Opinion publiée dans La Libre le 25 septembre 2020
28 septembre 2020 par Arnaud Zacharie , Renaud Vivien , Robin Delobel , Aurore Guieu , Anaïs Carton
Quel rôle peut jouer la Belgique ? Avant toute chose, assumer que la Belgique n’est pas un acteur insignifiant. Bien au contraire, puisqu’elle siège non seulement au Club de Paris, mais également au conseil d’administration du FMI et à la Banque mondiale, des institutions au cœur du débat et de la prise de décision internationale sur ces questions. La Belgique tient donc une place stratégique pour être une force de proposition positive.
Une opinion d’Anaïs Carton et de Robin Delobel pour CADTM, d’Arnaud Zacharie pour CNCD-11.11.11, d’Aurore Guieu pour Oxfam-Belgique et de Renaud Vivien pour Entraide & Fraternité.
2700 milliards de dollars de remboursement de dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
publique en 2020 et 2021. C’est le mur auquel font face les pays du Sud, alors même que les retombées économiques négatives de la crise du Covid-19 sont critiques. 121 millions de personnes supplémentaires pourraient être exposées à la famine, et près d’un demi-milliard pourrait tomber dans la pauvreté. Le service de la dette
Service de la dette
Remboursements des intérêts et du capital emprunté.
empêche les États de consacrer leur budget à des investissements essentiels dans la santé, la protection sociale ou encore l’agriculture. Pour certains pays africains, la part de leur budget destinée au remboursement de la dette dépasse les 40 %.
Le Covid-19 n’est pas seul responsable ; une mauvaise gestion économique nationale non plus. Admis prématurément sur des marchés sous-réglementés avec des prêts privés à des taux d’intérêt
Taux d'intérêt
Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
élevés, héritiers de dettes coloniales, les pays du Sud sont les perdants d’une mauvaise gestion au niveau mondial.
Le « Club de Paris
Club de Paris
Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.
Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.
Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
», qui réunit les plus importants États créanciers dont la Belgique, a certes décidé en avril dernier d’un moratoire
Moratoire
Situation dans laquelle une dette est gelée par le créancier, qui renonce à en exiger le paiement dans les délais convenus. Cependant, généralement durant la période de moratoire, les intérêts continuent de courir.
Un moratoire peut également être décidé par le débiteur, comme ce fut le cas de la Russie en 1998, de l’Argentine entre 2001 et 2005, de l’Équateur en 2008-2009. Dans certains cas, le pays obtient grâce au moratoire une réduction du stock de sa dette et une baisse des intérêts à payer.
sur certains paiements dus en 2020, mais c’est une mesure largement insuffisante. Pourquoi ? Tout d’abord, elle ne concerne selon les dernières estimations officielles disponibles que 1,68 % des remboursements dus en 2020 par l’ensemble des pays en développement. Ensuite, le moratoire ne constitue qu’un report des paiements et non une annulation, ainsi qu’une majoration des intérêts, ce qui ne fait que déplacer et aggraver le problème. Le président de la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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lui-même, juge ce moratoire insuffisant et appelle à des annulations de dettes – bien qu’il arrête ses recommandations à sa porte et exclut son institution des créditeurs qui devraient la concéder. En effet, les créanciers multilatéraux (notamment la Banque mondiale et le Fonds monétaire international
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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, FMI) refusent de participer substantiellement au moratoire, et les créanciers privés ne sont que timidement invités à y participer sur base volontaire. Et enfin, conséquence pernicieuse, le fait pour un pays de demander un report de dettes dans ce cadre lui fait risquer une dégradation de sa note souveraine par des agences de notation
Agences de notation
Les agences de notation (Standard and Poor’s, Moody’s et Fitch en tête) sont des agences privées qui évaluent la solvabilité et la crédibilité d’un émetteur d’obligations (État, entreprise). Jusqu’aux années 1970 elle étaient payées par les acheteurs potentiels d’obligations, depuis la libéralisation financière la situation s’est inversée : ce sont les émetteurs d’obligations qui rémunèrent les agences pour qu’elles les évaluent... Reconnaissons leur qualité de travail : c’est ainsi que Lehman Brothers se voyait attribuer la meilleure note juste avant de faire faillite.
telles Moody’s, qui a d’ailleurs déjà placé sous surveillance cinq États ayant sollicité le moratoire.
