À partir du livre d’Éric Toussaint, « Banque mondiale, une histoire critique »
17 janvier 2022 par Gustave Massiah
Éric Toussaint propose un nouveau livre [1], Banque mondiale : une histoire critique. C’est une véritable somme et une analyse critique, forcément critique. Elle s’inscrit dans une activité continue et ininterrompue, scientifique et militante. Éric Toussaint est le fondateur et un des principaux animateurs du CADTM, créé en1990 comme Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde, et renommé ensuite, en 2016, Comité pour l’abolition des dettes illégitimes. Il est aussi connu pour ses recherches et ses expertises qui ont été diffusées dans plus d’une vingtaine de livres, notamment Le Système dette : histoire des dettes souveraines et de leur répudiation [2], et plusieurs centaines d’articles ainsi que, dans de nombreux pays, dans l’action des comités pour l’annulation de la dette et dans les comités d’audit de la dette.
Dans une préface percutante, Gilbert Achcar souligne que les deux institutions, Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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(BM) et Fonds monétaire international
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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(FMI), ont surtout sévi dans les pays du Sud ce qui explique en partie la mise en tutelle et les retards de ces pays par rapport aux pays du Nord. Elles ont mis en œuvre les mesures clés de la mutation néolibérale en imposant ses grands axiomes : la privatisation des entreprises publiques ; la réduction du secteur public qui occupe une place beaucoup plus importante dans les économies du Nord ; la précarisation du travail avec encore moins de droits que pour les travailleurs du Nord ; la réduction des déficits budgétaires, et donc des dépenses sociales et des investissements publics ; le choix pour des investissements privés libérés de toute régulation publique. Le néolibéralisme pèse plus lourdement sur les pays du Sud, d’autant qu’il ne se soucie même plus de prétendre à la démocratie libérale et soutient systématiquement les dictatures. Le levier du néolibéralisme a été constitué par la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
. C’est ce qui a permis à Éric Toussaint, fondateur du CADTM, de devenir un des meilleurs connaisseurs, expert et critique de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, et un excellent pédagogue.
Le livre d’Éric Toussaint est un modèle d’expertise citoyenne. Il présente L’histoire de la BM, et du FMI à partir de la BM, des origines à 2021. Il s’appuie sur sept études de pays : Philippines (1946 à 1986) ; Turquie (1980 à 1990) ; Indonésie (1947 à 2005) ; Corée du Sud (1945 à 1978) ; Mexique (1970 à 2005) ; Équateur (1990 à 2019) ; Rwanda (1980 à 1990). Il examine au fil des chapitres la situation dans plus d’une trentaine de pays du Sud. Le livre examine les politiques de la BM sur quelques-unes des questions majeures de la situation actuelle : la crise écologique et le changement climatique ; les réactions populaires à partir du printemps arabe (2011) ; le genre et une approche féministe de la critique de la BM portée par Camille Bruneau ; les droits humains. Le livre pose en conclusion la question de l’impunité et de la justiciabilité de la BM et propose la suppression de la BM et du FMI et leur remplacement par des institutions internationales démocratiques.
L’action de la BM s’apparente à un coup d’État permanent. Elle a apporté un appui financier, technique et économique à un nombre impressionnant de dictatures
L’action de la BM s’apparente à un coup d’État permanent. Elle a apporté un appui financier, technique et économique à un nombre impressionnant de dictatures, à l’apartheid et aux dépenses coloniales des puissances coloniales. Elle a aussi pesé sur l’évolution des pays qui se sont démocratisés en exigeant le remboursement des dettes passées par les dictatures et elle a imposé le néolibéralisme par l’ajustement structurel. A partir de 1989, la BM impose le « consensus de Washington » qui définit les thèses de l’école de Chicago qui a formalisé le néolibéralisme. L’agenda proclamé de ce consensus est la réduction de la pauvreté par la croissance, le libre-jeu du marché, le libre-échange, la limitation des actions économiques des pouvoirs publics.
L’agenda caché est d’imposer le néolibéralisme par la crise de la dette et le contrôle des sociétés. Il s’agit, au nom de la libéralisation, d’imposer l’action coercitive des institutions publiques multilatérales, le groupe BM, FMI, OMC
OMC
Organisation mondiale du commerce
Créée le 1er janvier 1995 en remplacement du GATT. Son rôle est d’assurer qu’aucun de ses membres ne se livre à un quelconque protectionnisme, afin d’accélérer la libéralisation mondiale des échanges commerciaux et favoriser les stratégies des multinationales. Elle est dotée d’un tribunal international (l’Organe de règlement des différends) jugeant les éventuelles violations de son texte fondateur de Marrakech.
L’OMC fonctionne selon le mode « un pays – une voix » mais les délégués des pays du Sud ne font pas le poids face aux tonnes de documents à étudier, à l’armée de fonctionnaires, avocats, etc. des pays du Nord. Les décisions se prennent entre puissants dans les « green rooms ».
Site : www.wto.org
. Les pays sont piégés par la toile d’araignée tissée par le groupe de la BM et formée par ses filiales. La BM impose et finance la privatisation ; la SFI, Société financière internationale, investit dans les sociétés privatisées ; l’AMGI, Agence multilatérale de garantie des investissements, garantit les investissements ; le CIRDI
CIRDI
Le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a été créé en 1965 au sein de la Banque mondiale, par la Convention de Washington de 1965 instituant un mécanisme d’arbitrage sous les auspices de la Banque mondiale.
Jusqu’en 1996, le CIRDI a fonctionné de manière extrêmement sporadique : 1972 est la date de sa première affaire (la seule de l’année), l’année 1974 suivit avec 4 affaires, et suivirent de nombreuses années creuses sans aucune affaire inscrite (1973, 1975,1979, 1980, 1985, 1988, 1990 et 1991). L’envolée du nombre d’affaires par an depuis 1996 (1997 : 10 affaires par an contre 38 affaires pour 2011) s’explique par l’effet des nombreux accords bilatéraux de protection et de promotion des investissements (plus connus sous le nom de « TBI ») signés a partir des années 90, et qui représentent 63% de la base du consentement à la compétence du CIRDI de toutes les affaires (voir graphique)). Ce pourcentage s’élève à 78% pour les affaires enregistrées uniquement pour l’année 2011.
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Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements, contrôle le jugement en cas de litige.
A travers l’histoire de la BM, le livre présente une histoire de l’économie mondiale après la première guerre mondiale, la crise de 1929 et la deuxième guerre mondiale
A travers l’histoire de la BM, le livre présente une histoire de l’économie mondiale après la première guerre mondiale, la crise de 1929 et la deuxième guerre mondiale. En 1931, l’Allemagne arrête le remboursement de la dette de guerre ; les européens arrêtent de rembourser la dette aux États-Unis qui réduisent leurs exportations de capitaux ; le capitalisme se grippe. Keynes souligne qu’un pays créancier doit aider les pays débiteurs à payer leurs exportations et que les dons peuvent être préférables aux prêts. Roosevelt en tire la leçon entre 1941 et 1944 ; on voit poindre la logique du plan Marshall Plan Marshall Ce plan a été conçu par l’administration du président démocrate Harry Truman, sous le nom de European Recovery Program. Il sera ensuite connu sous le nom du secrétaire d’État de l’époque, Georges Marshall (qui a été chef d’état-major général entre 1939 et 1945), chargé d’en assurer la mise sur pied. Entre avril 1948 et décembre 1951, les États-Unis accordent, principalement sous forme de dons, à quinze pays européens et à la Turquie une aide de 12,5 milliards de dollars (ce qui représente une somme plus de dix fois supérieure en 2020). Le Plan Marshall visait à favoriser la reconstruction de l’Europe dévastée au cours de la Seconde Guerre mondiale. de 1948. Les États-Unis, pour protéger et favoriser leurs exportateurs, créent l’Export import Bank of Washington en 1934 et la Banque interaméricaine en 1940. Pour que les pays remboursent, on en fait des actionnaires et les droits de vote sont calculés sur les apports ; c’est le modèle qui servira pour le FMI et la BM.
