23 février 2012 par Eric Toussaint
Il faut de manière urgente que les mouvements sociaux d’Europe expriment dans les faits une solidarité agissante avec le peuple grec et constituent une plate-forme commune européenne de résistance à l’austérité afin d’obtenir l’annulation des dettes illégitimes.
Une grande partie de la population grecque a démontré depuis le premier mémorandum de mai 2010 une opposition croissante aux mesures d’austérité imposées par les autorités grecques et la Troïka : grèves générales, occupation des places publiques, manifestations de rue, mouvement de résistance aux augmentations de tarif des services et des transports, sans oublier la relance de l’activité de certains services comme celui de l’hôpital de Kilkis en Macédoine ou le redémarrage le 15 février 2012 du quotidien Eleftherotypia sous conduite des travailleurs.
La soumission et la compromission du gouvernement grec avec la Troïka ne fait qu’aggraver la situation économique du pays et viole les droits économiques et sociaux de la population. Le dernier plan mensongèrement appelé de sauvetage constitue une étape de plus dans l’abandon de la souveraineté de la Grèce par rapport à l’Union européenne et aux créanciers : l’ensemble des nouveaux crédits iront au remboursement d’une dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
qui est très largement illégitime et sera géré directement par les créanciers.
Les peuples des pays du Sud de la planète ont été soumis pendant deux décennies (1982 au début des années 2000) à ce genre de politique qui utilise le prétexte du remboursement de la dette comme arme pour détruire une série de conquêtes sociales qui constituent des droits économiques et sociaux fondamentaux.
L’Argentine est un cas emblématique. Après 25 ans de politiques néolibérale (1976-2001) et une succession de plans d’austérité menés par le FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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, une rébellion populaire a éclaté en décembre 2001 et a conduit à la chute du gouvernement. Les nouvelles autorités ont décrété unilatéralement la suspension du remboursement de la dette publique sous formes de titres vendus sur les marchés financiers
Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
pour un montant de 90 milliards de dollars. Cela reste jusqu’à aujourd’hui la plus importante suspension de paiement de l’histoire. Après trois ans de suspension de paiement au cours des quels le gouvernement a mis en place une politique de relance économique et a refusé de suivre les recommandations du FMI, l’Argentine a imposé aux créanciers une réduction de dette de 65%. A partir de fin décembre 2001, l’Argentine a aussi suspendu le remboursement de sa dette bilatérale (pour un montant de 6,5 milliards de dollars) à l’égard de pays comme l’Espagne, la France, l’Allemagne, l’Italie, la Grande Bretagne,… réunis dans le Club de Paris
Club de Paris
Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.
Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.
Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
. Cette suspension de paiement dure depuis dix ans et l’Argentine s’en porte très bien. Entre 2003 et 2012, son taux de croissance annuel moyen a atteint 8%. Si l’Argentine n’avait pas suspendu le remboursement de la dette et si elle n’avait pas refusé les diktats du FMI et des autres créanciers, elle aurait été incapable de profiter à partir de 2004-2005 de l’augmentation du prix des produits qu’elle exporte sur le marché mondial. Toutes les recettes auraient été englouties par le remboursement de la dette. Sous la pression populaire, les autorités argentines ont refusé les augmentations de tarif de l’électricité, de l’eau, des télécommunications, etc. que voulaient imposer les transnationales étrangères et le FMI. Les conditions de vie des Argentins se sont nettement améliorées et aujourd’hui des citoyens européens prennent le chemin de ce pays pour essayer d’y trouver un travail digne.
L’exemple de l’Argentine montre que c’est en refusant de se soumettre aux créanciers et au FMI pour payer une dette largement illégitime qu’on peut relever la tête et améliorer les conditions de vie de la population. Comme indiqué au début de cet article, il faut que le combat des Grecs ne reste pas isolé, il faut construire un large mouvement de solidarité avec lui et ensemble, peuples européens, bâtir un front de résistance pour l’annulation de la dette illégitime et la refondation complète d’une Europe des peuples via un processus constituant authentiquement démocratique.
Cet article a été commandé à Eric Toussaint par le quotidien Eleftherotypia dont les 800 travailleurs sortent leur deuxième numéro en autogestion.
Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.
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