a recensé 4,1 millions de personnes asservies par l’État. Citons, par exemple, l’illustre cas américain. En effet, aux États-Unis, les prisons représentent le troisième employeur du pays.
Le 13e amendement est bien pratique pour le business américain : il abolit l’esclavage à un détail près : comme châtiment d’un crime pour lequel la partie aura été dûment condamnée
Le 13e amendement est bien pratique pour le business américain : il abolit l’esclavage à un détail près : « comme châtiment d’un crime pour lequel la partie aura été dûment condamnée ». Ainsi, la justice américaine peut se permettre de créer des esclaves. D’autant plus, qu’aux Etats-Unis, 90 % des procès se terminent en « plea bargain » (négociation de peine).
Plus que des crimes, c’est bel et bien des classes sociales et raciales que l’on enferme pour l’asservir à l’envi. Dans le monde, un détenu sur cinq est aux États-Unis. La 1re « démocratie » mondiale, est également le premier geôlier mondial. Régulièrement, les prisonnier.es aux Etats-Unis font grève afin de mettre fin à cet esclavage moderne.
Sur les 25 millions d’esclaves, 10% (soit 2.500.000) sont dans une situation de travail forcé imposé par l’État, 22% (soit 5.500.000) sont dans une situation de travail forcé à des fins d’exploitation sexuelle et enfin, 68% (soit 17.000.000) sont dans une situation de travail à des fins d’exploitation ouvrière. Les secteurs les plus concernés sont donc : l’agriculture, la pêche, les mines, l’industrie, les services et le travail domestique. Ajoutons à cela 15 millions de personnes (des femmes et des filles dans 99% des cas) dans une situation d’exploitation sexuelle et vous obtenez une situation mondialement déplorable.
Contrairement aux idées reçues, les études réalisées démontrent que les esclaves sont sur tous les continents du monde.
Pour le travail forcé, en Asie-Pacifique nous dénombrons 4 esclaves pour 1.000 personnes. En Europe et Asie Centrale il s’agit de 3,6 personnes pour 1.000. 2,8 pour 1.000 en Afrique, 2,2 pour 1.000 dans les États arabes et 1,3 pour 1.000 dans les Amériques (les deux derniers chiffres sont à tempérer tant nous disposons de très peu d’informations sur la réalité in situ)
Nous sommes donc, ici, en Europe, berceau auto-assigné des droits humains, encore terrés dans les affres du travail forcé. L’horreur ne se perpétue pas uniquement dans les pays « en voie de développement » mais bien sur nos grandes avenues lumineuses et pavées de bonnes intentions.
Inge Ghijs, rédactrice au journal De Standaard a mené l’enquête dans son livre : « Esclaves domestiques : humilié(e)s, violé(e)s, caché(e)s ».
Dans celui-ci, l’autrice nous emmène au sein des institutions diplomatiques bruxelloises et autre familles nanties (ou moins nanties, la classe moyenne n’étant pas en reste de femmes de ménage) soucieuses de trouver une domestique à domicile pour s’occuper de leurs enfants.
Inge Ghijs eut du mal à trouver des personnes prêtes à se livrer sur ce tendancieux sujet. Les personnes lésées ont bien souvent peur des représailles et les familles ou ambassadeur.ice.s sont très frileux.ses à l’idée de se faire interviewer en tant qu’esclavagiste.
Pourtant, à force de détermination, Inge Ghijs parvint à obtenir certaines informations primordiales, comme le statut particulier des diamantaires indiens :
Les quelques 1.177 Indiens habitant à Anvers sont majoritairement de confession jaïne. Caste supérieure et très active dans le commerce de diamants, les jaïns doivent suivre un régime alimentaire très strict et ne peuvent manger que de la nourriture ayant été préparée par des mains pures, à savoir, des cuisiniers indiens. Les jaïns ramènent donc des castes inférieures indiennes afin de leur servir de cuisinier, mais aussi d’homme ou de femme d’ouvrage. Comme l’explique Marc Vandenabeele, bourgmestre d’Aartselaar et anciennement directeur général du Haut Conseil du Diamant :
Il n’y a pas qu’à Anvers que le trafic d’êtres humains se fait florissant. Inge Ghijs nous parle de ses petites annonces dans les journaux :
Petit à petit, Inge Ghijs tombe sur ces femmes de l’ombre. Amenées en Belgique par des cousins ou cousines éloignées. Des monts et merveilles qu’on leur avait promis, ces femmes rencontrent bien plus souvent démons et des maux. De surcroît, elles se retrouvent bloquées en Belgique à devoir rembourser un billet d’avion acheté à crédit tout en devant renvoyer sempiternellement de l’argent au pays pour leur(s) enfant(s). Leur visa, bien souvent confisqué par la famille d’accueil, elles se retrouvent bloquées, dans l’incapacité d’en parler à qui que ce soit et surtout à la police.