Harry White, ministre de Roosevelt est un keynésien qui prévoit deux institutions publiques fortes avec un Fonds chargé d’assurer la stabilité des taux de change en instaurant un contrôle sur les mouvements de capitaux et des subventions à l’exportation et une Banque pour fournir des capitaux et stabiliser les prix des matières premières avec ses capitaux et sa monnaie l’unitas. Les milieux financiers refusent la règlementation de la circulation des capitaux privés et leur concurrence par des capitaux publics. Le plan est revu à la baisse : pas de monnaie internationale (le bancor de Keynes ou l’unitas de White) ; la banque doit emprunter auprès des privés ; pas de stabilisation des cours des matières. La première conférence de Bretton Woods se tiendra du 1er au 22 juillet 1944 ; 44 pays y participeront. Il n’y a pas d’accord avec l’URSS qui dénonce les institutions créées comme des filiales de Wall Street.
De 1946 à 1962, la BM va aider la reconstruction de l’Europe et va aider les métropoles coloniales dans l’exploitation de leurs colonies. Elle va soutenir les pays du Nord et leurs entreprises et intervenir dans la guerre froide en contrant les Nations unies et ses agences. Au départ, il s’agit de tirer la leçon des années 1930 en promouvant les Nations unies et Bretton Woods.
De 1946 à 1962, la BM a aidé les métropoles coloniales dans l’exploitation de leurs colonies
A partir de 1947, Wall Street, à laquelle la BM doit emprunter, commence à la contrôler les institutions financières internationales. La politique des prêts de la BM impose des coûts élevés pour les emprunteurs, avec des taux d’intérêt
Taux d'intérêt
Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
proches du marché augmentés d’une commission et des périodes de remboursement assez courtes. La BM sélectionne des projets rentables et impose des réformes économiques draconiennes. Elle oriente les investissements vers les exportations et l’argent prêté repart dans les pays du nord qui bénéficient de 96 % des dépenses ; il n’y a pas eu un seul prêt pour une école avant 1962.
Le Plan Marshall de 1948 et les accords de Londres de 1953 sur la dette allemande réduisent le rôle de la BM. La dette allemande est aménagée et très fortement réduite ; elle est réglée en 1960 et les grandes entreprises allemandes sont sauvegardées. La stratégie est de construire le bloc occidental contre l’URSS et d’éviter la contagion révolutionnaire et les exemples de la Chine après 1949 et de Cuba après 1959. C’est ce qui conduit la BM à parler du sous-développement et à déclarer s’intéresser à la pauvreté, aux inégalités, à la santé, à la scolarisation.
Pour éviter une contagion révolutionnaire la BM s’est intéressée à la pauvreté, aux inégalités, à la santé, à la scolarisation
De 1960 à 1980, la BM est toujours sous l’influence et le contrôle des États-Unis qui détiennent un droit de veto de fait. L’influence des milieux d’affaires est croissante et sert de référence. La BM crée des filiales indépendantes des gouvernements. Elle s’oppose aux politiques de substitution des importations et à la satisfaction des marchés intérieurs. Elle s’oppose aux gouvernements progressistes et soutient les dictatures comme on peut le voir avec Pinochet au Chili, les colonels brésiliens, Somoza au Nicaragua, Mobutu au Zaïre, Ceausescu en Roumanie, au Vietnam du Sud, à Marcos aux Philippines, à Suharto en Indonésie, au coup d’état militaire en Turquie en 1980, … Trois chapitres détaillent les politiques de la BM aux Philippines, en Turquie et en Indonésie.
De 1960 à 1973 la BM augmente les prêts parallèlement aux investissements privés. A partir du premier choc pétrolier en 1973, la BM prête en concurrence avec le privé. Après le deuxième choc pétrolier en 1979, c’est l’heure de la riposte : la hausse des taux d’intérêt et la baisse des cours des matières premières conduit au piège de l’endettement. Le transfert net
Transfert net
On appellera transfert net sur la dette la différence entre les nouveaux prêts contractés par un pays ou une région et son service de la dette (remboursements annuels au titre de la dette - intérêts plus principal).
Le transfert financier net est positif quand le pays ou le continent concerné reçoit plus (en prêts) que ce qu’il rembourse. Il est négatif si les sommes remboursées sont supérieures aux sommes prêtées au pays ou au continent concerné.
sur la dette s’inverse : entre 1983 et 1991, les pays en développement remboursent plus qu’ils n’empruntent. La dette s’envole ; elle atteint 2600 milliards en 2004 dont 23 % de dette multilatérale aux Institutions financières internationales, 20 % de dette publique bilatérale aux États et 57 % au privé. A partir de 1980 l’ajustement structurel est imposé par le FMI et la BM. La crise de la dette mexicaine illustre cette évolution.
Depuis 1980 l’ajustement structurel est imposé par le FMI et la BM
L’envolée des taux d’intérêt américains et la chute des revenus pétroliers conduit à un surendettement colossal. L’ajustement structurel se traduit par une récession Récession Croissance négative de l’activité économique dans un pays ou une branche pendant au moins deux trimestres consécutifs. , des pertes d’emplois massives, la chute pouvoir d’achat, la privatisation des entreprises, la concentration des richesses. C’est la fin des politiques progressistes mexicaines menées de la révolution de 1910 aux années 1940.
La BM devient l’huissier des créanciers, pour les banques privées, américaines et aussi européennes et japonaises. Elle va forcer à convertir les dettes privées en dettes publiques. FMI et BM fixent les règles : les créanciers agissent collectivement, les pays endettés séparément avec défense de former un front commun. Ils doivent payer obligatoirement les intérêts, il n’y a pas d’annulation ou de réduction, que des rééchelonnements et l’intégration des intérêts dans le calcul du transfert net. Ils doivent s’engager à réaliser les politiques d’austérité.
FMI et BM fixent les règles : les créanciers agissent collectivement, les pays endettés séparément avec défense de former un front commun
Le discours se durcit par rapport aux dirigeants des pays en développement. Ils doivent appliquer les plans d’austérité des programmes d’ajustement structurel. Il s’agit de disculper les institutions financières internationales et les pays du nord et de rendre responsables les dirigeants nationaux des pays du Sud. En fait, la complicité entre les banquiers du nord et les classes dirigeantes du sud se renforce. Elle passe par les fuites de capitaux, la corruption, le placement dans les paradis fiscaux
Paradis fiscaux
Paradis fiscal
Territoire caractérisé par les cinq critères (non cumulatifs) suivants :
(a) l’opacité (via le secret bancaire ou un autre mécanisme comme les trusts) ;
(b) une fiscalité très basse, voire une imposition nulle pour les non-résidents ;
(c) des facilités législatives permettant de créer des sociétés écrans, sans aucune obligation pour les non-résidents d’avoir une activité réelle sur le territoire ;
(d) l’absence de coopération avec les administrations fiscales, douanières et/ou judiciaires des autres pays ;
(e) la faiblesse ou l’absence de régulation financière.
