Ce texte est la retranscription des propos tenus par Olivier Bonfond, économiste au Cepag, dans une capsule vidéo du même nom diffusée au congrès statutaire de la MWB-FGTB des 4 et 5 septembre 2014.
Depuis quelques années, les gouvernements européens nous affirment :
Le cercle vertueux de l’austérité – « Ce qu’ils nous disent »
Partout en Europe, à des degrés divers, on voit les gouvernements appliquer des politiques d’austérité. Il est possible de résumer ces politiques par le schéma suivant :
Globalement, les gouvernements européens se sont tous fixé un objectif prioritaire : il d’agit de diminuer le poids de la dette publique par rapport au PIB
PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
. Pour atteindre cet objectif, ces mêmes gouvernements mettent en place trois grandes mesures :
La première mesure, celle qui semble la plus logique, est de réduire les dépenses publiques. En effet, lorsque les dépenses sont plus élevées que les recettes, et que l’on est alors en situation de déficit, la solution la plus simple semble être de diminuer les dépenses. Si l’on réduit les dépenses publiques, cela devrait avoir pour conséquence de diminuer automatiquement les déficits et le niveau d’endettement.
Les deux autres mesures prônées dans le cadre de l’austérité sont la réduction du « coût du travail » et la réduction de la fiscalité des entreprises. Aujourd’hui, il paraît que les travailleurs européens coûtent trop cher et que les entreprises sont asphyxiées, étranglées par des impôts trop élevés. Pour relancer l’activité économique, il est donc impératif de prendre des mesures pour éliminer ces problèmes. Le fait d’éliminer ces problèmes va avoir une série de conséquences positives d’un point de vue économique : de nouvelles créations d’emplois, de nouvelles créations d’entreprises. Et ces entreprises-là vont devenir plus compétitives. Elles pourront donc conquérir de nouvelles parts de marché et augmenter les exportations sur le marché international. Par ailleurs, cette activité économique serait également positive pour solutionner le problème de la dette : la croissance économique engendrera une augmentation des recettes fiscales et donc une réduction des déficits et de la dette publique.
Voilà, en résumé, le discours et la théorie dominants que les gouvernements européens sont aujourd’hui en train d’appliquer un peu partout en Europe.
Le cercle vicieux de l’austérité – « Ce qu’il se passe dans la réalité »
Le problème, c’est que ce n’est du tout cela qui se passe dans la réalité. Dans la réalité, il se passe toute autre chose, comme on peut le voir dans le deuxième schéma :
On voit que l’objectif (à savoir, réduire la dette publique) reste le même. Les mesures prises sont les mêmes : réduction des dépenses publiques, réduction des cotisations sociales, réduction de la fiscalité des entreprises.
Ces trois grandes mesures néolibérales d’austérité provoquent une série de conséquences dont les plus importantes sont la dégradation de la sécurité sociale (induisant une réduction des aides sociales et une diminution du pouvoir d’achat), la réduction du nombre de fonctionnaires, la dégradation des services publics et la diminution des investissements productifs.
Et toutes ces conséquences provoquent à leur tour un ralentissement de l’activité économique. Or, s’il y a ralentissement de l’activité économique, les recettes fiscales diminuent automatiquement, tandis que les dépenses sociales augmentent, en particulier via une augmentation du chômage. Or, une diminution des recettes fiscales et une augmentation des dépenses sociales provoquent une augmentation des déficits et, in fine, une augmentation de la dette. Alors que l’objectif était de réduire la dette publique, le résultat est au final exactement l’inverse : la dette augmente ! La boucle est bouclée. On est alors reparti pour un tour : la dette augmente, et les dirigeants européens s’empressent d’affirmer que « la dette est trop élevée » et qu’il est nécessaire de remettre une couche supplémentaire d’austérité, ce qui aggravera encore un peu plus la situation.
Nous sommes donc aujourd’hui dans un cercle vicieux de la dette et de l’austérité. Un cercle vicieux dont il faut absolument sortir. Malheureusement, quand on regarde les programmes d’austérité prévus dans les programmes de stabilité des différents gouvernements européens pour les prochaines années, on est vraiment très mal parti. Les plans d’austérité se comptent en dizaines de milliards d’euros pour tous les gouvernements européens. Nous avançons donc vers un désastre économique et social. Car il est aussi extrêmement important de se rendre compte du très lourd coût social de ces politiques d’austérité : davantage d’exclusions sociales, davantage de précarité, davantage d’inégalités et de détresse. Bref, une dégradation générale des conditions de vie de la majorité des citoyens européens.