À cela s’ajoute leurs propres besoins, qui, pour la plupart du temps, ne sont pas pris en compte par les familles. Maria, femme de ménage brésilienne, nous explique :
Maria est très loin d’être la seule dans cette situation. On estime à 23.000 le nombre d’esclaves en Belgique. Inge Ghijs estime que du « brain drain » d’il y a quelques décennies, nous sommes, pays occidentaux, parvenus à un « care
Care
Le concept de « care work » (travail de soin) fait référence à un ensemble de pratiques matérielles et psychologiques destinées à apporter une réponse concrète aux besoins des autres et d’une communauté (dont des écosystèmes). On préfère le concept de care à celui de travail « domestique » ou de « reproduction » car il intègre les dimensions émotionnelles et psychologiques (charge mentale, affection, soutien), et il ne se limite pas aux aspects « privés » et gratuit en englobant également les activités rémunérées nécessaires à la reproduction de la vie humaine.
drain ». À savoir que nos pays « développés » s’approprient un nombre conséquent de mères de famille étrangères. Ces dernières viennent s’occuper d’enfants qui ne sont pas les leurs, peuvent jusqu’à devenir leur mère de substitution. Pendant que dans leur pays d’origine, leur(s) enfant(s) se languissent d’une mère absente, ayant traversé les océans pour leur offrir un avenir meilleur. Souvent, l’incompréhension et la haine dominent les sentiments de ces enfants envers leur mère.
A cela s’ajoute un nombre impressionnant de disparitions d’enfants par an. 2.000 dossiers ouverts pour disparition par an en Belgique. 250.000 dans toute l’Europe.
Les chiffres les plus inquiétants concernent les Mineurs Étrangers Non Accompagnés (MENA). En effet, depuis quelques années, nombre de disparitions inexpliquées touchent les réfugiés mineurs en Belgique
Les chiffres les plus inquiétants concernent les Mineurs Étrangers Non Accompagnés (MENA). En effet, depuis quelques années, nombre de disparitions inexpliquées touchent les réfugiés mineurs en Belgique. En 2005, déjà, Child Focus tirait la sonnette d’alarme : « Un MENA sur quatre disparaît après avoir demandé l’asile. ». Iels sont quelques 10.000 à avoir disparu.es en Europe depuis 2015. Ces disparitions peuvent soit s’expliquer par une volonté de l’enfant de quitter le centre par ses propres moyens, soit par l’appétence de certains réseaux de pédo-prostitution, dans le silence le plus complet de l’opinion publique.
Dans tous les cas, nous sommes dans l’obligation, en tant qu’États européens, de réaliser notre arrogance quand nous claironnons que nous avons aboli la servitude. Nous profitons quotidiennement d’un esclavage larvé, rendu presque invisible par la force de notre aveuglement. Tant que notre société continuera à produire des êtres et des non-êtres, l’esclavage moderne n’aura de cesse de prospérer.
L’éviction de ces réalités dans nos esprits semble fonctionner à la perfection. L’esclavage est illégal dans la majorité du monde, pourtant, il n’a jamais été aussi prolifique, il n’a jamais été aussi facile. Le progrès technologique rend bien plus aisées la coercition humaine et la gestion à grande échelle de trafic d’êtres humains. Nous ne pouvons plus nous terrer dans l’hypocrisie.
Nos pays européens n’ont de cesse de vouloir « civiliser » l’entièreté du monde, persuadés que nous sommes de détenir toutes les clés aux problèmes que nous nous créons nous-mêmes. Seulement, ce panorama de la situation mondiale de l’esclavage nous prouve bel et bien que les maux sont au sein même de notre société. Cessons de pointer du doigt les horreurs qui se produisent à des milliers de kilomètres de nos propres errements. À Bruxelles, à Anvers, à Liège, nous les croisons. Ces femmes, ces hommes et ces enfants, une myriade de quidams en souffrance. Mais les voyons-nous seulement ?
Source : POUR
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