La Suisse, la City de Londres et le Luxembourg accueillent la majorité des capitaux placés dans les paradis fiscaux. Il y a bien sûr également les Iles Caïmans, les Iles anglo-normandes, Hong-Kong, et d’autres lieux exotiques. Les détenteurs de fortunes qui veulent échapper au fisc ou ceux qui veulent blanchir des capitaux qui proviennent d’activités criminelles sont directement aidés par les banques qui font « passer » les capitaux par une succession de paradis fiscaux. Les capitaux généralement sont d’abord placés en Suisse, à la City de Londres ou au Luxembourg, transitent ensuite par d’autres paradis fiscaux encore plus opaques afin de compliquer la tâche des autorités qui voudraient suivre leurs traces et finissent par réapparaître la plupart du temps à Genève, Zurich, Berne, Londres ou Luxembourg, d’où ils peuvent se rendre si nécessaires vers d’autres destinations.
auprès des mêmes banques.
Cheryl Payer [3], dès 1975, analyse les Programmes d’ajustement structurel : abolition du contrôle des changes et sur les importations ; dévaluation Dévaluation Modification à la baisse du taux de change d’une monnaie par rapport aux autres. de la monnaie ; contrôle de l’inflation Inflation Hausse cumulative de l’ensemble des prix (par exemple, une hausse du prix du pétrole, entraînant à terme un réajustement des salaires à la hausse, puis la hausse d’autres prix, etc.). L’inflation implique une perte de valeur de l’argent puisqu’au fil du temps, il faut un montant supérieur pour se procurer une marchandise donnée. Les politiques néolibérales cherchent en priorité à combattre l’inflation pour cette raison. par la hausse des taux d’intérêts et des réserves de change ; contrôle du déficit public par la baisse des dépenses ; augmentation des taxes et tarifs des services publics ; abolition des subventions ; accueil des investissements étrangers.
Les résistances aux Programmes d’ajustement structurel sont très importantes. En Amérique latine, le Consensus de Carthagène regroupe onze pays débiteurs de 1984 à 1987. En Afrique, Thomas Sankara met en avant l’annulation de la dette en 1987. En 1989-1991, la BM et le FMI triomphent avec la chute de l’URSS. Au contre-G7 G7 Groupe informel réunissant : Allemagne, Canada, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie, Japon. Leurs chefs d’État se réunissent chaque année généralement fin juin, début juillet. Le G7 s’est réuni la première fois en 1975 à l’initiative du président français, Valéry Giscard d’Estaing. , qui se déroule à Paris en juillet 1989, le mot d’ordre est « dette, colonies, apartheid, ça suffat comme ci ! » ; le CADTM s’en saisira et le prolongera. Un allègement des dettes est proposé par le plan Brady en 1990.
Les résistances aux Programmes d’ajustement structurel sont très importantes
Pourtant il apparaît clairement, en 1995, que la crise de la dette n’est pas résolue. En 1996, la BM lance une nouvelle initiative de réduction, le PPTE
PPTE
Pays pauvres très endettés
L’initiative PPTE, mise en place en 1996 et renforcée en septembre 1999, est destinée à alléger la dette des pays très pauvres et très endettés, avec le modeste objectif de la rendre juste soutenable.
Elle se déroule en plusieurs étapes particulièrement exigeantes et complexes.
Tout d’abord, le pays doit mener pendant trois ans des politiques économiques approuvées par le FMI et la Banque mondiale, sous forme de programmes d’ajustement structurel. Il continue alors à recevoir l’aide classique de tous les bailleurs de fonds concernés. Pendant ce temps, il doit adopter un document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP), parfois juste sous une forme intérimaire. À la fin de ces trois années, arrive le point de décision : le FMI analyse le caractère soutenable ou non de l’endettement du pays candidat. Si la valeur nette du ratio stock de la dette extérieure / exportations est supérieure à 150 % après application des mécanismes traditionnels d’allégement de la dette, le pays peut être déclaré éligible. Cependant, les pays à niveau d’exportations élevé (ratio exportations/PIB supérieur à 30 %) sont pénalisés par le choix de ce critère, et on privilégie alors leurs recettes budgétaires plutôt que leurs exportations. Donc si leur endettement est manifestement très élevé malgré un bon recouvrement de l’impôt (recettes budgétaires supérieures à 15 % du PIB, afin d’éviter tout laxisme dans ce domaine), l’objectif retenu est un ratio valeur nette du stock de la dette / recettes budgétaires supérieur à 250 %. Si le pays est déclaré admissible, il bénéficie de premiers allégements de son service de la dette et doit poursuivre avec les politiques agréées par le FMI et la Banque mondiale. La durée de cette période varie entre un et trois ans, selon la vitesse de mise en œuvre des réformes clés convenues au point de décision. À l’issue, arrive le point d’achèvement. L’allégement de la dette devient alors acquis pour le pays.
Le coût de cette initiative est estimé par le FMI en 2019 à 76,2 milliards de dollars, soit environ 2,54 % de la dette extérieure publique du Tiers Monde actuelle. Les PPTE sont au nombre de 39 seulement, dont 33 en Afrique subsaharienne, auxquels il convient d’ajouter l’Afghanistan, la Bolivie, le Guyana, Haïti, le Honduras et le Nicaragua. Au 31 mars 2006, 29 pays avaient atteint le point de décision, et seulement 18 étaient parvenus au point d’achèvement. Au 30 juin 2020, 36 pays ont atteint le point d’achèvement. La Somalie a atteint le point de décision en 2020. L’Érythrée et le Soudan n’ont pas encore atteint le point de décision.
Alors qu’elle devait régler définitivement le problème de la dette de ces 39 pays, cette initiative a tourné au fiasco : leur dette extérieure publique est passée de 126 à 133 milliards de dollars, soit une augmentation de 5,5 % entre 1996 et 2003.
Devant ce constat, le sommet du G8 de 2005 a décidé un allégement supplémentaire, appelée IADM (Initiative d’allégement de la dette multilatérale), concernant une partie de la dette multilatérale des pays parvenus au point de décision, c’est-à-dire des pays ayant soumis leur économie aux volontés des créanciers. Les 43,3 milliards de dollars annulés via l’IADM pèsent bien peu au regard de la dette extérieure publique de 209,8 milliards de dollars ces 39 pays au 31 décembre 2018.
, Programme pour les Pays très endettés. Le Ghana de Jerry Rawlings refuse de s’y associer. Les critiques contre la BM et contre les orientations néolibérales, prennent plus d’importance avec Jubilé 2000 et les manifestations à Washington et à Madrid, à l’occasion du cinquantenaire de Bretton Woods, autour du mot d’ordre « 50 ans ça suffit ! ». La BM doit aussi faire face à une crise interne avec le départ de son économiste en chef, Joseph Stiglitz, qui critique ses orientations. Elle est aussi interpellée par un rapport de la commission Meltzer au Sénat des États-Unis qui revendique toujours le contrôle de la BM et de ses orientations mais qui donne l’occasion à des critiques aux États-Unis de s’exprimer. La BM affiche alors un objectif d’action pour la réduction de la pauvreté. Ce qui n’empêche pas la BM d’être compromise dans le génocide au Rwanda en 1994 et d’intervenir dans les offensives contre l’Irak. Pour autant les orientations des Programmes d’ajustement structurel et du consensus de Washington restent toujours les références de la BM et du FMI comme on a pu le voir au Sri Lanka, à Haïti, en Équateur, en Tunisie et en Égypte. Le chapitre sur l’Équateur montre les avancées et les limites des résistances d’un État aux politiques du FMI et de la BM à partir de 2006 et jusqu’à un tournant en 2011 qui accepte les oukases de la BM. Éric Toussaint a participé activement aux travaux de la Commission d’audit intégral du crédit (CAIC) à Quito 2007-2008.
Face à ces critiques, dans les années 2000, le débat au sein de la BM est analysé par son économiste en chef Anna Krueger qui pointe la différence avec les années 1970. Elle évoque le choix entre poursuivre ses activités en priorité « pour » les pays pauvres ou se concentrer sur les « soft issues », les droits des femmes, l’environnement et les ONG. Elle réaffirme la poursuite de l’agenda néolibéral qui se décline avec le maintien des institutions multilatérales, le contrôle par les États-Unis, l’annulation des dettes pour les PPTE, l’attribution de dons plutôt que des prêts, la prise en charge des services par le secteur privé, la lutte contre la corruption.