Il est possible de démontrer que ce cercle vicieux de l’austérité est concrètement en place quand on analyse l’évolution des chiffres de la dette dans les différents pays européens. C’est l’objectif du tableau suivant :
On peut prendre un ou deux exemples pour montrer les effets de cette politique d’austérité, mais globalement la logique est la même partout. Prenons La France. En 2010, elle avait une dette de 1.600 milliards d’euros (soit 82,7% de son PIB). Sur la période 2011-2013, la France a appliqué 56 milliards d’euros de plan d’austérité pour réduire sa dette. Résultat : En 2013, la dette de la France a grimpé à 1.925 milliards d’euros, soit une augmentation de 324 milliards d’euros et une augmentation de 10,8% de son taux d’endettement par rapport au PIB. Prenons à présent l’Espagne. En 2010, l’Espagne avait une dette 645 milliards d’euros. Entre 2011 et 2013, le gouvernement espagnol a imposé 70 milliards d’euros de plans d’austérité. Conséquence : sa dette a augmenté de 315 milliards d’euros pour atteindre 960 milliards d’euros. Le taux d’endettement a augmenté de 32,2% sur la même période.
La conclusion qui s’impose est simple : plus un pays applique de l’austérité, plus sa dette augmente.
Quel projet ? : la justice sociale
Que faire face à cette situation ? En tant que militant social, délégué syndical ou simple citoyen, nous avons deux grands défis à relever. Le premier est de dénoncer fortement cette politique d’austérité et de faire en sorte que les citoyens européens se mobilisent pour imposer un changement de politique. Le deuxième défi, c’est de dépasser la dénonciation et de proposer une autre politique.
S’il n’existe évidemment pas de remède miracle, les solutions existent. Comment sortir de cette crise économique et du piège de la dette par le haut ? On pourrait le résumer par le schéma suivant :
L’objectif ne doit plus être de réduire la dette, mais bien de créer de la justice sociale. Mais comment financer cette justice sociale ? Une des mesures qui devrait être prioritaire, partout en Europe, c’est celle visant à augmenter les capacités financières des pouvoirs publics (mesure 2). Donc la question de la redistribution des richesses et de la justice fiscale sont fondamentales.
Grâce à ces ressources supplémentaires, on pourrait, d’une part, renforcer les droits sociaux de tous les citoyens européens (mesure 1) et, d’autre part, réaliser des investissements massifs et ambitieux, en particulier dans les secteurs de l’industrie, des services publics et de la transition écologique (mesure 3). Ces trois grandes mesures pourraient créer une dynamique très intéressante en termes de développement de l’activité économique, de création d’emplois, de renforcement de la sécurité sociale, mais aussi, via le développement de l’activité économique, de réduction de la dette…
Par ailleurs, la dette publique des pays européens doit nécessairement être questionnée. Partout en Europe, de nombreux mouvements, dans lesquels les syndicats jouent d’ailleurs souvent un rôle moteur, ont commencé à le faire, notamment via des audits citoyens de la dette. Ces mouvements proposent des mesures crédibles et concrètes pour réduire radicalement la dette, en faisant supporter cette réduction par les responsables de la crise (les détenteurs de capitaux et les marchés financiers) et non pas par les citoyens, comme c’est le cas aujourd’hui.
En guise de conclusion, je dirai que l’irréalisme n’est pas de notre côté. Si on ne peut jamais être sûr que les choses vont s’améliorer si on change de politique, on peut être sûr d’une chose : si on continue dans cette direction, la catastrophe économique et sociale va s’amplifier. Il est donc urgent de se battre pour inverser la vapeur.
est économiste et conseiller au CEPAG (Centre d’Éducation populaire André Genot). Militant altermondialiste, membre du CADTM, de la plateforme d’audit citoyen de la dette en Belgique (ACiDe) et de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015.
Il est l’auteur du livre Et si on arrêtait de payer ? 10 questions / réponses sur la dette publique belge et les alternatives à l’austérité (Aden, 2012) et Il faut tuer TINA. 200 propositions pour rompre avec le fatalisme et changer le monde (Le Cerisier, fev 2017).
Il est également coordinateur du site Bonnes nouvelles
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