30 juin 2015 par Juan Pablo Bohoslavsky
Genève, le 2 juin 2015 - L’Expert indépendant chargé d’examiner les effets de la dette extérieure et des obligations financières internationales connexes des États sur le plein exercice de tous les droits de l’homme, M. Juan Pablo Bohoslavsky, incite les institutions européennes, le Fonds monétaire international et la Grèce à faire preuve de courage et à parvenir à un accord qui respecte les droits humains. Dans cette déclaration, M. Bohoslavsky souligne que les droits humains ne devraient pas s’arrêter pas à la porte des organisations internationales et des institutions financières internationales.
Si aucun compromis n’est atteint, la Grèce devrait, tôt ou tard, se retrouver en cessation de paiement, rendant la crise nationale encore plus pénible. Les droits économiques et sociaux devraient être encore plus ébranlés en Grèce de par cette absence de flexibilité et de courage à trouver un accord qui bénéficie à tout le monde et qui respecte les droits humains.
Les obligations
Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
de remboursement de dettes ne sont pas seulement en jeu, mais également les fondations mêmes sur lesquelles l’Union européenne s’est bâtie : une union de nations qui respecte les droits humains, la dignité humaine, l’égalité et la solidarité, qui sont en son cœur même.
Les douloureuses conditionnalités Conditionnalités Ensemble des mesures néolibérales imposées par le FMI et la Banque mondiale aux pays qui signent un accord, notamment pour obtenir un aménagement du remboursement de leur dette. Ces mesures sont censées favoriser l’« attractivité » du pays pour les investisseurs internationaux mais pénalisent durement les populations. Par extension, ce terme désigne toute condition imposée en vue de l’octroi d’une aide ou d’un prêt. du programme d’ajustement grec se sont concrétisées par de sévères coupes dans les budgets sociaux, de la santé et de l’éducation, soulevant un certain nombre d’inquiétudes quant à la capacité du gouvernement grec d’assurer la réalisation des droits économiques et sociaux basiques. Jusqu’à présent, les politiques de réforme et d’austérité appliquées depuis 2010 n’ont pas été à même de redresser la Grèce. Elles ont, au contraire, aggravé la crise sociale en Grèce et n’ont clairement pas stimulé l’économie nationale pour que cela profite au peuple grec.
Le chômage touche toujours 25% de la population, affectant de manière disproportionnée les femmes et les jeunes en quête de travail. D’après les dernières statistiques disponibles, un jeune adulte sur deux est sans emploi. Le nombre de personnes risquant de sombrer dans la pauvreté et dans l’exclusion sociale a augmenté à 35,7%, le plus haut pourcentage dans l’Eurozone. En substance, nombre de problèmes relatifs aux droits humains identifiés par mon prédécesseur, lors de sa visite en Grèce il y a deux ans, sont toujours d’actualité, ou ont même empiré.
Je salue la création par le Parlement grec d’une commission d’audit de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
. Il est nécessaire de faire la lumière sur ceux qui ont été les bénéficiaires de ces prêts et emprunts imprudents et des renflouements, et dans quelles mesures, et par ailleurs sur qui est responsable de la situation financière actuelle.
En avril 2015, une loi octroyant quelques aides aux personnes se trouvant dans des situations d’extrême pauvreté, a été adoptée. Cette loi comprend l’attribution d’allocations logement, des coupons de nourriture et la restauration, en accès limité, de l’électricité. Cependant, cette initiative ne va pas assez loin. Il faudrait adopter une approche plus holistique pour traiter des questions des droits économiques et sociaux en Grèce. La priorité devrait être accordée à l’utilisation des ressources disponibles limitées pour dynamiser l’économie réelle et réparer les trous des filets de la sécurité sociale et du système des soins de santé publique. Il faudrait également envisager la mise sur pied d’un programme exhaustif de création de travail.