L’histoire critique de la BM permet à Éric Toussaint, tout au long du livre de passer en revue quelques grandes questions stratégiques : le débat sur les théories du développement ; le climat et la crise écologique ; la pandémie ; les printemps arabes ; la prise en compte du genre ; les droits humains ; les rapports aux Nations unies ; un système multilatéral alternatif.
Le livre présente une analyse des théories de la Banque mondiale. Elles sont caractérisées de mensonges théoriques sur le développement. C’est en fait une vision conservatrice et ethnocentrique qui se réfère à une idéologie du développement.
Le livre présente une analyse des théories de la Banque mondiale
Le projet est de s’appuyer sur l’endettement extérieur, d’attirer des investissements étrangers et d’importer des biens de consommation. Le livre passe en revue et critique différentes théories. Le modèle de Samuelson magnifie le libre-échange. Le modèle de Rostow sur les cinq étapes du développement codifie le modèle des pays occidentaux. L’insuffisance supposée de l’épargne justifie le financement extérieur. Le modèle à double déficit, épargne et devises, se traduit par la priorité aux exportations et par la dette extérieure en devises. L’effet de ruissellement affirme que les retombées positives de la croissance pour les riches finiront par bénéficier aux pauvres. Les inégalités sont supposées découler de la croissance comme le formaliserait la courbe de Kuznets. Le chapitre sur la Corée du Sud démasque le miracle revendiqué par la BM pour justifier ses orientations. Il montre que la Corée du Sud a mis en œuvre une politique opposée à celle que met en avant la BM avec une action de l’État massive, la substitution d’importations, une industrialisation initiale appuyée sur la réforme agraire, une industrie lourde. Un modèle étatiste contraire au modèle présenté comme la référence.
L’action pour le climat et la crise écologique n’apparaissent dans les déclarations de la BM que très tardivement. Le modèle de la BM est destructeur des droits humains et de l’environnement. Les projets soutenus par la BM se traduisent par la déforestation, les mégaprojets énergétiques, la destruction des protections naturelles des côtes par les mangroves, les industries extractives, l’agrobusiness, les privatisations et l’accaparement des terres, les monocultures d’exportation, le soutien des entreprises semencières.
La politique de la BM détruit les droits humains et l’environnement
Lawrence Summers, son économiste en chef, déclarera en 1991 que les pays en développement sont en réalité sous-pollués. Ce qui n’a pas empêché la Conférence de Rio pour l’environnement de confier à la BM la gestion du Fonds mondial de protection de l’environnement. Et Anne Krueger affirmera en 2003 que la croissance se traduit forcément par une dégradation de l’environnement, l’amélioration ne pouvant intervenir que dans un deuxième temps. Le tournant est amorcé en 2006, sans aucune autocritique, à partir du rapport Stern. La prise de conscience aux États-Unis après l’ouragan Katrina, à la Nouvelle Orléans, facilite le tournant de la BM et son intérêt pour l’environnement. Elle va soutenir la Commission globale pour l’économie et le climat qui défend le capitalisme vert. Malgré la commission des barrages et la commission des industries extractives, la BM continue à mettre en œuvre son modèle productiviste. Ce qui ne l’empêche pas de s’auto-féliciter pour son action pour l’environnement ; bien que l’on voie mal de quelle action il s’agit ! Éric Toussaint propose que les dettes qui ont servi à des projets nocifs pour l’environnement, alors que la BM savaient qu’ils l’étaient, soient considérées comme des dettes odieuses et soient annulées.
Des années 2010 à la pandémie, la période est caractérisée par la quête ratée d’une nouvelle image. En 2014, le FMI dit avoir appris de la crise financière de 2008. Mais, chassez le naturel, il revient au galop ! En fait, la contraction des dépenses publiques concerne 119 pays ; ce sont toujours des programmes d’ajustement structurel qui sont mis en œuvre. En 2021 on assiste à nouvelle étape austéritaire, combinant austérité et autoritarisme ; des mesures d’austérité sont attendues dans 159 pays pour 2022. Les dépenses liées à la pandémie se traduisent par des déficits budgétaires et une dette croissante. Le programme Doing business qui devait renouveler les programmes d’ajustement structurel tout en prolongeant les orientations néolibérales est abandonné en 2021. Les politiques de santé avaient été mises à mal par l’ajustement structurel. Il n’y a eu aucune annulation des dettes pendant la pandémie. Entre mars 2020 et 2021, la BM a reçu plus de remboursements des pays en développement qu’elle n’a octroyé de dons ou de prêts.
L’incompréhension du FMI et de la BM par rapport aux printemps arabes est révélatrice. La BM n’a pas vu venir les printemps arabes et en réponse, a confirmé ses orientations. Elle n’a pas compris les révoltes contre les dictateurs, Ben Ali en Tunisie et Moubarak en Égypte, qui étaient ses favoris.
La BM n’a pas compris les révoltes contre les dictateurs, Ben Ali en Tunisie et Moubarak en Égypte, qui étaient ses favoris
Elle affirme que la situation des couches populaires s’était améliorée et que la pauvreté et les inégalités étaient en baisse avant 2011. Elle explique les soulèvements par le mécontentement des couches moyennes alors que le Moyen Orient est une des régions les plus inégalitaires dans le monde. La BM considère que l’augmentation des inégalités est nécessaire pour le développement. On trouve même dans certains textes de la BM cette idée incroyable : « ce n’est pas l’inégalité qui est grave, c’est l’aversion pour l’inégalité ». La BM n’a pas changé d’orientation dans la région arabe. Elle préconise toujours de privatiser les entreprises publiques, de laisser jouer le marché, de rendre les jeunes plus compétitifs et les femmes plus performantes. Le CADTM avance une approche alternative qui s’appuierait sur la prise de conscience populaire, l’auto-organisation, des politiques sociales ambitieuses, plus de justice, une libération par rapport à l’oppression.
La BM prétend prendre en compte le genre. Dans un chapitre brillant, Camille Bruneau démonte cette prétention et présente une lecture éco-féministe de la dette et de la BM. Elle souligne que les enjeux de genre sont imbriqués avec des systèmes d’oppression et des rapports sociaux inégalitaires et que les actions de la BM sont contraires à toutes les perspectives d’émancipation.
Les enjeux de genre sont imbriqués avec des systèmes d’oppression et des rapports sociaux inégalitaires
Les femmes sont impactées en tant que femmes dans un système patriarcal et par l’accroissement général des inégalités ; elles subissent les impacts genrés des programmes d’ajustement structurel et des politiques de la BM. Elle souligne le travail sous payé et gratuit d’une majorité de femmes qui seraient « naturellement » vouée au travail de care Care Le concept de « care work » (travail de soin) fait référence à un ensemble de pratiques matérielles et psychologiques destinées à apporter une réponse concrète aux besoins des autres et d’une communauté (dont des écosystèmes). On préfère le concept de care à celui de travail « domestique » ou de « reproduction » car il intègre les dimensions émotionnelles et psychologiques (charge mentale, affection, soutien), et il ne se limite pas aux aspects « privés » et gratuit en englobant également les activités rémunérées nécessaires à la reproduction de la vie humaine. (soins, soutien, services). Les femmes sont les premières concernées avec un statut marginal sur le marché du travail, les licenciements et la précarisation, la subordination du travail domestique. La dette accentue la division sexuelle et raciale du travail et les violences sexistes. Jusqu’en 1982, les femmes sont considérées comme des paysannes arriérées et des mères de trop d’enfants. A partir de 1990, on commence à mettre en avant la réduction des inégalités entre hommes et femmes. En 1995, la Conférence de Pékin met en avant les droits des femmes.