Quel rôle peut jouer la Belgique ? Avant toute chose, assumer que la Belgique n’est pas un acteur insignifiant. Bien au contraire, puisqu’elle siège non seulement au Club de Paris, mais également au conseil d’administration du FMI et à la Banque mondiale, des institutions au cœur du débat et de la prise de décision internationale sur ces questions. La Belgique tient donc une place stratégique pour être une force de proposition positive.
Les solutions existent, ce qui manque c’est la volonté politique.
Pour que les pays débiteurs ne soient pas contraints de privilégier les remboursements de dettes sur leurs dépenses de réponses à la pandémie, il faut avant toute chose parler d’annulations de dette et non plus de reports. Ensuite, il faut que le moratoire soit étendu aux créanciers multilatéraux. Le FMI et la Banque mondiale convoquent leur réunion annuelle du 12 au 18 octobre prochain, sous une forme virtuelle cette fois-ci, coronavirus oblige. La Belgique a donc l’opportunité d’y plaider énergiquement pour des annulations significatives de dettes envers ces créanciers. La Chine doit également être concernée, en tant que nouvelle actrice clé : sans être membre du Club de Paris, elle est créditrice de 20 % de la dette totale des pays africains. Les créanciers privés doivent enfin impérativement être inclus eux aussi. A défaut, les efforts des contribuables des pays du Nord en matière d’allègement de dette seront simplement absorbés par les profits de ces créanciers, au lieu d’être utilisés pour prévenir et soigner le virus et minimiser l’impact social et économique. L’objectif doit donc être un consensus large entre pays du G20 G20 Le G20 est une structure informelle créée par le G7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni) à la fin des années 1990 et réactivée par lui en 2008 en pleine crise financière dans le Nord. Les membres du G20 sont : Afrique du Sud, Allemagne, Arabie saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chine, Corée du Sud, États-Unis, France, Inde, Indonésie, Italie, Japon, Mexique, Royaume-Uni, Russie, Turquie, Union européenne (représentée par le pays assurant la présidence de l’UE et la Banque Centrale européenne ; la Commission européenne assiste également aux réunions). L’Espagne est devenue invitée permanente. Des institutions internationales sont également invitées aux réunions : le Fonds monétaire international, la Banque mondiale. Le Conseil de stabilité financière, la BRI et l’OCDE assistent aussi aux réunions. et du Club de Paris, la Chine et les créanciers privés.
L’absence de consensus international ne doit toutefois pas servir d’excuse pour ne pas agir. En plus d’agir au sein des enceintes internationales, la Belgique peut et doit prendre des mesures urgentes sur ses propres créances Créances Créances : Somme d’argent qu’une personne (le créancier) a le droit d’exiger d’une autre personne (le débiteur). en annulant la part illégitime, illégale, odieuse et insoutenable. C’est ce que demandent une vingtaine d’acteurs de la société civile belge regroupant à la fois des ONG humanitaires et de développement et des syndicats. Cette demande de la société civile ne représente ni une faveur, ni un chèque en blanc faits aux pays débiteurs. La société civile africaine est active pour exiger une redevabilité de ses responsables politiques afin que les fonds libérés soient effectivement assignés à la réponse à la crise du Covid-19.
Les solutions existent donc et le gouvernement belge, qu’il soit nouveau ou en affaires courantes, doit avoir la volonté politique d’y contribuer. Pour financer plus durablement le développement des pays du Sud, il faut impérativement rompre avec le modèle actuel basé sur l’endettement.
Voir : https://www.cadtm.org/Repondre-a-la-crise-du-Covid-19-la-Belgique-et-l-annulation-de-la-dette-des
Source : La Libre
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