Le poids de l’ajustement devrait être équitablement réparti, en s’accommodant des obligations incombant à la Grèce et aux autres États créditeurs dans le cadre du Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels, la Charte sociale européenne et d’autres normes internationales en matière de droits humains. Cela devrait comprendre des mesures d’imposition pour soutenir les transferts sociaux pour atténuer les inégalités, le combat contre l’évasion fiscale, l’établissement d’un impôt sur les capitaux financiers des Grecs résidant à l’étranger et l’augmentation des impôts sur les biens de luxe et les propriétés foncières de grande valeur. Cela signifie également de mettre en œuvre une série de réformes institutionnelles nécessaires pour empêcher le surendettement.
À l’échelle régionale, les directives européennes sur les exigences des capitaux devraient être améliorées pour éviter de sur-prêter. La « clause de non renflouement » du Traité de Lisbonne fonctionnerait bien mieux si elle était combinée avec un mécanisme souverain d’insolvabilité basé sur les droits humains.
La dette publique devrait atteindre les 180% du PIB
PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
. Ce fait révèle l’insuffisance des mesures d’allègements de la dette mises en œuvre par le passé pour assurer la viabilité de la dette sur le long terme. Ce chiffre était d’environ 120% lorsque la crise démarra. Il est peut-être temps de reconnaître que d’autres mesures d’allègement de la dette seront, à un moment ou un autre, nécessaires, plutôt que de laisser la Grèce dans une situation malsaine de dépendance économique et politique aux institutions créditrices, et ce pendant des décennies.
Les droits humains ne s’arrêtent pas aux portes des organisations internationales et des institutions financières internationales. Ils doivent être respectés lorsque les États délèguent leurs responsabilités aux organes internationaux, comme le Mécanisme européen de stabilité (MES).
Je salue l’étude détaillée publiée par le Parlement européen sur l’impact de la crise sur les droits fondamentaux et le fait que cette institution ait récemment adopté une résolution soulignant que les solutions pour une dette viable, comprenant des normes pour des emprunts et des crédits responsables, devraient être facilitées à travers un cadre multilatéral légal de processus de restructuration de la dette souveraine. Cette même résolution appelait l’Union européenne à s’engager de façon constructive dans des négociations onusiennes dans ce domaine.
J’espère que les institutions et les gouvernements européens agiront en conséquence et tireront les conclusions qui s’imposent concernant les politiques d’ajustement appliquées au sein de l’Union européenne.
J’ai hâte de visiter prochainement la Grèce pour recevoir des mises à mettre de la situation sur le terrain et j’ai également demandé à me réunir officiellement avec les institutions européennes concernées.
Nous devons trouver de meilleures solutions pour empêcher que les réformes de politiques économiques ne sapent la jouissance des droits humains. Ce n’est pas une tâche aisée, mais cela est faisable, comme la réponse de l’Islande à la crise bancaire l’a montré.
(*) Voir le rapport de mon prédécesseur, Cephas Lumina, sur sa visite en Grèce : http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G14/118/83/PDF/G1411883.pdf?OpenElement
Traduit par Julie Duchâtel
M. Juan Pablo Bohoslavsky (Argentine) a été nommé Expert indépendant chargé d’examiner les effets de la dette extérieure et des obligations financières internationales connexes des États sur le plein exercice de tous les droits de l’homme, par le Conseil des droits de l’homme le 8 mai 2014. Avant cela, il a travaillé comme expert des dettes souveraines à la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) où il coordonnait le groupe d’experts sur les prêts et les crédits souverains responsables.
Les Experts indépendants font partie de ce qui est désigné sous le nom des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme. Les procédures spéciales, l’organe le plus important d’experts indépendants du Système des droits de l’homme de l’ONU, est le terme général appliqué aux mécanismes d’enquête et de suivi indépendants du Conseil qui s’adressent aux situations spécifiques des pays ou aux questions thématiques partout dans le monde. Les experts des procédures spéciales travaillent à titre bénévole ; ils ne font pas partie du personnel de l’ONU et ils ne reçoivent pas de salaire pour leur travail. Ils sont indépendants des gouvernements et des organisations et ils exercent leurs fonctions à titre indépendant.
Expert indépendant chargé d’examiner les effets de la dette extérieure et des obligations financières internationales connexes des États sur le plein exercice de tous les droits de l’homme, en particulier les droits économiques, sociaux et culturels (De juin 2014 à mai 2020)
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