Les femmes subissent les impacts genrés des programmes d’ajustement structurel et des politiques de la BM
Pour la BM, la réduction des inégalités passe par la participation à l’économie. En 2001, la BM avance la première gender mainstreaming strategy. En 2006, on met en avant les inégalités et les discriminations de genre avec des propositions : investir dans la protection sociale, santé, éducation des filles, eau et toujours, la propriété privée et la productivité. En 2007, le gender action plan avance que l’égalité des sexes est un atout économique. En 2015, la BM parle de croissance inclusive. C’est une action de communication plus qu’une conscience féministe ; la priorité est toujours à la dette contre les dépenses sociales. Pour le FMI, les femmes sont « un des actifs
Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
les plus sous-utilisés de l’économie » ; la réponse, c’est la mise au travail salarié des femmes. Il y a eu, avec l’évolution générale, des améliorations : le recul de l’âge de la maternité, l’accès à l’école, l’égalité formelle, la formation. Mais elles ont été remises en cause par les programmes d’ajustement structurel, les politiques agricoles qui accroissent les inégalités, les projets extractivistes qui détruisent les territoires, la destruction des services publics compensés par le travail gratuit des femmes. L’accès au microcrédit a été organisé comme le droit et le devoir des femmes à s’endetter en négligeant le travail de care et le travail gratuit. La vision de l’égalité, quand elle est affichée, vise à permettre aux femmes de rivaliser sur les marchés du travail, financiers, fonciers, des produits. Elle ne concerne pas l’accès aux structures du pouvoir ou leur remise en cause et elle impacte négativement les inégalités de genre. La dette économique s’accompagne d’une dette écologique
Dette écologique
La dette écologique est la dette contractée par les pays industrialisés envers les autres pays à cause des spoliations passées et présentes de leurs ressources naturelles, auxquelles s’ajoutent la délocalisation des dégradations et la libre disposition de la planète afin d’y déposer les déchets de l’industrialisation.
La dette écologique trouve son origine à l’époque coloniale et n’a cessé d’augmenter à travers diverses activités :
La « dette du carbone ». C’est la dette accumulée en raison de la pollution atmosphérique disproportionnée due aux grandes émissions de gaz de certains pays industriels, avec, à la clé, la détérioration de la couche d’ozone et l’augmentation de l’effet de serre.
La « biopiraterie ». C’est l’appropriation intellectuelle des connaissances ancestrales sur les semences et sur l’utilisation des plantes médicinales et d’autres végétaux par l’agro-industrie moderne et les laboratoires des pays industrialisés qui, comble de l’usurpation, perçoivent des royalties sur ces connaissances.
Les « passifs environnementaux ». C’est la dette due au titre de l’exploitation sous-rémunérée des ressources naturelles, grevant de surcroît les possibilités de développement des peuples lésés : pétrole, minéraux, ressources forestières, marines et génétiques.
L’exportation vers les pays les plus pauvres de produits dangereux fabriqués dans les pays industriels.
Dette écologique et dette extérieure sont indissociables. L’obligation de payer la dette extérieure et ses intérêts impose aux pays débiteurs de réaliser un excédent monétaire. Cet excédent provient pour une part d’une amélioration effective de la productivité et, pour une autre part, de l’appauvrissement des populations de ces pays et de l’abus de la nature. La détérioration des termes de l’échange accentue le processus : les pays les plus endettés exportent de plus en plus pour obtenir les mêmes maigres recettes tout en aggravant mécaniquement la pression sur les ressources naturelles.
et d’une dette reproductive.
La BM et le FMI devraient respecter les droits humains. En tant qu’institutions spécialisées des Nations unies, elles sont tenues de le faire. Et pourtant, les institutions financières internationales refusent d’être soumises aux traités internationaux et aux droits qu’ils reconnaissent. La BM prétend qu’elle doit se limiter aux considérations économiques et n’a pas à prendre en compte les droits humains. Elle avait pourtant étendu ses compétences à la corruption, au blanchiment, au terrorisme, à la gouvernance. La BM et le FMI ne reconnaissent pas les droits collectifs des populations et des individus. Elles avancent une vision néolibérale et n’ont pas de respect des droits sociaux, économiques culturels, civils et politiques. Le seul droit qu’elles reconnaissent vraiment et font passer avant tout, c’est le droit individuel à la propriété privée.
Le seul droit que BM et FMI reconnaissent vraiment et font passer avant tout, c’est le droit individuel à la propriété privée
Les programmes d’ajustement structurel ne respectent pas les droits humains. La Commission des Droits de l’Homme des Nations unies, au niveau des sous commissions Droits économiques sociaux et culturels et Droits civils et politiques ont conclu à une violation des droits humains par les programmes d’ajustement structurel. Pour la BM, il faut empêcher les États d’intervenir dans l’économie par rapport au privé.
Le livre montre dans un de ses premiers chapitres les rapports difficiles entre la BM et le FMI, d’une part, et le système des Nations unies. Les pays en développement avaient proposé la création du Fonds Spécial de Nations unies pour le développement économique, le Sunfed. La BM avait réagi en créant l’AID (Agence internationale pour le développement) pour proposer des prêts aux pays pauvres. Le désaccord porte toujours sur la règle des institutions internationales : un pays, une voix. L’ONU a réussi à convaincre l’OIT
OIT
Organisation internationale du travail
Créée en 1919 par le traité de Versailles, l’Organisation internationale du travail (OIT, siège à Genève) est devenue, en 1946, la première institution spécialisée des Nations unies. L’OIT réunit les représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs, dans le but de recommander des normes internationales minimales et de rédiger des conventions internationales touchant le domaine du travail. L’OIT comprend une conférence générale annuelle, un conseil d’administration composé de 56 membres (28 représentants des gouvernements, 14 des employeurs et 14 des travailleurs) et le Bureau international du travail (BIT) qui assure le secrétariat de la conférence et du conseil. Le pouvoir du BIT (Bureau International du Travail) est très limité : il consiste à publier un rapport annuel et regroupe surtout des économistes et des statisticiens. Leurs rapports défendent depuis quelques années l’idée que le chômage provient d’un manque de croissance (de 5% dans les années 60 a 2% aujourd’hui), lui-même suscité par une baisse de la demande. Son remède est celui d’un consensus mondial sur un modèle vertueux de croissance économique, ainsi que sur des réflexions stratégiques au niveau national (du type hollandais par exemple). L’OIT affirme qu’il est naïf d’expliquer le chômage par le manque de flexibilité et que les changements technologiques n’impliquent pas une adaptation automatiquement par le bas en matière de salaires et de protection sociale.
(Organisation internationale du travail), l’UNESCO, la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) d’adopter cette règle mais pas la BM et le FMI. Par ailleurs, quand on rappelle à la BM et au FMI que toute organisation internationale, sujet de droit, doit respecter le droit international et les droits humains, elles prétendent que seuls les États, leurs actionnaires par ailleurs, seraient responsables des politiques menées, même si elles leurs sont imposées par les institutions financières internationales. Pourtant, ces politiques ont des répercussions directes sur la vie et les droits fondamentaux des peuples. La Charte des Nations unies est un traité international qui codifie les relations internationales ; la Déclaration universelle des droits de l’Homme est une obligation. La Déclaration sur le droit au développement, adoptée en 1986 par l’Assemblée générale des Nations unies est tout simplement ignorée. Éric Toussaint pose alors la question de l’impunité de la BM et du FMI. Il examine pourquoi porter plainte et qui peut le faire.
Le livre se termine par une ouverture : un plaidoyer pour abolir et remplacer la BM et le FMI. Ce plaidoyer commence par 32 thèses à charge pour résumer un réquisitoire d’accusation fondée. Il propose de définir une nouvelle architecture démocratique internationale et indique quelques pistes pour y parvenir. L’OMC, Organisation mondiale du commerce, devrait être redéfinie pour garantir la réalisation des traités internationaux fondamentaux, à commencer par la DUDH, Déclaration universelle des droits humains, et les traités environnementaux. L’Organe de règlement des différends de l’OMC serait supprimé. La nouvelle Banque mondiale serait largement régionalisée ; elle accorderait des prêts à bas taux d’intérêt et des dons compatibles avec les droits sociaux et environnementaux et les droits humains en privilégiant l’intérêt des peuples et pas celui des créanciers.
Le livre se termine par une ouverture : un plaidoyer pour abolir et remplacer la BM et le FMI
Le nouveau FMI assurerait la stabilité des monnaies ; il mènerait la lutte contre la spéculation
Spéculation
Opération consistant à prendre position sur un marché, souvent à contre-courant, dans l’espoir de dégager un profit.
Activité consistant à rechercher des gains sous forme de plus-value en pariant sur la valeur future des biens et des actifs financiers ou monétaires. La spéculation génère un divorce entre la sphère financière et la sphère productive. Les marchés des changes constituent le principal lieu de spéculation.
, interdirait les paradis fiscaux et la fraude fiscale, contrôlerait les mouvements de capitaux. Il pourrait aussi mettre en œuvre la collecte des taxes internationales. Des fonds monétaires régionaux pourraient être créés. La définition des trois institutions financières internationales seraient réaffirmées en tant qu’institutions spécialisées des Nations unies.
Les Nations unies devraient aussi être réformées en donnant plus d’importance à l’Assemblée générale et en supprimant le droit de veto et le statut de membre permanent au Conseil de sécurité. Un dispositif international de droit, un pouvoir judiciaire international, devrait compléter la Cour Internationale de La Haye et la Cour Pénale Internationale. Le droit international ne serait pas subordonné au droit des affaires. Pour assurer une transformation sociale équitable et solidaire, il faudra rejeter le modèle de développement lié au modèle de croissance productiviste. Pour cela, il faudra briser la spirale infernale de l’endettement et abolir les dettes odieuses, en se référant à la doctrine juridique de la dette odieuse
Dette odieuse
Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.
Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).
Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.
Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».
Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »
Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
définie par Alexander Sack depuis 1927. Le financement économique et social peut être assuré par des emprunts légitimes et des impôts socialement justes, sans répondre à l’endettement par la charité. Les autorités nationales démocratiques doivent pouvoir suspendre le paiement des dettes publiques et annuler les dettes illégitimes, en s’appuyant sur un audit citoyen. Pour achever la décolonisation, il faudra définir un système international de redistribution des revenus et des richesses et inventer des mécanismes de décisions sur la destination et l’utilisation des fonds. Il s’agira aussi de constituer des regroupements régionaux avec une banque régionale commune et un fonds régional monétaire commun.
Cette approche met l’accent sur l’importance du mouvement de décolonisation et sur ses succès
A partir du résumé du livre nous avons une histoire critique de la BM et aussi une analyse, à partir de la logique dominante représentée par la BM, de quelques-unes des grandes questions qui se posent aujourd’hui dans l’ordre international. Dans ce livre, Éric Toussaint emploie un style direct ; il s’appuie sur une expertise et une approche scientifique et ensuite tranche et propose une action vigoureuse et radicale. Il ne se réfugie pas dans des interrogations telles que « il faudrait étudier la question de la dette », il analyse la dette et puis affirme, « il faut annuler les dettes odieuses ». Je suis assez fortement d’accord avec les analyses et les conclusions d’Éric Toussaint ; je voudrais maintenant proposer quelques réflexions en complément pour nourrir le débat sur l’ordre international en mettant l’accent sur quelques questions. Il s’agit de prolongements par rapport au livre ; en me libérant de la centralité de la BM, je mettrai plus l’accent sur les débats par rapport à l’internationalisme. Je n’aborderai que quatre questions : la périodisation des quatre-vingts dernières années ; les mouvements porteurs de radicalité ; le keynésianisme dans le débat théorique et les alliances ; les alternatives du point de vue des institutions internationales.
Le débat sur la périodisation permet de mettre en lumière les contradictions de l’ordre mondial. Le livre est consacré à l’histoire, critique, de la BM ; il part donc de l’évolution de la BM et du FMI et de leurs politiques. Dès le départ, il avertit de l’importance de la lutte des classes dans chaque pays et dans le monde, sans oublier la domination patriarcale. Je voudrais, en complément, resituer cette histoire de la BM dans le mouvement de la décolonisation en accordant plus d’importance à ce mouvement et à son prolongement, l’altermondialisme. Cette approche met l’accent sur l’importance du mouvement de décolonisation et sur ses succès. En fait la BM et le FMI, en tant que mandataires des pays occidentaux, n’ont pas toujours été les meneurs du jeu. Bien sûr ils ont été offensifs et n’ont pas manqué de contraindre et d’agresser les pays du Sud ; mais ils ont aussi été en partie mis sur la défensive par rapport aux avancées de la décolonisation. Sur la longue période, et malgré les difficultés et les agressions, le mouvement principal est celui de la décolonisation et de l’importance des luttes et des avancées des peuples contre la domination.
La BM et le FMI, en tant que mandataires des pays occidentaux, n’ont pas toujours été les meneurs du jeu
Sur la longue période, les luttes des peuples remettent en cause l’impérialisme et mettent en avant la revendication de libération nationale et d’indépendance. L’histoire des luttes anticoloniales est ancienne ; elle commence avec la résistance aux conquêtes coloniales.
Le droit à l’autodétermination des peuples est affirmé à l’issue de la première guerre mondiale. Un mouvement politique international de la décolonisation se construit. Le Congrès des Peuples d’Orient, à Bakou en 1920, propose l’alliance stratégique entre les mouvements de libération nationale et les mouvements ouvriers. Le Congrès des Peuples Opprimés, à Bruxelles en 1927, met en avant le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et à l’indépendance nationale. L’impérialisme est identifié comme le stade suprême du capitalisme. Cette alliance va ouvrir une longue période de luttes de libération, de 1920 à 1945, qui va progressivement mettre les puissances coloniales sur la défensive.
Sur la longue période, et malgré les difficultés et les agressions, le mouvement principal est celui de la décolonisation
De 1944 à 1980, ce sont les pays décolonisés qui sont à l’offensive. Après la Conférence de Bretton Woods, en 1944, commence une période avec la reconstruction de l’Europe d’un côté, les soulèvements anticoloniaux, les massacres coloniaux et les premières indépendances en Afrique et en Asie de l’autre. En 1955, a lieu, à Bandung (en Indonésie) la rencontre des 29 premiers États indépendants d’Afrique et d’Asie. On y discutera de la poursuite de la décolonisation, des risques de troisième guerre mondiale et du non-alignement, des politiques de développement des nouveaux États, des débats aux Nations unies [4]. Après Bandung, la décolonisation s’étend avec le Ghana en 1957, la Guinée en 1958, l’Algérie en 1962, les colonies portugaises en 1975, la défaite américaine au Vietnam en 1975. De 1945 à 1980, la BM et le FMI sont contestés et parfois sur la défensive par les avancées des pays décolonisés, de la révolution cubaine et de l’élargissement de Bandung à la Tricontinentale et de la première phase mouvement des non-alignés
Mouvement des pays non-alignés
Mouvement des non-alignés
MPNA
MNA
Groupe de pays prônant, à partir des années 1950, la neutralité face aux blocs dirigés par les deux super-puissances (États-Unis et Union soviétique), alors en pleine guerre froide. En avril 1955, une conférence de pays asiatiques et africains se réunit à Bandoeng (Indonésie) pour promouvoir l’unité et l’indépendance du tiers-monde, la décolonisation et la fin de la ségrégation raciale. Les initiateurs sont Tito (Yougoslavie), Nasser (Égypte), Nehru (Inde), Sukarno (Indonésie). Le mouvement des non-alignés naît véritablement à Belgrade en 1961. D’autres conférences suivront au Caire (1964), à Lusaka (1970), à Alger (1973), à Colombo (1976).
L’action du mouvement des non-alignés, composé de 120 pays, a eu au cours des dernières années une portée très limitée.
en 1961. Ce mouvement continuera avec la fin de l’apartheid en 1990. La contradiction la plus forte se situe entre 1973 et 1979. En 1973, le Mouvement des Non Alignés, réuni à Alger adopte le Nouvel Ordre Économique Mondial qui sera voté aux Nations Unies en 1974. Il propose le contrôle des matières premières, le financement du développement, l’industrialisation, le contrôle des technologies, le contrôle des multinationales. Fin 1973, à la suite de la guerre entre Israël et les pays arabes, les pays du Golfe réduisent leur production. Le prix du pétrole est multiplié par quatre. En 1979, la révolution islamique en Iran se traduit par un nouveau doublement des prix. La création en 1975 du G5
G5
Le G5 est né d’une initiative des États-Unis et du Royaume-Uni qui en 1967 ont réuni les ministres des Finances des cinq premiers pays industrialisés (Allemagne, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Japon). Le G5 donne le ton au niveau du G7.
qui deviendra le G7, organise la riposte : endetter les pays du Sud, imposer des plans d’ajustement structurel, mettre en place le néolibéralisme, contrôler le Sud et accentuer la crise du bloc soviétique. La réponse par les non-alignés est rendue difficile par la division entre pays pétroliers et pays non-pétroliers.
De 1980 à 1989, c’est une période d’offensive de la BM et du FMI, sous contrôle des États-Unis. Le néolibéralisme devient la doctrine dominante. Il a été expérimenté au Chili par les Chicago boys de Milton Friedman qui ont imposé la subordination totale au marché qui définit l’ajustement structurel. Il a aussi été préparé par le directoire des pays impérialistes, le G5 qui deviendra G7, qui lance la contre-offensive de l’endettement à partir de la mise en œuvre du recyclage des pétrodollars Pétrodollars Les pétrodollars sont les dollars issus du pétrole. . Le mot d’ordre est : endettez-les ! Le Mouvement des non-alignés refuse, dans un premier temps, de suivre les orientations du consensus de Washington et des institutions de Bretton Woods (le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et l’Organisation mondiale du commerce l’OMC). Les Non Alignés sont confrontés après la chute du mur de Berlin, en 1989 à la définition même du Non Alignement. Les pays occidentaux désignent un nouvel ennemi au nom du choc des civilisations : l’Islam. Les guerres d’Afghanistan, les deux guerres d’Irak, la destruction de la Lybie, les interventions israéliennes, le jeu trouble des monarchies du Golfe, vont donner du souffle au djihadisme et renforcer les discriminations contre les musulmans en Europe et aux États-Unis.
Croiser la stratégie de domination, toujours à l’œuvre, avec l’histoire des réponses des peuples
Le mouvement altermondialiste s’affirme comme le mouvement anti-systémique du néolibéralisme [5]. Dès 1980, il met en avant le refus de la dette et des plans d’ajustement structurel. Les comités contre la dette sont très actifs dans les pays du Sud, par exemple aux Philippines, au Cameroun et en Amérique Latine. En 1988, à Berlin, le Tribunal Permanent des Peuples, tribunal d’opinion qui succède au Tribunal Russell, condamne le FMI et la BM [6]. En 1989, c’est le triomphe de Bretton Woods et des États-Unis ; la chute du mur de Berlin. L’impérialisme est confronté à une nouvelle question, la redéfinition du système international qui va consolider sa victoire. Il tente de marginaliser les Nations Unies en accusant les pays du Sud de contrôler l’Assemblée Générale, il privilégie Bretton Woods autour de la BM et du FMI et complète ces institutions avec L’OMC, l’Organisation Mondiale du Commerce. De 1989 à 1999, le mouvement altermondialiste cible Bretton Woods, l’OMC et le G7. Ce sont les grandes manifestations à Berlin, Washington et Madrid autour du mot d’ordre : le droit international ne doit pas être subordonné au droit aux affaires. En 1999, l’échec de la Conférence de Seattle qui devait affirmer le rôle central de l’OMC montre les difficultés de Bretton Woods à imposer son hégémonie. C’est à Seattle que s’affirment les nouveaux mouvements qui vont constituer la base de l’altermondialisme (mouvement syndical mondial, mouvement paysan, mouvement des femmes, mouvement écologiste, mouvement de solidarité internationale).
A partir de 2000, le mouvement altermondialiste organise les Forums sociaux mondiaux en opposition, et en alternative, au Forum économique mondial de Davos. En 2008, la crise financière, constitue une nouvelle rupture dans l’évolution du néolibéralisme. Elle est suivie à partir de 2011 par des insurrections dans plusieurs dizaines de pays, ouvre une nouvelle période ; ce sont les printemps arabes, mais aussi les indignés et les « occupy ». Le néolibéralisme entame une mutation austéritaire, combinant austéritarisme et sécuritarisme. Les mouvements réactionnaires, identitaires et d’extrême droite, se renforcent en réponse aux nouvelles formes de contestation des mouvements sociaux salariés et paysans, d’émancipation féministe, écologistes, antiracistes, des peuples autochtones, des migrants. La crise de la pandémie et du climat ouvre une nouvelle crise de civilisation. Le mouvement altermondialiste est confronté à un nécessaire renouvellement. Mais, le système dominant, celui de Bretton Woods et des États-Unis est aussi interpellé dans sa prétention à définir un développement qui vise en fait le contrôle des peuples.
Les mouvements sociaux doivent définir leur stratégie par rapport aux ruptures dans l’évolution et au changement de période
J’ai insisté sur cette lecture de la période parce que, en complément de l’analyse du livre qui donne une lecture très juste de l‘histoire de la BM dans sa volonté de définir l’avenir, il nous faudra croiser la stratégie de domination, toujours à l’œuvre, avec l’histoire des réponses des peuples.
La deuxième réflexion que je proposerai, en prolongement du livre, concerne les mouvements sociaux et citoyens porteurs des résistances et des nouvelles radicalités. Le mouvement altermondialiste ne se limite pas aux forums sociaux mondiaux. Il est le mouvement anti-systémique du néolibéralisme comme modèle dominant de la mondialisation
Mondialisation
(voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.
Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».
La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
capitaliste. Le livre comprend une analyse de ces mouvements par rapport à l’action de la BM et du FMI. Il faudra prolonger ces analyses en partant de l’histoire de ces mouvements et de leurs propositions. Le mouvement ouvrier, et plus largement le mouvement des salariés et de leurs syndicats, est confronté aux nouvelles formes du travail, en liaison avec l’évolution scientifique et technique. Compte tenu de son rôle fondamental, son évolution et ses mutations seront centrales ; la stratégie par rapport au travail est un élément déterminant. Le mouvement paysan a engagé une évolution considérable avec La Via Campesina. L’agriculture paysanne se révèle plus moderniste que l’agro-industrie, plus adaptée aux impératifs écologiques et porteuses de propositions stratégiques avec la souveraineté alimentaire et l’agriculture biologique. Le mouvement écologiste est porteur d’une rupture fondamentale et radicale sur la conception du développement et de la transformation des sociétés et de la planète. Le mouvement des femmes introduit un bouleversement dans les manières de penser le sexe et le genre, il est porteur d’une rupture civilisationnelle. Le mouvement des peuples autochtones et le mouvement contre le racisme prolongent le mouvement de la décolonisation. Il en est de même avec les mouvements de migrants et de solidarité avec les migrants. Tous ces mouvements doivent définir leur stratégie par rapport aux ruptures dans l’évolution et au changement de période. C’est dans cette approche que se définira un nouveau projet commun porteur d’émancipation. Cette approche permettra de prolonger et de renouveler la définition du droit au développement, présenté dans le livre et qui avait été adopté par l’Assemblée générale des Nations unies en 1986.
La troisième réflexion, en prolongement du livre, concerne la question de la théorie et des alliances. Je l’aborderai à travers la question du keynésianisme. Le livre analyse, à plusieurs reprises, le keynésianisme et ses contradictions dans la définition même de Bretton Woods et dans son rejet radical par le néolibéralisme [7]. Nous sommes confrontés à une situation difficile ; il s’agit de tirer les leçons de l’échec du soviétisme comme voie de construction du socialisme et de l’échec de la sociale démocratie comme projet de transformation sociale.
Tirer les leçons de l’échec du soviétisme comme voie de construction du socialisme et de l’échec de la sociale démocratie comme projet de transformation sociale
Les compromissions du keynésianisme avec le capitalisme et les États impérialistes permettent de le comprendre. Pourtant, le keynésianisme a été contradictoire, ses références à l’action publique, à l’emploi, à la monnaie, au commerce international ne sont pas inintéressantes. Certains des disciples de Keynes, comme Joan Robinson par exemple, se sont inscrits dans des démarches marxistes. Sur le plan politique aussi, Olaf Palme en Suède par exemple a démontré l’intérêt de certaines positions internationales.
Aujourd’hui, la question des alliances met en évidence l’intérêt des approches keynésiennes de Joseph Stiglitz ou Paul Krugman dans leurs critiques de la BM et du FMI. L’approche de Alexandria Ocasio Cortes (AOC), de Democratic Socialist of Americas et de Bernie Sanders, pour un « internationalist green new deal
New Deal
Nom donné aux mesures prises aux États-Unis par Roosevelt à partir de son élection en 1933 à la présidence pour faire face à la crise économique déclenchée en 1929.
Rappelons que dans le cadre du New Deal aux États-Unis et des politiques keynésiennes qui ont été étendues à l’Europe occidentale après la Seconde Guerre mondiale sous la pression d’importantes mobilisations populaires, les droits sociaux ont été nettement améliorés, une protection sociale importante a été mise en place, les banques d’affaires ont été séparées des banques de dépôts, le taux d’imposition des revenus les plus élevés a atteint 80 % aux États-Unis. On pourrait ajouter que les inégalités dans la répartition des revenus et du patrimoine ont été réduites. À cette époque, le Grand Capital avait été contraint de faire des concessions aux classes populaires qui s’étaient fortement mobilisées. Le gouvernement du président Roosevelt, qui voulait réformer le capitalisme pour le sauver et le consolider, avait dû affronter la Cour suprême qui avait essayé de faire abroger plusieurs de ses décisions. Roosevelt, pressé par la radicalisation à gauche des classes populaires, avait réussi à contrecarrer les décisions de la Cour suprême et avait imposé des mesures fortes, y compris en permettant aux syndicats de se renforcer dans les usines et aux travailleurs de recourir aux grèves pour obtenir des concessions des patrons.
» montre des renouvellements possibles de la pensée keynésienne. Il s’agit d’ouvrir le débat sur les alternatives possibles au capitalisme et au néolibéralisme en approfondissant l’approche critique du keynésianisme et du soviétisme.
Les compromissions du keynésianisme avec le capitalisme et les États impérialistes
La quatrième réflexion, en prolongement du livre, concerne les alternatives du point de vue des institutions internationales. Les quelques pages en conclusion du livre proposent des pistes tout à fait intéressantes. La démarche est de resituer les institutions financières internationales dans le cadre des Nations unies tout en mettant en avant la nécessaire réforme du système des Nations unies. C’est un chantier essentiel. C’est celui du droit international et celui de l’évolution géopolitique et de la possible multipolarité. Une des pistes pour cette réforme est de s’appuyer sur les Conférences internationales qui avaient été organisées par les Nations unies pour résister à la marginalisation recherchée par Bretton Woods et les États-Unis. Notamment la Conférence de Rio en 1992 sur environnement et développement, prolongées par les COP Climat ; la Conférence de Copenhague sur les droits sociaux, la Conférence de Pékin sur les droits des femmes, la Conférence d’Istanbul sur le logement, la ville et les collectivités locales. Se pose alors la question de la décolonisation inachevée. La première phase de la décolonisation, celle de l’indépendance des États, est presque achevée.
On a pu en mesurer l’importance, les contradictions et les limites, d’autant que le néolibéralisme peut être caractérisé comme une forme de recolonisation. La deuxième phase de la décolonisation, celle de la libération des nations et des peuples commence. Elle interroge la nature des États et de la démocratie. Nous sommes à l’articulation des deux phases de la décolonisation, celle de l’indépendance des États qui n’est pas encore achevée et celle, qui s’ouvre, de la définition des nouveaux possibles.
Se pose la question de la décolonisation inachevée
Ma recension est un peu longue parce que c’est un livre important à lire et à diffuser. Le résumé de la présentation de l’histoire de la Banque mondiale voudrait démontrer que ce livre remarquable est une référence pour la compréhension de l’histoire économique mondiale et pour la mise en évidence des logiques des pouvoirs dominants du mode actuel et de certaines des grandes questions stratégiques qui caractérisent la période à venir. Les prolongements s’inscrivent dans l’ouverture du débat qui concerne les logiques à l’œuvre, les résistances et les alternatives nécessaires dans les luttes pour une émancipation internationaliste des peuples.
[1] Éric Toussaint, Banque mondiale, une histoire critique, Éditions Syllepse, Paris, 2021
[2] Éric Toussaint, Le Système Dette : Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Éditions Les liens qui libèrent, Paris, 2017
[3] Cheryl Payer, The Debt Trap : The International Monetary Fund and the Third World, Editions Monthly Review Press Classic Titles, New York, 1975
[4] Gustave Massiah, Bandung, un moment historique de la décolonisation, décembre 2021, https://www.cadtm.org/Bandung-un-moment-historique-de-la-decolonisation
[5] Immanuel Wallerstein, Dilemmas for the Global Left, Preface to Gustave Massiah, in collaboration with Elise Massiah, Strategy for the alternative to globalization, Black Rose Books, Montreal, 2011
[6] Robert Triffin, économiste reconnu, avait assuré une défense critique du FMI, défense parce qu’il considérait que des institutions internationales sont nécessaires, mais critique par rapport aux politiques imposées par le FMI et la BM. L’acte d’accusation avait été rédigé par Gustave Massiah ; Cheryl Payer avait participé à la session, et était intervenu sur le FMI et l’Inde https://www.ritimo.fr/opac_css/index.php?lvl=notice_display&id=3881
[7] Dans la préparation de Bretton Woods, Pierre Mendès France avait proposé une monnaie - matières premières (exposé du débat avec Pierre Mendès France dans le Bulletin de liaison du cedetim n° 1 – 1967)
est une des personnalités centrales du mouvement altermondialiste. Ingénieur et économiste, né en 1938 au Caire, a présidé le CRID (Centre de recherche et d’information pour le développement), galaxie d’associations d’aide au développement et de soutien aux luttes des pays du Sud, et a été vice-président d’Attac-France de 2003 à 2006.
10 janvier 2022, par Gustave Massiah
18 janvier 2021, par Gustave Massiah
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